Politiques répressives contre les immigrants aux Etats-Unis

Les sans-papier organisent la riposte

Le 1er mai, des centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses sans-papier ont manifesté dans les rues contre les lois draconiennes en matière d’immigration. Intitulée "Une journée sans immigrants", la journée de protestation ferma des commerces, des restaurants, des chantiers de construction et causa des arrêts de travail dans une partie des secteurs agricoles et industriels de l’économie. Des villes comme New York, Denver, Chicago et Los Angeles ont été la scène de manifestations fortes de centaines de milliers de personnes. Tandis que l’attitude des travailleurs et des travailleuses était militante et solidaire, le mouvement en tant que tel fut encouragé par des composantes de la bourgeoisie et organisé par des éléments de la petite bourgeoisie. Alors qu’un mouvement mobilisant autant de salariés, prenant position publiquement et s’identifiant en tant que tel le 1er mai, est un événement extraordinaire, particulièrement aux États-Unis, il cristallise cependant les contradictions confrontant les salariés dans tout mouvement interclassiste, où dans ce cas nous avons vu des prolos sans papier scander "Nous sommes des travailleurs", tout en brandissant des drapeaux américains.

La section du capital qui soutient une normalisation du statut de leur main d’œuvre immigrante ont de fait soutenu la réforme des lois sur l’immigration dans le but de protéger leur réserve de "cheap labour". Gallo Wines en Californie permirent à leurs salariés de prendre une journée de congé. Huit des quatorze usines de Purdue Chicken cessèrent aussi leurs activités pour la journée et la plus grande compagnie de boucherie au monde ferma cinq de ses neuf usines de bœuf et quatre de ses six usines de porc. La législation draconienne menace directement ces employeurs en déstabilisant leur main d’œuvre par le danger permanent de poursuites légales.

La loi extrêmement sévère, dite de "Border Security", votée par le gouvernement en décembre dernier, servit de catalyseur et suscita beaucoup de la colère qui s’est exprimée dans la rue. Ce qui est à l’ordre du jour du gouvernement est la criminalisation toujours plus poussée de l’immigration clandestine, ce qui criminaliserait des dizaines de millions de travailleurs et de travailleuses ainsi que potentiellement toute personne se portant à leur secours ou les employant. Tout cela en planifiant de construire plus de murs le long de plus larges sections de la frontière mexicaine et en utilisant la Garde nationale et des réservistes pour en patrouiller des secteurs. La nouvelle loi prévoit aussi une quantité légèrement plus élevée de visas de travail. La logique étant d’apaiser les employeurs qui profitent de cette main d’œuvre en offrant un plus grand nombre de visa aux immigrants qui peuvent être déportés pour la moindre infraction , y compris les écarts de conduites les plus insignifiants.

Avec son Bill 4437, titré "Border Protection, Antiterrorism, and Illegal Immigration Control Act of 2005" voté en décembre 2005, la Chambre des représentants réclamela construction de 700 milles (1120 km) de clôture le long de la frontière, exige que le gouvernement fédéral assume la mise en garde des sans-papier détenus par les autorités locales ou d’États, force les employeurs à vérifier électroniquement le statut d’immigrant de leurs employés, élimine le Diversity Immigrant Visa qui accordait des permis aux immigrants et aux immigrantes provenant de pays à faibles taux d’immigration vers les États-Unis, interdit l’attribution de subsides fédéraux à toute agence fédérale, gouvernementale ou locale qui maintient une politique de sanctuaires pour les sans-papier, impose une amende de 3000 dollars à toute personne devant être déportée, établit une sentence minimum de dix ans pour documents trafiqués, force tous les sans-papier à se soumettre à un examen de leur dossier criminel, de la liste de contrôle terroriste et une vérification de documentation frauduleuse avant qu’une personne immigrante puisse recevoir le statut de résident légal, prescrit une peine minimale de trois ans pour ceux et celles qui donneraient refuge à des sans-papier et, enfin, refuse d’accepter des immigrants légaux provenant de pays qui ne reprennent pas des personnes déportées. On doit noter que tandis que l’article qui s’attaque aux personnes qui portent sciemment secours à des immigrants illégaux était, en principe, une mesure visant les contrebandiers d’immigrants illégaux, il fut formulé assez vaguement pour faciliter la criminalisation de toutes tentatives de fourniture de sanctuaire aux sans-papier. Par sa législation jumelle, le Bill 2611, le Sénat américain a largement traité de l’extension ou de la restriction des divers visas de l’Immigration and Naturalization Service (INS) qui régulent le flot de main d’œuvre immigrante dans les secteurs agricole, industriel, technique et intellectuel de l’économie. Il impose des peines carcérales spéciales pour ceux et celles qui construisent, financent ou utilisent des galeries souterraines frontalières. D’autres mesures sont prévues en ce qui concerne la participation d’immigrants non-citoyens dans les forces armées et une plus grande surveillance aérienne des frontières. La législation de la Chambre avait spécifiquement pour but de calmer les éléments les plus extrêmes à l’intérieur du gouvernement américain, alors que le Bill du Sénat amenait des dispositions pour apaiser les capitalistes inquiets de l’état de plus en plus précaire de leur main d’œuvre.

À l’instant même où les contestations immigrantes commencèrent à se répercuter dans les médias, le gouvernement américain donna une réponse sans équivoque aux travailleurs et aux travailleuses sous la forme d’un nombre record d’arrestations, alors que quelques 1200 sans-papier furent arrêtés dans une opération menée à travers le pays. Mais la répression actuelle contre l’immigration n’est pas que le produit du seul régime Bush. Elle prit de l’importance sous l’Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act du Président Clinton, qui fut promulguée en 1996 en réponse à l’attaque terroriste par deux suprématistes blancs contre l’édifice fédéral à Oklahoma City. Suite à cette loi, la détention de sans papier augmenta de 51000 arrestations en 1995 à 198000 en 2004. Selon Amnistie International, le nombre d’enfants détenus pour immigration illégale aux USA dans des unités correctionnels américaines a augmenté de 2375 en 1997 à 5385 en 2002. En 2004, quotidiennement, quelques 22814 sans-papier attendent en prison une décision qui les déportera ou les libérera. Si vous croyez que la torture, l’humiliation sexuelle et l’isolement cellulaire sont le fait unique de camps de détention comme Abu Ghraib, ces cauchemars prirent naissance dans le système pénitencier américain et les sans-papier y sont assujettis tous les jours. Il est à signaler que l’INS rémunère les prisons locales pour détenir des sans-papier, ce qui constitue un encouragement de profits nets aux autorités locales pour qu’elles maintiennent en détention les immigrants et les immigrantes le plus longtemps possible dans un état d’incertitude sur leur statut de résidence ou de déportation.

Le 12 août 2005, le Gouverneur Bill Richardson du Nouveau Mexique déclara un "état d’urgence" officiel dans plusieurs comtés près de la frontière. Le 15 août, Janet Napolitano, la Gouverneure de l’Arizona en fit de même. Normalement, de telles mesures ne sont déclarées par les gouverneurs d’États qu’en cas de désastres naturels majeurs. Le 18 mai 2006, le Sénat américain faisait de l’anglais la langue nationale officielle; un geste sans précédent dans ce pays fondé sur la notion explicite de ne pas avoir de langue ou de religion officielle et où une importante population hispanophone a vécu à travers toute son histoire. Les États-Unis contiennent encore aujourd’hui, la cinquième plus importante communauté de langue espagnole au monde. Le Parti démocrate a soutenu une version édulcorée de la loi républicaine. S’ils sont signés et deviennent lois, les deux bills causeront des problèmes sérieux pour toutes personnes ayant éventuellement besoin de services bilingues. Aujourd’hui, la bourgeoisie n’est plus capable d’être "progressiste". Que le gouvernement s’apprête à faire de l’anglais la seule langue officielle, démontre comment les deux factions à la tête du capitalisme américain ne peuvent maintenir leur pouvoir et régner, qu’en faisant appel et en encourageant les sentiments les plus rétrogrades et les plus réactionnaires de la population dans son ensemble. Avec un taux d’analphabétisme en anglais à un niveau extraordinaire pour un État capitaliste central (les estimés actuels d’analphabétisme adulte en anglais américain vont jusqu’à un adulte sur trois, ce qui représente 90000000 de personnes), il n’est pas raisonnable de croire que la classe capitaliste est concernée plus qu’il ne le faut par l’enseignement de cette langue qui serait la leur. La vérité dans tout ce bla-bla sur l’immigration, son impact sur l’économie et la compétition pour des emplois qu’elle créerait avec les prolos déjà sur place, est que cette législation n’aborde aucunement ces questions. Le point central de toute cette politique répressive est la régulation du flot de main d’œuvre immigrée vers et hors de tous les secteurs de l’économie.

L’hystérie anti-immigration de la bourgeoisie a maintenant aussi pour effet qu’elle s’attaque depuis le 1er juillet aux bénéficiaires de Medicare. Le Deficit Reduction Act, crée par des politiciens républicains et démocrates est maintenant devenu loi par la signature du Président Bush. Elle impose à tous les bénéficiaires du Medicaid de présenter un passeport, un certificat de naissance ou une preuve de naturalisation sous peine de se voir refuser la couverture de l’assurance. Cela affectera non seulement les sans-papier, mais aussi tous ceux et celles qui manquent de documents, tels les sans-abri, les handicapés mentaux, les victimes de l’ouragan Katrina et les autres personnes des couches les plus vulnérables de la classe ouvrière.

En ce moment-même, des nervis du Minuteman Project patrouille la frontière du Texas. Le projet commença l’an dernier en Arizona où le groupe d’extrême-droite Minuteman a vu son projet reconnu officiellement par des segments du gouvernement qui soutiennent cette organisation politico-militaire. Selon les statistiques de l’US Border Patrol, 1,954 sans-papiers sont morts en tentant de traverser clandestinement la frontière américaine entre 1998 et 2004. Ce chiffre n’inclut que les sans-papier décédés du côté américain de la frontière et dont les dépouilles ont été trouvées par le US Border Patrol. Il est probable que le vrai chiffre est d’au moins le double des statistiques officiels. Les décès sont souvent dus à des coups de chaleur, la déshydratation, où des causes violentes dues à des coyotes, des contrebandiers ou des propriétaires terriens réactionnaires qui sont persuadés qu’ils ont le droit de tuer quiconque met le pied sur leur propriété, que ces derniers soient armés ou non. Le nombre de ces décès augmente constamment, chaque nouvelle année produisant un nouveau record de victimes.

Des éléments racistes voudraient nous faire avaler que le caractère même des États-Unis est menacé par l’immigration. En réalité, le nombre d’immigrants a atteint son sommet en 1910 alors qu’il était de 14,7% de la population américaine. Donc, même s’il y a 35,2 millions d’immigrants et d’immigrantes aujourd’hui, cela ne fait que 12,1% de la population. Il y a une croissance de l’immigration aux États-Unis, mais elle n’est pas à un niveau record et elle est largement le fait de l’essor planétaire correspondant de la main d’œuvre se déplaçant à la recherche de travail.

Alors que le capital jouit de la plus grande liberté de mouvement possible, instantanément et électroniquement, partout, les prolétaires du monde entier voient leur liberté de mouvement de plus en plus réprimé. Un jour, les travailleurs et les travailleuses dans ce mouvement en viendront à comprendre que le fait de brandir le drapeau ne leur donnera pas plus de droits ou de sanctuaires, que même s’ils croient être aussi des Américains, les vrais Américains sont les capitalistes, dont les politiciens et les bureaucrates serviles utilisent les lois de "réforme" de l’immigration comme la manette d’un robinet pour régler le débit de main d’œuvre immigrante vers ou hors les États-Unis.

Ce mouvement des immigrants et des immigrantes peut potentiellement amorcer une réflexion plus approfondie dans leurs rangs sur la nature des États-Unis; sur le fait qu’en tant que prolétaires, n’étant rien d’autre qu’une source de travail hyper-exploitée, ils et elles n’ont pas de patrie. Alors que certains salariés "de souche" peuvent appuyer les lois anti-immigration suite au sentiment propagé par les médias qu’ils seraient en compétition avec les sans-papier, ils ne pourront que se rendre compte de par leur propre expérience, que les capitalistes sont la vraie menace à leur avenir. La bourgeoisie, qu’elle soit démocrate ou républicaine, mettra de l’avant une forme ou une autre de criminalisation plus poussée des sans-papier aux États-Unis, quelque soit la forme et l’apparence de la législation lorsqu’elle deviendra loi. Bon nombre de prolétaires se rendent compte que l’offensive anti-immigration n’est qu’un battage publicitaire politique cherchant à créer des divisions, élaboré par un régime de plus en plus sénile et imprégné de ses névroses collectives. Seule la classe ouvrière peut y mettre fin.

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Ces travailleurs et ces travailleuses confrontés à la traversée des frontières aux nervis, aux contrebandiers sans vergogne et les garde-frontières ont le droit de se défendre s’ils sont attaqués par ces éléments réactionnaires. Ils et elles devraient organiser leurs structures d’entre-aide humanitaires autonomes et les prolos "de souche" devraient leur porter assistance plutôt que se leurrer en faisant confiance aux mécanismes démocratiques légaux qui ne bénéficient qu’à la réaction brutale du capitalisme sénile.

A. Smeaton