La crise et la spéculation sur les matières premières et alimentaires

Image - Graphique 1 sur le nombre de personnes souffrant de la famine

Les vautours capitalistes à la curée. Vous avez dit «moralisons le capitalisme»?

Dans le numéro 8 de mai 2008 nous avions fait état des émeutes de la faim et déjà de la spéculation effrénée sur le blé, le soja, le maïs et le riz. Ce n’était qu’un début. Le capitalisme continue sa danse macabre qui affame les populations des pays sous développés. Une étude plus poussée et plus globale sur la question alimentaire, la politique des trusts de l’alimentation (Monsanto, Veolia, etc..) et sur la surexploitation des sols rendrait compte des méfaits du capitalisme sur la planète ce qui permettrait également de dénoncer les campagnes des “verts” et écolos de tous poils qui amusent la galerie. C’est le capitalisme qui est en cause et aucune mesurette, réforme ou moralisation du système ne réglera ces questions aussi cruciales pour l’humanité.

Mais de qui se moque t on?

Le cours des matières premières en général s’est envolé au printemps 2009, parallèlement à l’envolée des prix du blé, du riz ou du soja, etc. Cela complique la tâche des acheteurs et des vendeurs de grains, et inquiète soi-disant les bonnes âmes (1) en pleine crise alimentaire mondiale.

“A Chicago, sur la tonne de blé, on a constaté à la fin de l’hiver 2009 des variations de plus de 100 dollars au cours d’une même séance, soit environ 20% de la cotation du jour, selon l’Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC), un organisme public qui surveille l’évolution des marchés. L’agriculture est certes, par nature, une activité volatile, car l’offre dépend des aléas climatiques et des anticipations de chaque agriculteur. Et le marché des céréales est très étroit: seulement 17,2% de la production de blé sont exportés, 12,5% du maïs et 7% du riz, ce qui explique, selon l’ONIGC, qu’au moindre déséquilibre les cours varient considérablement. (2)

Au printemps 2009, les déséquilibres se sont banalisés. De nombreux pays producteurs, soucieux de garantir une alimentation accessible à leur population, ont bloqué ou limité leurs exportations, d’abord de blé (Ukraine, Argentine…) puis de riz (Vietnam, Inde…) ; certains, comme la Chine, redoutant la pénurie, tentent aussi de constituer des stocks stratégiques. Ces annonces ont nourrit la spéculation qui est déjà intense.

Mais voici le conseil que donnent en décembre 2009 les analystes financiers. “Les cours des céréales marquent une pause, placez-vous avant la hausse!” (2]. “Les cours ont donc reculé ou stagnent ces temps-ci pour les principales céréales, cette tendance devrait se poursuive jusqu'aux [prochaines]… échéances”. Les céréales sont “un investissement à long terme”.

“En revanche, à long terme, la hausse …semble inévitable. En raison, entre autres, de la hausse constante de la demande, qui résulte du changement de régime alimentaire dans les pays émergents. Les Chinois mangent davantage de viande, tirée d'animaux qui se nourrissent évidemment de céréales. Une nouvelle habitude qui a entraîné une poussée de la consommation mondiale de blé de 20 millions de tonnes, rien que pour cette année.”

Quant au maïs, il est en première ligne des plans de relance des Etats. Plus de voitures hybrides, réclame le président américain ce qui veut dire plus d'éthanol, donc plus de maïs. Clairement la bourgeoisie joue ses gains financiers sur la mort et la famine des plus faibles. C’est à vomir!

Et alors?

Les fonds d’investissement se sont engouffrés sur les marchés agricoles, provoquant une amplification de leur volatilité. Le contexte leur convient, comme le rappelle Fabien Bova, directeur général de l’ONIGC: “Alors qu’il y avait auparavant surplus de production, il faut dorénavant s’adapter à la rareté de la marchandise.” Son organisme estime que les céréales pourraient durablement s’inscrire comme valeurs refuges face au pétrole. “Les matières premières agricoles se banalisent en tant qu’objets de marché”, résume M. Bova. Depuis 2004, les fonds spéculatifs ont commencé à s’intéresser à ce secteur, jugé sous-évalué, ce qui explique le développement des marchés à terme: à Paris, le nombre des contrats sur le blé est passé, de 2005 à 2007, de 210 000 à 970 000.

A Chicago, la majorité des contrats à terme n’aboutissent pas à des livraisons effectives. Les spéculateurs n’ont pas d’intérêt pour la marchandise elle-même, contrairement aux opérateurs commerciaux “normaux”. Pour les vendeurs de céréales, les prix élevés sont certes une aubaine, mais la financiarisation et la volatilité, accrues sont prêtes à affamer la planète pour spéculer et continuer à faire des profits. Cette volatilité rendrait la tâche des industriels de l’agroalimentaire complexe et risquée, nous dit-on très sérieusement. Les meuniers seraient perturbés dans leurs politiques d’achat: quand le prix de la tonne de blé varie de quelques euros, désormais la différence peut s’élever de 20 à 30 euros. Ils vont encore nous faire pleurer alors que des millions d’individus meurent de faim.

Mais les vautours ne s’arrêtent pas en si bon chemin… tant qu’il y a du blé à se faire!

L’agriculture est un secteur jugé porteur, certains investisseurs ne se contentent pas d’opérer sur les marchés à terme. Ils achètent des terres en Afrique, en Amérique du Sud, en Ouzbékistan ou au Kazakhstan. Un fonds d’investissement, Whitebox Advisors, a même acquis un silo à grains du groupe Cargill aux Etats-Unis. Les stocks représentent un enjeu majeur: au niveau mondial, la consommation de céréales augmente plus vite que la production, et les réserves sont au plus bas depuis trente ans. Le niveau de deux mois de consommation fixé par la FAO pour garantir l’alimentation de la planète n’est plus assuré.

C’est sur ce point principalement que l’arrivée des fonds inquiète certaines bonnes âmes. “Si on laisse les fonds de pension investir dans l’alimentation, où va-t-on?”, demande Philippe Pinta, président de l’Association générale des producteurs de blé, qui chiffre la part de la spéculation dans le cours du blé à 20%. Le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est récemment inquiété de la spéculation sur les matières premières alimentaires qui pourrait entrainer des risques de famine, et une mobilisation des fonds souverains.

Les dernières récoltes ont été dramatiquement basses un peu partout dans le monde. Mais surtout, de plus en plus de surfaces agricoles sont allouées à la production d’agro-carburants. C’est dans ce cadre qu’une certaine catégorie de financiers n’hésite pas à spéculer sur la faim et la mort des populations.

Graphique 2 progression de la famine
Graphique 2 progression de la famine

La bourgeoisie ne s'émeut pas de cette situation. Pourtant lorsque plus d’un milliard de personnes selon la FAO souffrent de la faim dans le monde et que leur nombre ne cesse d'augmenter de façon accélérée (comme le graphique ci-dessus l’indique clairement), ce genre d’activité spéculative est proprement criminelle.

Et la spéculation sur l’eau?

Il suffit de citer un seul exemple probant de la rapacité du capitalisme qui s’exerce partout. La KBC (la "banque de Flandre"), troisième groupe financier du pays et première banque belge, a proposé à ses clients un produit financier pour le moins épicé. Du 4 au 29 mars 2008, il était possible de souscrire à une assurance vie dont la plaquette de présentation affichait ce slogan: "Tirez avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires!". La banque y qualifiait d' "opportunité" la "pénurie d'eau et de terres agricoles exploitables" qui conduisent à "une pénurie de produits alimentaires et une hausse du prix des denrées alimentaires". On aurait pu formuler la chose autrement: "Plus nombreux sont les gens qui périssent de la famine mondiale, plus on s'enrichit". Le capitalisme spécule sur la famine! Et une assurance vie qui joue avec la mort!

Aurélien

(1) Le Monde, 23 Avril 2008.

(2) moneyweek.fr