Jeux de guerre L'Ukraine comme centre du conflit impérialiste

Partout dans le monde les événements se succèdent de façon dense et rapide. En quelques jours, la lutte pour le pouvoir en Ukraine est devenue un conflit international explosif. Le monde est au bord de l'un des plus grands et des plus risqués conflits géopolitiques depuis la fin de la guerre froide. Cent ans après le déclenchement de la Première guerre mondiale, catastrophe décisive du 20ème siècle, beaucoup de signes montrent que le «grand jeu» des grandes puissances pour la conquête de zones de souveraineté et d'influence, est une fois de plus entraîné dans une dynamique fatale.

Ukraine - Appauvrie et sujet de luttes brutales

En raison de sa position géographiquement stratégique, l'Ukraine, pays composé de plusieurs ethnies, a toujours été vigoureusement combattu par les plus grandes puissances. Comme cadre pour les Première et Seconde guerres mondiales, le pays revient sur son histoire douloureuse. Les différences régionales et socio-culturelles qui resurgissent à la lumière, ont des racines profondes. Avec l'effondrement du bloc de l'Est, le pays s'est de nouveau déporté à droite au coeur de la politique des puissances impérialistes. La question de l'orientation politique et économique de l'Ukraine est devenue plus urgente.Visiblement, le "processus de transformation vers la démocratie" s'est achevé en Ukraine comme ailleurs en Europe de l'Est. L'ancienne et la nouvelle élite de l'appareil d'État et du parti a jeté son dévolu sur les meilleures parties de l'économie, limité ses revendications entre elles et créé un système élaboré sur le népotisme et la corruption. Ces années de transition ont été marquées par un déclin industriel rapide. Le PIB s'est effondré, tombant de 60%. C'est seulement en 1999 que les niveaux de production de 1989 ont repris. Les années 2000-2007 ont été une brève période de reprise économique. Mais les taux de croissance de l'ordre de 7 % atteints à cette époque étaient essentiellement basés sur le prix des matières premières en général à ce moment-là, et, en particulier, sur le prix élevé de l'acier sur le marché mondial (exportation la plus importante de l'Ukraine). Lorsque la bulle spéculative a éclaté en 2007-2008, le rêve le plus cher des libéraux et des nationalistes de souveraineté économique de l'Ukraine est mort. La crise a frappé le pays de toute sa force. L'inflation a augmenté de 12,8 % (2007) à 25,2% (2008), tandis que la production industrielle a chuté de 34 % et l'endettement public a atteint des niveaux astronomiques. C'est seulement grâce à des milliards de crédits du FMI, liées aux exigences radicales de coupes budgétaires, que l'effondrement économique total du pays a été évité, au moins à court terme. Son coût, comme toujours, a été payé par la classe ouvrière. Aujourd'hui, plus de 30% de la population vit avec un revenu qui ne permet pas de vivre. Cela affecte en particulier les vieux. 80 % des retraités ont une pension de 81€ minimum, qui, comme dit le proverbe, n'est ni suffisante pour la vie, ni pour la mort. L'Ukraine a des salaires exceptionnellement bas, et c'est précisément pour cette raison, qu'elle est intérêssante pour les investisseurs étrangers comme atelier de la misère à long terme. Avec un salaire moyen de seulement 300 € et un salaire minimum d'environ 110 €, le niveau des salaires est trois fois inférieur à celui de la Pologne .

Les subventions pour les loyers et les coûts de l'énergie, en cours de négociation avec l'UE, sont pratiquement les dernières barrières contre l'appauvrissement total de millions de personnes. En outre, il y a des écarts de salaires et de revenus entre la ville et le reste du pays, et entre les différentes régions du pays. Le fossé entre l'occident essentiellement agricole et l'est industrialisé (comme, par exemple, pour la région du Donetz) est particulièrement aiguë. Tout cela encourage les tendances régionalistes et aiguise les différences socio-économiques déjà traditionnelles et l'approfondissement des divisions dans la classe ouvrière. La paupérisation croissante de la population contraste avec la richesse et le pouvoir illimité des oligarques. Les 50 plus puissants oligarques contrôlent plus des deux tiers de la richesse. La majorité de leur fortune se trouve dans des paradis fiscaux étrangers. Mais, sans les clans oligarchiques, pratiquement rien ne se passe dans la politique ukrainienne. Ils ont toujours su affirmer et forcer leurs intérêts contre la grande majorité de la population. Sur l'orientation de la politique étrangère, cependant, leur opinion varie en fonction de leurs intérêts commerciaux. Bien que certains de ces oligarques parient sur le secteur énergétique de la Russie, d'autres se promettent de gros profits grâce à l'adhésion à l'UE. Ces conflits entre les clans ont joué un rôle décisif dans la détermination des événements politiques en Ukraine au cours des dernières années, conduisant à la construction des gouvernements les plus variés et à une instabilité politique croissante.

Entre Bruxelles et Moscou : Ianoukovitch marchait sur des œufs.

Pendant un certains temps, il semblait que le Président Ianoukovitch, désormais limogé, pourrait contenir, tout au moins, les intérêts divergents des oligarques. Ianoukovitch est souvent dépeint comme ami de la Russie. Cependant, ce qui est vrai c'est que le petit criminel Ianoukovitch était la création politique de l'oligarque pro-russe Rinat Achmetov. En termes de politique étrangère, Ianoukovitch a toujours jouer l'équilibre entre l'UE et Moscou. Cette décision était fondée sur le calcul de monayer la position géo-stratégique de l'Ukraine en principale voie de transport pour la livraison de pétrole et de gaz naturel de l'Est vers l'Ouest, en espèces sonnantes et trébuchantes. Une politique qui a finalement échoué, ou plutôt devait échouer. La manœuvre entre la signature du traité d'association avec l'UE et la renégociation des accords gaziers avec la Russie n'a conduit qu'à augmenter la pression des deux côtés. Alors que la Russie a menacé de fermer le robinet du gaz et de façon sporadique mené une guerre commerciale contre l'Ukraine, l'UE a insisté sur une mise en œuvre stricte des exigences du plan de sauvetage du FMI. Parmi ces exigences étaient la demande d'un gel des salaires, de la réduction des subventions pour l'électricité, des coupes drastiques dans les dépenses publiques ainsi que le relèvement du gaz et de l'énergie de 40%. Demandes qui, dans un pays déjà appauvris comme Ukraine, conduirait à la paupérisation de millions de personnes. Ianoukovitch était et est tout sauf un philanthrope. Pendant sa période au pouvoir, il y a eu une série de réductions décisives en matière de sécurité sociale. Néanmoins, il ne se sentait pas en position, dans la mesure où la politique intérieure était concernée, de mener à bien le programme de coupes à la mesure de celle exigée par l'UE. Il s'est donc trouvé dans une situation de plus en plus compliquée. Alors que la dette extérieure a doublé de 75 milliards de dollars, les réserves d'or de l'Ukraine ont fondu de 37 milliards à 15 milliards de dollars. La position d'État tampon économiquement viable entre la Russie et l'UE est devenue de plus en plus intenable. Ce fut le moment où Poutine a fait un geste habile, il laissa entrevoir une perspective de crédit et de livraisons avantageuses de gaz à l'Ukraine. A la fin du traité d'association avec l'UE, Moscou a obtenu une victoire importante sur ces points. Cependant, la réponse de Bruxelles et de Washington ne tarda pas à venir.

Maidan

En raison de la brutalité de la police, les manifestations initialement très peu spectaculaires contre la résiliation de l'accord d'association avec UE, ont développé une dynamique particulière. L'outrance au cours de la répression, le mécontentement social et la méfiance généralisée des élites politiques corrompus ont fédéré un vaste mouvement de protestation social. Le paradoxe était, cependant, que ces éléments n'étaient pas, au premier abord, politiquement articulés, ou plutôt, ne pouvaient pas être articulés politiquement sur Maidan. Les demandes sociales n'ont pratiquement joué aucun rôle dans le mouvement. La classe ouvrière n'est pas non plus intervenue dans les événements comme une force indépendante et organisée. Au lieu de cela, les représentants des partis de l'opposition pro-occidentaux ont dominé la scène politique. En le faisant, ils pouvaient compter sur le soutien financier massif de l'UE et des États-Unis. Selon la déclaration du secrétaire d’État US Nuland, le gouvernement américain a investi près de 5 milliards de dollars depuis 1991 dans une "Ukraine prospère et démocratique" (1). Le chiffre correspondant pour l'UE n'est pas encore disponible. A travers les visites de solidarité très médiatisées des représentants de haut rang de l'UE et des politiciens, comme par exemple, le sénateur américain John McCain et le représentant de l'UE pour les affaires étrangères ou les euro-politiciens allemands : Elmar Brok (CDU) et Rebecca Harms (Verts), l'affaire a pris une dimension internationale et, en effet, une dimension géopolitique. L'escalade sur Maidan continua qui a conduit à un autre moment décisif avec l'arrivée massive de forces fascistes comme le Parti ˮSvobodaˮ et de groupes para-militaires le "Secteur Droite". Leur arrivée s'est faite grace à des travaux préparatoires longs et systématiques. Les fascistes ont trouvé en Ukraine un terrain particulièrement fertile pour capitaliser sur la frustration et le manque de perspectives de la population. Le déplacement vers la droite du discours politique, la réhabilitation et l'idéalisation du leader fasciste ukrainien Stepan Bandera (NDT : Stepan Bandera figure du nationalisme, fondateurs de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) en octobre 1942 et dirigeant de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), ancien collaborateur des nazis et responsable du massacre de milliers de Juifs pendant la guerre de 1939-1945. L'UPA avait déjà été soutenu par les « démocraties » à la fin de la deuxième guerre mondiale), à qui a été décerné à titre posthume l'honneur de "Héros de l'Ukraine" par le gouvernement "Orange" du président Yushschenko le 22 Janvier 2010, donnent aux fascistes des points supplémentaires. Les positions de droite et ultra-nationalistes sont largement répandues dans l'establishment politique de l'Ukraine. Ce n'est pas par hasard que le Parti du boxeur Vitali Klitschko, l'UDAR (L’Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme), construit et financé par la Fondation Konrad Adenauer, qui est proche de la CDU, n'a pas de problème dans l'alliance officielle avec les fascistes de "Svoboda". Les fascistes n'ont pas seulement le vent en poupe, mais encore, une bonne infrastructure organisationnelle et financière. Ainsi, ils étaient en mesure de payer les voyages en bus de leurs partisans et leur donner des indemnités journalières afin qu'ils puissent intimider et chasser de plus petits groupes, et se peindre comme les «défenseurs du mouvement contre les forces de police », en utilisant leur groupe de combat pour des affrontements de rue. Avec les tirs mortels sur Maidan, un degré d'escalade supplémentaire a été atteint conduisant finalement à un tournant. Aujourd'hui, il est encore difficile de savoir qui était exactement derrière les fusillades. En fait, cependant, sur ce point, il est de plus en plus clair que Ianoukovitch n'était plus capable d'avoir prise sur la situation. Pour cette raison, il fut de moins utile aux oligarques qui l'avaient soutenu. Comme ils se sont éloignés de lui, l'UE et principalement le gouvernement allemand, ont commencé une offensive diplomatique pour devenir maitre de la situation, sous prétexte de « désescalade politique ».

Oligarques, fascistes et Oranges maffieux: une Rada par la grâce de Merkel

Le résultat de ces efforts a été la construction du soi-disant "gouvernement de transition" avec Arseni Iatseniouk, acolyte de l'oligarque millionnaire Ioulia Timochenko. En termes de politique intérieure, le remaniement du gouvernement est un réajustement mineur dans la structure complexe du pouvoir des oligarques. Ceux qui tirent les ficelles sont maintenant aux côtés de la "princesse du gaz" Ioulia Timochenko : le magnat de l'acier Sergey Taruta, le roi du chocolat Petro Porochenko, le magnat des médias Victor Pinchuk, ainsi que Igor Kolomoisky, qui, avec Gennadiy Bogolyubov, contrôlent la plus grande banque du pays qui avec une fortune estimée à 6,5 milliards de dollars, est la quatrième d'Ukraine. Rinat Akhmetov aussi, avec 11 milliards de dollars, l'un des hommes les plus riches de l'Ukraine qui contrôle la moitié de la production d'acier, de charbon et d'électricité, a fait un rapide demi-tour. "_L' usage de la violence et de l'anarchie de l'extérieur est inacceptabl_e" a t-il déclaré. « Son conglomérat de 300.000 employés qui représente l'Ukraine d'Ouest en Est et du Nord au Sud » fera tout pour maintenir l'intégrité du pays (2). Il est donc clair que cela valait la peine pour l'UE de renoncer à l'application de sanctions contre lui.

Le fait que, pour la première fois depuis 1945, des fascistes déclarés sont assis dans un gouvernement reconnu et protégé par l'UE, est, cependant, une nouvelle étape qualitative. Par leur présence massive sur Maidan, les fascistes sont devenus une force politique décisive en Ukraine. Ils ont imposé plusieurs ministres et le contrôle de parties importantes de l'appareil d’État et de la sécurité ce qui encourage ses fantassins à agir violemment contre d'autres forces politiques et créer une véritable atmosphère de pogrom. Dans ce climat de peur, les organismes d'entraide juifs ont dû fournir une aide d'urgence pour les Juifs ukrainiens (3). Quelques rabbins ont appelé leurs fidèles à quitter Kiev (4). Avec l'interdiction du russe comme deuxième langue officielle, les fascistes de la Rada ont présenté une proposition visant à faire disparaître l'article du code pénal ukrainien qui punit la négation des crimes fascistes. Ces mesures ont alarmé les parties russophones à l'Est du pays.

Ces craintes ne sont pas dénuées de tout fondement. Svoboda, fondée en 1991 comme « parti national socialiste », n'a jamais fait de secrèts sur son point de vue. L'un de ses objectifs principaux est le projet d'un «Grande Ukraine ethniquement pure ». Cela implique l'abolition de l'autonomie de la Crimée ou l'intégration de la Crimée dans l’État ukrainien, la «liquidation du symbolisme bolchevique », l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN et la restauration de l'Etat Ukrainien en tant que puissance atomique. "Pour créer une Ukraine véritablement ukrainienne dans les villes de l'Est et du Sud ... nous devrons annuler le parlementarisme, interdire tous les partis politiques, nationaliser l'ensemble des secteurs, tous les médias, interdire l'importation de toute la littérature de la Russie ... remplacer complètement les dirigeants de la fonction publique, dans la gestion de l'éducation et le militaire (en particulier à l'Est), liquider physiquement tous les intellectuels russophones et tous les ukrainophobes (rapidement, sans procès. L'enregistrement des ukrainophobes peut être fait ici par un membre de Svoboda), exécuter tous les membres des partis politiques anti-ukrainiens ....", (déclaration mise sur le forum officiel du parti en 2010 (5). Comme le leader fasciste Stepan Bandera, les leaders membres du Parti paradent en uniforme SS (6). En avril 2013, Svoboda à Lvov chemina sur les traces de la division SS Galicia. Suite à cela, des anciens SS ont reçu des médailles à Hôtel de Ville de Lvov. Néanmoins, pour l'ambassadeur de l'UE en Ukraine, ce Parti est "un partenaire d'égale valeur pour discuter avec l'UE"(7).

Le gouvernement allemand également ne craint pas les contacts avec Svoboda : Svoboda peut être un parti nationaliste de la droite populiste avec des positions d'extrême droite, mais, dans le travail parlementaire, malgré des tendances d'extrême droite évidentes, le gouvernement répond par rapport à la question parlementaire (8). Elmar Brok, président de la commission du Parlement européen pour les affaires étrangères a exprimé des vues similaires (9). Svoboda n'est pas un parti qu'il aime, mais c'est celui qui a effectué le renversement de Ianoukovitch, a déclaré le politicien de la CDU, qui est intervenu lui-même avec force sur la scène de Maidan en répondant au magazine Panorama : "Tant qu'il est garanti que ce parti intervient pour l'État de droit et la démocratie en Ukraine" tout est correct. «C'est, je crois, ce qui est décisif et pas du passé» (10). Dans le contexte d'un changement de cap vers une «politique étrangère plus entreprenante", proclamée par le President fédéral Gauck, le paysage médiatique allemand a été élogieux pour l'«offensive diplomatique allemande" réalisée à Kiev. La Republique Fédérale avec le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a "occupé son rôle de leader en Europe". Le commentateur conservateur du Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) s'en réjouit. Sans le "travail opiniâtre et de persuasion des ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, de la France et de la Pologne, l'Ukraine . ." se serait "rapprochée de l'abîme de la guerre civile ouverte. Les Américains, aussi, peuvent le voir." (11). Selon les informations de l'Office allemand des Affaires étrangères, il y avait de bons motifs stratégiques pour ce «travail opiniâtre de persuasion » : "L'Ukraine posséde une série d'avantages géographique : avec près de 45,6 millions d'habitants, un nombre relativement important pour le marché intérieur, quelques secteurs de niche hautement développés, comme l'aviation et les fusées, la proximité géographique des débouchés dans l'UE et l'Europe de l'Est, un haut degré de demande de consommation potentielle refoulée et la modernisation des investissements, de bonnes conditions naturelles pour l'agriculture ainsi qu'un relativement faible niveau des salaires en conjonction avec une main-d'œuvre hautement qualifiée" (12). Plus carrément et clairement compréhensible, même pour les plus stupides, le portail en ligne de Tagesschau résume les intérêts allemands en un mot. L'Ukraine posséde également "un intérêt militaireˮ pour la Russie et l'UE, car "la flotte russe de la mer noire se trouve ancrée en Crimée". En tant que deuxième plus grand État européen de la zone (après la Russie), il est le « grenier à blé de l'Europe », et, en plus, une "pièce important pour le projet russe d'Union eurasienne". En liant l'Ukraine au traité de libre-échange prévu, les Européens pourraient, cependant, "élargir leurs débouchés et assurer un accès plus facile à l'Ukraine pour les matières premières et les ressources naturelles" (13). Cette situation évoque les souvenirs traditionnels et de stratégie d'expansion allemande. A travers l'exemple de l'orange, qui du point de vue d'aujourd'hui est très approprié, pour l'ancien cerveau des Affaires étrangères allemandes, Paul Rohrbach (1869-1956) qui avait expliqué les objectifs de «l'Ostpolitik» visant la Russie dans les termes suivants : "comme ce fruit constitué d'éléments individuels qui sont facilement séparables les uns des autres, l'Empire russe se compose de pièces différentes : les provinces baltes, l'Ukraine, la Pologne et ainsi de suite". S'il arrivait que ces pièces étaient "détachées avec succès les unes des autres en acquérant une certaine autonomieˮ, il serait " facile de préparer la fin du Grande Empire russe"(14). Ainsi, aujourd'hui, cette «théories de la décomposition » a percuté le réel. Les fraction de l'orange individuellement sont bien pourries. L'Ukraine économiquement est épuisée et en faillite. Par conséquent, la politique de l'extension à l'Est se montre très risquée car coûteuse. En outre, il reste encore à prouver que le "leader européen", l'Allemagne, a bien joué, en plaçant ce conflit sur cette nouvelle trajectoire.

La lutte pour l'Eurasie – Le Grand Jeu s'enfamme.

L'apparition des différentes «forces d'autodéfense» et les formations cosaques mises en avant par Moscou en Crimée est plus ou moins originale, mais n'étaient guère nécessaires dans les régions du Sud-Est de l'Ukraine. Les événements de Kiev ont amené à ébullition les tensions et les aspirations séparatistes. Avec un mélange diffus de propagande consistant à une phraséologie "anti- fasciste", la nostalgie soviétique et le nationalisme grand-russe, Moscou tente de rendre cet état d'esprit encore plus chaud, et de le pousser à l'offensive. La Crimée a une valeur particulièrement forte en tant que symbole nationaliste. En outre, elle est d'un grand intérêt stratégique. La perte de la Crimée et de Sébastopol, comme point d'appui de la flotte, serait décisive et limiterait la marge de manœuvre de la Russie dans la Méditerranée et la région du Caucase. Même en 2008, pendant la guerre en Géorgie, la Crimée a été l'objet de conflits vigoureux lorsque le président ukrainien, alors pro-occidental, Viktor Iouchtchenko avait menacé de ne pas renouveler le traité régissant le stationnement de la flotte russe de la mer Noire. Toutefois, il s'agit de bien plus que de la Crimée. La crise actuelle n'est pas moins que l'aboutissement d'une longue série de conflits inter-impérialistes.

« Nous sommes conscients que l'adhésion de l'Allemagne unie à l'OTAN a compliqué la question. Pour nous, cependant, une chose est sûre : l'OTAN ne sera pas étendu de lui-même vers l'Est. [ ... ] pour le reste, en ce qui concerne la non-extension de l'OTAN, c'est plus général. »

Genscher, le ministre allemand des Affaires étrangères avait donné ces assurances à Sheverdnadze, le négociateur soviétique de l'époque, en marge de la conférence du Traité «Deux plus Quatre ». Il a été enregistré le 10 février 1990 et a longtemps été tenu secret (15). En fait, c'est le contraire qui s'est produit. L'OTAN a été systématiquement étendu vers l'Est. En 1999, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie adhérent à l'OTAN. Cinq ans plus tard, les républiques baltes de Lituanie, de Lettonie et d'Estonie ont suivi, ainsi que la Bulgarie, la Slovaquie et la Slovénie. En 2009, l'Albanie et la Croatie ont rejoint la ligue militaire occidentale. Les plans pour un parapluie américain antimissile en Europe, les guerres en Irak, le conflit en Syrie et le spectacle multicolore comme «la révolution des roses» en Géorgie en 2003, «la révolution orange» en Ukraine en 2004 et "la révolution des tulipes" au Kirghizistan en 2005 sont des causes supplémentaires de conflit. La Russie a réagi à cette encerclement avec le projet d'"Union eurasienne". Sur le même modèle que l'UE, le Kremlin avait prévu de construire un bloc économique commun qui comprendrait la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et l'Ukraine. L'ancien ministre des Affaires étrangères des États-Unis, Hillary Clinton a décrit ce projet, non sans raison, que la «recréation de l'Union soviétique ». Avec la création de l'«Union eurasienne », une nouvelle vigueur politique de sécurité et militaire dominée par la Russie devait émerger entre la Chine et le "monde occidental". Notamment en raison du contrôle géostratégique des matières premières importantes et des routes de l'énergie, un puissant contrepoids aux États-Unis et à l'UE s'est développé. Déjà, au cours de la guerre en Tchétchénie, Moscou a prouvé sa détermination à défendre ses frontières extérieures de toutes ses forces dans la région du Caucase d'une grande importance stratégique. Après la guerre en Géorgie en 2008 les ambitions occidentales ont reçu une rebuffade claire tandis que des points de victoire importants ont été remportés contre les États-Unis dans le bras de fer diplomatique en Syrie. Cependant, avec la question ukrainienne, qui joue un rôle clé dans les plans d'avenir d'"Union eurasienn ", nous en sommes aux choses sérieuses. Selon Zbigniew Brzezinski, l'éminence grise de la géopolitique des États-Unis, dans son livre Le grand échiquier : la suprématie américaine et ses impératifs géostratégiques - sans l'Ukraine la Russie n'est plus une puissance eurasiatique. Selon lui, son existence en tant qu’État indépendant contribue à la transformation de la Russie. L'Ukraine est considérée comme le pivot géopolitique ; explicitement, dans la situation actuelle, le succès résolue de l'Occident est nécessaire. Afin de se préparer à tous les cas, l'OTAN devrait mettre en œuvre ses plans d'urgence et le stationnement de plus de troupes en Europe centrale (16). "Si l'UE est sérieuse dans la volonté de jouer un rôle dans le monde, il faut commencer ici", selon Brzezinski, à nouveau (17). L'objectif stratégique de cette politique peut se résumer en une formule simple : qui gouverne l'Eurasie, dirige le monde. Pour cette raison, l'influence de la Russie doit être repoussé et, à la fin, brisée. La Russie, logiquement, ne restera pas et ne laissera pas cela se produire. La perte de l'Ukraine serait un énorme revers pour ses propres ambitions de grande puissance. Moscou va donc utiliser tous les moyens politique de puissance pour empêcher l'intégration totale de l'Ukraine dans l'Ouest et dans l'OTAN, et / ou de séparer d'autres régions de l'Ukraine du Sud et de l'Est aux côtés de Crimée.

Franchement bons amis : la dynamique géopolitique de la crise

Car en considèrant l'attitude dure de la Russie, des divergences se font jour entre l'UE et les États-Unis. Alors que les États-Unis et les pays de l'Est européens de l'OTAN : la Pologne, la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie insistent sur des mesures plus sévères contre la Russie, le gouvernement allemand est sur ​​une ligne plus modérée. C'est parce que - mais pas seulement parce que - . . des efforts de l'Allemagne sont faits pour garder et utiliser une "marge de manœuvre diplomatique". L'Allemagne obtient 40 % de son gaz naturel et 35 % de son pétrole de la Russie, le volume des investissements des entreprises allemandes en Russie s'élève à 22 milliards de $. Il y a donc un risque dans ce match. Le calcul de la concrétisation de ventes de l'Ukraine à l'Ouest s'est rapidement avéré être une croyance erronée et fatale.

Dans le même temps, on doit admettre que, à la lumière des faits qui ont été créés à Kiev, on ne peut pas laver la peau de l'ours russe avant le l'avoir tué. « L'étape trois était toujours dans mon esprit. Aujourd'hui c'est plus ferme», a déclaré la chancelière Angela Merkel après le sommet extraordinaire de l'UE du 6 mars qui a décidé, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, d'un plan de sanctions contre Moscou en plusieurs étapes (18). Alors que les États-Unis peuvent rester indifférents aux préoccupations économiques et politiques de l'UE et de l'Allemagne en particulier. Ils ne sont pas particulièrement en affaire avec la Russie que ce soit avec la politique énergétique ou économique. Or, après leurs déboires dans le conflit syrien et des problèmes avec l'affaire de la NSA, les États-Unis voit maintenant la chance de regagner un peu le terrain perdu. L'ambiguïté et les constellations fragiles des intérêts des États de l'ouest rendent la situation que plus dangereuse. Le fait que la Chine ait récemment intensifié son budget militaire de façon gigantesque à 95,9 milliards €, témoigne du caractère explosif de la dynamique de la crise géopolitique actuelle ( 19 ). Jusqu'à présent, la Chine s'est exprimée en des termes assez sobres et retenus. A long terme, cependant, la liaison de l'Ukraine à l'Ouest affectera également d'importantes questions économiques et les intérêts stratégiques de Pékin. La Chine a investi des milliards dans des projets en Ukraine et, dans le cadre de "l'Organisation de coopération de Shanghai ", elle est la poursuite d'une politique de coopération économique et militaire étroite avec la Russie afin de repousser l'influence des États-Unis en Asie centrale. Par conséquent, il est ne faut pas présumer du fait que Pékin va occuper une position de neutralité dans en cas de l'aggravation du conflit.

Il n'y a jamais un « bon côté» dans la guerre impérialiste.

La présente querelles sur les « sanctions », « solutions diplomatiques » et « réactions militaires " conduit à un jeu dangereux. Un jeu qui se joue pour des enjeux élevés et avec des alliances changeantes. Un jeu où tout le monde est le prochain à en pâtir. Les slogans " intégrité territoriale ", "autodétermination nationale" et "souveraineté de l'État" ne représentent (comme toujours) que l'accompagnement musical et idéologique pour le match. Le rythme est assuré par la crise qui, en dépit de toutes les déclarations officielles, est de plus en plus et a maintenant apporté la lutte de nos dirigeants sur des zones de pouvoir et d'influence à une tête. Le désordre actuel n'est donc pas simplement la conséquence du travail de quelques États ou de politiciens égarés, mais « Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C'est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire. » (Rosa Luxembourg). Par conséquent, il serait fatal de penser qu'un «bon côté» peut être choisi ou que nous pouvons espérer un « moindre mal ». Si le feriez - être " gauches " choisir son camp dans le jeu du pouvoir ukrainien poker, et opter selon goût pour «les processus de la démocratie par le bas » sur Maidan, ou le «droit à l'autodétermination nationale» ou le soi-disant «anti- fascisme» poussé par la politique de Poutine, ils montrent seulement une fois qu'ils font partie du problème. Ce genre de "positionnement tactique" est étroitement liée avec les prétextes de nos gouvernants et contribue à la cimentation idéologique de la situation actuelle. La défense de la «Nation» et de la «Patrie» toujours est partout le moyen de la défense du capitalisme, système social qui entraîne l'humanité toujours plus loin dans le chaos, la guerre et la barbarie. Il n'y a aucun nationalisme qui, de toute façon, soit «progressiste» ou «sain ». Le nationalisme peut prendre les formes les plus variées, mais il mène toujours et partout à l'identification de ses propres exploiteurs. La seule façon de sortir de ce dilemme consiste à se libérer de « la tutelle de la bourgeoisie, exprimé par l'influence de l'idéologie nationaliste » (Rosa Luxembourg), ne se souciant guère de la nation et l'emplacement, et en prenant la lutte pour ses propres intérêts. Les grèves et les mouvements sociaux qui s'échappent de l’État et du contrôle des syndicats, ont toujours été le seul travail réaliste pour la paix. Cela exige un cadre politique organisé, la construction d'une organisation communiste international et internationaliste qui soit en mesure de faire la lumière sur un point de vue au-delà de la spirale mortelle du capitalisme de crise et de guerre. Ce ne sera pas facile. Cependant, face aux pouvoirs destructeurs déchaînés du capitalisme, il n'y a pas d'autre alternative. "Cette folie cessera le jour où les ouvriers (d'Allemagne et de France, d'Angleterre et de Russie) se réveilleront enfin de leur ivresse et se tendront une main fraternelle couvrant à la fois le choeur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes, en poussant le vieux et puissant cri de guerre des travailleurs : Prolétaires de tous les pays , unissez-vous !" ce que Rosa Luxembourg a écrit il y a près de 100 ans (dans La crise de la social-démocratie) au milieu de la tourmente de la guerre impérialiste mondiale. Des mots qui, surtout aujourd'hui, sont toujours appropriées.

JW

1) voir state.gov

2) n-tv.de

3) timesofisrael.com

4) jewishpress.com

5) wsws.org

6) de la TV russe : station Rossiya 1: youtube.com

voir : worldjewishcongress.org

7) Interview de Focus, 21 décembre 2013

8) dip21.bundestag.de

9) Elmar Brok peut regarder sa rapide montée. En 2007, on l'a appelé : "Pipe-smoker of the Year". L'Euro-politicien s'est déjà impliqué en Ukraine depuis longtemps. Il est intervenu pour la libération de Timochenko. Son attachement à la démocratie et aux droits de l'homme de Kiev se combine avec des visites de maisons closes, et des commentaires désobligeants sur les femmes ukrainiennes. Le groupe des FEMEN critique son comportement: femen.org # post-contenu. Selon Brok, les FEMEN viennent d'être dupées par une campagne de désinformation du gouvernement ukrainien. En tout cas, Brok est un expert en campagnes de désinformation. Il a utilisé ses bons contacts avec l'éditeur de FAZ, Günther Nonnenmacher, pour faire taire un journaliste qui a déposé des rapports critiques à son sujet. "Le journal de l'Allemagne", bien sûr, l'a promptement nié.

10) daserste.ndr.de

11) faz.net

12) auswaertigesamt.de

13) tagesschau.de

14) Walter Mogk: Paul Rohrbach und das “Größere Deutschland”. Ethischer Imperialismus im Wilhelminischen Zeitalter (Paul Rohrbach and "Greater Germany”: Ethnic Imperialism in the Age of Wilhelm), München 1972

15) spiegel.de

16) washingtonpost.com

17) huffingtonpost.com.

18) Berliner Zeitung 7

19) ​www.​eurasischesmagazin.​de

Monday, March 24, 2014

Comments

GUERRE DE CLASSE

Mars/Avril 2014

En marge du centenaire de la première guerre mondiale

PRÉPARATIFS GUERRIERS ENTRE L’UKRAINE ET LA RUSSIE

SHOW OU RÉALITÉ?

La faillite historique d’un modèle de gestion du rapport social capitaliste, celui qui s’était développé entre autre en Europe de l’est durant plusieurs décennies de contre-révolution, a entrainé la dissolution et la disparition de l’URSS en tant que bloc impérialiste. Depuis lors, le prolétariat dans ces régions, comme partout ailleurs dans le monde, a du subir de nombreuses nouvelles attaques contre ses conditions de survie mais il a aussi brûlé au passage un certain nombre des illusions que la propagande occidentale a entretenu lorsqu’elle encensait ad nauseam un modèle de gestion du capitalisme qui serait plus « humain », plus « libre ». Ce « monde de paix et d’harmonie » tant vanté, ce nouvel Eden qui fut promis aux « idiots utiles » lors de la chute du rideau de fer qui scella la fin d’un « monde bipolarisé », toutes ces illusions volent de plus en plus en éclats.

A nouveau, les bruits de bottes résonnent bruyamment en Europe, les canons s’affutent, les bombardiers regorgent de dragées meurtrières, les missiles dardent leurs pointes nucléaires sur leurs futurs objectifs : après les guerres qui ont localement et conjoncturellement embrasé la Yougoslavie, la Géorgie, la Tchétchénie, le Daghestan, l’Ossétie, etc. durant ce dernier quart de siècle, voici maintenant que s’intensifie la maturation des conditions du déclenchement en Ukraine d’une nouvelle guerre, d’une ampleur plus considérable encore, avec des répercussions internationales inimaginables.

Depuis quatre mois, d’importants troubles secouent ce pays. Ces troubles ont émergé du sol fertile des profondes contradictions qui déterminent toute société de classe ainsi que leurs expressions concrètes : salaires de misère, restructuration, licenciements, privatisations, diminution des aides sociales qui constituaient un reliquat de « l’ère socialiste », etc. Bien sûr, ces mouvements sociaux (comme toutes les luttes qui se développent aujourd’hui) portent encore le sceau du manque de rupture avec les gestionnaires du rapport social, ainsi qu’avec leurs futurs remplaçants. Leur expression politique et leur conscience semblent être si faibles et fausses… Mais les révolutionnaires ne peuvent pas juste balayer d’un revers de main le contenu des événements, de manière dédaigneuse et condescendante.

Les luttes actuelles sont encadrées par diverses fractions bourgeoises : des partisans du modèle « libéral » euro-américain, des ultranationalistes, et même des groupes d’extrême-droite, voire fascistes… Nous nous sommes confrontés journellement aux défilés écœurant des faux drapeaux, les drapeaux des superpuissances impérialistes occidentales, les drapeaux ukrainiens, et ceux des fascistes… Ce qui, admettons-le, n’est pas vraiment très différent des encadrements bourgeois plus « classiques » et « traditionnels » des professionnels sociaux-démocrates de la pacification de nos luttes : syndicalistes, gauchistes, staliniens, adorateurs de la « démocratie directe », et autres islamistes radicaux (pour nos frères et sœurs prolétaires qui se battent dans des régions à « prédominance musulmane », et plus particulièrement depuis l’émergence dudit « printemps arabe »)…

Evidemment, le prolétariat est encore loin d’émerger en tant que force révolutionnaire capable d’affirmer son programme historique et ses perspectives de renversement du rapport social capitaliste. Les prolétaires descendent dans la rue, ils occupent des places publiques, ils investissent des bâtiments officiels, ils s’affrontent aux forces répressives, ils érigent des barricades, ils refusent les propositions pacificatrices des charlatans des partis d’opposition, ils posent (même « maladroitement ») la question de l’armement et de l’auto-défense du mouvement, ils pillent des armureries de la police, etc. Malgré cela, dans la plupart des cas ils ne s’affirment pas encore en tant que classe et donc en tant que force organisée et dirigeante, en tant que parti(e) avancé(e) du prolétariat…

Malgré la nature bourgeoise de diverses expressions et matérialisations émanant des mouvements sociaux, ce que la classe des capitalistes craint le plus aujourd’hui, c’est une extension des troubles aux métropoles des superpuissances mondiales. Que se passerait-il si de pareils événements devaient éclater dans la Fédération de Russie, en Grande-Bretagne, aux USA, en Chine ? A tout le moins, les capitalistes préféreraient éviter ce genre de « catastrophe » pour la pérennité de leur dictature sociale et ils tentent ainsi de canaliser préventivement toute cette bouillonnante énergie, tout ce maelström social dans les ornières de la guerre. Et pour ce faire, l’Ukraine pourrait devenir un terrain idéal pour la mobilisation des forces guerrières. Et conjoncturellement, le sort de la « République autonome de Crimée », qui vient d’être annexée de fait par la Fédération de Russie, ou encore la conquête des régions orientales de l’Ukraine (Donetsk, Kharkov…) en proie à de nouveaux troubles, constitueraient un intéressant prétexte, comme l’attentat de Sarajevo le fut il y a de cela très exactement 100 ans…

Et ce ne sont pas les incessants « ballets diplomatiques » à Moscou, Londres, Paris, Berlin, Bruxelles, Genève, Washington… pour « dés-escalader » la situation, ce ne sont pas les « appels pour la paix » qui peuvent empêcher l’inéluctable de se produire. En 1914 déjà, ces mêmes « ballets » eurent lieu, « personne ne voulait la guerre », et pourtant des processus politico-militaires furent mis en route, et ceux-ci débouchèrent sur l’embrasement mondial le 2 août…

Une fois encore les capitalistes se préparent à nous en-voyer au massacre

Cette année 2014, la bourgeoisie commémore le déclenchement de la première guerre mondiale, tout en prétendant que nous vivons maintenant dans un monde de paix et d’harmonie. Mais au moment même où le capitalisme traverse sa pire crise de valorisation depuis la fin de la seconde boucherie mondiale, sa seule alternative, une fois encore, c’est la destruction massive de forces productives excédentaires : destruction de marchandises, de travail mort, mais aussi de marchandises forces de travail, donc de travail vivant, donc de prolétaires… La seule solution viable pour le capitalisme (afin de relancer ultérieurement un nouveau cycle de valorisation), c’est donc la guerre généralisée,… Son seul problème de taille, c’est comment mobiliser mondialement le prolétariat pour que celui-ci se laisse embri-gader dans une quelconque campagne idéologique afin de justifier les futurs massacres.

Les actuels roulements de tambours guerriers qui résonnent en vue d’une intervention militaire de la Russie en Ukraine participent de cette campagne idéologique. D’autant plus que cette région est l’enjeu géostratégique des appétits voraces des capitalistes. En effet, il suffit d’observer une carte géographique du continent eurasien pour se rendre compte que d’une part une partie considérable de l’approvisionnement en énergies fossiles (pétrole et gaz) des pays de l’Union européenne provient de Russie et de ses importants gisements en Sibérie (ceci afin de ne pas dépendre des pays du Moyen-Orient instable). D’autre part, la seule possibilité actuelle pour les hydrocarbures russes de réaliser leur valeur, et de trouver acheteur sur le marché mondial, c’est de les exporter précisément vers l’UE en utilisant essentiellement les oléoducs et gazoducs qui traversent l’Ukraine.

Autant les deux camps de charognards capitalistes en présence (Russie versus l’UE, les USA et leur bras armé l’OTAN) ont besoin l’un de l’autre, et cela devrait « objectivement » empêcher par là même toute guerre qui annihilerait l’une ou l’autre des puissances en compétition, voire les deux en même temps ; mais autant ces mêmes conditions pourraient tout aussi bien expliquer en quoi l’un et l’autre camp a besoin de conquérir l’autre et de le dominer, de s’accaparer soit les immenses sources énergétiques russes, soit les marchés solvables occidentaux.

Une guerre pour le gaz ? Absurde ? Le contrôle des ressources énergétiques ne sera probablement pas l’élément essentiel qui pourrait déclencher une guerre entre la Russie et l’Ukraine mais comme en 1914 des mécanismes politico-militaires sont en train de se mettre en route, et qui peuvent très bien échapper à la mainmise des apprentis sorciers qui dirigent le monde. Et c’est à ce moment-là que la question du pétrole et du gaz deviendrait centrale et pourrait libérer toutes les énergies meurtrières pour massacrer une fois de plus des millions d’êtres humains sur l’autel du profit. A titre d’exemple, rien que ces trois dernières décennies ont vu les diverses puissances bourgeoises faire la guerre (ou soutenir l’un ou l’autre belligérant, voire plusieurs en même temps) pour s’assurer le contrôle des zones de production pétrolière du Moyen-Orient (Iran, Irak, Koweït,…) ainsi que les routes d’approvisionnement (Golfe persique,…). Ces guerres ont fait au bas mot des centaines de milliers de morts, si ce n’est deux à trois millions, sans compter les innombrables « dommages collatéraux » qui furent victimes des bombardements à « l’uranium appauvri » et autres saloperies créées par le génie du progrès capitaliste.

Au-delà du développement de l’hystérie nationaliste, chauvine et patriotique dans les deux camps en présence, ainsi que des circonstances particulières qui alimentent les actuels préparatifs de guerre entre l’Ukraine et la Russie, nous devons mettre en avant un point fondamental : la rapidité avec laquelle toute cette affaire a pris de l’ampleur. En effet, quelques jours, quelques semaines seulement ont suffi à révéler toutes les contradictions accumulées depuis la fin du « monde bipolaire » (l’URSS contre les USA, l’est contre l’ouest, le « communisme » contre le « capitalisme » selon la propagande des deux camps), soit depuis un quart de siècle. Toutes contradictions qui provenaient de la non-résolution de la crise historique inhérente au capitalisme (considéré en tant que ce qu’il est fondamentalement, c’est-à-dire un rapport social mondial) et que celui-ci porte dans ses flancs ; crise qui résulta du nouveau cycle de valorisation qui s’est développé sur les ruines du précédent conflit mondial. L’ordre capitaliste ayant horreur du vide, dont la faillite d’un des deux blocs impérialistes fut une expression, tout commence à « rentrer dans l’ordre » avec la re-bipolarisation du monde, tant nécessaire à la compétition entre les différentes fractions du capital mais également à la mise en place des conditions objectives d’une nouvelle guerre. Nous pouvons donc affirmer que l’histoire s’accélère ! A l’image des mouvements sociaux qui depuis quelques années ponctuent plus fortement qu’avant la dictature sociale du capital.

Nous nous devons également de rappeler ici l’essence fonda-mentale de la guerre. Depuis que le mode de production capitaliste existe et donc domine la planète entière, toutes les guerres sont bourgeoises, capitalistes, toutes les guerres, au-delà des idéologies pour lesquelles le capital dit les faire, sont des guerres contre le prolétariat, sont des guerres contre-révolutionnaires.

La cause des guerres bourgeoises est toujours, au-delà des rivalités inter-impérialistes, la dévalorisation, la chute du taux de profit entraînant une surproduction généralisée de marchandises et donc aussi une surpopulation. Pour la bourgeoisie, hier comme aujourd’hui, le but principal (même si selon sa propre conscience il s’agit surtout de détruire l’ennemi) est toujours le même : la destruction massive d’êtres humains que le capitalisme a transformés en marchandises aujourd’hui excédentaires.

La bourgeoisie doit, pour faire ses guerres, liquider le prolétariat en tant que classe c’est-à-dire en tant que force agissante, pour le dissoudre dans le peuple, pour alors embrigader ces citoyens parmi d’autres citoyens derrière n’importe quel drapeau cachant la face hideuse du capitalisme : le drapeau de l’antifascisme ou du fascisme, au nom du progrès ou de la réaction, au nom de la « démocratie » ou d’un « ordre nouveau », de la conquête d’un espace vital ou de la libération nationale, de la défense de l’occident civilisé ou de l’anticolonialisme,… C’est toujours au nom de la paix, de la liberté, de la démocratie, du socialisme,… que s’amoncellent les cadavres, que civils comme militaires sont mutilés à coups de bombes à fragmentation, qu’ils sont concentrés dans des camps pour crever.

Action communiste contre la guerre et la paix capitalistes

Qu’importe finalement l’issue de la crise actuelle entre l’Ukraine et la Russie car que cela se transforme en guerre locale, en guerre régionale ou encore en guerre généralisée, ou bien que cela n’en reste qu’à la guerre permanente que le capitalisme impose quotidiennement à l’ensemble de l’humanité, notre réponse est toujours, et invariablement, la même depuis des siècles. L’internationalisme est la réponse prolétarienne aux attaques bourgeoises et signifie rompre la paix sociale, la paix du capital, développer nos luttes là où l’on se trouve, contre nos exploiteurs directs partout dans le monde. C’est en répondant coup pour coup aux dégradations de nos conditions de vie que nous préparons notre solution à la crise bourgeoise : la révolution sociale mondiale. C’est l’unique moyen de lutter contre la solution bourgeoise qu’est la guerre généralisée.

Et nous tenons ici à critiquer les positions pacifistes et liquidatrices de certaines expressions militantes se revendiquant formellement de la lutte anticapitaliste et qui affirment leur refus de « toute annexion [qui] accélère le cours à la guerre capitaliste ». Et ils avancent l’argument éculé, mille fois utilisé par la social-démocratie, mille fois dénoncé par les révolutionnaires, selon lequel « la guerre capitaliste est un terrain particulièrement hostile à l’émergence du prolétariat comme classe pour soi ». Bien sûr, nous ne nous réjouissons pas des préparatifs d’une nouvelle orgie guerrière, mais face à cette nécessité capitaliste inéluctable, voire inévitable, nous refusons de sombrer dans de puériles pleurnicheries. Historiquement, les sociaux-démocrates ont toujours adoré et prôné le « progrès linéaire » du mouvement social, sans accrocs, sans ruptures, qui nous mènerait pacifiquement au « grand soir » du nouvel Eden prolétaire. Mais la réalité de l’enfer capitaliste nous montre d’autres voies et nous appelons les prolétaires en lutte non pas à capituler et à s’enferrer dans des illusions paralysantes mais au contraire à rebondir sur les nouvelles conditions matérielles produites par la guerre et ainsi à assumer leurs responsabilités devant l’histoire et l’humanité…

Car le déclenchement de la guerre impérialiste même généralisée ne signifie pas nécessairement l’écrasement définitif du prolétariat. En effet, historiquement, si la guerre signifie dans un premier temps un relatif écrasement, elle peut ensuite dialectiquement déterminer une reprise des luttes d’autant plus forte qu’elle a mis à nu les contradictions et la brutalité immanente au système capitaliste. Pour les prolétaires révolutionnaires, la lutte contre la guerre signifie directement le défaitisme révolutionnaire.

Le défaitisme révolutionnaire tourne le dos à tout pacifisme même déguisé et radicalisé, c’est-à-dire qui ne donne aucune consigne concrète et précise en vue d’encourager et d’agir violemment pour la défaite de « son » camp, « sa » nation, « son » armée, « sa » bourgeoisie.

Et ce ne sont pas les 50.000 manifestants pacifistes qui défilèrent récemment à Moscou le samedi 15 mars, criant leur horreur de la guerre et leur amour de la paix, qui troubleront en aucune manière les préparatifs guerriers. Tant que la dénonciation de la guerre capitaliste ne se limite qu’à revendiquer un retour à la période antérieure, à la paix (qui ne peut être que la paix sociale tant nécessaire au processus d’extraction de plus-value provenant de la mise au travail forcé des esclaves modernes que nous sommes), tant que les liens dialectiques entre la guerre et la paix capitalistes ne sont pas dévoilés dans toute leur évidence, tous ces manifestants pacifistes ne sont condamnés qu’à assister passivement à l’imposition d’une paix sociale encore plus terroriste, la paix des cimetières…

Au contraire de toutes ces pleurnicheries pacifistes, le défaitisme révolutionnaire signifie avant tout qu’aucun sacrifice n’est accepté au nom de l’intérêt de la nation, ce qui signifie l’organisation de luttes sociales par rapport aux conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, même lorsqu’une guerre est déclenchée et que « notre » bourgeoisie appelle à l’unité nationale. A un niveau plus avancé, cela signifie l’organisation du sabotage de l’économie, de la production, des convois d’armements,… de tout le consensus nationaliste, parallèlement à l’organisation de l’évidente propagande défaitiste qui doit ébranler toute la société jusqu’aux fondements mêmes des certitudes ancrées chez les « idiots utiles » qui marchent encore au pas…

Le défaitisme révolutionnaire signifie l’organisation de toute action visant à saper le moral des troupes ainsi que d’empêcher l’envoi de prolétaires à la boucherie…

Le défaitisme révolutionnaire signifie l’organisation de la désertion la plus massive possible et la cessation des hostilités entre les prolétaires sous l’uniforme des deux côtés du front de guerre, ce qui signifie la transformation de la guerre entre prolétaires en une guerre entre les classes, c’est-à-dire la guerre de classe, la guerre dans les centres des superpuissances guerrières…

Le défaitisme révolutionnaire signifie l’encouragement à la fraternisation, à la mutinerie, au retournement des fusils contre les organisateurs de la guerre carnassière, c’est-à-dire « notre » bourgeoisie et ses laquais…

Le défaitisme révolutionnaire signifie l’action la plus décidée et la plus offensive en vue de transformer la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire pour l’abolition de cette société de classe, de misère et de guerre, pour le communisme.

Evidemment, le défaitisme révolutionnaire ne peut se concevoir dans un seul camp. Les directives de sabotage sont fonction de la nature internationale du prolétariat et s’adressent donc à notre classe dans le monde entier. Le défaitisme révolutionnaire signifie la lutte à outrance contre « sa » bourgeoisie dans tous les camps, dans tous les pays.

Si le prolétariat désire se débarrasser définitivement de la boucherie qui l’extermine, la seule et unique solution est la généralisation en actes du défaitisme révolutionnaire. Le développement de la lutte a ses exigences : elle doit briser la cohésion sociale non seulement des unités de l’armée, mais aussi de l’ensemble de la société. Pour cela, il faut en finir une bonne fois pour toute avec le nationalisme en réaffirmant haut et fort que les prolétaires n’ont aucun intérêt dans cette guerre, ni dans ce monde agonisant. Nous ne revendiquons qu’une seule guerre, celle qui nous oppose à nos exploiteurs, qu’ils soient ukrainiens, russes, américains, allemands, anglais, français, tchèques ou autres.

Nous appelons les prolétaires à dénoncer l’intervention militaire en préparation et à s’y opposer fermement par l’action directe, par le sabotage, par la grève généralisée et insurrectionnelle…

D’où que proviennent les avions, les navires de guerre et les missiles, il y a toujours derrière des hommes et des femmes –des esclaves salariés- qui doivent les acheminer vers leur destination, remplir les réservoirs de kérosène… Seuls les prolétaires en lutte peuvent et doivent empêcher la machine guerrière de tuer, la machine de production de fonctionner…

Développons de nouveaux foyers de lutte, renforçons ceux déjà existant, appliquons la grève aux armées, aux usines, aux mines, aux bureaux, aux écoles… partout où nous subissons l’exploitation de ce monde de mort et de misère…

Contre notre propre bourgeoisie exploiteuse, contre notre propre État belliciste, en Russie, en Ukraine, aux USA, dans l’Union Européenne, etc., organisons et développons le défaitisme révolutionnaire…

Etre patriote, c’est être assassin ! A bas tous les Etats !

Solidarité de classe avec les défaitistes révolutionnaires de tous les camps !

Retournons nos armes contre « nos » généraux, contre « notre propre » bourgeoisie !

Reprenons le drapeau de la révolution communiste mondiale !

  • Mars/Avril 2014 *

La rédaction et la diffusion internationale de ce texte en plusieurs langues nous permet de centraliser nos activités, d’entrer en contact avec d’autres révolu-tionnaires, de consolider le camp de ceux qui défendent les mêmes perspectives internationalistes, d’exprimer les besoins des prolétaires qui se révoltent contre la guerre, la paix (sociale) et la misère, pour renforcer ainsi, par la clarté de nos perspectives de lutte et par notre détermination, la portée de notre refus.

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