Le pétrole, but de guerre.

Prologue

Le capitalisme à visage humain, imaginé par tous les réformistes du monde, rêvé par la "gauche de la gauche", existe vraiment. Nous l’avons rencontré. Le voici révélé dans un article intitulé “Washington s’engage dans la protection de la forêt du bassin du Congo”, du quotidien Le Monde du 31 août 2002. Selon le quotidien, le gouvernement américain va consacrer 53 millions de dollars pour un partenariat avec différents pays destiné à conserver, protéger et améliorer la forêt tropicale du bassin du Congo. D’autres pays, la France en particulier, font partie de cette fondation. Effectivement, voilà de quoi donner du baume au cœur à tous les partisans du capitalisme à visage humain. Si même le gouvernement Bush, prêt à déchaîner la guerre au Moyen Orient, se range derrière les écologistes, c’est bien la preuve de la capacité de ce système de s’améliorer. Continuons donc cette saine lecture pour mieux apprécier les motivations américaines:

Pour les Etats-Unis, le partenariat n’est en fait qu’un volet de l’intérêt de plus en plus soutenu de Washington pour le potentiel pétrolier de la région. Quand à la réaction de la France, un diplomate la résume: “On ne peut laisser seul un acteur de l’importance des Etats-Unis”.

Il s’agit donc bien du capitalisme à visage humain. Dans sa meilleure version, le capitalisme marque son intérêt en finançant une fondation, préparant le terrain, permettant aux futurs concurrents de mieux se surveiller. Mais, quand le potentiel pétrolier de la région se sera précisé, on verra alors la fondation péricliter ou bien le capitalisme montrer un autre visage. Si des réserves sont trouvées, la fondation sera alors un point d’entrée bien utile pour les appétits impérialistes. Leur côté le plus noir se lancera dans les conflits les plus dévastateurs pour atteindre un but toujours identique: la domination des ressources et de l’exploitation pétrolière, le prélèvement de la rente pétrolière.

Etat des lieux - Le pétrole, source principale d'énergie dans le monde, source de matières premières

Aujourd'hui, pétrole et gaz naturel sont les principales sources d'énergie dans le monde. Le charbon tend à être limité à une partie de l'industrie lourde (à part dans un pays comme la Chine, où il reste toujours très utilisé y compris pour le chauffage), ou pour la production d'électricité. Le pétrole est pratiquement la seule énergie utilisée pour les transports, qui se développent rapidement. Mais il ne faut pas oublier qu'il est une source importante de matières premières, pour la production des différents types de plastiques ou assimilés (supérieure à la production des différentes matières métalliques) et pour l'industrie chimique qui en tire la base de différentes productions. La demande, aussi bien comme énergie que comme matière première, devrait encore croître dans les prochaines années, bien que l'on assiste à une bataille d'experts sur le niveau de croissance à prévoir. L'augmentation de la demande est en tout cas probable pour la Chine ou l'Inde et différents "pays émergents". D'une part à cause de l'intensification des transports, d'autre part pour le remplacement des chauffages ou dans certaines industries utilisant le charbon comme énergie (qui rend l'atmosphère irrespirable dans des mégapoles comme Pékin), enfin dans la mesure où augmente l'industrialisation.

Dans le monde, le pétrole est abondant, les gisements sont nombreux et tous les continents sont producteurs. Mais les principales ressources exploitées dans le monde sont concentrées sur des zones assez réduites. Les estimations sur les réserves sont très variables, mais, par exemple, au rythme d'exploitation actuel, les réserves américaines seraient asséchées en 2010, ce qui pourrait modifier sérieusement les données du problème.

La consommation est très différenciée selon les pays, et les pays producteurs ne sont pas forcément de gros consommateurs, ce qui explique l'importance du problème du transport de gaz ou de pétrole. Ce sont bien sûr les pays industrialisés, de très loin l'Amérique du Nord puis Europe de l'Ouest et Japon, qui absorbent la plus grosse partie de l'offre. Le transport de quantités aussi importantes de matière implique des moyens importants: bateaux (les pétroliers sont les plus gros bateaux en circulation) et pipe-lines. Ces derniers nécessitent de gros investissements à la construction et sont une cible facile en cas de conflit. Ils sont aussi une source de royalties pour les pays traversés.

La production américaine (USA, Golfe du Mexique, Venezuela) alimente prioritairement ce continent. La production asiatique (région de l'Indonésie et Malaisie) alimente cette zone et le Japon. La production nord européenne (mer du Nord) reste majoritairement sur ce continent, alimenté aussi par la Russie. L’Afrique du Nord alimente essentiellement l’Europe, tandis que la production d’Afrique Noire se répartie sur tous les continents.

Le Moyen Orient, de très loin le premier exportateur, fournit lui aussi le monde entier, mais en tout premier lieu l’Asie puis l’Europe en enfin l’Amérique du Nord.

Particularités: Une façon "archaïque" de faire des affaires

Le capitalisme, dont les traits généraux sont invariants, présente plusieurs aspects. Quand Mercedes, ou Danone, veut faire des affaires dans un nouveau pays, il lui suffit de trouver un commerçant pour vendre ses produits, conçus et fabriqués dans les usines de pays où il est déjà implanté. Quand Exxon, BP ou Total s'intéresse au pétrole du Turkménistan ou ailleurs, il lui faut obtenir du gouvernement une concession de recherche, d'extraction ou la commercialisation du brut. En clair il est essentiel d'avoir de "bons rapports" avec le gouvernement et plus généralement la classe dirigeante du pays. Pour obtenir ces "bons rapports" les compagnies utilisent les gouvernements de leurs pays. Le président des Etat-Unis se fait le représentant de Texaco et Total est représenté par Mitterrand ou Chirac. Toutes les compagnies et tous les Etats du monde utilisent principalement deux moyens, toujours inextricablement liés. Les "petits cadeaux", c'est-à-dire la corruption des chefs d'Etat et de la classe dirigeante et la domination politique, militaire et économique. Ainsi, le Gabon, chasse gardée de la France, où Total fait des affaires, où l'enrichissement personnel des différents "gouvernements", qui laissent carte blanche à Total au point de ne pas savoir la quantité extraite dans les gisements du pays, où en échange des "richesses" produites par le pétrole, on achète français. C'est ce modèle qui prévaut dans tous les pays producteurs et exportateurs de pétrole. Nous pouvons l'appeler "archaïque" pour faire plaisir aux utopistes d'ATTAC et consorts, parce qu'il est loin des doux rêves d'un capitalisme modernisé, démocratique et solidaire. Ces "opposants" croient, ou plutôt veulent nous faire croire, qu’il faudrait améliorer l’une ou l’autre des faces du capitalisme, jouer sur les différences de ton, de comportement de la classe possédante pour améliorer notre situation. Ainsi, les compagnies pétrolières, les dirigeants d’Etats directement liés à celles-ci (notamment G Bush aux Etats-Unis) ont-ils une mauvaise image. Mais ce système "archaïque", porté à sa perfection par le capitalisme lui-même n’est, en fait, qu’un des aspects du capitalisme, qui le produit comme la nuée produit l'orage.

La rente pétrolière, source de revenus pour le dollar

Une source très importante de revenus est donnée uniquement aux USA : c'est l'utilisation exclusive du dollar américain dans le commerce du pétrole, gaz et autres matières premières. Cette utilisation apporte chaque année des sommes colossales, qui seules permettent à l’économie US de tenir son rang. En l’absence d’alternative crédible, cette domination du dollar n'a pas été remise en cause jusqu'à une date très récente (bien que les tout premiers gouvernements iraniens après la chute du Shah aient évoqué l'idée d'accords utilisant d'autres monnaies, sans concrétiser). Avec la création et l'affirmation de la solidité de l'Euro, il se trouve maintenant un concurrent de taille pour rivaliser avec le dollar, avec qui il faudra peut-être partager la rente. Tôt ou tard, des accords seront signés, en euro, entre des pays de l’Union Européenne et des "pays amis" ou avec un pays comme l’Iran, qui veut se réserver un espace de liberté entre les grands.

Les luttes qui en découlent

L'Etat joue donc à fond son rôle de soutien au capitalisme national. Inversement, les compagnies pétrolières sont très directement actives dans la définition de la politique des Etats (voir l'influence du lobby pétrolier dans l'élection de G Bush)

L'importance stratégique de pétrole et dans une certaine mesure, du gaz, le caractère colossal des sommes en jeu expliquent la rivalité typique du capitalisme de tous contre tous. Dans ce monde, les alliances les plus solides ne durent jamais très longtemps. Seule compte vraiment une domination ferme pour obtenir et maintenir la mainmise sur les richesses (recherche, extraction, commercialisation). Selon Le Monde:

PSA (production sharing agreement): dans le jargon pétrolier, ce sigle est le sésame permettant de bénéficier d'une surcote boursière. L'accord de partage de la production entre un pays et une compagnie permet à cette dernière d'inscrire les réserves qu'elle contrôle dans son bilan. Les méthodes comptables considèrent ces droits de prospection et de forage comme des actifs tangibles. Il va de soi que pareille appréciation du compte d'exploitation attire les investisseurs. En revanche, l'autre type de contrat, la prestation de services, moins rémunératrice, n'a pas le même effet positif sur le titre.

Les principes de l'impérialisme s'appliquent à fond: maintenir sa domination là où elle existe, tenter de l'étendre contre ses concurrents et là où il cela n'est pas possible, nuire au maximum pour limiter les profits de l'adversaire et préparer l'avenir.

Les régions qui sont objet de toutes les convoitises

L'Afrique du Nord est déjà profondément déstabilisée par la rivalité Europe-USA : en Algérie, longtemps chasse gardée de la France, les USA cherchent depuis longtemps à placer leurs pions, en soutenant le FIS dans les années 90, par leurs liens avec Bouteflica aujourd'hui. La Libye elle, est soumise à l'embargo américain, mais un jour ou l’autre se posera la question du renouvellement du pouvoir de Kadhafi.

La mer Caspienne et les pays limitrophes est une zone prometteuse. Les ressources sont en plein renouvellement (Bakou est une des plus anciennes régions d’exploitation pétrolières du monde) et il y a beaucoup à faire au niveau des infrastructures. Bien qu’elles soient très loin de certains chiffres annoncés (un nouveau "golfe persique") leur exploitation pourrait apporter une diversification dans l’approvisionnement appréciable pour l’Europe ou la Chine. Les rivalités se jouent d’abord sur le problème de l'écoulement de la production. C’est la bataille des oléoducs. Plusieurs projets sont en concurrence. La Russie veut construire (et, de fait, a déjà réalisé) des liaisons avec ses propres oléoducs et gazoducs ce qui lui permettrait d’une part de toucher des royalties, d’autre part en l’ajoutant à sa propre production, d’alimenter plus massivement l’Europe, enfin de maintenir sa domination sur la région (qui faisait partie de l’URSS). Les USA au contraire, veulent évacuer la production via des pays "surs": Turquie à l’ouest, Pakistan à l’est. Enfin la Chine voudrait promouvoir, malgré les investissements à prévoir, des infrastructures rejoignant directement ses propres champs du bassin du Tarim, et de là, la partie consommatrice de la Chine.

Ainsi, à l’ouest de la mer Caspienne, un pipe-line russe passait par Groznyï, en Tchétchénie. La reprise de la guerre, largement initiée par les fractions indépendantistes tchétchènes les plus anti-russes (les wahhabites, islamistes intégristes de tendance saoudienne), les ont contraint à construire, pour rejoindre Novorossisk, sur la mer Noire, une dérivation évitant la région. Le projet américain est une liaison Bakou-Géorgie-Ceyan, sur la méditerranée. Elle est dors et déjà en construction.

A l’est, le projet des grandes compagnies américaines est un pipe-line et gazoduc rejoignant le Pakistan. Mais il faut alors traverser un Afghanistan qui serait pacifié. La première tentative en ce sens a été l’aide à la prise de pouvoir par les Talibans mais ceux-ci, d'une part n'ont jamais réussi à gagner la guerre (face à l'opposition principalement de l'Alliance du Nord, soutenue directement par la Russie et vaguement par l'Union Européenne), d'autre part ont échappé à leurs maîtres. La présence de Ben Ladden a été un prétexte en or pour retenter l’aventure. En effet, l'intervention américaine de l'an dernier a été l'occasion, non seulement de reprendre pied en Afghanistan, mais aussi de commencer une installation dans l'Asie Centrale ex-soviétique.

Dans cette zone, il faut enfin compter avec l’Iran, puissance régionale, qui verrait bien ces richesses passer sur ses terres (économiquement, c’est la solution la moins chère), lui permettant d’affirmer son leadership sur la région. Il se heurte à l’hostilité américaine qui craignent son indépendance (due au fait qu’il est déjà un des principaux producteurs mondiaux) qui l’amène à revendiquer une plus grosse part du gâteau.

Le Golfe Arabo-Persique, où sont les réserves prouvées de très loin les plus abondantes, reste un enjeu majeur. Les USA y sont solidement implantés depuis plusieurs décennies. A la faveur de la guerre du golfe, ils ont prouvé qu’ils étaient seuls à même de maintenir au pouvoir les dynasties en place.

L'OPEP

Créé en 1959 par certains producteurs, l'OPEP était conçue pour défendre les intérêts de ces pays face aux compagnies pétrolières. Pendant plus d’une décennie ( années 70 et début 80 ) l’OPEP va obtenir une renégociation des prix et des contrats auprès des compagnies. Pendant cette même période, la production pétrolifère des pays de l’OPEP va souvent être récupérée par des compagnies nationales. Ces rachats ont été possibles du fait des revenus que les Etats se sont octroyés, profitant des hausses des cours du pétrole. Cette période "faste" prendra fin au milieu des années 80. Le marché mondial du pétrole cesse d’être, pour une grande part, l’apanage des pays de l’OPEP dont la cohésion se fragilise de plus en plus. La guerre Iran-Irak puis la guerre du Golfe, suite à l’invasion du Koweït par l’Irak, approfondissent les dissensions. Le marché est désormais aussi contrôlé par d’autres pays et on assiste au développement de nouvelles exploitations comme la production off-shore. On constate même que les grandes compagnies étrangères reprennent pied dans les pays de l’OPEP. Après le "sursaut" en 98 (l’OPEP, alors que les cours étaient au plus bas, a tenté de relancer une politique de quotas...aidée en cela par la Russie, la Norvège ou le Mexique), c’est la politique du chacun pour soi qui prévaut et l’OPEP est bien incapable de réguler quoique ce soit. Son poids à une époque s’est révélé bien éphémère, les pays qui la composent ayant des intérêts et des allégeances bien trop différentes pour avoir une action commune efficace.

Nouveaux venus

L’islamisme est une idéologie. Comme telle, est le paravent d’intérêts bien plus matériels et palpables. Au départ, le mouvement islamiste a été utilisé par les Etats-Unis pour déstabiliser leurs adversaires. Ils ont soutenu et financé (directement ou par l'intermédiaire de leurs alliés) des organisations dans divers pays Arabes, en Egypte et Syrie notamment. Leur but était de combattre l’influence russe. Un pas supplémentaire a été franchi en Afghanistan. Ils ont envoyé des armes et formé des combattants. Après l’Afghanistan, certains de ces combattants se sont retrouvés en Tchétchénie, cependant que d’autres se heurtaient aux intérêts américains. En effet, dans les pays Arabes du Golfe, l’islamisme exprime la volonté d’une partie de la classe dirigeante de mieux profiter de la richesse pétrolière. Divisés ces pays, dont certains sont tout à fait artificiels (Koweït, Qatar ...) ne sont que les pions des grandes puissances et tout particulièrement des USA, qui ont su jouer de main de maître de leurs divisions. Unis, les pays Arabes du Golfe pourraient représenter une puissance de premier plan: de très loin le premier producteur et exportateur de pétrole, d’où dérive une puissance financière majeure. C’est ce qui explique l’anti-américanisme actuel des islamistes et le malaise dans les relations entre classes dirigeantes américaines et arabes, saoudiennes en particulier.

Où sont les communistes?

Le refus de se positionner au côté d’un camp ou un autre dans les guerres impérialistes, qu’elles soient mondiales ou régionales est un des acquis les plus fondamentaux du mouvement communiste. Dès la première guerre mondiale, Lénine a montré que le mouvement ouvrier ne devait pas seulement s’opposer à la guerre - parce que ce sont les ouvriers qui supportent les difficiles conditions de vie sous la guerre et sont au front - mais que les communistes doivent encourager, en tenant compte du rapport de force, les travailleurs à défendre leur intérêt propre, sans tenir compte de celui de "leur" bourgeoisie, de "leur" Etat. C’était la grande fracture avec les réformistes de tout poil, qui, défendant finalement "leur" pays, refusaient en fait toute action sous prétexte de ne pas affaiblir "son" camp contre l’adversaire, mettant en avant la peur d’une défaite due à l’action ouvrière.

Aujourd’hui, les partis de la gauche radicale européenne prétendent lutter contre "l'impérialisme américain". En fait c'est essentiellement son caractère américain qui nourrit leur opposition. Ils défendent en pratique la position d'un impérialisme européen (qui se cherche toujours) s'opposant ouvertement aux USA. Ils parent ce combat de l'idéologie démocratique qui, disent-ils, serait l'apanage des pays Ouest-Européens. Il n'y a qu'à se rappeler le colonialisme, pratiqué par la France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, bref, ces mêmes pays, pour comprendre ce que la "tradition démocratique" européenne veut dire. Se rappeler aussi que la décolonisation s'est faite avec le soutien des USA, à l'époque donc, du "bon côté". Non! Les différents aspects du capitalisme (répressif ou démocratique, agressif ou respectueux de l'indépendance des autres Etats, ...) sont les différentes faces d'une même réalité. Selon ses besoins, l'impérialisme adopte l'un ou l'autre de ses aspects.

Dans les conflits entre forces capitalistes petites ou grandes, les communistes ne soutiennent aucun camp. Ils sont ailleurs: dans le camp des travailleurs.