Famine en Afrique de l’Est

Un manque de pluie ou la faillite du système capitaliste mondial?

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, plusieurs pays de l’Afrique de l’Est sont actuellement aux prises avec la crise alimentaire la plus sévère au monde. Environ 3,5 millions de personnes au Kenya, 2,85 millions en Somalie et 3,2 millions en Éthiopie nécessitent une aide humanitaire d’urgence. De plus, 117 000 personnes sont présentement en péril dans la République de Djibouti, tout comme 600 000 personnes le sont dans le Nord de l’Ouganda.

La sécheresse, seule responsable?

Au moment d’écrire ces lignes (été 2011), le taux de mortalité des enfants arrivant au camp de réfugiés de Dadaab (1) était de 6 pour 10 000 selon l’Unicef. La cause principale de cette famine est fréquemment attribuée à la sécheresse. La pluie n’est pas tombée depuis deux ans et rien n’est attendu avant le mois de septembre. Cela se produisait autrefois une fois par décennie, mais maintenant la fréquence a augmenté (deux bonnes années, suivies de deux mauvaises). Certains prétendent que tout est attribuable aux changements climatiques. Mais peu importe la cause, se contenter de ne cibler que la sécheresse est une simplification excessive. Comme Simon Levine, de l’Overseas Development Institute (un organisme britannique spécialisé dans le développement international et les causes humanitaires) l’a signalé:

(…) de grâce, ne parler pas de sécheresse même si le manque de pluie sera sans doute le seul problème qui sera discuté, comme si les éleveurs de bétail n’avaient jamais développé des méthodes pour faire face à ces pénuries récurrentes; ils en ont – ils déplacent leur cheptel vers d’autres prairies à la recherche de nouvelles sources d’eau et des pâturages moins exploités. La famine ne se produit pas dans les zones de pâturages lorsque la pluie manque à moins qu’il n’y ait d’autres problèmes.

Ces problèmes sont la guerre et le coût mondial croissant des aliments. Aujourd’hui, le camp de réfugiés de Dadaab contient 400 000 personnes alors qu’il a été construit que pour en recevoir 90 000. Des milliers d’autres font la queue pour y entrer malgré les conditions sordides qui y prévalent en raison de la surpopulation. La plupart des réfugiés proviennent de la Somalie et ont été poussés vers le sud par les guerres civiles qui dévastent ce pays depuis des décennies (legs barbare de la Guerre froide). La Somalie à cesser d’être un État et la population du Sud vivent dans un climat de barbarie qui se manifeste par des attaques violentes des milices qui n’hésitent pas à voler, à violer et à décapiter sous prétexte d’arracher de «l’aide» des gardiens de troupeaux. La Somalie du Sud est aux mains des islamistes d’Al-Shabaab, mais le gouvernement de transition qui s’accroche avec peine à la capitale et métropole Mogadiscio grâce au soutien des gouvernements occidentaux, a récemment porté les combats plus au sud. Il n’y a plus de terres pour rechercher des pâturages et de la nourriture.

Le prix des denrées

Au même moment, tout espoir d’acheter de la nourriture est totalement abandonné.

Selon l’Unicef:

À Baidoa, une ville au sud-ouest de la Somalie par exemple, le prix du sorgo rouge (2) a augmenté de 240%. Le prix du maïs a augmenté de 117% dans certaines parties de l’Éthiopie et de 58% dans certaines zones du Kenya.

Le taux d’inflation au Kenya atteint les deux chiffres, même si c’est l’économie la plus stable de la région. Le World Development Movement (une organisation britannique préoccupée par la pauvreté) a affirmé que le prix de la farine avait augmenté à Djibouti de 17% dans un seul mois.

Le même rapport nous apprend aussi que:

Le prix du maïs – le principal aliment da base récolté – a augmenté de 102% depuis le mois d’avril 2010. Une nouvelle recherche du World Development Movement révèle que des fonds spéculatifs, des banques d’investissements et d’autres possèdent des contrats à terme pour le maïs estimés à 15,7 milliards de livres sterling (25 milliard Can.), en hausse de 127,5 % depuis un an.

Cela démontre qu’il ne s’agit pas que d’un problème local. Le prix des aliments ne cesse d’augmenter de manière astronomique à l’échelle mondiale depuis quatre ans. Cela tient en partie au fait qu’une fraction importante des superficies agricoles a été détournée vers la production de bioéthanol en tant que carburant vert (ce qu’il n’est pas et ainsi un double désastre a été artificiellement créé). Mais une portion égale des critiques doit se porter vers les spéculateurs, ou comme le World Development Movement les nomme poliment les «hedge funds» (les fonds spéculatifs). Les mêmes parasites qui ont été secourus par les gouvernements occidentaux acculent une partie de plus en plus grande de la population mondiale à la famine. Selon certaines agences de secours, il suffirait de 16 milliards de dollars pour résoudre immédiatement le problème de la famine dans la plus grande partie de l’Afrique de l’Est. Les deux tiers de cette somme pourrait être recueillis uniquement en accaparant les 11 milliards de dollars versés aux banquiers britanniques cette année! Le gouvernement britannique a offert seulement 52 millions de livres sterling de secours (en partie financées par l’abandon de «l’aide» au Malawi pour son manque de «démocratie»), et les États-Unis, deux fois moins. Et ce sont les gouvernements parmi les plus généreux des pays riches (3).

Pas d’urgence soudaine

Ceci n’est pas une crise qui a frappé le monde soudainement. Les agences de secours de tous genres avaient déjà prédit le problème l’an dernier, dans l’indifférence générale des États. Comme l’a déclaré un dirigeant d’une organisation liée à l’ONU:

Les sécheresses sont prévisibles, comme le sont jusqu’à un certain point les fluctuations de prix (…) Tandis que nous concentrons nos efforts sur les conséquences humaines immédiates pour le moment, nous devons aussi nous engager à mettre en avant des approches viables et à plus longs termes dans ces régions. Nous devons nous assurer que ces crises ne se reproduisent plus jamais.

N’avez-vous pas un sens de déjà vu et de déjà entendu en lisant cette dernière citation? Et avant… et avant… et avant encore? Il ne manque pas de nourriture pour subvenir aux besoins de la population de la planète, mais il manque de la nourriture aux bons endroits pour que le monde entier puisse prévenir et éviter la malnutrition et la famine. Ce sera toujours le cas, du moins aussi longtemps que la production pour le profit domine et que les nécessités de la vie sont vues comme de simples marchandises plutôt que comme des besoins humains. Cette tragédie sera malheureusement réécrites de nombreuses fois encore…

Jock

Traduit de Revolutionary Perspectives, été 2011.

(1) Un des camps de réfugiés les plus important du monde situé au Kenya.

(2) Une céréale particulièrement appréciée dans les régions arides à cause de sa résistance à la chaleur et à la sécheresse.

(3) Le gouvernement canadien a versé environ 36 millions dans les coffres de ses organisations d’aide reconnues.