Pour le Communisme

Introduction aux positions politiques de la Tendance Communiste Internationaliste.

Préface

Aujourd’hui, la classe ouvrière internationale fait face à un des plus grands bouleversements de son histoire. En restructurant des branches entières de l’industrie, en implantant de nouvelles innovations technologiques et en abaissant les salaires, partout les capitalistes tentent de maintenir leur compétitivité sur un marché mondial de plus en plus mondialisé et agressif. Conjointement, la bourgeoisie a utilisé l’effondrement du Stalinisme afin de renforcer sa campagne idéologique contre la classe ouvrière : elle utilise tous les moyens mis à sa disposition pour discréditer l’idée du communisme et affirmer que la classe ouvrière n’a aucune raison de combattre et de se défendre. Cependant, la propagande capitaliste contredit de façon absolue la réalité quotidienne de la majorité de l’humanité : 20% de la population des soi-disant pays capitalistes avancés vit dans la misère et l’indigence causées par le chômage. La capacité destructrice du système ne peut être ignorée plus longtemps.

Une proportion croissante de la population mondiale souffre de malnutrition et de faim, alors que l’agriculture mondiale produit suffisamment de nourriture pour nourrir une population 50% plus grande que celle d’aujourd’hui. En même temps, le capitalisme – qui ne produit qu’en fonction des profits – détruit de façon croissante les ressources écologiques de la planète.

Ceci n’est pas arrivé par pur accident. Il s’agit du résultat direct par lequel le système capitaliste se reproduit lui-même. Il y a près de 150 ans, Karl Marx écrivait que le capitalisme est arrivé dans ce monde en « suant le sang et la boue par tous les pores » (le Capital, volume 1, chapitre 33). Le travail des enfants, l’esclavage et les bidons-villes, tout cela a permis aux propriétaires du capital d’accumuler des profits sans précédent. Mais les horreurs du début de l’industrialisation ne sont rien en comparaison avec le génocide, les guerres et les famines que le capitalisme impose au monde aujourd’hui. La lutte pour le communisme nécessite, comme pré-condition, une vaste et profonde compréhension du mode d’opération du capitalisme actuel.

Nos politiques ne représentent pas simplement le produit de nos propres pensées. Les idées que nous défendons sont fondées sur l’expérience historique que la classe ouvrière internationale a accumulée sur plus d’un siècle et demi de lutte contre l’exploitation capitaliste.

Nous nous situons dans la lignée du courant révolutionnaire du mouvement ouvrier, depuis la ligue communiste autour de Karl Marx, jusqu’à la 3ème Internationale qui fut fondée dans la foulée de la Révolution d’Octobre. Celle-ci se poursuivit dans les minorités de la Gauche communiste qui se sont battues contre la dégénérescence de la révolution à l’intérieur-même de la Russie et également à l’intérieur de la 3ème Internationale dans les années 1920. Nous avons toujours résolument rejeté les courants staliniens et trotskistes – en tant que produits de la contre-révolution du Capitalisme d’État en Russie – et nous les avons toujours combattus. C’est aussi pour cette raison que, pour nous, l’effondrement des régimes staliniens ne représente aucune perte pour la classe ouvrière.

Les origines immédiates de notre tendance se situent dans les conférences internationales organisées par le Parti Communiste Internationaliste d’Italie (Battaglia Comunista) entre 1977 et 1980. Lors de ces conférences, la Communist Workers' Organisation (CWO) fut à un tel point convaincue par la cohérence des méthodes et des positions que les camarades italiens avaient développées depuis la fondation du Parti Communiste Internationaliste en 1943, qu’elle commença à réexaminer ses propres positions. En 1983, les 2 organisations ont fondé le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) sur la base d’une plateforme commune. Par la suite, des groupes d’autres pays ont rejoint le Bureau et le BIPR est devenu la Tendance Communiste Internationaliste (TCI). Aujourd’hui, celle-ci coordonne les efforts internationaux des organisations qui la constituent.

La TCI est pour le parti révolutionnaire mais elle ne prétend pas être le parti, ni même le seul noyau d’un futur parti. Ce serait insensé et présomptueux d’affirmer que la création d’un parti révolutionnaire pourrait émerger simplement grâce à la volonté d’une poignée d’individus. Pour créer les pré-conditions du renversement du système capitaliste international, le prolétariat doit d’abord de nouveau reprendre le chemin de la lutte de masse pour ses propres intérêts. Nous nous préparons dans ce but. Ainsi, les groupes de la TCI tentent d’encourager le développement d’un noyau solide, une partie constituante potentielle d’un parti centralisé et international du prolétariat. Pour ceux et celles qui souhaitent sortir l’humanité de son présent cul-de-sac il n’y pas d’autres alternatives. Car une chose est certaine : tout ce que le capitalisme a à nous offrir est un avenir composé de crises encore plus aigües, de plus de destructions environnementales, de misères humaines et de guerres.

Socialisme ou barbarie, il n’y a pas d’autres alternatives !

1) Le Capitalisme : les Contradictions fondamentales du Système.

La société capitaliste, comme les sociétés esclavagistes et féodales qui l’ont précédée, est une société divisée en classes dans laquelle la classe dominante vit du travail accompli par la classe assujettie. L’humanité a vécu dans des sociétés de classe depuis une période extrêmement brève de son histoire et ces sociétés ne sont en aucun cas une expression de la nature humaine. La TCI considère que le capitalisme représente la dernière société de classe et que la prochaine étape pour le développement de l’humanité est le renversement de la société de classe elle-même; et son remplacement par une société sans classe fondée sur la coopération et la production pour les besoins réels.

Dans les sociétés de classes précédentes, la classe assujettie était forcée d’abandonner toute production excédentaire, et l'exploitation des esclaves, des serfs et autres sujets était évidente. À l’intérieur de la société capitaliste, ce processus est masqué. La classe ouvrière semble être libre : libre de vendre à sa guise son travail à la classe bourgeoise dans un contrat de marché. En fait, comme Marx l’a démontré, la classe ouvrière vend sa force de travail à la classe bourgeoise. Cette force de travail lorsqu’elle est utilisée avec des machines et des ressources naturelles produit une valeur plus grande que celle nécessaire à sa reproduction. C’est le mécanisme fondamental par lequel le travail excédentaire est arraché à la classe ouvrière par la classe capitaliste. Sous les rapports de production capitaliste, la classe ouvrière reçoit en retour, sous la forme de salaire, une partie seulement de la valeur créée par son travail. La partie restante est appropriée par les capitalistes qui l’utilisent comme bon leur semble. C’est ce travail excédentaire approprié, ou plus-value, et cela seulement, qui fournit à la classe bourgeoise dans son ensemble sa source de profit. Ce processus s’opère à une échelle mondiale et les profits sont répartis dans l’ensemble de la classe bourgeoise mondiale. Il y a une tendance à ce que les profits soient égalisés et distribués proportionnellement au montant du capital détenu par chaque fraction de la classe bourgeoise, sans que le capital en question exploite directement les travailleurs produisant ou non la plus-value.

Pour que le capitalisme puisse mener sa besogne, la classe ouvrière doit être privée de la propriété des moyens de production. Elle doit devenir une classe sans propriété, ne possédant que sa capacité de travail et n’ayant d’autres alternatives que de vendre celle-ci à la classe bourgeoise. Cette séparation représente la contradiction centrale du capitalisme. D’une part, la production est sociale; mais d’autre part, le contrôle des moyens et des conditions de production, ainsi que des marchandises produites, se trouvent uniquement aux mains de la classe bourgeoise. Ce contrôle n’est pas là pour satisfaire les besoins sociaux mais pour générer des profits et accumuler du capital.

L’objectif de la production capitaliste est de produire des profits. Le système capitaliste ne satisfera les besoins humains que si c'est profitable. Il n’est pas intéressé à fabriquer des produits qui sont utiles, mais des marchandises qui peuvent être vendues pour un profit.

Le profit que chaque capitaliste reçoit tend à se rapprocher de la moyenne mondiale proportionnelle au montant global de plus-value extorquée à la classe ouvrière mondiale. Ce taux de profit moyen tend à baisser lorsque la valeur du capital employé et la productivité des travailleurs et des travailleuses augmentent. Les capitalistes sont donc contraints de manière permanente à révolutionner les moyens de production pour obtenir un avantage temporaire sur leurs compétiteurs et ainsi s’approprier une portion plus large de la plus-value globale disponible. Les capitalistes doivent investir une partie de la plus-value dans du capital constant (i.e. des machines, des usines, des ressources naturelles, etc.), de façon à pouvoir exploiter le travail salarié avec moins de contraintes. Tandis que certains travailleurs sont congédiés, l’exploitation – ou la « productivité » – des autres augmente. Cela permet à un capitaliste d’augmenter son taux de profit au-delà de la moyenne. Le taux de profit moyen est déterminé par le ratio de la plus-value sur la totalité du capital investi. La croissance du capital constant aux dépens du capital variable (la force de travail humaine) mène à une composition organique plus élevée du capital (i.e., le ratio du capital constant par rapport au capital variable). Comme la plus-value ne peut être créée que par le travail vivant, cela réduit le taux de profit des capitalistes. Cela ne veut pas dire que la masse réelle du profit diminue automatiquement mais que le capitalisme dans son ensemble subit la baisse tendancielle du taux de profit. Les capitalistes s’efforcent de contrer ce phénomène de différentes manières. Les plus utilisées sont :

  • L’augmentation de la productivité des travailleurs et des travailleuses par des usines plus efficientes et un contrôle plus efficace de l’organisation du travail ;
  • L’augmentation du temps de travail ;
  • La baisse des salaires ;
  • La diminution de la valeur du matériel utilisé dans la production.

Ce processus mène à une lutte compétitive entre les différents capitalistes qui, en dernière instance, entraîne les crises périodiques du système. Lorsque les capitalistes les plus faibles (et en général les plus petits) constatent qu’ils ne gagnent pas suffisamment de plus-value pour enrichir leurs investissements en nouveau capital, soit ils font faillite soit ils sont rachetés par des rivaux plus puissants. Au 19e siècle, cela se produisait à des intervalles réguliers, environ tous les 10 ans. La crise menait à une dévaluation du capital et à une réduction de sa composition organique, ce qui permettait au capital survivant de relancer et d’étendre le processus d’accumulation. La production capitaliste devenait encore plus concentrée et centralisée. La quête de matériaux bruts abordables et des investissements dans des régions moins développées (c’est-à-dire des territoires avec une composition organique de capital moins élevée) compensait pour la baisse du taux de profit. De plus, cela permettait d’étendre le marché mondial et d’internationaliser un peu plus le mode de production capitaliste – jusqu’à ce que, au seuil du 20è siècle, une économie mondiale finisse par émerger.

L’impérialisme

Vers la fin du 19è siècle, les rivalités capitalistes commencent à prendre de nouvelles formes. La production est de plus en plus dominée par des monopoles capitalistes gigantesques et les gros intérêts du capital financier. Cette concentration et centralisation croissante du capital qui, à cause de la lutte des classes, entraîne des problèmes sociaux et le besoin de défendre le capital national, mène à partir de la fin du 19è siècle à la tendance à une régulation étatique plus grande de l’économie capitaliste (les barrières douanières croissent énormément lors des 2 dernières décennies du 19è siècle). Les rivalités capitalistes passent du niveau des intérêts individuels à la rivalité entre nations. Dans la mesure où il a été amené à jouer un rôle dans la régulation de l’économie nationale, l’État donne une plus grande place à la force militaire pour ouvrir la voie vers les nouvelles sources de matières premières et des nouveaux marchés. Le capitalisme passe ainsi à l’époque de l’impérialisme.

L’impérialisme est le stade atteint par le capitalisme lorsque la composition organique du capital est tellement élevée que pour avoir accès aux ressources naturelles, et pour exporter vers les pays à composition organique plus faible, il est essentiel de renforcer le taux de profit dans les centres capitalistes. De ce fait, l’impérialisme n’est pas une simple politique que les capitalistes pourraient changer à leur convenance.

Au départ, l’impérialisme est caractérisé par l’érection de barrières douanières et la conquête de colonies : la recherche d’une place, sa « place au soleil ». Lénine était fermement convaincu que les colonies étaient la constituante essentielle du système impérialiste. Il prenait pour acquis qu’un processus de décolonisation ferait avancer la révolution et l’accélérerait.

Cependant, la fin du colonialisme en Afrique et en Asie, après la Deuxième Guerre, n'eut pas cet effet. À la place des vieilles puissances coloniales a surgi, non seulement de nouvelles superpuissances comme les États-Unis et l’URSS entrèrent dans l’arène, mais encore une nouvelle forme d’impérialisme que certains ont décrit comme du néo-colonialisme. Les mécanismes que les pays dominants dans le capitalisme utilisent pour assurer leur domination varient. La bourgeoisie des pays périphériques est, dans tous les cas, forcée de jouer selon les règles commerciales et financières des impérialistes dominants. Les capitalistes de la périphérie n’ont peut-être pas le même accès à la même masse de capital – en comparaison de leurs rivaux impérialistes plus puissants – mais ils sont tout aussi poussés à maximiser leurs profits. Comme le reste de la bourgeoisie mondiale, elle exploite le prolétariat qui lui est attribué – mais aussi le prolétariat mondial (par le biais de capital investi dans la dette des gouvernements occidentaux ou déposé dans des comptes de banques étrangers).

La conséquence ultime de l’impérialisme est la guerre, c’est-à-dire la continuation des rivalités économiques à l’aide de moyens militaires. Une crise économique du style de celle du 19è siècle ne dévalue plus suffisamment de capital pour relancer un nouveau cycle d’accumulation. Seule une destruction et une dévaluation massives provoquées par la guerre mondiale peut aujourd’hui le permettre. La tâche réelle et objective de la guerre mondiale, à notre époque, réside dans ce fait. Bien entendu les capitalistes ne décident pas consciemment de faire la guerre dans ce but mais, outre les diverses justifications politiques ou stratégiques, c’est la rivalité impérialiste elle-même qui suscite constamment la guerre. Les conséquences ont pour effet que le capitalisme se trouve ainsi confiné dans le cercle vicieux des crises, des guerres et des reconstructions. Le fait que les guerres soient ainsi devenues une partie essentielle du système capitaliste démontre que celui-ci a depuis longtemps fini de jouer son rôle progressiste dans l’histoire.

Le capitalisme d’État.

Le capitalisme est entré dans une nouvelle phase avec la catastrophe de la première guerre mondiale. La centralisation et la concentration continuelles du capital menaçaient maintenant des secteurs importants de certaines économies nationales. Ainsi, l’État fut contraint non seulement d’intervenir à l’externe (impérialisme), mais aussi à l’interne dans le but d’empêcher les pires effets économiques et sociaux du système. Ce capitalisme d’État, comme l’impérialisme, est passé par plusieurs étapes. L’État commence maintenant à jouer un rôle dans l’accumulation du capital, ce qui aurait été impensable durant les rivalités du capitalisme au 19ème siècle. Cependant, dans la mesure où la baisse tendancielle du taux de profit menace de plus en plus les sphères dominantes de l’économie nationale, l’intervention de l’État est devenue centrale et significative.

La tendance vers le capitalisme d’État fut particulièrement illustrée par la faillite de la Révolution russe de 1917. La Révolution d’Octobre promettait une nouvelle société dans laquelle la classe ouvrière prendrait en main son destin. À cause de l’isolement de la Révolution russe dans un seul pays, dans lequel, en plus, la classe ouvrière était minoritaire, ses espoirs ne furent pas comblés. On se débarrassa en effet de la propriété privée des moyens de production au maximum, mais ce ne fut pas pour les socialiser mais bien les transformer en propriété de l’État. Les catégories capitalistes comme le travail salarié, l’argent et l’exploitation furent maintenues. Une nouvelle classe dominante se recruta elle-même, au sein des carriéristes du parti communiste bureaucratisé, et imposa au prolétariat une exploitation brutale. Ce mythe à savoir que l’URSS était socialiste et que l’étatisation représentait le socialisme fut une des illusions de l’époque. Seule la gauche communiste en est arrivée à comprendre que l’URSS était une forme particulière de capitalisme d’État. L’idée que l’État puisse modérer tous les crimes du capitalisme mena également à une large intervention de l’État à l’Ouest après 1945.

Ce fut l’époque du prétendu « État-Providence », qui a même parfois été célébré comme « solution de la question sociale » par les propagandistes de la classe dominante. Même si à ce stade du capitalisme, des concessions importantes ont pu être faites à la classe ouvrière, « l’État-Providence » ne fut jamais une entreprise de charité. Sa nature est plutôt celle d’un instrument répressif de contrôle et de neutralisation. En nationalisant des industries clés en difficulté, les principales puissances capitalistes ont tenté d’assurer leur survie. Cependant, lorsque la crise du système d’accumulation refit surface au début des années 70, on assista alors à une crise de l'Etat providence.

La crise

Au début des années 70, le cycle d’accumulation relancé suite à l’anéantissement massif de capital constant, provoqué par la 2ème Guerre Mondiale, prit fin. La crise s’est manifestée, en 1971, par la dissociation du dollar de sa valeur qui était alors exprimée en or (de ce fait le cours de l’étalon-or a été forcé). Pour contrebalancer la chute du taux de profit, le capital s’est appuyé sur la restructuration du processus productif (par exemple, l’introduction des micro-processeurs) et une augmentation massive du taux d’exploitation.

Au cours de cette restructuration, des secteurs-clés du prolétariat industriel dans les métropoles furent sévèrement fragmentés. Des usines fermèrent et la production fut transférée dans des régions où les salaires sont plus bas, comme en Asie et en Amérique latine. Le flot de capital japonais et occidental fut renforcé dans ces régions. En conséquence, l’usine cessa d’être le point de référence et de départ de la résistance et de l’expérience prolétarienne, du moins dans les pays occidentaux.

La composition de classe a été profondément transformée. De plus en plus de gens travaillent à présent dans le secteur des services. Même s’ils ne produisent pas directement de plus-value, ces individus sont tout aussi exploités que les autres travailleurs et font donc partie de la classe ouvrière. L’expansion du soi-disant travail autonome et les conditions d’emploi précaires impliquent de nouvelles exigences face au développement de la résistance prolétarienne.

Un phénomène additionnel peut être observé par le gonflement exorbitant du secteur financier. Ce secteur s’approprie la plus-value produite dans l’économie mondiale. Dans ce cas, comme par magie, l’argent semble créer une nouvelle valeur sans entrer dans le processus de la production de marchandise. La baisse du taux de profit moyen mène à une situation où la plus-value n’est plus réinvestie en capital productif mais utilisée pour la spéculation. Cela a mené à une spéculation massive de marchandises telles que l’immobilier, l’alimentation, l’énergie et bien d’autres ont gonflé extraordinairement. Les bulles spéculatives et leur éclatement éventuel sont le symptôme du problème fondamental de la baisse de profitabilité moyenne du capital. Elles ne réduisent pas les causes de la crise. Elles confèrent des gains considérables à une poignée de super-riches mais, à long terme, elles mènent à un endettement grandissant, à d’autres bulles spéculatives, et à une instabilité croissante.

Pendant ce temps, la crise actuelle est devenue la plus longue après la grande dépression de 1873-1896. Comme les crises précédentes, elle est caractérisée par des mini-reprises et des rechutes encore plus profondes. Elle constitue la base des rivalités impérialistes, de la compétition croissante, et des changements d’alliance par lesquels tous cherchent à placer le fardeau sur l’épaule de l’autre. Jusqu’à maintenant, la classe dominante a su prévenir à la fois les soulèvements sociaux décisifs et l’effondrement complet de son système. Néanmoins, ce fut au coût d’un état d’endettement grandissant qui menace de faire éclater le système tout entier. La nécessité pour tous les États de réduire cet endettement mène à la réduction drastique des subventions – de même que dans les dépenses sociales et dans l’éducation. Le capitalisme a failli trouver une issue à sa crise d’accumulation structurelle, tant au niveau des dépenses que des coupes sociales. La présente crise prépare une catastrophe générale encore plus grande dans le futur. Si le système capitaliste est en mesure de poursuivre sa route sans opposition, alors l’humanité sera à nouveau plongée dans une guerre mondiale et, de facto, dans la barbarie. Pour cette raison, le communisme ne représente pas seulement une belle idée mais une nécessité réelle pour l’humanité.

La perspective communiste

Régulièrement, les apologistes de la classe dominante se scandalisent des horreurs du capitalisme monopoliste mais ils continuent d’affirmer qu’il n’y a pas d’autre alternative. Ceux-ci admettent que le capitalisme n’est pas forcément le meilleur système social mais ils martèlent ensuite que c’est le seul système possible. Les marxistes révolutionnaires qui appuient leurs analyses en observant l’histoire entière du développement humain et l’expérience de la lutte des classes sont en mesure de mettre en évidence leurs mensonges. L’humanité peut éviter les horreurs et la misère de ce système social pourri; mais seulement si ce système est renversé et remplacé par une société – sans exploitation – basée sur la satisfaction des besoins humains.

Une telle société ne peut être créée que par la révolution internationale de la classe ouvrière. Cette alternative sociale, nous continuons de la nommer Communisme – malgré tout le dénigrement, les multiples distorsions, et les fausses interprétations que peut signifier ce terme utilisé par ceux qui ont déguisé leurs basses œuvres sous cette appellation. Le socialisme ou le communisme (pour Marx, ces concepts sont des synonymes) n’est pas une condition ou un programme qui peut être mis en pratique grâce aux décrets d’un parti ou d’un État. Il représente un mouvement social cherchant à rompre de façon consciente avec les relations qui l’enchaînent au capital, se libérant ainsi de l’État, de la production marchande et de la loi de la valeur.

Alors que les révolutions précédentes n’avaient que remplacé une forme d’exploitation par une autre, la révolution communiste sera la première qui éliminera toute forme d’exploitation et de répression. En tant que seul créateur de la richesse sociale, la classe ouvrière ne peut s’émanciper elle-même qu’en se débarrassant de toutes les classes.

Le communisme détruira l’État capitaliste et mettra fin aux frontières nationales. Il éliminera l’argent, le travail salarié et la production marchande. Le communisme signifie la fin du contrôle des moyens de production par une classe privilégiée. Pour cette raison, le communisme est synonyme de libération du prolétariat de toutes les formes d’exploitation. Cette émancipation ne peut être que le produit de la classe ouvrière elle-même.

2) La lutte de classe du prolétariat

Même si les contradictions économiques du système capitaliste provoquent des crises économiques les unes après les autres, le système ne s’écroulera pas de lui-même. Le renversement du capitalisme ne peut être accompli que par la classe qui est exploitée à travers le monde : la classe ouvrière. Lorsque nous parlons de la « classe ouvrière », nous ne voulons pas parler de cette figure abstraite, aux mains calleuses, vêtue de bleu de travail, et qui est encore malheureusement idolâtrée par les dinosaures du vieux mouvement ouvrier et autres sociologues industriels. Pour nous, tous ceux et celles dépendant d’un salaire, ne disposant d’aucun pouvoir sur les moyens de production et devant accomplir un travail aliéné, appartiennent à la classe ouvrière. Cette classe représente un élément indispensable au mode de production capitaliste. Par ailleurs, cette classe – qui produit collectivement et à qui on interdit l’accès aux fruits de son travail – est en même temps « le fossoyeur de la société capitaliste ».

Les capitalistes le comprennent très bien et ne cessent de nier la contradiction entre le travail salarié et le capital, et donc, la lutte des classes. Dans les phases ascendantes du capitalisme, une ribambelle de charlatans payés (les Bernstein, Burnham et les Marcuse) affirme que la classe ouvrière n’existe plus puisque l’amélioration des conditions de vie a « embourgeoisé » les travailleurs et les travailleuses. Lorsque le capitalisme se trouve en crise, on nous dit (les Gorz, Hobsbawm, etc.) que la classe ouvrière n’existe plus puisque les nouvelles technologies l’ont rendue caduque. Lorsque l’époque est à une relative paix sociale, de telles théories deviennent très populaires mais elles finissent toujours réfutées par une nouvelle vague de lutte.

La lutte économique de la classe ouvrière

Puisque les crises se poursuivent et se ressemblent, la bourgeoisie est continuellement contrainte d’attaquer la classe ouvrière. Ainsi, de plus en plus de personnes sont mises à pied suite aux diverses « rationalisations »; le chômage fait des ravages; et de moins en moins de travailleurs et travailleuses trouvent de l’emploi. Par ailleurs, ceux et celles ayant un travail subissent plus de pression, ont des journées de travail plus longues, et sont soumis à des compressions salariales.

La classe ouvrière peut battre en retraite, au début, face à ces attaques capitalistes; mais le caractère même de la production capitaliste finit par la contraindre à se défendre contre cette exploitation capitaliste. Cette lutte ne peut triompher que si la classe ouvrière atteint l’unité et la solidarité nécessaires pour repousser ces attaques. La signification de ces luttes ne devrait jamais être ni dénigrée ni surestimée. Les luttes sont importantes et nécessaires pour que la classe ouvrière redécouvre à la fois ses intérêts et sa force collective en tant que classe. Par ailleurs, les luttes seules ne règlent pas le problème. En fait, bien que chaque gain remporté par la classe dans sa lutte économique soit important, il n’en demeure pas moins qu’il ne représente qu’un gain temporaire. La véritable défense des intérêts ouvriers nécessite en réalité que cette défense devienne une offensive dirigée contre le système d’exploitation tout entier.

La conscience de classe

Le capitalisme, en crise permanente, menace de plonger l’humanité dans une misère encore plus grande et d’une guerre généralisée. Mais celui-ci ne s’écroulera pas de lui-même et ne peut pas, non plus, être transformé progressivement. Le renversement de ce système – l’émancipation de la classe ouvrière par l’abolition consciente de sa relation au capital à l’échelle mondiale – est la condition essentielle pour l’éradication de l’exploitation et de la répression.

La bourgeoisie a été capable de développer les rapports de production capitalistes à l’époque du féodalisme en luttant pour la défense du commerce libre et contre les restrictions féodales (les lois des guildes et les monopoles mercantiles, etc.) pour que chaque pas dans le développement économique de la bourgeoisie « soit accompagné par un progrès politique correspondant de cette classe. » (Marx).

Contrairement à la bourgeoisie, le prolétariat est une classe exploitée qui produit de façon collective. Il n’a aucune propriété à défendre. Le mode de production communiste ne peut donc pas se développer à l’intérieur du système capitaliste. Il nécessite en premier lieu le renversement politique de la bourgeoisie par la lutte consciente et active de la classe prolétarienne. C’est seulement lorsque la classe ouvrière aura arraché le pouvoir à la bourgeoisie qu’elle pourra entreprendre la tâche de la réorganisation économique de la société.

Tout le reste ne serait en fait que du réformisme. Cependant, ceci soulève une série de problèmes. Si, comme Marx le déclare, « les idées de la classe dominante sont aussi à toutes les époques les idées dominantes » (L’idéologie allemande), alors comment la classe ouvrière peut-elle devenir consciente de la nécessité d’en finir une fois pour toutes avec le capitalisme ?

Par son contrôle sur l’appareil de répression et sa domination idéologique, le règne bourgeois peut nous apparaître indétrônable. Aussi longtemps que les capitalistes arrivent à gérer plus ou moins efficacement la crise et parviennent à maintenir les luttes ouvrières isolées les unes des autres, en les contenant sur le terrain de la bourgeoisie, leur domination est relativement assurée. Cependant, la lutte des classes ne cesse jamais, même si dans certaines phases historiques, elle peut se manifester plus faiblement. Occasionnellement, les luttes se déchaînent ouvertement et, dans certaines circonstances, elles peuvent prendre l’amplitude d’insurrections (comme celles de Paris lors des Jours de juin en 1848, et lors de la Commune en 1871), de grèves de masses, et même de révolutions (comme celles de l’Europe de 1904-1905 et comme la Révolution russe de 1917).

Mais les révoltes seules ne suffisent pas à renverser la domination capitaliste. Si la classe ouvrière n’est pas déjà préparée politiquement et n’a pas mis au point son propre programme, les diverses forces de la bourgeoisie finiront par intervenir et par laisser leurs empreintes sur les événements, en empruntant simplement une espèce de jargon ouvrier à la sonorité pseudo-radicale. L’histoire a déjà assez démontré que, même lorsque les travailleurs et les travailleuses passent à l’offensive, ils peuvent oublier les leçons de leur propre expérience de lutte s’ils et elles ne se dotent pas d’une expression politique organisée. La lutte économique de la classe ouvrière pose en effet le problème perpétuel de l’exploitation; mais cela ne nous apporte aucune réponse à savoir comment l’exploitation peut être surmontée. En raison de son rôle dans le mode de production et de sa capacité à s'organiser, le prolétariat est en mesure de mieux comprendre l'exploitation capitaliste. Néanmoins, à cause de la domination idéologique de la bourgeoisie, le processus par lequel le prolétariat acquiert cette conscience n’est pas linéaire.

Dans la société de classe capitaliste, le niveau de conscience de la classe ouvrière est nécessairement fragmenté du fait des diverses divisions en branches, en groupes d’occupation, en nations et en genres. La classe ne possède donc pas une capacité de conscience unique, qui se serait développée de façon égale et uniforme. Les circonstances par lesquelles certains prolétaires et fractions de la classe ouvrière développent la conscience de classe à certains moments spécifiques, et à des degrés divers, nous permettent de conclure que la conscience de classe ne peut se consolider et se développer que dans une structure organisationnelle. C’est seulement grâce à l’organisation politique des prolétaires – ceux qui voient dans le capitalisme une simple société d’exploitation transitoire qui ne fait que passer dans l’histoire – que les idées dominantes, qui sont toujours les idées de la classe dominante, seront combattues et brisées. En généralisant politiquement les éléments de conscience qui émergent dans les luttes quotidiennes contre l’exploitation, une organisation politique peut contribuer à ce que la théorie communiste devienne « une force matérielle » agissant pour mettre fin à l’état bourgeois et à l’exploitation. Étant donné toute l’emprise de l’idéologie bourgeoise, une lutte politique aussi consciente ne se développera pas simplement, de façon spontanée, dans les luttes quotidiennes de la classe.

L’organisation des révolutionnaires

Dans le but de réussir la lutte pour le socialisme, il est nécessaire d’incorporer les éléments les plus conscients de notre classe dans un parti révolutionnaire. Le parti de classe révolutionnaire ne peut être ni un cercle d’intellectuels isolés, ni une organisation de masse populiste. Il est l’expression organisée de la minorité marxiste consciente de notre classe. Sa tâche consiste à évaluer ainsi qu’à généraliser les expériences tirées des luttes et de leur défense pour, au bout du compte, développer plus en avant le programme révolutionnaire. Pour cette raison, il devient un instrument politique indispensable qui permet de donner une orientation et une perspective politiques aux luttes de la classe. L’organisation des communistes est fondamentalement différente des formations et partis bourgeois. Plutôt que l’obéissance aveugle et passive, celle-ci exige à la fois de ses militants et militantes une compréhension approfondie du programme communiste ainsi que la dissémination active et la défense des positions révolutionnaires au sein de la classe ouvrière. Même si le parti doit jouer un rôle organisationnel dans le processus révolutionnaire, sa tâche est essentiellement politique. Si, par exemple, les conditions pour la révolution se développent (un événement pour lequel l'enracinement du parti au sein de la classe est une condition de base), sa tâche comprend la réalisation des préparations nécessaires à la révolution. Néanmoins, il ne doit jamais tenter d’entreprendre une insurrection seul, et/ou à la place de la classe ouvrière (et ne devrait même jamais y penser). Nous rejetons la notion selon laquelle le parti révolutionnaire peut se substituer à la classe dans la prise du pouvoir. La révolution communiste ne peut être que l’œuvre de l’immense majorité du prolétariat.

Les organes de la ‘’démocratie prolétarienne’’ seront les conseils et les assemblées de masses qui seront basés sur l’élection et la révocabilité de ses délégués. Néanmoins, ces organes ne pourront se développer en organes véritables du pouvoir prolétarien en l’absence d’un programme politique visant à renverser la société de classe. Un programme de la sorte ne tombe pas du ciel mais émerge plutôt des efforts conscients de la partie de la classe ouvrière qui a su tirer les leçons des luttes passées et s’est réunie à l’échelle internationale dans un parti révolutionnaire mondial.

Cependant, le parti révolutionnaire mondial n’est pas un instrument de domination mais plutôt un instrument pour clarifier et généraliser politiquement le programme communiste. Telle est la plus importante leçon que la Gauche Communiste a tiré de la faillite de la Révolution russe :

Il n’y a pas de possibilité d’émancipation de la classe ouvrière ou de l’établissement d’un nouvel ordre social, à moins que cela n’émerge de la lutte des classes. Le prolétariat ne devrait jamais abandonner son rôle dans la lutte à aucun moment et pour aucune raison. Il ne devrait pas déléguer sa mission historique à d’autres, ni transférer ses pouvoirs-même pas à son propre parti politique.

Plateforme politique du Parti Communiste Internationaliste, 1952

Il est peu probable que la révolution mondiale triomphe partout au même moment. La tâche du parti n’est pas l’administration d’un quelconque avant-poste prolétarien; au contraire, sa tâche est de travailler sans cesse à répandre la révolution internationale. Puisque la lutte pour le socialisme doit nécessairement être conduite à l’échelle internationale, le parti doit avoir une structure et une influence internationales ainsi qu’être bien enraciné au sein de la classe. Le prolétariat n’a pas de patrie; il en va de même pour l’organisation des communistes.

3) La Lutte pour l’Autonomie de Classe

La bourgeoisie a beaucoup intérêt à utiliser les différences existantes dans la classe ouvrière pour la diviser. Les travailleurs et les travailleuses, qui sont en conflit et entretiennent une relation compétitive entre eux, ne peuvent se défendre contre l’oppression. Une classe ouvrière divisée devient aisément l’objet d’exploitation et, au final, de la simple chair à canon pour les guerres de notre époque impérialiste.

La classe dominante est également capable de se servir de diverses idéologies et de tout un réseau de relations traditionnelles de domination. Ces formes d’oppression existaient déjà dans les sociétés de classes précédentes; mais sous le capitalisme, elles ont pris une autre forme qui correspond aux intérêts du système. La prolifération et le maintien des divisions au sein du prolétariat – entre travailleurs immigrants et autochtones, hommes et femmes, hétéros et homosexuels, cis- et transgenres, etc. – représentent le rempart sur lequel se dresse la classe dirigeante pour assurer sa domination. L’exacerbation des préjugés et la bigoterie ont toujours été des instruments idéologiques essentiels à la bourgeoisie. Il s’avère donc important et nécessaire pour les communistes de s’opposer fermement à toutes les formes d’oppression et toutes les mystifications idéologiques de la domination de classe.

Le Nationalisme et le Mythe de la ‘’Libération Nationale’’

En temps de guerre et de paix, la bourgeoisie s’efforce de faire en sorte que les travailleurs s’identifient à leur ‘’propre pays’’. Depuis des générations, on nous a appris que ‘’nos emplois’’ sont en péril et que nous les perdrons si nous ne travaillons pas plus fort. Le même message est enfoncé dans la gorge de travailleurs et des travailleuses du monde entier.

En temps de guerre, la bourgeoisie souhaite également l’effort de guerre du prolétariat afin que nous nous massacrions entre nous pour le «bien de la patrie ». La nation est un concept essentiel de la domination bourgeoise. La nation masque le caractère de classe du système et donne l’impression que l’ordre existant n’est rien d’autre que l’expression de l’intérêt commun « du peuple ». Le nationalisme implique inévitablement l’assujettissement du prolétariat à sa « propre » bourgeoisie. À notre époque – celle de l’impérialisme – le règne du capital s’étend à l’ensemble du globe. Le concept selon lequel il y a encore une ‘’possibilité de développement national’’ spécifique et de processus de ‘’démocratisation non achevé’’ est, non seulement absurde, mais encore réactionnaire à tous les niveaux.

La Gauche communiste internationaliste n’a jamais soutenu les prétendues ‘’luttes de libération nationale’’. Certains affirment que ces luttes représentent un pas en avant contre la répression et sont donc, par essence, anti-impérialistes. S’il est bien vrai qu’on retrouve des minorités opprimées dans plusieurs pays, il est cependant aberrant de penser que ces minorités ont quoi que ce soit à gagner en s’identifiant à leurs propres classes dominantes ou à certains éléments de la bourgeoisie. Exiger de la classe ouvrière qu’elle prenne part à un quelconque mouvement national signifie l’enrôler dans l’effort de guerre nationaliste et, en bout de course, conduit celle-ci vers le grand abattoir du capitalisme. Ces luttes se valent toutes les unes les autres et ne sont pas du tout anti-impérialistes. Les mouvements nationalistes sont indissociables de la structure de pouvoir impérialiste puisque ceux-ci dépendent de commanditaires et de supporteurs autour d’eux afin de développer leurs puissances de feu militaires. Peu importe quel sera le nouvel « État libéré », suite à une lutte victorieuse pour « l’indépendance », celui-ci ne pourra jamais pleinement se retirer de la dynamique des relations impérialistes que constitue l’économie mondiale.

Aucun État ne peut aujourd’hui se développer indépendamment et au-delà des besoins inhérents du marché mondial et, par le fait-même, de la compétition capitaliste. Nous répondons à ceux et celles qui avancent sans cesse l’argument selon lequel Marx soutenait certaines luttes pour l’indépendance, ou selon lequel Lénine défendait le droit des nations à l’auto-détermination, par l’affirmation qu’un ‘marxisme’ aussi ankylosé n’a rien à voir avec le marxisme. Marx écrivait à l’époque où le capitalisme commençait tout juste à se développer ; alors que la classe ouvrière était encore en expansion, et que de nouvelles technologies et machines voyaient le jour. Dans ce contexte, Marx et Engels soutenaient ces mouvements nationaux puisqu’ils croyaient que ceux-ci accéléreraient le renversement du féodalisme et des structures précapitalistes. Dans cette phase ascendante du capitalisme, il y avait encore place à la formation d’États capitalistes indépendants et donc, avec ceux-ci, place encore au développement du prolétariat, futur et seul fossoyeur du capitalisme.

Mais à l’époque de l’impérialisme, la marge de manœuvre pour ‘’l’indépendance nationale’’ est contrainte par des frontières étroites. C’est Rosa Luxemburg, et non Lénine, qui a le mieux compris cette réalité (malgré son analyse erronée des racines de l’impérialisme). Le développement ultérieur du capitalisme au début du 20ème siècle a confirmé la justesse de la position de Luxembourg sur la question nationale. Lénine pensait que la lutte politique des pays coloniaux ébranlerait les fondements même des puissances impérialistes. Dans la foulée de la décolonisation qui a suivi la deuxième guerre mondiale, ces espoirs ne furent cependant pas réalisés. La décolonisation n’a guère changé la structure du pouvoir économique. Dans plusieurs cas, l’indépendance des anciennes colonies résulta simplement en une lutte de pouvoir inter-impérialiste alors que les États-Unis triomphaient contre les anciennes puissances coloniales.

La bourgeoisie des pays périphériques peut parfois se retrouver affaiblie, au bas de la hiérarchie impérialiste. Elle peut utiliser toute une panoplie de rhétoriques ‘’anti-impérialistes’’ et faire appel à la démagogie sociale; mais cela ne change aucunement le fait qu’elle n’est qu’une partie intégrante de la domination capitaliste mondiale sur la classe ouvrière. Pour cette raison, les prétendus mouvements de ‘’libération nationale’’ ne représentent en réalité que les intérêts des courants et des fractions bourgeoises et ne sont donc rien d’autre qu’un alignement inter-impérialiste en perpétuel affrontement contre la classe ouvrière. Toutes les théories et tous les discours en vue d’une ‘’libération nationale’’ ou pour le ‘’droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’’ ne font qu’exacerber les divisions nationales au sein du prolétariat et l’assujettir au contrôle bourgeois.

Aujourd’hui, l’anti-impérialisme ne peut représenter autre chose qu’un ultime combat contre le système tout entier. Les exploités et opprimés de ce monde ne peuvent lutter pour leur libération que sur la base de leurs intérêts de classe autonome. En tant qu’internationalistes, il est impossible de concevoir la solidarité entre peuples, États, ou nations. Il n’est seulement possible que de se solidariser avec des êtres humains concrets dans leur confrontation sociale. Notre objectif est l’unification de la lutte du prolétariat international puisqu’il représente la seule perspective pour mettre un terme à toutes formes d’oppressions et de discriminations.

L’oppression des femmes

Exploitation, travail ménager, discrimination, violence sexuelle – telle est la réalité quotidienne de millions de femmes prolétaires de par le monde. L’oppression des femmes prend souche dans la division de la société entre classe de propriétaires et classe sans propriété. Elle représente une relation d’oppression spécifique qui affaiblit la classe ouvrière dans son ensemble.

Les femmes représentent plus de la moitié de la population mondiale, mais elles accomplissent la majorité du fardeau social. Depuis toujours, le fardeau domestique lié à la reproduction (élever les enfants, travaux ménagers…) est principalement porté par les femmes. Même lorsque les femmes occupent un travail salarié, celui-ci est en moyenne considérablement moins élevé que celui des hommes. Les femmes sont toujours les premières à ressentir le plus durement les attaques du capitalisme sous forme de guerres, famines, compressions sociales, et licenciements massifs. La bourgeoisie a beau parlé de lois sur l’égalité; elle a beau parlé de ‘’libération sexuelle’’; en réalité, aujourd’hui comme avant, les femmes continuent d’être privées de droits fondamentaux. Elles sont encore privées du droit à l’avortement dans diverses législations et également encore privées du droit à l’auto-détermination de leur propre corps. Ceci, de concert avec le développement diffus d’une moralité sexuelle réduisant les femmes à leur rôle de mère pour élever la famille nucléaire bourgeoise telle un modèle social.

D’autre part, le corps et la sexualité des femmes sont morcelés à tous les niveaux de « l’industrie culturelle» comme une marchandise dont on peut tirer profit, que ce soit sous formes plus ou moins socialement acceptables comme dans la publicité, ou plus nettement comme dans la pornographie et la prostitution. Tout cela contribue à l’oppression des femmes – qui observent ainsi leur quotidien par le prisme de la conscience bourgeoise en essayant de le normaliser – et contribue donc également à sa reproduction quotidienne à tous les niveaux de la vie sociale.

Dans la période qui a suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les femmes ont malgré tout acquis des gains importants pour améliorer leur condition; mais ce n’étaient que des victoires à court terme dues principalement au boum économique et aux besoins du capitalisme. Ces gains furent menacés lors du retour de la crise, alors que la position des femmes sur le marché du travail se dégrade et qu’apparaissent diverses campagnes idéologiques pour le retour aux valeurs familiales.

Il est vrai que le capitalisme a posé le fondement de la libération des femmes en permettant leur entrée sur le marché du travail et leur participation à la vie sociale; mais néanmoins, l’oppression des femmes ne peut être renversée au sein des relations capitalistes. Aujourd’hui comme hier, les racines de l’oppression des femmes se situent dans la famille, le dernier bastion des relations de propriété bourgeoise. Le développement du capitalisme a sans aucun doute affaibli l’institution de la famille. Dans les pays capitalistes dominants, au moins, les excès les plus grossiers de l’oppression patriarcale peuvent être endigués par certaines législations comme le droit au divorce et la criminalisation du viol et de la violence au sein du mariage. Cependant, le capitalisme n’est pas en mesure d’aller au-delà de la famille en tant qu’unité fondamentale de socialisation. L’émancipation des femmes ne peut être réalisée que dans une société où les tâches comme l’éducation des enfants, le travail ménager ainsi que le soin des malades et des personnes âgées font partie de l’activité sociale collective. L’émancipation des femmes est intrinsèquement liée à la création d’une société socialiste et à la libération de la classe ouvrière dans son ensemble. Néanmoins, la lutte contre les discriminations sexistes ne peut être retardée après la révolution. C’est une tâche fondamentale, pour les révolutionnaires, de combattre sans répit les conceptions réactionnaires – et les modèles de comportement – au sujet des femmes. Nous nous opposons à la glorification de la famille et du mariage bourgeois, noyau de l’oppression patriarcale et de la discrimination basée sur des orientations sexuelles non-conforme à la morale sexuelle dominante bourgeoise.

Contrairement aux féministes bourgeoises, nous ne pensons pas que le sexisme puisse être modéré ou aboli par de quelconques règles de comportement individuel ou des quotas imposés par l’appareil d'État. En ignorant la division de la société en classes, ce féminisme masque la contradiction des intérêts entre les femmes bourgeoises et les femmes prolétaires; et finit par se révéler n’être qu’un cul-de-sac réactionnaire. La lutte contre l’oppression des femmes n’est pas pour nous qu’une simple affaire réservée aux femmes mais, au contraire, est aussi un moyen et une pré-condition pour la réalisation de l’unité de classe. L’organisation révolutionnaire doit entreprendre tous les pas requis pour assurer la pleine participation du plus grand nombre de femmes possible dans le mouvement communiste. Il n’y a pas de socialisme sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans socialisme.

Le Racisme

Le racisme, l’oppression et la discrimination contre des êtres humains, sur la base de caractéristiques qu’on leur attribue, est une des manifestations les plus répugnante de la société bourgeoise. Ce n’est pas une relique du passé, ni même un phénomène humain naturel, mais une idéologie de l’oppression avec une histoire spécifique et une fonction sociale particulière. Le racisme s’est développé dans le sillon du colonialisme et du développement du système économique capitaliste. À la différence des autres idéologies d’exclusion, la dévaluation d’autres personnes était maintenant liée à des traits et caractéristiques déclarés inaltérables.

Le racisme a pris de nombreuses formes et aspects dans son histoire mais, toujours de la même façon, il n’a servi qu’à justifier idéologiquement l’exploitation et l’oppression de la classe dirigeante. Le racisme n’est donc pas simplement une obscénité morale mais, au contraire, un principe organisationnel essentiel de la société capitaliste. La structure de l’économie capitaliste et sa préservation exige des prolétaires qu’ils se considèrent entre eux comme de simples compétiteurs par rapport à l’emploi, au logement, à l’accès aux institutions scolaires, etc. C’est un piège important pour la pénétration des idées nationalistes et racistes dont Karl Marx avait déjà observé les effets au 19ème siècle :

Ce qui est primordial, c'est que chaque centre industriel et commercial d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande.
Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente.

Lettre de Marx du 9 avril 1870 adressée à Siegfried Meyer et August Vogt, New York

De cette façon, le racisme fragilise considérablement l’unique façon possible de résister avec succès à toutes les contraintes quotidiennes que nous impose le système : la solidarité de classe. En dépit de l’internationalisation du capitalisme, la bourgeoisie exerce tout de même sa domination par le biais d’États nationaux. Par ailleurs, le prolétariat est quant à lui une classe internationale, une classe migrante. Chaque division affaiblit sa lutte et resserre les mécanismes de l’exploitation. Pour cette raison, c’est une tâche urgente des communistes de lutter sans compromis contre les idées racistes.

Notre opposition au racisme n’a rien à voir avec les projets de réformes paternalistes des propagandistes du multiculturalisme qui ne cherchent que les accommodements culturelles et – dans le cadre de leur propre racisme qu’ils appellent « tolérance » – ne font au final que tolérer les ‘’différences culturelles’’ pouvant être digérées par la population locale. La division dans la classe ouvrière ne peut être surmontée par une simple conformité des « minorités étrangères » à la culture dominante qui prévaut. Nous rejetons donc toute notion soi-disant positive « d’intégration » ou « d’assimilation ». Ce genre de concept repose sur des préjugés bourgeois qui ne cherchent qu’à faire prévaloir une culture nationale et une langue.

Pour surmonter les divisions racistes, la minorité consciente doit mettre en avant une politique favorable aux secteurs les plus opprimés de notre classe. Une action sans compromis contre les sottises racistes, la discrimination, les lois d’exception et les pratiques administratives, est la condition de base essentielle pour que se réalise l’unité de notre classe. La classe ouvrière n’a ni pays, ni culture nationale à défendre. La seule issue au cycle infernal de l’exploitation consiste à renverser le système capitaliste qui engendre le racisme et le reproduit quotidiennement.

Le fascisme

Le fascisme n’est qu’une réponse de la bourgeoisie à l’accentuation et au renforcement du mouvement ouvrier après la Première Guerre mondiale. Historiquement, le fascisme s’est développé comme le mouvement de la petite bourgeoisie radicalisée qui sentait son existence menacée autant par la crise du capitalisme que par les luttes de classes du prolétariat. Par son attitude militante et une étrange propagande mêlant à la fois un nationalisme agressif, un antisémitisme et une démagogie sociale, le fascisme a su gagner une influence massive, même à l’extérieur de ses cercles. Mais ce fut moins son programme réactionnaire éclectique que sa terreur contre les organisations du mouvement ouvrier qui encouragea certains secteurs de la bourgeoisie à exploiter les mouvements fascistes pour leurs propres objectifs.

Pour le capitalisme ébranlé par la crise, le fascisme s’est révélé une option pour régler toutes les luttes révolutionnaires de la classe qui menaçaient les fondements-mêmes du système; et une relance de l’économie qui obligeait d’organiser la société de façon corporatiste et centralisée. En tuant dans l’œuf la lutte de la classe ouvrière, en écrasant toute forme d’opposition et en assujettissant toute les aires de la société au contrôle étatique, le fascisme s’est révélé être une forme particulièrement autoritaire de la dictature du capital.

Les crimes bestiaux du fascisme ont démontré encore une fois la brutalité inhumaine dont est capable le capitalisme dans son cycle impérialiste de crises et de guerres. Pour cette raison, ce n’est pas un hasard si certains moralistes à la solde de la bourgeoisie essaient de nous présenter le fascisme comme une simple révolte anti-bourgeoise ou comme la forme la plus extrême de la société bourgeoise. Face à l’horreur pratiquement incompréhensible de l’holocauste, de tels arguments peuvent, à première vue, sembler plausibles. Néanmoins, ces arguments ne servent qu’à dissimuler la relation de symbiose entre fascisme et démocratie. Il ne fait aucun doute que les fascistes poussent le racisme à son niveau le plus extrême; mais ni le racisme, ni l’antisémitisme et le nationalisme ne sont des inventions du fascisme. Au contraire, ils sont des éléments essentiels pour la société capitaliste. Quant aux fascistes, ils ne sont ni externes ni opposés aux relations capitalistes dominantes. Ils utilisent plutôt le ressentiment et les idéologies que nos dirigeants propagent quotidiennement dans le but de les exacerber à leur façon. Pour cette raison, les communistes combattent le fascisme comme toutes les autres formes de domination bourgeoise.

Le cul-de-sac de l’antifascisme, contre tous les fronts unis et fronts populaires

Pour la classe ouvrière, il est absolument nécessaire de résister à l’émergence des fascistes et à leurs attaques. Mais pour ce faire, une telle lutte ne peut réussir que si elle demeure sur des positions claires de classe. La résistance au fascisme doit faire partie d’une lutte anticapitaliste globale pour vaincre toutes les formes de dominations bourgeoises. Nous rejetons toute participation dans les diverses ligues antifascistes et les campagnes pour la « défense de la démocratie ». Celles-ci représentent des culs-de-sacs réactionnaires visant à enchaîner la classe ouvrière à la remorque des États dits ‘’démocratiques’’ mais toujours bourgeois. Toute la logique de l’antifascisme consiste à combattre le fascisme en défendant l’État démocratique comme moindre mal. Le concept de « défense de la démocratie » se résume à accepter, à promouvoir, et au final à succomber au mythe de la neutralité de l’État : soi-disant médiateur de la société de classes. Pour le prolétariat, cela signifie en fait un renforcement de – et un assujettissement à – l’État; de même qu’un renoncement à toute possibilité d’auto-activité. En conclusion, cela n’est rien de moins qu’un enchaînement du prolétariat à l’État et à sa répression.

Or, l’antifascisme échoue toujours là où il prétend être efficace : en empêchant la « démocratie » de se transformer en dictature par le biais d’une alliance – interclasses – de tous les biens intentionnés de la société. Les tentatives pour affubler l’État d’un qualificatif révolutionnaire se terminent, soit par l’indécence de l’État se prétendant être le meilleur antifasciste, soit, en dernière analyse, lorsqu’au nom de l’unité antifasciste, la perspective de la révolution est trahie et abandonnée. En tant qu’idéologie glorifiant l’État et en tant que voie de garage de la révolution, l’antifascisme est tout autant dirigé contre le prolétariat que le fascisme. Ceux qui souhaitent réellement combattre le fascisme doivent aussi combattre l’antifascisme. Face au développement destructeur du capitalisme, l’alternative n’est pas « démocratie ou fascisme » mais « socialisme ou barbarie. »

4) Les faux amis

Les faux amis sont souvent les pires ennemis. Afin de prolonger son règne, le capitalisme se sert d’une panoplie d’organisations et de courants affirmant vouloir améliorer les conditions de la classe ouvrière mais qui, en réalité, cherchent à diriger toute résistance de celle-ci dans l’impasse, pour la neutraliser. Dans le but que la lutte pour ses intérêts soit menée avec succès, le prolétariat doit d’abord devenir conscient de ses tâches historiques et rejeter les expressions suivantes :

Les syndicats

« Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du Capital. Ils manquent en partie leur but dès qu'ils font un emploi peu judicieux de leur puissance. Ils manquent entièrement leur but dès qu'ils se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat », écrivait Marx en 1865 (Salaires, Prix et Profit). Aujourd’hui, nous ne pouvons plus que constater la faillite absolue des syndicats à défendre ne serait-ce que les intérêts de base des travailleurs et des travailleuses. De « centres de résistance aux empiétements du Capital », ils se sont irréversiblement transformés en appareil bureaucratique collaborant avec l’État bourgeois.

Les syndicats en-soi n’ont jamais été révolutionnaires. Ils ont émergé alors que les travailleurs et les travailleuses, dans des branches spécifiques de l’économie, se sont unis afin de lutter pour de meilleures conditions. C’est pour cette raison qu’à l’origine ils furent combattus par l’État bourgeois à l’aide de tous les moyens mis à sa disposition et parfois même interdits. Finalement, après beaucoup de sacrifices, et grâce à la solidarité de la classe ouvrière, ils furent légalement reconnus en tant qu’organisations.

Progressivement, les syndicats ont fini par se subordonner à la logique du capitalisme. Avec le développement de l’impérialisme, ils devinrent une partie intégrante de la domination bourgeoise. Leur élixir de vie résidait – et réside encore aujourd’hui – en une négociation des conditions de vente de la force de travail, en tant que marchandise, aux patrons. Cela ne fait de sens que si le salariat, comme système, est politiquement accepté et encadré par l’économie capitaliste nationale.

Dès la première guerre mondiale, les syndicats, en accord avec les directions sociale-démocrates, appuient la guerre impérialiste. Ils proclament le “Burgfrieden“ (la paix sociale) – l’équivalent allemand de l’Union Sacrée française – avec la classe dirigeante et collaborent à l’application des lois antigrèves. Au même degré, la militarisation et l’intensification du travail, l’allongement du temps de travail, et les coupures salariales furent volontairement soutenus. Depuis ce temps, les syndicats n’ont jamais cessé d’agir, au bout du compte, comme défenseur de l’ordre capitaliste.

En tant que prétendus représentants de la classe ouvrière, les syndicats sont en mesure de vendre au prolétariat la ‘’restructuration’’ (c.à.d. les mises à pieds), les ententes salariales ‘’réalistes’’ (c.à.d. ce qui habituellement signifie une baisse des salaires) etc., comme autant de « nécessités économiques ». Ce sont toujours les syndicats qui gueulent le plus fort au nom du protectionnisme et pour le contrôle des importations dans le but de ‘’sauver des emplois’’. Les syndicats ont un répertoire diversifié de méthodes afin de domestiquer et contrôler les luttes ouvrières pour ainsi les mener dans des impasses. En nous vendant des grèves isolées, les grèves divisées les unes des autres, en divisant les travailleurs et les travailleuses en groupe par industrie et par occupation, en cherchant à prévenir et saboter les formes de luttes effectives, les syndicats s’assurent que la domination du capital n’est jamais sérieusement confrontée.

Les individus qui se proclament « de gauche » et qui ne cessent d’affirmer que les actions syndicales se résument à une simple trahison de la part de leurs directions, et que pour améliorer les syndicats on n’a qu’à changer ceux-ci, sont tous aussi naïfs qu’ils sont idéalistes. Cette façon de voir les choses fait dériver la question pour la poser sur une base individualiste. Ainsi, pour ces individus, la solution se résume tout simplement à mettre la bonne personne au bon poste stratégique, ce qui trop souvent n’est en fait que le désir d’être élu à des postes d’État, sous l’étiquette de « léninistes ». Les syndicats ne peuvent être réformés, reconquis, ou transformés en instruments de libération. Le problème n’en est pas simplement le « leadership », c’est l’organisation-même des syndicats basée sur des politiques représentatives qui s’oppose de fait à la perspective d’émancipation des travailleurs et des travailleuses.

Les syndicats ne trahissent rien ni personne et encore moins eux-mêmes. Lorsque qu’ils sabotent les luttes, nous mènent en bateau, et se rendent ainsi indispensables au capital en tant que facteur de négociation et de l’ordre, ils ne font qu’agir logiquement et de façon cohérente avec leur objectif initial, c’est-à-dire négocier les conditions de vente de la force de travail avec les capitalistes et au même titre que ceux-ci. Pour nous, cela ne veut pas dire qu’il faille tout simplement quitter les syndicats ou déchirer nos cartes de membre, ce qui équivaudrait également à mystifier la participation au sein des syndicats. Le débat à savoir si ce sont les programmes d’assurance privés ou si les syndicats offrent la meilleure protection juridique contre les licenciements et les caprices de l’employeur, est en réalité un faux-débat qui n’offre que des solutions toutes aussi bidons les unes que les autres. Aussi longtemps que les prolétaires se confronteront désespérément à leurs patrons sans unité, de façon isolés et éparpillés, en espérant recevoir une protection « d’en haut », rien de bon ne sortira de cette situation.

Nous n’incitons pas à la construction de nouveaux et meilleurs syndicats qui, tôt ou tard, aboutiront aux mêmes politiques de représentation que les anciens. Les organisations économiques permanentes de la classe ouvrière ont pour rôle d’entamer des négociations avec les capitalistes en acceptant par ce fait-même les règles et les lois du système d’exploitation. Au mieux, ce genre d’expérience ‘’syndicaliste’’ ne fait que répéter l’histoire des 200 dernières années en accéléré. L’objectif principal est de comprendre une fois pour toutes que toute action syndicale est réglementée et fixée par l’État, cette entité est aliénante; elle subordonne en permanence la résistance et la combativité ouvrières au droit et à l’ordre bourgeois.

Afin de mener à bien sa lutte pour ses objectifs à long terme, la classe ouvrière doit aller au-delà du cadre syndical. Aujourd’hui, ce sont les grèves – et non plus les syndicats – qui représentent les ‘’écoles’’ du socialisme. Ceci est d’autant plus vrai lorsque ces grèves unissent les prolétaires de différentes branches de l’économie et qu’elles sont dirigées par des comités de grèves élus et révocables qui doivent répondre devant leurs assemblées générales. La seule alternative aux syndicats est l’auto-organisation de la lutte : l’autonomie par le bas. La tâche des révolutionnaires est de lutter pour la perspective communiste partout où se rassemble la classe y inclus dans les assemblées syndicales. Dans la phase présente du capitalisme, même une simple lutte défensive contre les mises à pied et les baisses de salaire se heurte rapidement aux limites du système. Au même titre que les syndicats, éviter la question du système, et/ou du contrôle des moyens de production, signifie ultimement accepter une aggravation des conditions de travail et des sacrifices. Les communistes doivent activement prendre part aux luttes pouvant dépasser les limites que posent principalement les luttes économiques et également prendre les mesures nécessaires pour inciter les ouvriers à s’organiser autour du programme révolutionnaire.

La Social-démocratie

La Seconde Internationale fut fondée en 1889 au moment où sa section la plus importante, la Social-démocratie allemande, était toujours aux prises avec les lois antisocialistes de Bismarck. En réalité, celle-ci opérait plutôt comme une fédération de partis sociaux-démocrates nationaux qui adoptaient les résolutions les moins contraignantes. Tous ses partis se fondaient sur un programme réformiste minimal et un programme formel maximal qui se déclarait en principe pour le socialisme, mais qui n’arrivait pas à dissimuler dans son quotidien une simple pratique réformiste.

Il est vrai que les partis sociaux-démocrates se sont développés en organisations de masse, mais ce fut au prix d’une intégration progressive à l’ordre bourgeois. La croyance qu’ils avaient au parlementarisme les mena nécessairement à s’accommoder – et finalement à se soumettre – à l’ordre public bourgeois. La bureaucratie qui émergea insidieusement favorisait le maintien de l’organisation et ses finances plutôt que ses principes socialistes, principes qui prenaient de moins en moins d’importance et se transformaient de plus en plus en simples sermons.

Contre leurs attentes, le réformisme finit par aboutir nécessairement à une loyauté envers l’État national impérialiste alors que les réformistes voulaient prendre le contrôle de celui-ci. En 1914, à l’encontre de toutes les résolutions anti-guerre qu’ils avaient adoptées auparavant, les partis sociaux-démocrates finirent par soutenir majoritairement les objectifs de guerre de leurs bourgeoisies respectives. Face aux résolutions anti-guerres qui furent précédemment adoptées par la Seconde Internationale, cela apparaissait comme une trahison ouverte de tous ses principes. En fait, fondamentalement, le soutien à la guerre impérialiste n’a été que la conséquence logique de leurs pratiques. L’Union Sacrée qui fut scellée avec la bourgeoisie en août 1914 indique également, en dernière analyse, jusqu’à quel point la Social-démocratie est devenue une constituante élémentaire et une partie prenante de l’ordre bourgeois. À partir de ce moment, les partis sociaux-démocrates sont devenus de véritables piliers du capitalisme.

Entre 1918 et 1923, la Social-démocratie joua un rôle important dans la répression des insurrections révolutionnaires du prolétariat et dans l’assassinat de milliers de communistes (dont Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht). Aujourd’hui, la Social-démocratie n’est plus que le défenseur du réformisme sans vraies réformes. En continuant à maintenir les illusions dans le parlement; en essayant de nous faire croire que les coupures dans les programmes sociaux et l’austérité ne sont que de regrettables nécessités, ou un moindre mal, elle soumet finalement la classe ouvrière à la « raison d’État ». Lors des périodes de luttes de classes intensives, elle joue un rôle central dans la défense du capitalisme en se proclamant le parti des travailleurs. En période de paix sociale, elle ne fait qu’aveugler les travailleurs et les travailleuses face aux élections, la démocratie se résumant à un vote chaque quatre an (ou plus selon les pays). La Social-démocratie est un outil idéologique important pour le capitalisme et celle-ci n’appartient donc plus à la classe ouvrière.

Le Stalinisme

La Révolution russe avait déjà échoué bien avant que Staline devienne le chef incontesté de l'URSS en 1928. La dégénérescence de la Révolution russe d'Octobre est le résultat de la défaite du mouvement ouvrier mondial et de la faiblesse conséquente du pouvoir ouvrier à défendre ses acquis face à la contre-révolution stalinienne. Le Stalinisme n’a pas été le résultat logique de la révolution bolchevique mais, au contraire, il fut la rupture totale avec tous les espoirs et efforts de celle-ci. Au lieu de prendre part à l’émancipation de la classe ouvrière, Staline (et/ou la classe capitaliste en développement dont il était le représentant) a développé une dictature de parti d’une cruauté sans précédent.

Au lieu du communisme, une forme particulièrement brutale du capitalisme d'État s’est développée. Même s’il était évident que la base de la société capitaliste – la production marchande et le salariat – demeurait inchangée et que l'État contrôlait tout y compris le travail forcé, le Stalinisme fut mensongèrement dépeint comme une « victoire du socialisme ». Les prolétaires continuaient d’être simplement des prolétaires, vivant encore sous l’emprise du salariat, et ils ne disposaient toujours pas des moyens de production qui étaient maintenant aux mains de l'État. Le Stalinisme a pu triompher en Russie à cause de la situation particulièrement rétrograde du pays. Dans un certain sens, il a anticipé certains éléments de l '«économie mixte» qui a émergé en Occident après la Seconde Guerre mondiale. Là aussi, on affirma que les industries nationalisées étaient « propriétés du peuple ». Essentiellement, par contre, le Stalinisme n’a jamais été rien de plus qu’une autre forme particulière de capitalisme qui a évolué à partir d’un contexte unique.

Il s’est révélé être un modèle pour de nombreux pays comme Cuba ou la Chine, et pour divers autres mouvements nationalistes qui ont eux aussi infligé de sévères défaites au prolétariat. Comme règne et courant politique, le Stalinisme n’a fait qu’agir sur la base d'un programme nationaliste et capitaliste d’État ​​: aliénation du prolétariat à l'État, terreur, renonciation à la révolution et assassinats massifs des communistes. Son caractère complètement réactionnaire s’est révélé par le maintien de son nationalisme et de son antisémitisme; par la propagation d'une morale sexuelle hostile aux femmes; et finalement par la glorification du travail salarié. Le Stalinisme n’a jamais été une « expérience socialiste » qui a simplement dégénérée mais plutôt, au contraire, il n’a été que le fossoyeur de la révolution : une variante particulièrement perfide de l'anticommunisme.

Héritiers de la Contre-révolution : la Gauche du Capital

« La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants » (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte). Aujourd'hui, il y a un nombre ahurissant de groupes et d'organisations qui se disent « socialistes » ou « communistes ». Cependant, pour la majorité d'entre eux, cette assertion n’est rien de plus qu’une tragi-comédie afin de réinventer la Social-démocratie ou pour réanimer le Stalinisme. Mais la confusion et les dommages que ces groupes font au « nom du marxisme » est considérable. La plupart de ces groupes construisent leurs programmes en réduisant le socialisme à une simple propriété étatique des moyens de production. Ce faisant, ils ne font qu’adopter une position réactionnaire qu’on ne doit pas confondre avec le marxisme révolutionnaire et que Friedrich Engels dénonçait déjà en 1878 :

L'État moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'État des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble.

L’Anti-Dühring

Il n'y a jamais eu de révolution socialiste en Chine, au Vietnam, à Cuba ou en Corée du Nord. Dans ces pays, il n’y a jamais eu de soulèvement social qui ait été le fruit de la classe ouvrière pas plus qu’un prolétariat organisé en conseils ouvriers qui ait eu la possibilité de prendre des décisions politiques ou économiques. Pour cette raison, nous traçons une profonde ligne de démarcation entre nous et ceux qui voient en ces régimes d'exploitation une forme de « progressisme », «d’anticapitalisme » ou même un caractère « socialiste ». Le Maoïsme, tout comme le Guévarisme, représentent un courant anti-communiste dirigé contre la classe ouvrière et qui repose sur les mêmes prémisses idéologiques que le Stalinisme (le concept de front populaire, la théorie des étapes, la glorification de l'État, le nationalisme, etc.)

Les différents courants trotskistes aiment se servir du prestige de Trotski, qui s’opposait à Staline, pour se montrer sur une belle image. Par ailleurs, outre le fait que son opposition s’est développée plutôt tard, Trotski était toujours paralysé par la confusion qui mêlait capitalisme d'État et socialisme, et qui voyait dans le parti communiste l'arène exclusive pour la confrontation politique. Trotski interpréta les décisions discutées par les quatre premiers congrès de l'Internationale communiste comme base de la politique révolutionnaire. Conséquemment, il voyait fatalement dans la Social-démocratie un courant prolétarien avec qui sceller des accords et des ligues (les « fronts unis »). Les conséquences réactionnaires de cette façon erronée de voir les choses se révélèrent en 1935 lorsque Trotski demanda à ses disciples d’entrer dans les partis sociaux-démocrates. Ce fut la base de ce qu'on appelle aujourd’hui l'entrisme : la collaboration des trotskistes avec la Social-démocratie, cette force qui soutint la guerre impérialiste et écrasa dans le sang les soulèvements du prolétariat. C’est dans le « Programme de transition » de la « Quatrième Internationale », rédigé par Trotski en 1938, que sa méthode profondément idéaliste trouva son expression la plus frappante. Essentiellement, le soi-disant programme de transition n'était rien de plus qu'un retour au programme minimal de la Social-démocratie. Celui-ci exprime de façon particulièrement claire la profonde croyance des trotskistes qu'ils peuvent faire émerger une conscience révolutionnaire à partir de revendications réformistes. Bref, c'est une politique qui repose sur des manœuvres et des manipulations; et qui nie par le fait-même la capacité de la classe ouvrière à développer une conscience communiste à travers ses propres luttes. Qui plus est, Trotski et ses disciples continuèrent de semer la confusion autour de la question de l'impérialisme et de la soi-disant « auto-détermination nationale » qui émergea dans les débuts de la Troisième Internationale. Ceci mena les trotskistes à prendre part aux différents conflits impérialistes locaux (la guerre civile espagnole, l’Abyssinie, la guerre sino-japonaise) et ensuite les fit participer à la Seconde Guerre mondiale impérialiste en tant que défenseurs de la démocratie et de la « patrie socialiste ». Aujourd’hui, le Trotskisme ne représente rien de plus qu'un courant appartenant au Capitalisme d'État, qui doit être définitivement critiqué et combattu par les révolutionnaires internationalistes.

Bien que les différents courants trotskistes, staliniens et maoïstes aient leurs différences, ils font tous partie de ce que nous appelons la Gauche du Capital. Ils soutiennent tous les alliances avec les forces de la bourgeoisie, le nationalisme, et défendent tous de façon plus ou moins critique le Stalinisme. Tous leurs concepts, programmes et tactiques ont plus d’une fois fait plier les luttes prolétariennes. Pour nous, il est hors de question d’entretenir les vieilles erreurs au nom de « l'unité de la gauche ». Au contraire, il faut rompre politiquement et, de façon radicale, avec la Gauche du Capital afin de développer une compréhension claire de la perspective de la lutte de classes au-delà de ses frontières.

5) Les Tâches des Révolutionnaires

Aujourd'hui, les communistes font face à de grandes difficultés et défis. La domination de l'idéologie bourgeoise a conduit à une séparation marquée entre la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires. Bien que la classe ouvrière soit plus internationale et imposante que jamais; bien que la mondialisation de la production assure la base de l'unification; aujourd'hui, la classe ouvrière est plus fragmentée et désorientée qu’elle ne l’a jamais été dans toute son histoire. En même temps, nous sommes confrontés à un ennemi international puissant qui n’a jamais autant concentré de richesses et de pouvoirs entre ses mains. De plus, la bourgeoisie a également su tirer les leçons de son histoire. Elle connaît tous les trucs pour diviser la classe ouvrière et ainsi maintenir son système pourri. Cependant, elle ne peut pas résoudre les contradictions objectives du capitalisme. La barbarie croissante du capitalisme dans sa phase impérialiste représente la base matérielle de son renversement final par la classe ouvrière. La tâche des révolutionnaires consiste à garder en vue les intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière; à soutenir ses luttes en analysant et en critiquant leurs limites; et à renforcer la confiance – et la conscience – du prolétariat en ses propres forces.

Les politiques révolutionnaires se développent lorsque les révolutionnaires sont capables de tirer les leçons des luttes menées par le prolétariat afin de généraliser les expériences de son combat et insuffler au mouvement sa conscience et ses perspectives. Chaque fois qu'ils le peuvent, les révolutionnaires doivent prendre des initiatives pratiques à cet égard. Mais aussi longtemps que le capitalisme existera, les gains faits lors des luttes économiques et politiques ne peuvent être que temporaires. L'émancipation de la classe ouvrière exige une lutte politique pour le pouvoir. Les communistes doivent démasquer et combattre impitoyablement toutes les organisations bourgeoises qui s'efforcent de faire dévier la lutte des classes sur le terrain des intérêts capitalistes. Comme il a été expliqué, cela nécessite un cadre organisationnel. Selon notre compréhension, ce cadre ne peut être qu'une organisation révolutionnaire internationale et internationaliste. Internationale, parce que le capitalisme ne peut être combattu et vaincu qu’au niveau mondial ; internationaliste, parce que le rejet de toute idéologie nationaliste est la base pour réaliser l'unité de classe; révolutionnaire, parce que c'est seulement dans notre rupture radicale avec le capitalisme que se trouve la perspective pour vivre une vie qui soit vécue non seulement dans des conditions humaines… mais enfin vécue en tant qu'être humain.

La Nécessité d'une Rupture révolutionnaire

Aucun des problèmes mondiaux de l'humanité tel que la faim, la destruction de l'environnement et le danger croissant de guerre ne peut être enrayé – et encore moins résolu – dans le cadre du système de profit capitaliste. La classe ouvrière ne peut changer fondamentalement sa situation sociale tant et aussi longtemps que la bourgeoisie se tient aux commandes du pouvoir politique par le biais de son appareil d'État. Les entreprises menées par le mouvement ouvrier – pour développer des structures de production reposant sur la propriété collective grâce à la formation d’entreprises coopératives ou autogérées – ont toutes échoué face aux réalités politiques et économiques du capitalisme. Alors que la toute nouvelle et jeune bourgeoisie pouvait encore conclure des traités et des alliances temporaires avec les classes féodales, le prolétariat ne peut se libérer que par une lutte de classe intransigeante. À la différence de la bourgeoisie naissante, le prolétariat doit d'abord conquérir le pouvoir politique et économique avant de pouvoir sérieusement changer quoi que ce soit à sa position sociale. Le capitalisme ne peut ni être amélioré, ni progressivement et essentiellement modifié ou géré humainement.

Contre la représentation - Pour la délégation

Les manœuvres réformistes pour tenter de domestiquer le capitalisme, par les compromis avec nos gouvernants, se sont toutes montrées de désastreuses impasses. Il n'y a pas de raccourci parlementaire vers le socialisme ! Le parlement a depuis longtemps perdu son rôle accordé par les révolutions bourgeoises du 19ème siècle : celle d'être l'organe central de l'arbitrage entre les classes. Alors que les vraies décisions sont prises dans des comités clos de l'appareil d'État, le parlementarisme a aujourd'hui pour fonction idéologique de mettre en scène l’illusion « d’un gouvernement démocratique » par nos dirigeants et gouvernants. De plus, le parlementarisme possède la fonction organique de nous intégrer à la vie capitaliste. Chaque orientation parlementaire mène tôt ou tard à la volonté de cogérer les choses nécessaires au développement du capitalisme, en conformité à « l'opinion publique ». Le parlementarisme, variante classique de la représentation, bloque la seule voie possible pour que le prolétariat puisse transformer la société par son auto-activité. Il en va également ainsi pour les opérations des groupes armés qui prennent la forme de terrorisme ou de guérilla. La terreur individuelle reflète la mentalité volontariste de la petite bourgeoisie radicalisée. Dans la plupart des cas, ce terrorisme est en fait le produit des machinations des services secrets bourgeois et le terrain de jeu favori de la confrontation entre les impérialismes. Les actions isolées des groupes terroristes sont totalement inadaptées pour contester la domination bourgeoise. Ils placent le sujet-prolétariat dans le rôle passif de spectateur en lui offrant l'illusion que « d’autres » peuvent agir à sa place dans la réalisation du changement. La classe ouvrière internationale a trop de comptes importants à régler avec le capitalisme pour que ceux-ci soient confiés à de quelconques fonctionnaires ou personnages de ce système. La lutte pour l’émancipation ne peut être déléguée à une sorte d’élite autoproclamée ou à des avant-gardes « bien intentionnées ». Le renversement de ce système requiert l’auto-activité des masses solidement unifiées. En tant qu'expression de l'auto-émancipation de la classe ouvrière, le communisme rejette l'idée d'un État qui aurait tous les droits pour régner sur nous et nous réprimer à sa guise.

Pour la Démocratie ouvrière, contre la Dictature du Parti

L'expérience de la Commune de Paris a depuis longtemps démontré que la classe ouvrière ne peut pas prendre en charge les structures de l'appareil d'État bourgeois pour les rendre utilisables à ses propres fins. L'État bourgeois n'est pas une institution planant au-dessus des classes mais est, au contraire, un organe de répression et de contrôle pour le maintien et la défense de la domination du capital. Il doit être démantelé de façon révolutionnaire et remplacé par les organes de l'auto-organisation prolétarienne. La force motrice qui a émergé de l’histoire afin de conduire ce processus de transformation révolutionnaire vers le communisme est représentée par les conseils. Loin d’être une invention abstraite pensée par des théoriciens socialistes, les conseils sont un produit historique constamment mis et remis de l’avant par le prolétariat lors de ses luttes et de ses soulèvements. Ce n'est pas par hasard si la machine de propagande de nos dirigeants reste discrète à leur sujet ou en déforme l'histoire. Les conseils démontrent de façon inspirante comment des millions de personnes peuvent prendre leur vie en main en gérant celle-ci eux-mêmes. Contrairement à la démocratie bourgeoise, qui repose sur la représentation et la passivité, les conseils se fondent sur ​​l'auto-activité de la classe ouvrière. Le principe en est l’élection et la révocabilité des délégués à tout moment, le devoir des titulaires étant de rendre compte et d’être soumis à la base. L'expérience historique a toutefois également démontré que même la démocratie des conseils la plus complète n’est pas une garantie pour le développement du socialisme. Les communistes doivent, plus exactement, donner une orientation vers l'écrasement de l'État bourgeois avant la conquête du pouvoir prolétarien et au moment de la période de transition, lutter pour des mesures appropriées afin de préparer la fin de la production marchande capitaliste à l'échelle mondiale. L'organisation des révolutionnaires doit rendre compte de leur responsabilité politique envers la classe. Sa tâche consiste à « unifier et à élargir les mouvements spontanés de la classe ouvrière, mais pas à dicter ou imposer un système doctrinaire quel qu’il soit» [Instructions pour les délégués du conseil général provisoire (1866)]. Ils ne devraient pas avoir peur de lutter, même en tant que minorité, pour le programme communiste à l'intérieur et - si nécessaire - à l'extérieur des conseils. D'autre part, ils ne devraient pas agir à la place de la classe, usurper les conseils ou fusionner avec les structures du semi-état prolétarien. Ni le parti révolutionnaire, ni les conseils eux-mêmes représentent une garantie face à la contre-révolution. La seule garantie de la victoire réside dans l'initiative et la vive conscience de classe du prolétariat international.

La Dimension internationale

Le renversement du capitalisme ne se fera pas du jour au lendemain. Cependant, dès que la classe ouvrière aura renversé la classe dirigeante d’un pays ou d’un territoire, la phase de transition de la société vers le communisme devrait commencer. Le prolétariat devra utiliser le pouvoir politique qu’il vient de conquérir et briser l'appareil d'État bourgeois en écartant de ce processus la bourgeoisie et en introduisant les premières étapes vers la socialisation des moyens de production. Cela exige l'établissement d'un régime révolutionnaire basé sur les conseils ouvriers. Par ailleurs, en tant que système international, le capitalisme ne peut être combattu et vaincu qu’au niveau international. Le socialisme ne peut pas être construit dans un seul pays ou un seul territoire. Ce qu’on nomme « État ouvrier » ou «dictature du prolétariat» ne représentent, comme instance, que des catégories politiques. Néanmoins, un "État ouvrier" prendra des mesures pour l'amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière (réduction de la journée de travail, accès gratuit au système de santé et d'éducation, etc.) et centrera la production sur les besoins de la société. Pour le moment, ces mesures représentent, dans tous les cas, des jalons pour un avenir socialiste. Aussi longtemps que les capitalistes auront, jusqu’à un certain point, la gestion en mains et arriveront à isoler les luttes prolétariennes les unes des autres en maintenant celles-ci sur le terrain bourgeois, leur règne est relativement assuré. Tant que dans le monde continuera d’exister la production marchande capitaliste et la loi de la valeur règneront en maître sur ce monde. Tout comme une grève isolée ou une occupation d'usine ne peuvent être maintenues indéfiniment, un «État ouvrier» luttant dans un environnement hostile ne peut survivre longtemps. Soit le capitalisme mondial détruira l'expérience révolutionnaire par des interventions militaires, soit il exercera une énorme pression économique sur celle-ci… ou combinera les deux. La conséquence serait qu'un régime prolétarien (comme dans le cas de la Russie bolchevique), serait forcé de rivaliser avec les États bourgeois selon des conditions capitalistes. Ceci mènerait tôt ou tard à une lutte concurrentielle pour l'accumulation du capital et bloquerait par le fait-même toute perspective socialiste. La priorité essentielle d'un régime prolétarien et d'un parti communiste mondial réside donc dans l'extension et la consolidation de la révolution internationale. C’est seulement lorsque le capitalisme aura été vaincu de par le monde qu’il sera possible de prendre des mesures réelles vers le socialisme.

Au-delà de l'État, de la nation et du capital...

L’établissement d'une société mettant un terme à l'exploitation de l’homme par l’homme pourrait être un processus long et difficile qui exigera la solution d'une série de problèmes extrêmement complexes. Un des grands défis sera de faire face aux conséquences dramatiques de l'exploitation capitaliste de l’homme et de l'environnement. Le capitalisme a malgré tout aussi permis de développer à un niveau sans précédent la richesse sociale et l'innovation technologique. Le renversement de la bourgeoisie et la prise en main de la production par les producteurs ouvriront de grandes possibilités de développement. Tout le potentiel issu de la science, de la recherche, et de la technologie pourra enfin être utilisé pour répondre directement aux besoins de l'humanité. Ce potentiel ne servirait plus le profit à court terme mais, au contraire, permettrait de résoudre des problèmes réels : production et distribution seraient ainsi orientées vers les besoins de l’homme, le travail de la société serait plus équitablement réparti et pourrait être considérablement réduit. L'art, la culture et la science pourront se développer librement et ne plus être le privilège de certaines classes sociales. Sur le plan de la sécurité matérielle, de la liberté et de l'égalité sociale, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la formation d'une véritable humanité deviendrait possible. Puisque les classes et leurs contradictions inhérentes seront surpassées, les structures du demi-État ​​prolétarien deviendront alors superflues et dépériront. Ainsi, «la gouvernance des hommes » laissera place à une simple « administration des choses ». Cependant, on ne pourra parler d’une société socialiste que lorsque la production marchande, les classes et les États auront disparu au niveau mondial. C'est seulement alors que l'association des hommes libres et égaux deviendra une réalité et que « le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de tous».

Tendance Communiste Internationaliste
Friday, October 22, 2021