La vraie colère de classe manque encore au mouvement des "indignés"

Traduit par la FGCI de l'anglais, 29 mai 2011

Le mouvement des jeunes espagnols, les "indignados" (1), a surgi soudainement, mais sans que cela soit surprenant, du calme plat apparent qui marquait la société européenne. Depuis le jour où il est apparu sur la scène (le 15 mai, d'où il a tiré son nom de "15-M"), ses rangs ont rapidement gonflé attirant des milliers et des milliers de gens dans les rues et allant même au-delà des frontières nationales (2). Malgré la présence importante et lourde, en son sein, des forces politiques de la gauche institutionnelle, globalement la mobilisation a été spontanée et s'est faite par le bouche à oreille et par l'intermédiaire des réseaux sociaux plutôt que par des mots d'ordre de parti.

Selon le manifeste du mouvement "¡ Democracia real, ya !", principal animateur de ces événements, les jeunes gens dans les rues revendiqueraient "plus de démocratie et l'égalité sociale" (3). Pour beaucoup, il y a une évidente similarité entre le 15-M espagnol et les "grillini" italiens (4). C'est même évident pour son chef Beppe. Il ne fut pas long à arriver à Barcelone en soulignant la similitude des slogans - contre les oligarchies de parti, pour l'exclusion de ceux accusés de corruption des listes électorales et pour une démocratie participative - d'avec les siens. A ce niveau, on peut aussi noter que le principal bénéficiaire du mouvement peut être Izquierda Unida (5) qui est sévèrement défavorisé par le système électoral actuel.

Mais il est fort douteux qu'une telle description du mouvement explique tout. Si, parmi les nombreuses banderoles de la Puerta del Sol, il y en avait une grande noire qui proclamait "La crise, c'est le capitalisme", on ne retrouve, la concernant, aucune référence ou commentaire sur le net. Et peu nombreux sont ceux qui savent ce qui a poussé autant de jeunes gens à s'emparer de la rue (ou plutôt des places) à travers tout le pays. En regardant les chiffres les plus récents, on s'aperçoit qu'en Espagne le nombre de sans-emploi a augmenté de 34 406 en mars par rapport à février, atteignant 4,3 millions (selon les chiffres trafiqués du ministre du travail). Dans le seul secteur des services, près de 15 000 emplois ont été perdus en un mois et, en février, le taux de chômage en Espagne était déjà de 20,5%, soit le plus haut de l'Union européenne. Concernant les jeunes, le chômage affecte 44,6% des moins de 25 ans. Le gouvernement espagnol espère maintenir la dette de l'État sous les 74,3% prévus en 2012 à la condition, évidemment, qu'il soit capable de réduire de manière drastique les dépenses et le déficit budgétaire qui est actuellement de 11,4%. Tout vainqueur aux prochaines élections locales va notamment devoir gérer la situation avec des finances déjà largement dans le rouge. Les municipalités et les régions comptent pour près de la moitié dans les dépenses publiques. En tout, il y a 5200 institutions locales et régionales dont la dette globale atteint près de 26 milliards d'euros auxquels il faut ajouter les 4 milliards avancés aux compagnies pharmaceutiques qui approvisionnent les hôpitaux publics.

2011-05-21-indignados-madrid.jpg

Le mouvement est en fait beaucoup plus divers que ce que l'on nous en dit. Il se définit par un profond malaise social qui trouve ses racines dans les caractéristiques particulières du système productif espagnol et plus largement dans la crise rampante du capitalisme global qui frappe très violemment l'économie espagnole. Le véritable mal qui empire se situe dans le capitalisme lui-même, comme l'ont si justement écrit les jeunes espagnols à Madrid. Ce mal en développement, qui touche surtout l'écrasante majorité prolétarienne de la population, ne peut certainement pas être jugulé par l'injection d'illusions démocratiques et égalitaires. Les aspirations sociales les plus profondes que les jeunes gens essaient de porter dans les rues sont fondamentalement légitimes et nous devons les appuyer en participant activement aux manifestations et en encourageant leur développement. Cependant, les communistes doivent dire clairement que l'espoir d'égalité sociale et de participation réelle à la "démocratie" ne peut aboutir "maintenant !" ("¡ Ya !") sans un renversement radical et complet du système social actuel. Il est clair que les riches banquiers et les capitaines d'industries ne seront jamais vraiment au même niveau que l'ouvrier ou le jeune chômeur tant qu'ils auront la mainmise sur les moyens de production ; quant au jeune chômeur, il ne peut au mieux qu'espérer trouver un travail où il sera exploité selon les conditions du "marché".

En tout cas, nous, prolétaires, n'avons que faire du sort du système qui se nourrit de notre exploitation. Nous avons même la volonté de répandre de l'acide sur les racines de ce mal croissant, nous voulons le frapper en plein cœur, celui de son système productif, en nous basant, partout, sur la solidarité entre les ouvriers qui sont en activité et ceux trop nombreux qui ont perdu leur travail ou n'en ont jamais trouvé. En Espagne et ailleurs, le but doit être d'étendre et de radicaliser ce conflit social sur le terrain de classe, de révolutionner de bas en haut l'ensemble de la société et d'en édifier une nouvelle qui réponde aux besoins des hommes et non à ceux du profit. En Espagne comme ailleurs, la perspective est à la construction d'une avant-garde révolutionnaire dont la tâche est d'unifier et fournir une direction politique à ce profond malaise social. Sinon la Puerta del Sol n'aura été qu'un exutoire pour l'indignation "populaire" ; et cela sans qu'une perspective de classe ait pu être mise en avant, sans qu'en ressorte une prise de conscience plus large et plus profonde des intérêts de classes contradictoires qui sont en présence, sans qu'apparaisse la perspective globale et finale qui peut supprimer définitivement ce système de production qui est la cause profonde de l'instabilité sociale actuelle.

Mic

(1) Les "indignés".

(2) Le 21 mai à minuit, 25 000 personnes étaient rassemblées sur la place de la Puerta del Sol à Madrid. Les jeunes, qui constituaient la majorité de la manifestation, ont brisé l'interdiction de manifester décrétée à la veille des élections imminentes. Au même moment, 10 000 personnes manifestaient sur la Place de Catalogne à Barcelone et des milliers d'autres en faisaient de même dans les rues de toutes les principales villes d'Espagne.

(3) En bref, il y a nombreuses propositions pour plus de réformes démocratiques : l'abolition de plusieurs lois qui sont estimées injustes ; en plus de la loi électorale, la nécessité d'un référendum pour les lois les plus importantes, l'abolition de la monarchie, la séparation complète entre l'État et l'Église, la suppression des fonds publics destinés aux institutions religieuses, la séparation et la non interférence entre le politique et le judiciaire ; des mesures contre la corruption et l'excès de pouvoir de la "caste" dominante qui inclut l'ouverture des listes électorales, l'exclusion de tous ceux qui sont accusés de corruption et qui ont des charges publiques, la réforme du financement des partis politiques, la suppression des privilèges de la "classe politique" concernant les années de cotisation de retraite, la décentralisation administrative avec plus de pouvoir pour les régions, les provinces et les municipalités au niveau de la gestion des budgets, une plus grande démocratie directe au moyen des réseaux du web et des télécommunications. L'autre schéma directeur est la lutte contre les inégalités sociales : la réforme fiscale en faveur des bas revenus, la taxation des revenus financiers, la nationalisation des banques qui sont renflouées par des fonds étatiques, des limites sur la précarité, un salaire minimum. Enfin, il y a des revendications écologiques et pacifistes : la fermeture immédiate de toutes les centrales nucléaires et le soutien aux énergies alternatives, le développement des transports publics et la diminution de l'utilisation de la voiture privée, le développement des pistes cyclables et la gratuité des transports pour les chômeurs, et réduction des dépenses militaires pour l'intervention dans tout scénario de guerre.

(4) Beppe Grillo est un artiste italien alternatif qui, sur l'idée que l'établissement politique italien était déjà au-delà de la blague, a créé son propre mouvement politique connu sous le nom de Cinque stelle ("Cinq étoiles"). Il est le patron auquel il est fait référence dans la phrase suivante.

(5) La Gauche unie (Izquierda unida) est une coalition politique constituée en 1986 lorsque plusieurs organisations s'opposèrent à ce que l'Espagne rejoigne l'OTAN. Elle réunissat plusieurs organisations gauchistes, de verts, de socialistes de gauche et de républicains, mais elle était sous la coupe du Parti communiste espagnol (PCE). Elle a fini par dépasser ce dernier dans les sondages et y grimpa jusqu'à 9%. Elle a, depuis lors, décliné.