États-Unis - Tornades, terreur et catastrophes capitalistes

Les images de la destruction causée par la récente vague de tornades meurtrières ressemblent à celles provenant des pays victimes de l’impérialisme américain, complètement nivelés par les bombes et les explosions. La similarité se poursuit en ce que les victimes de la ruine sont composées en majorité par les plus pauvres et les plus faibles de la société.

Les bombardements, les attaques de missiles et la destruction produite par la guerre constituent une action de violence claire qui est aisément identifiable. Lorsqu’il est question de désastres naturels, on traite la nature de coupable. La mort et la ruine seraient les résultats d’un accident malheureux plutôt que d’une tuerie délibérée. C’est ainsi que la société capitaliste rationalise ses effets. Mais dans les deux cas, la terreur qui tombe du ciel est une catastrophe fabriquée dans la boutique des horreurs du capital.

Du 25 au 28 avril 2011

Le mois d’avril 2011 a vu le plus grand nombre de tornades jamais rapporté dans l’histoire des États-Unis, avec 875 tornades enregistrées durant le mois. Le record mensuel précédent était de 542. La multiplication des tornades qui a traversé le Sud entre le 25 et le 28 avril fut la plus mortelle depuis presqu’un siècle, faisant plus de 322 victimes, dont 237 dans la seule Alabama (1).

Plus de 330 tornades ont touché terre durant ces trois jours, y inclus trois qui ont atteint le niveau F5 de l’échelle de Fujita améliorée, la catégorie de tornade la plus puissante (2). Les tempêtes ont commencé en Arkansas puis se sont dirigées vers l’est, causant des dommages catastrophiques dans le Mississipi, et ensuite en Alabama, en Géorgie, dans le Tennessee, pour enfin se dissiper autour du Kentucky.

Du 1er février au 24 mai, plus de 519 personnes ont péri dans ces «accidents» qu’on nomme des tornades. Les circonstances de 297 de ces décès sont considérées comme «inconnues», ce qui veut dire qu’on ignore si la mort est survenue dans une maison, une maison-mobile (3), à l’extérieur ou dans un véhicule. Cependant, sur les 222 décès dont on connaît les circonstances, 55% de celles-ci ont eu lieu dans une maison mobile (4).

Tragédie à Joplin

Moins d’un mois après la catastrophe qui a ravagé le Sud, un autre incident «naturel» a eu lieu le 22 mai, dans la petite municipalité de Joplin au Missouri. Une tornade de niveau F5 a frappé la ville et ses environs à 17h41. La tempête ne dura que moins d’une vingtaine de minutes, mais laissa 134 morts et une ville complètement ruinée sur son passage. La tornade de Joplin est la plus meurtrière depuis 1947 (5). Des secteurs entiers de la ville furent nivelés, les commerces détruits, l’électricité et les moyens de communications coupés et des gens enfouis sous une avalanche de débris. Les hurlements du vent couvrirent les cris des victimes.

Alerte : zone de désastre capitaliste

Là où nous voyons la mort, la destruction et le désastre, les capitalistes voient une opportunité de relations publiques. Barak Obama et les autres politiciens se firent photographier sur les ruines de la maison d’un pauvre homme pour confier à la télé qu’ils n’avaient jamais vu autant de destruction auparavant. Les actualités du soir sont meublées de reportages sur des communautés qui s’unissent et se donnent un coup de main; les noirs et les blancs, les riches et les pauvres qui surmontent leurs divisions et qui s’entraident. Même Wal-Mart a contribué de son million (les riches sont plein de compassion…).

Cependant, il y a des différences entre les frappes des tornades et des ouragans de celles des autres désastres. Les feux de forêts, les tremblements de terre, les inondations, les éruptions volcaniques et les avalanches sont aisément interprétés et exploités par les patrons et leurs porte-parole dans les médias. L’exception à la règle est l’ouragan Katrina. Les ouragans sont un phénomène récurrent qui cause des dommages «minimaux» ainsi que des morts. Cependant, lorsque les «digues se sont rompues», tous les charlatans prirent la parole pour exprimer leur outrage du fait de la «faillite» de l’administration publique. Certaines des personnalités les plus ignobles ont fait porter le blâme sur les résidents de la Nouvelle-Orléans qui furent assez «stupides» pour ne pas évacuer complètement la ville les semaines précédentes. Ils ne se donnent pas la peine de nous expliquer comment exactement cette évacuation devait se faire et vers où (cela n’était pas leur intention…).

Katrina et d’autres désastres du genre sont attribués à l’erreur humaine, que ce soit les fonctionnaires ou même les victimes de la tragédie. Cela ne mène aucunement à une meilleure compréhension de la raison pour laquelle ces désastres se multiplient malgré toutes les «solutions» mises de l’avant par la bourgeoisie : un financement accru pour les secours aux sinistrés, des investissements plus importants dans les nouvelles technologies de sauvetage et, pour les personnes plus sensibilisées aux problèmes de l’environnement, l’achat de produits recyclés et l’utilisation des transports publics pour réduire leur empreinte carbone.

Mais les tornades ont quelque chose de différent. Les vents violents sont incarnés comme des êtres conscients, qui se déchainent et qui vivent de destruction. L’étendue des dommages que causera une tornade ne peut être connue avant qu’elle ne touche le sol et son itinéraire est absolument imprévisible. Les tornades sont perçues comme tellement extérieures à tout contrôle humain, que la dévastation et la mort en sont les résultats inévitables. Les scènes télévisées de résidences et de communautés complètement ravagées sont sans doute tragiques, mais pas inattendues. Les conséquences des désastres naturels dépendent de l’organisation sociale dans laquelle les gens mènent leurs vies. Les effets des tornades n’y font pas exception.

Les victimes

Une des particularités frappantes de ces effets est que les victimes des tornades proviennent massivement des couches les plus appauvries de la société capitaliste. Le revenu moyen des ménages de la population des zones les plus dévastées par le plus récent déferlement de tornades n’est que de 16 958 dollars par an (6).

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la majorité des victimes connues habitaient dans des maisons mobiles. Ce n’est pas une grande découverte de signaler que ces maisons sont plus susceptibles d’êtres détruites que les autres structures, même par des tornades faibles de force F0. Pourquoi tant d’êtres humains vivent-ils dans ces caravanes et pourquoi vivent-ils en si grand nombre dans les régions les plus exposées? Les réformateurs de tous poils considèrent que le problème est la mauvaise qualité de la conception des maisons et pensent donc que la solution réside dans l’amélioration de leur construction ou la vente d’abris. D’autres souhaitent élever le niveau de vie des victimes, pour qu’elles puissent éventuellement déménager dans des zones moins risquées. Ces solutions manquent manifestement la cible, car elles ignorent totalement la dynamique sociale en jeu. Les maisons mobiles sont de toute évidence de faible qualité et de mauvaise conception. Pourquoi? La seule explication se trouve dans la compréhension des raisons qui font que c’est une situation prévisible et une conséquence nécessaire du mode de production capitaliste.

Les tornades sont surtout fréquentes dans le Sud des États-Unis. Le Sud a historiquement été et demeure industriellement moins développé que le Nord du pays. Cependant, une des exceptions est «l’industrialisation de l’agriculture» qui a privé un grand nombre de personnes de leur travail, qui a rabaissé les salaires dans le secteur agricole (où la main d’œuvre immigrante est exploitée encore davantage par les menaces de chantage), et qui absorbe d’énormes quantités de ressources naturelles comme le sol et l’eau (le Sud subit souvent des «sécheresses» et les autorités font campagne pour la préservation de l’eau, c'est-à-dire pour qu’il y en ait toujours suffisamment pour l’agro-industrie).

Il y a une importante armée de réserve industrielle (les sans-emploi) dans le Sud, et il y a peu d’indication qu’on lui fasse appel dans un avenir rapproché. Leur pauvreté et leurs conditions de vie misérables leur sont imposées par le système capitaliste. On les traite quelques fois de «white trash», une insulte classiste signifiant «déchets blancs», ce qui reflète la réalité matérielle pour laquelle le capitalisme les a mis à la rue et n’en a plus besoin.

La population appauvrie du Sud rural subit aussi d’autres problèmes qui sont spécifiques au mode de production capitaliste et à la société de classe. La nette contradiction entre «la ville et la campagne» se reflète dans l’infrastructure des communautés rurales, surtout les plus pauvres. Il y a peu de routes, et lorsqu’il y en a, elles sont en piètre état. Les communautés de maisons mobiles, familièrement nommées «trailer parks», rassemblent la population en grandes concentrations. Lors de tornades ou de tempêtes, les réseaux électriques peuvent être endommagés et rendus complètement inopérables, rendant ainsi impossible tout avertissement des populations en péril. L’évacuation des eaux et le réseau routier peuvent aussi être gravement perturbés et même paralysés. Les maisons deviennent des cercueils.

La croissance de l’utilisation des maisons mobiles eut lieu lors du boom d’après-guerre. Ces résidences, des marchandises industriellement manufacturés, furent alors commercialisées comme une alternative bon marché au logement traditionnel, quoique moins durable. Alors même que le capitalisme profitait d’une nouvelle phase d’accumulation, l’opportunité de déprécier les conditions d’existence était tout de même exploitée dès que l’occasion se présentait. Les maisons mobiles étaient utilisées principalement comme solution temporaire pour faire baisser la demande de logements pour les ménages travailleurs déménageant dans de nouvelles zones d’emplois (comme elles le sont par les colons israéliens en Cisjordanie aujourd’hui). Vers la fin des années 60 et au début des années 70, la taille des maisons mobiles commença à croître jusqu’au point où elles n’étaient plus «mobiles». Aux États-Unis, on utilise de plus en plus le terme «manufactured homes» (maisons préfabriquées) pour les identifier. L’augmentation du format, avec la perte conséquente de la mobilité, fut la première étape dans la transformation de la maison mobile en résidence permanente.

C’est là une tendance généralisée créée par le capitalisme : la poussée constante vers la baisse des standards de vie de la classe ouvrière et des individus les plus appauvris de la société. La crise économique actuelle en fait une démonstration éclatante. Des millions d’êtres humains sont parqués dans des logements de piètre qualité ou carrément jetés à la rue en raison de la spéculation immobilière.

Les chiffres que nous avons cités plus haut ne couvrent que les décès, ils ne mentionnent pas les dommages. La plus faible dans l’échelle de force des tornades, la tornade F0 peut arracher une maison mobile de ses fondations et causer de sérieux dommages. Ce n’est pas un propos extravagant que d’affirmer que les dommages et la destruction subis par les habitants de ces maisons mobiles (ainsi que par ceux et celles qui habitent les résidences ouvrières préfabriquées plus traditionnelles) sont encore plus considérables.

Le fait que les maisons mobiles soient fréquemment détruites ou endommagées est admis ouvertement par les sociétés qui les commercialisent. Un groupe de pression au service de l’industrie résidentielle préfabriquée, le Manufactured Housing Institute, affirme ouvertement sur son site web que:

Alors que plusieurs s’amusent à dire que «les maisons mobiles attirent les tornades», il n’y a pas de base météorologique ou scientifique à cette théorie. En réalité, l’explication des dommages causées aux maisons préfabriquées par les tornades est fort simple : les résidences préfabriquées sont pour la plupart située dans les régions rurales et suburbaines; là où les tornades risquent de se produire le plus (7).

Dans Battaglia Comunista numéro #24 (du 19 au 31 décembre 1951), Amedeo Bordiga décrivait l’effort conscient de la part des capitalistes en vue de la destruction du travail mort (objectifié) comme «l’homicide des morts». L’exemple qu’il donnait est l’industrie automobile qui produit des véhicules conçus pour tomber en panne au bout de quelques années seulement, dans le but d’en vendre des nouveaux. Il n’y a pas de raison de vendre des marchandises qui répondraient aux besoins des consommateurs pour toute une vie, si votre objectif est le réinvestissement de plus-value dans du capital neuf, ce qui requiert un marché constant et des ventes toutes aussi constantes. Cependant, même si ce n’est pas toujours le cas avec l’exemple de l’automobile, ce processus implique l’homicide des vivants.

Nous accusons le capitalisme

Le capitalisme est incapable d’offrir une réponse à comment diminuer les effets des catastrophes naturelles, car il ne se pose même pas la question. Les morts et la destruction causée par les tornades et les autres catastrophes naturelles sont davantage déterminées par les relations sociales que par les phénomènes atmosphériques (ce qui ne veut pas dire que les relations sociales n’aient pas d’effets sur le climat, car la propagation de gaz à effet de serre dans la couche d’ozone est sans aucun doute responsable de la vague croissante d’incidents atmosphériques violents). Les relations sociales sous le capitalisme ne sont pas organisées pour répondre aux besoins et aux préoccupations des êtres humains, mais plutôt pour les besoins du capital et de sa croissance meurtrière. C’est uniquement dans le cadre d’une société capable de poser correctement la question de la résolution de ces problèmes, qu’une solution pourra enfin apparaître.

RS, 2011-06-14

(1) Lire : «Annual Fatal Tornado Summaries», Storm Prediction Center

(2) En France, on dit caravane.

(3) Voir : fr.wikipedia.org

(4) Lire : «Annual Fatal Tornado Summaries», Storm Prediction Center

(5) «2011 Tornado Information» NOAA – National Oceanic and Atmospheric Administration noaanews.noaa.gov

(6) Ces régions et localités sont : Joplin, MI – Lawrence County, AL – Faulkner County, AR – Monroe County, MS – Dekalb County, AL – Marion County, AL – Franklin County, AL – Tuscaloosa County, AL – Ringold, Georgia – Hamilton County, TN – Bradley County, TN – Cullman County, AL.

(7) «Frequently Asked Questions», Manufactured Housing Institute, Modular Homes, Communities, Housing Industry Trade Association