Abdulah Öcalan - L'oeuvre d'un "libérateur"

Il y a un an, le 29 juin 1999, le chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdulah Öcalan était condamné à mort pour trahison et séparatisme par l'État turque sur son île-prison d'Imrali, en mer de Marmara. Depuis, ostensiblement sous les pressions de la Cour européenne des droits de l'Homme, la menace à la vie de celui qu'on appelait aussi Apo semble évacuée pour l'instant. En fait, s'étant tout au long de son procès vautré devant l'autel de la réconciliation nationale de la Turquie et ayant craché tout son venin sur ses disciples d'hier qui veulent continuer le combat (1), un Öcalan vivant ne représente plus un danger pour l'intégrité territoriale de l'État turque mais bien un atout.

Conscientes qu'elles peuvent obtenir tous les reniements et les louvoiements qu'elles désirent de l'ex-guide suprême kurde, les autorités turques ont eu l'intelligence de reporter sine die l'exécution de la sentence.

Ainsi semble prendre fin, dans une large mesure, l'aventure militaire sanglante visant à créer un État kurde indépendant, lancée par le PKK en 1984. Cette guerre a causé jusqu'à date grosso modo 30 000 morts et plus de 3 000 villages kurdes ont été détruits. Toute cette dévastation n'aura eu comme effet que d'augmenter tragiquement l'oppression bien réelle que subissent la grande majorité des kurdes aux mains de l'État turque. Entre temps, le chef nationaliste est devenu un kémaliste (2) de choc, ne réclamant plus que le maintien de la reconnaissance linguistique kurde limitée, déjà octroyée par l'État turque depuis dix ans. Reniant le stalinien tiers-mondiste qu'il était il y a peu, Öcalan n'arrête plus de sauter les haies d'un ahurissant steeple-chase politique dans sa course folle à la justification physique et historique de sa propre survie. Du nationalisme kurde au nationalisme grand-turc, de l'athéisme à l'islamisme, du "socialisme" à l'éloge de la démocratie bourgeoise, il poursuit de fait sous des oripeaux nouveaux, la voie contre-révolutionnaire qui a toujours été la sienne.

En effet, la guerre fratricide lancée par le PKK et sa lutte de "libération nationale" n'a jamais rien eu de révolutionnaire. Le mouvement révolutionnaire est fondamentalement internationaliste. Il rejette toutes les idéologies minant la solidarité de classe à partir de postulats prônants des différences culturelles, nationales ou raciales. Il prône la lutte des classes unifiée des prolétaires de toutes origines. La possibilité d'une telle lutte unifiée a d'ailleurs été démontrée de façon éloquente lors de la puissante grève des 48 000 mineurs du charbon de Zonguldak, sur la mer Noire, en 1991. Cette lutte a bénéficié de grèves de solidarité dans l'Est anatolien (à majorité kurde) comme dans le reste de la Turquie. Il est à noter qu'une des revendications de cette grève était paraît-il de soutenir le droit des prolétaires kurdes de se servir de leur langue.

Les idées et la pratique d'Öcalan, même emprisonné, n'en continuent cependant pas moins de tuer. Du fond de sa cellule, il garde toujours la main haute sur les activités du PKK dont il reste le chef (malgré les manoeuvres de son frère Osman). C'est ainsi que tout en plaidant pour sa vie et la paix, la paix qu'il impose aux camps de son organisation est celle des cimetières... Plus de 300 militants et militantes nationalistes kurdes ont été exécutés par la police politique du PKK en 1999. Combien d'autres ont péri depuis? L'oeuvre d'Abdulah Öcalan, comme celles de tant d'autres "libérateurs" nationalistes du XXème siècle, aura été d'avoir semer la division et la haine entre les prolétaires et d'avoir retarder dramatiquement l'inévitable affrontement de classe pour l'émancipation de toute l'humanité. Malgré les cris indignés des nombreux clubs de ses supporters gauchistes, nous affirmons que la classe ouvrière se doit de régurgiter le poison nationaliste dont la bourgeoisie l'abreuve quotidiennement. L'oeuvre d'Abdulah Öcalan, c'est l'oeuvre d'un boucher.

(1) Un petit groupe d'environ 150 personnes a quitté l'organisation pour poursuivre la lutte armée. Ce groupe devra tout autant se confronter au puissant État turque qu'aux forces maintenant largement dilapidées de leurs anciens camarades du PKK.

(2) Disciple de Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938), père de la République turque moderne.