Voix ouvrières et révoltes en Iran

Pour protester contre la mort d'une jeune femme, Mahsa Amini, arrêtée par la "police des mœurs" à Téhéran pour ne pas avoir porté correctement le hijab, nous assistons depuis 5 semaines à des manifestations continues dans tout le pays, avec comme d'habitude une réponse de plus en plus barbare de la part de la République islamique d'Iran.

Jusqu'à présent, il a été signalé que 200 personnes sont mortes, des centaines blessées et que des milliers ont été arrêtées. La nature et l'ampleur de ces manifestations ont pris tout le monde par surprise, en particulier ceux qui vivent de ces surprises ! À savoir les médias grand public, les célébrités, les activistes de la classe moyenne... et bien d'autres encore, au point de la qualifier de "première révolution féministe de notre temps".

Mais maintenant les ouvriers de la raffinerie pétrochimique d’Assalouyeh, dans la province de Bouchehr, manifestaient début octobre en scandant «Mort au dictateur!» (10 octobre 2022.AFP) Et, depuis, des milliers d’autres ouvriers du pétrole ont rallié le mouvement de contestation. C'est une menace directe pour le régime des mollahs. Le pétrole est la principale source de revenus.

Selon IranWire, un média iranien critique du régime, “une série de grèves sur plusieurs sites [pétroliers] à travers l’Iran” ont déjà eu lieu lundi 10 octobre. “Plus de 4 000 travailleurs étaient en grève, affectant […] les raffineries pétrochimiques de Bouchehr et d’Assalouyeh […] et une partie de la raffinerie d’Abadan”.

Les luttes des ouvriers se généralise comme le raconte Iranwire :

Mardi [18 octobre], les travailleurs d'industries vitales comme le pétrole et le gaz, l'acier et la canne à sucre étaient en grève ou sur le point de passer à l'action dans trois provinces d'Iran.
Les médias sociaux ont révélé des grèves dans l'usine de pneus de Kian, le complexe sidérurgique de Ghadir dans la province de Fars, et certaines parties de l'industrie pétrolière et gazière à Bushehr, Assalouyeh, Abadan et Bandar Abbas.
La raffinerie et les industries pétrochimiques associées à Assalouyeh sont une source centrale et vitale de revenus pour l'État. Mais le conseil d'organisation des travailleurs contractuels de l'industrie pétrolière a averti le gouvernement la semaine dernière qu'il se mettrait en grève si les forces de sécurité continuaient à réprimer les protestations.
Les grèves des travailleurs du pétrole ont joué un rôle essentiel dans la révolution islamique de 1979, qui a conduit à la chute du Shah. Si la grève des travailleurs du pétrole se poursuit pendant une période prolongée, elle pourrait causer des dommages importants à la stabilité du régime actuel. Toutefois, cela dépendra de plusieurs facteurs, tels que la technicité des participants à la grève et la manière dont les travailleurs s'organisent.

La révolte semble gagner pour l'instant timidement chez les voisins de l'Iran. Les monarchies du Golfe tremblent, pour elles le soulèvement à Téhéran n'existe pas : aucun prince d'Arabie, aucun émir du Golfe n'ose évoquer en public ces manifestations qui, depuis un mois, font vaciller leur pire ennemi. The National, quotidien d’Abou Dhabi, dénonce ainsi un quasi silence complice de l’Occident, trop occupé à ménager le désormais très hypothétique accord sur le nucléaire iranien et peut être des ventes de pétrole alors que l'Europe est sous pression énergétique pour cet hiver.

Nous publions, ci-après, les traductions de trois déclarations, celles du Syndicat des travailleurs de la canne à sucre de Haft Tappeh, du Conseil pour l'Organisation des Manifestations des Travailleurs contractuels du Pétrole, et du Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens.

Condamnation du meurtre de "Zhina" Amini

Mahsa "Zhina" Amini, une jeune fille de 22 ans originaire de Saqqez, a été arrêtée par la "police des mœurs" à la station de métro Haghani à Téhéran le 13 septembre. Deux heures plus tard, son corps à moitié mort a été livré à l'hôpital de Kasra.
Malheureusement, "Zhina" Amini est décédée dans la soirée du vendredi 16 septembre à l'hôpital des suites d'une lésion cérébrale.
Ce n'est pas la première fois que les femmes de notre société sont battues et arrêtées, ce n'est pas la première fois que la douce vie des femmes et des filles de ce pays est soumise à des politiques antiféministes et patriarcales, et malheureusement, tant que le capitalisme et le patriarcat prévaudront, nous serons à nouveau témoins de telles tragédies.
Mais les opprimés du Kurdistan et d'autres villes d'Iran, les étudiants et les femmes combattantes, ont montré par leurs protestations qu'ils s'opposeront à ce meurtre systématique.
Les hommes et les femmes opprimés savent qu'avec l'unité, la solidarité et la lutte continue, ils peuvent mettre fin à cette oppression et à cette discrimination afin que les maîtres de la violence et de l'oppression ne puissent plus tuer nos enfants.
Le Syndicat des travailleurs de la canne à sucre de Haft Tappeh exprime ses condoléances à la famille de "Zhina" Amini et partage leur chagrin pour la perte de leur enfant bien-aimé.
Le Syndicat des travailleurs de la canne à sucre de Haft Tappeh condamne le meurtre de "Zhina" Amini et exige l'identification et la punition des auteurs de ce crime et demande l'annulation de toutes les lois anti-femmes.

Syndicat des travailleurs de la canne à sucre de Haft Tappeh

Déclaration en soutien aux manifestations populaires et contre les répressions gouvernementales en Iran

Nous, les travailleurs des projets pétroliers, ainsi que tout le peuple iranien, exprimons une fois de plus notre colère et notre haine envers le meurtre d'une jeune fille, Mahsa Amini, aux mains de la "police des moeurs". Nous soutenons la lutte du peuple contre la violence organisée contre les femmes, contre la pauvreté et l'insécurité, l'enfer qui a été créé. Mahsa et d'autres comme elle sont nos filles et des membres de notre famille. Combien de temps encore la violence contre les femmes et la domination de la rue sous le prétexte du hijab vont-elles se poursuivre ? Pendant combien de temps devrons-nous souffrir de la faim et de l'insécurité ? Trop, c'est trop ! Protester est le droit inaliénable des travailleurs et de tous les peuples. Nous protestons contre l'oppression et la persécution qui nous sont infligées depuis plus de quarante ans. Nous ne sommes plus disposés à continuer à tolérer cet esclavage et cette injustice.
Nous, les travailleurs du pétrole, avertissons que si les arrestations, les meurtres, le harcèlement et la persécution des femmes en raison du hijab ne cessent pas, et si la répression des personnes ne prend pas fin, nous ne resterons pas silencieux. Ensemble, avec tout le monde, nous allons protester et cesser de travailler.
Écoutez ce que nous et le peuple disons.
Nous vous mettons en garde.

Conseil pour l'organisation des protestations des travailleurs contractuels du pétrole, 26 septembre 2022

Contre la répression généralisée des manifestations populaires, l'occupation des écoles et les arrestations d'étudiants et de manifestants de rue.

Au nom de Dieu !
Enseignants et peuple d'Iran épris de liberté :
Ces derniers jours, nous avons été témoins de scènes amères d'un côté et douces de l'autre. L'amertume de la famille de #MahsaAmini pleurant la mort de leur enfant innocent d'une part et d'autre part l'énorme vague nationale et pleine d'espoir de personnes dans tout le pays en solidarité et d'amitié. Avec cette famille en deuil, cela montre que l'Iran est toujours vivant et dynamique et qu'il ne se plie pas à l'oppression.
La contradiction, qui consiste à tirer directement sur des innocents dans la rue afin de prouver que la mort de personnes de ce pays comme Mahsa était accidentelle, n'a pas effleuré l'appareil répressif du gouvernement, qui a déployé tant d'efforts dans les médias et la propagande gouvernementale pour montrer que Mahsa était morte de façon normale et naturelle. Dans le même temps, les autorités criminelles fossilisées ont transformé certaines écoles du pays en bases militaires pour réprimer les protestataires, et nombre des jeunes arrêtés sont des lycéens et des nouveaux étudiants de l'université, qui n'ont pas encore commencé leurs études. Ils doivent maintenant passer du temps en isolement et en prison et en faire l'expérience. D'autre part, chaque jour dans les rues du pays, nous voyons des images douloureuses de répression des manifestants, qui sont largement publiées sur les réseaux virtuels. Des millions d'Iraniens et de non-Iraniens dans le monde ont vu ces scènes violentes. Ces images sont si déchirantes qu'elles blessent le cœur de toute personne honorable.
Le Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens, tout en condamnant fermement la répression du gouvernement contre les personnes sans défense qui protestent contre la situation actuelle, en particulier l'occupation de certaines écoles, l'arrestation et l'emprisonnement d'étudiants et de personnes lors de récents rassemblements pacifiques, appelle tous les éducateurs actifs et retraités et les étudiants à se tenir à leurs côtés pour protester contre le comportement erroné et violent du gouvernement. Elle demande aux enseignants et aux étudiants d'éviter de se rendre dans les écoles de tout le pays les 26 et 28 septembre.
La mort de #MahsaAmini a prouvé que différentes couches sociales s'opposent fermement au hijab obligatoire, qui n'a même pas de raisons religieuses valables. On s'attend à ce que les étudiants en Iran, et surtout les courageuses filles de notre pays, insistent sur ce droit légal et naturel puis continuent à le réclamer de manière appropriée.
La vague de soutien national pour protester contre le meurtre de #MahsaAmini prouve que personne n'osera plus jamais les ignorer et les traiter de manière inhumaine.
Le Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens demande sincèrement et respectueusement à toutes les forces de l'ordre de déposer leurs armes et de ne pas tirer sur les personnes qui souffrent et meurent et de se tenir aux côtés du peuple avant qu'il ne soit trop tard.
Le Conseil de coordination demande également à tous les enseignants actifs et retraités, aux vétérans et retraités du pays, de l'armée et de la sécurité sociale, aux syndicats, aux athlètes et artistes et à toutes les personnes influentes et dignes de confiance dans la société, qu'en ces jours difficiles, mais inspirants, ils se tiennent aux côtés des étudiants et des personnes qui demandent que leurs droits soient respectés, afin que nos enfants et citoyens subissent moins de dommages. Le Conseil de coordination espère que dans les prochains jours, les autorités gouvernementales cesseront de réprimer les citoyens avec une approche rationnelle et légale, en considérant l'inutilité de la répression et son effet sur la propagation des protestations et des mécontentements à travers de nombreuses expériences, et qu'elles obéiront aux demandes du peuple, sinon, le Conseil de coordination annoncera ses prochains projets de manifestation contre la situation actuelle en solidarité avec les étudiants et le cher peuple d'Iran.

Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens, 25 septembre 2022
Tuesday, November 1, 2022