Actualité de la révolution prolétarienne d’Octobre

La révolution d’Octobre a ébranlé le monde, a-t-on l’habitude de répéter à satiété après John Reed (1). Et bien, malheureusement,

l’événement le plus chargé d’espoir, le plus grandiose de notre temps, semble s’être retourné tout entier contre nous.

Victor Serge - Trente ans après la Révolution russe in La Révolution Prolétarienne n° 309

La révolution a donné naissante au pire des régimes de l’histoire: le stalinisme.

Le fait que la première révolution prolétarienne victorieuse ait échoué parce qu’elle n’a pas pu vaincre au niveau international, ne change rien par rapport à la nécessité d’une telle révolution pour l’humanité toute entière. Mais que s’est-il passé ensuite?

Le Parti de Lénine et de Trotski a été fusillé. Les documents ont été détruits, cachés ou falsifiés.

Idem, Victor Serge

Et, il fut “minuit dans le siècle(2): ce fut le fascisme, le stalinisme, les horreurs de la deuxième guerre mondiale puis la “guerre froide” entre l’URSS et les USA et enfin le cortège des guerres sans fin qui se succèdent depuis l’échec de la révolution. L’humanité ne s’en est jamais relevée, c’est ainsi qu’elle vit de plus en plus dans la guerre permanente (le monde n’a jamais plus retrouvé de paix). L’étincelle de l’espoir s’est éteinte puisque la révolution internationale n’a pu vaincre. C’est un drame pour l’humanité et la classe ouvrière. Drame bien sûr puisque le système capitaliste existe partout dans le monde et qu’il permet toujours l’exploitation de l’homme par l’homme avec son affreux cortège de misère avec l’enfer dans les pays sous-développés et que les puissances impérialistes continuent à s’affronter semant la mort en Afrique, en Asie, au Moyen orient etc., ...

De ce fait la nécessité de la révolution prolétarienne est toujours bien présente pour le bienfait des grandes masses et la suppression du profit pour une petite minorité. Nous savons que le capitalisme n’est pas le dernier ou l’éternel mode de production. A l'instar des modes de production précédents, le capitalisme est condamné à disparaître quoique cette disparition ne mènera pas nécessairement en soi au socialisme. Il n’y a pas de fin à l’histoire tant qu’il existe des contradictions et des luttes d’intérêts contradictoires. Le capitalisme n’est pas condamné à cause de sa faillite morale, mais parce que ses contradictions internes le contraignent à s'autodétruire, et parce qu'il a fait surgir une classe: celle des prolétaires. Elle est capable de le remplacer parce qu’elle est porteuse d’une forme supérieure d'organisation sociale.

Dans cet article nous ne souhaitons pas répondre aux questions: comment s’est effectué la révolution d’Octobre ni traiter des leçons de son échec? Nous souhaitons voir pourquoi la révolution prolétarienne est toujours à l’ordre du jour au XXI° siècle comme auparavant.

La révolution d’Octobre ébranle le monde

C’est sa nature même en tant que révolution de masse et révolution prolétarienne qui en fait sa grandeur. Elle signe la destruction de l’ordre ancien tout en étant effectuée par les masses elles-mêmes. Elle montre, enfin dans les faits, qu’un monde nouveau est non seulement souhaitable mais encore tout à fait possible. Et au delà de cela les prolétaires mettent en évidence qu’un monde sans guerre est immédiatement réalisable.

La révolution d’Octobre contre la guerre impérialiste mondiale

Pour la bourgeoisie le plus scandaleux est que son ordre guerrier et militaire soit remis en cause. Le capitalisme dans sa phase impérialiste ce qui est devenu le mode de vie du capital depuis le début du XX° siècle, ne peut vivre sans guerre.

Et voilà que les prolétaires se lèvent et proclament qu’il faut “retourner les armes contre notre propre bourgeoisie”. C’est proprement scandaleux ! C’est cela que les prolétaires osent faire en Russie et dans de nombreux pays en guerre. En Allemagne Karl Liebknecht appelle les prolétaires et les soldats à se révolte et à mettre “la crosse en l’air”au cours de manifestations monstres à Berlin. En France les prolétaires refusent d’aller au combat, il faut que la bourgeoisie et les généraux comme Pétain répriment sévèrement et fusillent. “Pour l’exemple”ils organisent même des “décimations”, c'est-à-dire qu’un mutin sur dix est exécuté. Mais rapidement les classes dirigeantes devront signer l’armistice. C’est suite à des soulèvements à Kiel notamment avec établissement de conseils de marins et leurs manifestations que, les jours suivants, l’Allemagne est obligée de signer l’armistice le 11 novembre 1918.

La révolution d’Octobre fait voler en éclats, pour la première fois, l’ordre ancien

La révolution bourgeoise en mettant fin à la féodalité avait montré que le pouvoir n’est pas de droit divin. La révolution prolétarienne enseigne que la dictature de la bourgeoise a une fin. La propriété n’est pas un “droit de l’homme”. Il n’existe pas un droit à exploiter l’homme par l’homme. De même le système capitaliste n’est pas le seul système possible parce qu’il serait le plus “rationnel”ou dans la “nature humaine”. De ce fait, le capitalisme ne peut être considéré comme l’ultime système de la longue histoire humaine, le système enfin trouvé ou idéal (!).

Par contre et de notre point de vue, Octobre apporte un espoir d’un monde nouveau c’est à dire la réalisation du socialisme pour les masses et les prolétaires du monde entier. C’est ce que décrit Rosa Luxembourg quelques mois après la révolution et avant sa mort dans une de ses formules magistrales:

Il (3) leur reste le mérite impérissable dans l’histoire d’avoir pris la tête du prolétariat international en conquérant le pouvoir politique et en posant dans la pratique le problème de la réalisation du socialisme ainsi que d’avoir puissamment avancé la liquidation entre capital et travail dans le monde. En Russie, le problème en pouvait être que posé: il ne pouvait être résolu en Russie.

La Révolution Russe, Rosa Luxembourg

Malheureusement, le problème a été seulement “posé”à l’époque, il n’a pas été “résolu”. D’ailleurs, il ne pouvait pas l’être en Russie, il ne pouvait l’être qu’internationalement.

Révolution prolétarienne effectuée par les masses elles-mêmes

Octobre 1917 vient couronner ce que le marxisme avait prévu depuis un siècle déjà. En continuité avec la révolution de la bourgeoisie qui avait effectué la sienne au début du XVIII siècle en Angleterre et en France à la fin de ce même siècle pour créer son nouveau système économique et politique: le capitalisme sur les ruines du féodalisme, c’est maintenant au tour de la classe ouvrière de prendre le pouvoir pour détruire enfin l’exploitation de l’homme par l’homme et créer un système nouveau: le socialisme.

Les masses ouvrières qui se sont battues sans succès au XIX siècle et qui ont été plusieurs fois défaites notamment après la Commune de Paris en 1871, se lancent une nouvelle fois à l’assaut du ciel, elles s’imposent comme une force incontournable et postulent enfin au pouvoir.

Le trait le plus incontestable de la Révolution, c'est l'intervention directe des masses dans les événements historiques. D'ordinaire l’État, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l'histoire est faite par des spécialistes de métier: monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l'arène politique, renversent leurs représentants traditionnels, et, en intervenant ainsi, créent une position de départ pour un nouveau régime. Qu'il en soit bien ou mal, aux moralistes d'en juger. Quant à nous, nous prenons les faits tels qu'ils se présentent dans leur développement objectif. L'histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d'une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées.

Trotski, Histoire de la Révolution Russe, Préface

Oui, la Révolution russe de 1917 fut d'abord et avant tout une grandiose action des masses exploitées pour d’abord arrêter la guerre mondiale (ne plus être de la chair à canon sur les fronts militaires pour des intérêts impérialistes qui ne sont pas les leurs) et ensuite tenter de détruire cet ordre qui les réduit à l'état de bêtes de somme de la machine économique. Oui, c’est une action où des millions de prolétaires, entraînèrent derrière eux toutes les autres couches exploitées de la société russe. Oui, tous ensemble ils sont parvenus à briser leur atomisation, à s'unifier consciemment, à se donner les moyens d'agir collectivement comme une seule force à travers leurs Conseils ouvriers que ce soit dans leurs usines ou sur leurs lieux de travail. Oui, ce fut le nouveau mode d’organisation et de pouvoir de la classe ouvrière. Oui, l’irruption des masses avait pour but de s’ériger en maîtres de leurs propres destinées, il s’agissait de commencer la construction d'une autre société, la société sans exploitation, sans guerres, sans classes, sans nations: la société communiste.

Le rôle décisif et irremplaçable du parti révolutionnaire

Mais tout cela ne fut possible que grâce au rôle décisif du parti révolutionnaire, le Parti bolchevik, et à l’intérieur de celui-ci, de Lénine qui avait compris au mois d’avril que le parti avait besoin de retrouver son programme politique après les dérives centristes de certains de ses dirigeants (y compris Staline). La présence du parti révolutionnaire, qui pendant des années avait œuvré pour la révolution au sein de la classe ouvrière, est ce qui a fait la différence décisive par rapport à d’autres situations potentiellement révolutionnaires. Des conseils furent aussi créés en Allemagne mais furent immédiatement étouffés et dominés par la social-démocratie, et de ce fait, ils furent neutralisés et plus tard éliminés une fois que la “Marée Rouge”a été vaincue en Hongrie. À peine née, le Parti communiste d’Allemagne “se vit obliger”de porter le poids mort de la prétendue gauche de la social-démocratie, ce qui facilita grandement le triomphe de la contre-révolution. En Italie, des paysans pauvres, des ouvriers agricoles et des travailleurs réussirent à occuper des terres et des usines et mettre en question l’autorité absolue du capital sur le travail, alors que les mutineries de divisions entières de soldats vinrent renforcer les révoltes prolétariennes dans la rue. Mais dans toutes ces expériences exaltantes il manquait un parti, le seul organe capable de canaliser correctement l’énorme empressement des travailleurs pour la lutte, en leur offrant une stratégie et des tactiques révolutionnaires cohérentes. En clair, le parti n’avait pas encore été créé et lorsqu’il le fut, il était trop faible pour rallier la classe ouvrière. Les groupes révolutionnaires “occidentaux”ont perdu trop de temps en se maintenant au sein de la social-démocratie et, de ce fait, ils ratèrent ainsi leur rendez-vous avec l’Histoire.

Évidemment, nous ne cherchons pas à porter aujourd’hui un jugement inutile et stupide sur ces camarades du passé, hommes et femmes, qui contribuèrent si généreusement à la cause du prolétariat, souvent au prix de leurs vies. Nous voulons simplement souligner un fait indéniable: là où un parti prolétarien était présent, les travailleurs purent renverser l’État bourgeois et établir les fondements du pouvoir prolétarien dans une société sans classe. Dans tous les autres cas, les espoirs du prolétariat furent noyés dans une rivière de sang par la bourgeoisie réactionnaire, avec l’aide précieuse de la social-démocratie, dont le soutien tristement célèbre lui fut inestimable. La Révolution d’Octobre en Russie a malheureusement été jusqu’ici le seul moment où les deux éléments de la dialectique révolutionnaire, les masses et le parti se rencontrèrent: les soviets, organes du pouvoir prolétarien et l’organisation révolutionnaire, c’est à dire la conscience, le programme et la direction politique. Ensemble, l’apparition des organismes du pouvoir prolétarien (les soviets) et le rôle irremplaçable du parti constituent le grand héritage que nous lègue la Révolution d’Octobre.

La révolution prolétarienne est à l’ordre du jour

Pour qu’une classe sociale prenne le pouvoir il faut que les conditions sociales soient réunies pour le changement, il n’est pas possible à tout moment. Les esclaves exploité dans le monde antique se sont révoltés, ils ont même mené une insurrection victorieuse pendant plus de 2 ans contre Rome (4): la révolte de Spartacus. Mais les esclaves n’étaient pas en mesure de réussir une révolution libératrice pour l’humanité et de supprimer la société d’exploitation antique. Le système qui postulait à l’époque au remplacement de la société antique était la société féodale qui représentait encore une autre société d’exploitation.

En 1914, il en va tout autrement, le capitalisme a réalisé un extraordinaire développement économique et social et la classe ouvrière postule clairement à le renverser pour établir la société sans classe. Et cela se juge par rapport aux réalités économiques, politiques et sociales qui entravent alors le développement des richesses et des capacités productives avec l’apparition de la sous-production, l’incapacité de mettre en œuvre l’ensemble des forces productives (chômage de masse) auxquelles s’ajoutent des destructions consécutives aux guerres. Voici comment Marx décrivait cette situation pour montrer quand une société était appelée à disparaître.

Les forces productives dont (la société) dispose, ne jouent plus en faveur de la propriété bourgeoise ; elles sont, au contraire, devenues trop puissantes pour les institutions bourgeoises qui ne font plus que les entraver (...). Les institutions bourgeoises sont devenues trop étroites pour contenir la richesse qu'elles ont créée. (5)

Nous venons de souligner l’importance et la signification historique de la révolution d’Octobre. Mais est-elle toujours d’actualité ?

En quoi la révolution prolétarienne internationale est-elle toujours et encore nécessaire ?

Octobre n’a rien à voir avec le stalinisme

D’abord, il faut répéter que la révolution d’Octobre n’a rien avoir avec le régime sanguinaire et d’exploitation barbare qui l’a immédiatement suivi dans les années 20. En effet, la Révolution russe meurt étouffée, isolée, du fait de la défaite des luttes révolutionnaires dans le reste de l'Europe et en particulier en Allemagne. La bureaucratie stalinienne en fut l'hypocrite et impitoyable bourreau. Jamais les prolétaires ne furent aussi sauvagement exploités que sous ce régime qui s’est paré de meilleurs atours du socialisme. L’on a appelé socialiste le travail forcé dans des camps ou des grands travaux où les prolétaires travaillaient comme des bêtes de somme (stakhanovisme) sans aucune protection contre les risques et la rigueur du travail. Les travailleurs étaient taillables et corvéable à merci, ce fut un mélange de féodalisme et de despotisme oriental mais au bout du compte les prolétaires étaient exploités comme partout dans le monde puisque la Russie était un pays capitaliste sous un forme particulière: de capitalisme d’État.

Mais ce qui s’est passé dans les années 20 ne change rien à la grandeur et l'intrépide “assaut du ciel”des masses prolétariennes russes. Comparer Octobre et le régime stalinien c’est comme comparer la Commune de Paris de 1871 avec le régime de Thiers qui l’a immédiatement suivi.

Toutefois, Octobre 1917 ne fut pas une tentative révolutionnaire parmi d'autres. La Révolution russe constitue, et reste jusqu'à présent - et de loin - la plus importante expérience révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale.

Le capitalisme représente toujours l’exploitation de l’homme et entrave l’avènement d’un monde nouveau vers la libération de l’homme et vers la disparition de tous les conflits impérialistes pour se partager le monde entre requins capitalistes.

Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment. (...)
Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix: ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c'est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme et contre sa méthode d'action: la guerre.

Rosa Luxemburg - La crise de la social-démocratie

Si l’humanité veut faire cesser l’exploitation de l’homme par l’homme et réaliser un monde meilleur celui que les esclaves, les serfs et les prolétaires ont rêvé de réaliser depuis des millénaires, elle se trouve toujours devant la même situation. Et pour que cesse ce système “souillé, déshonoré, pataugeant dans le sang, couvert de crasse”, il n’y a qu’une solution le détruire. Et ce que proclamait Rosa Luxembourg sur l’impérialisme:

Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix: ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme

est encore plus actuel.

La liberté ou la mort”, il n’y a plus d’autre alternative car le capitalisme sème de plus en plus la mort

La révolution russe constitue, et reste jusqu'à présent - et de loin - la plus importante expérience révolutionnaire du plus grand nombre pour le plus grand nombre: la classe ouvrière mondiale.

Il s’agit du mouvement le plus important du plus grand nombre pour le plus grand nombre de l’ampleur des enjeux que l’humanité doit résoudre: “la liberté ou la mort”ou autrement dit “socialisme ou barbarie”. En soulignant cela tout un chacun mesure l’immensité de la tache que les prolétaires ont voulu accomplir en Octobre 1917 et les lourdes responsabilités qui pèsent sur nous au début du XXI siècle.

Par sa durée, par le nombre de travailleurs qui y ont participé, par le degré de conscience de ceux-ci, par le fait qu’elle représentait le point le plus avancé d'un mouvement international de luttes ouvrières, par l'ampleur et la profondeur des bouleversements qu'elle tenta de mettre en place, la Révolution russe constitue la plus puissante des expériences révolutionnaires de la classe ouvrière. Et en tant que telle elle est la plus riche source d'enseignements pour les luttes ouvrières à venir.

Oui, Octobre 1917 nous appartient, tout reste à faire.

Aurélien

(1) Dix jours qui ébranlèrent le monde.

(2) Selon la formule du même Victor Serge.

(3) Nous comprenons le “il”qui fait référence au parti bolchevik comme un tout inséparable entre le parti prolétarien et sa classe.

(4) Spartacus, la liberté ou la mort, Marcel Ollivier, Éditions Spartacus.

(5) Le Manifeste, Ed. La Pléiade, Tome I.