L’affaire Haider

Pourquoi tout cet moi?

L’arrivée au pouvoir en Autriche du Parti de la liberté (FPÖ) de Jorg Haider, souvent qualifié de national-populiste et quelques fois même de fasciste, a semble-t-il crée une véritable onde de choc au sein des États membres de l’Union européenne (UE) et à travers le monde. L’annonce de la formation d’un gouvernement de coalition dirigé par le conservateur Wolfgang Schuessel accordant la vice-chancelerie, cinq ministères et deux secrétariats d’État au FPÖ a crée tout un remue-ménage.

Washington et Tel Aviv ont immédiatement rappelé leurs ambassadeurs pour consultations, la Bourse de Vienne a temporairement chutée, l’indice ATX passant sous la barre des 1100 points pour la première fois depuis février 1999 et les partenaires de l’Autriche au sein de l’UE ont annoncé la mise en oeuvre immédiate ou rapide de sanctions politiques ou diplomatiques.

Pendant que Vienne était marqué des manifestations houleuses, à l’ONU, ce repaire de brigands, le secrétaire général Kofi Annan affirmait que:

toute personne ayant une conscience de l’Histoire devrait être préoccupée par les récents développements politiques en Autriche.

Pourquoi donc tout cet émoi? Il n’y a pas de doute que le FPÖ est un parti d’extrème-droite et que son patron Haider est une crapule.

Démagogue et xénophobe, il s’est toujours complu dans le flou en ce qui a trait à son appréciation historique du régime nazi. Beaucoup moins flou est sa politique répressive et réactionnaire à l’égard de l’immigration; une politique dont il n’a malheureusement pas le monopole comme le démontre les récentes émeutes raciales en Espagne. Les politiques ouvertement anti-immigration de Haider sont pour l’essentiel les mêmes que celles pratiquées sournoisement et sous couvert “démocratique” par l’ensemble des autres États de l’UE; des États souvent dirigés par des gouvernements de gauche... Et voilà où le bât blesse! Car il s’agit de savoir qu’est-ce qui motive réellement l’actuelle campagne “antifasciste” de la bourgeoisie et de la gauche capitaliste qui la supporte.

Pourquoi aujourd’hui?

Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que le FPÖ, cette “menace fasciste” fait partie d’un gouvernement de coalition autrichien. De 1983 à 1986, le même FPÖ était tranquillement associé au gouvernement social- démocrate du chancelier Bruno Kreisky.

Le FPÖ était certes beaucoup plus marginal à cet époque (moins de sept pour cent des voix), mais le ministre FPÖ de la Défense de 1985 avait quand même publiquement serré la main d’un ancien criminel de guerre à peine sorti de prison. Le tout dans l’indifférence générale. (1)

D’autres pays de l’UE ont aussi connu de telles participations de l’extrème-droite au pouvoir dans les années récentes sans qu’il y ait eu un grand scandale et encore moins le genre de campagnes ayant présentement cours. Prenons le cas de l’Italie où il y a quelques années à peine, en 1994, l’Alliance nationale (AN) participait de façon majeure au gouvernement de Silvio Berlusconi.

Ce parti était alors un front électoral dirigé par le Mouvement social italien (MSI) de Gianfranco Fini, un produit historique fondé en 1946, du Parti fasciste de Benito Mussolini. L’AN aura comme le FPÖ aujourd’hui cinq postes au cabinet et le vice-premier-ministre sera Guiseppe Tatarella du MSI. Le tout se fera avec la caution démocratique des ex-staliniens du PDS et à la grande satisfaction de la bourgeoisie d’Italie et d’ailleurs tout comme de leurs lèche-bottes de l’ONU.

Aux États-Unis, le commentateur d’affaires publiques Pat Buchanan qui a récemment quitté le Parti républicain pour présenter sa candidature à la présidence américaine sous la bannière du Parti réformiste a un profil politique tout aussi populiste, droitier et xénophobe que l’autrichien Haider ou le français Le Pen. Pourtant, celui-ci a été pendant des années un proche conseiller du président Reagan, cet autre vaillant chevalier de la liberté et de la démocratie. Ardent admirateur de la chasse aux sorcières organisée dans les années '50 par Joseph McCarthy, Buchanan prône l’interdiction de l’avortement, la prière obligatoire dans les écoles et les institutions, l’abolition de l’aide sociale et la fermeture des frontières à l’immigration...Buchanan se spécialise dans des attaques aussi outrancières que celles lancées par Haider à l’encontre des Noir-e-s et des Latinos ainsi que des gais et lesbiennes et est tout aussi flou que ce dernier sur Hitler et sur le fascisme. Récemment, Buchanan proposait dans une de ses colonnes de réserver au moins 75% des places dans les collèges et universités d’élite “pour les blancs d’origines non-juives”! Et pourtant, le Comité national du Parti républicain, une des deux jambes d’airain de la démocratie américaine, a tout fait en son pouvoir pour conserver ce “fasciste” dans ses rangs et dans la course à l’investiture du parti comme candidat à la présidence de l’Union. George W. Bush, l’actuel favori à l’investiture a lui-même déclaré: “Je ne veux pas que Pat Buchanan quitte le parti.” (2)

Ce que ça cache...

La classe dominante internationale ne se mobilise pas présentement pour préserver l’ouverture de ses précieux marchés autrichiens, contrairement à ce qu’à pu affirmer un commentateur politique radical à l’émission radiophonique montréalaise “Pisse-vinaigre”. La libre circulation des capitaux et des marchandises ne sera pas plus en danger sous un Haider qu’elle ne l’a été sous un Pinochet...Elle ne se mobilise pas non plus en fonction d’une certaine “conscience de l’Histoire” doucereusement évoquée par Kofi Annan. (3)

Et comme on a pu le voir plus haut, les États bourgeois et leurs institutions font peu de cas historiquement des orientations plus ouvertement racistes et extrémistes de certains de leurs “hommes d’État”. Tout au plus, occasionnellement, quelques uns d’entre eux peuvent être lâchés après les faits, si cela sert les intérêts du moment des requins qu’ils ont servis. Mais il est clair que la bourgeoisie n’a pas vécu d’épiphanie en Autriche.

Elle se fout complètement du sort qu’Hader réserve aux immigrants et immigrantes, ce qu’il imposera aux minorités ou ce qu’il prépare au reste du prolétariat autrichien. Le loup ne se transformera jamais en agneau.

Il est probable que le cirque actuel sert tout simplement à redorer l’image de la démocratie, cette expression particulière de la dictature du capital. (4)

C’est cette image qui sert de plus en plus à justifier toutes sortes de crimes impérialistes maintenant rebaptisés “ingérences humanitaires”! C’est justement cet “humanisme” bourgeois qui vient de renvoyer la Serbie 50 années en arrière après qu’elle eut subi le déversement massif de bombes “intelligentes” en 1999. L’affaire Haider sert aussi utilement en déviant l’attention de cette autre boucherie en cours dans le Caucase; une boucherie qui s’effectue avec l’accord tacite des autorités de l’UE et des USA. Quand la bourgeoisie déploie des campagnes idéologiques en défense de sa démocratie, c’est toujours pour détourner les prolétaires des véritables combats à mener.

La Gauche communiste résiste aux attaques et aux souffrances que vivent les prolétaires sous la dictature du capital; quelque soit sa forme. Pour nous, le capitalisme incarne la barbarie.

Nous sommes tout à parce que nous savons qu’il est inutile d’en appeler à l’État capitaliste. Mais nous ne soutiendrons aucune croisade antifasciste ayant pour but de défendre politiquement la démocratie. (5)

En ce sens, la réponse prolétarienne aux événements en Autriche, c’est la préservation et l’extension scrupuleuse de l’autonomie ouvrière face aux sirènes du fascisme et de la démocratie.

Car, en dernière analyse, dans le faux choix qui nous est offert, c’est toujours le capitalisme qui gagne.

(1) La Presse, 6 février 2000.

(2) Il est à noter que Mike Dolan du groupe Public Citizen, un des principaux porte-parole et le coordonnateur des manifestations officielles contre le Sommet de Seattle est un partisan de Pat Buchanan. En Suisse aussi, les manifestations officielles contre l’OMC réuniront sur le terrain du nationalisme autant les Jeunesses socialistes que les députés du parti-frère du FPÖ, le Parti populaire suisse, un parti presqu’aussi puissant que le FPÖ avec 23% du suffrage en 1999. La gauche capitaliste, apparemment aujourd’hui si friande d’un antifascisme démocratique, a une mémoire fort sélective et sur le fond, développe souvent des alliances qui en disent long.

(3) La “conscience” de cet homme de main de la bourgeoisie mondiale ne fait que peu de cas des dizaines de milliers de morts causées par l’embargo et les bombardements frappant encore régulièrement l’Irak; des crimes auxquels ce diplomate-bourreau est étroitement associé.

(4) D’autres expressions ou formes de la dictature du capital sont le fascisme et le stalinisme.

(5) Internationalist Communist Review, #12, 1994, p.26.