Vietnam - Les derniers vestiges du "socialisme réel"

Traduit de Battaglia Comunista #5 (mai 2000)

Vingt-cinq années après la fin du conflit vietnamien, il ne reste que peu de chose de la mythologie tant louangée par la gauche officielle et extraparlementaire. La presse bourgeoise revient maintenant sur ces événements, en rappelant ironiquement les vieilles illusions, dans le but d'attaquer les intellectuels de l'époque. Elle établit une équation facile: l'effondrement du Bloc soviétique signifie la fin du communisme.

De plus, elle pointe du doigt les derniers vestiges du "socialisme réel", comme la Chine et le Vietnam, qui ont dû ouvrir leur économie au marché en vue de survivre. Les jeux sont faits: le capitalisme serait le seul système capable d'offrir la démocratie et la richesse; tout le reste ne serait que pure fantaisie et une supercherie dramatique.

Qu'il y ait eu supercherie est indéniable, mais c'est une supercherie qui a bénéficié à la bourgeoisie internationale et qui a, au niveau de la conscience, laissé la classe ouvrière complètement désarmée. En fait, à l'époque, ceux qui comme nous ont dénoncé les résultats, d'abord du stalinisme puis du maoïsme (rien d'autre qu'un capitalisme d'État sous un couvert socialiste), furent insultés et menacés. Depuis ce temps, bon nombre de ceux qui, hier encore falsifiaient la révolution, se retrouvent aujourd'hui avec des emplois confortables, prestigieux et bien rémunérés et sont souvent passés à la droite réactionnaire; adoptant un anticommunisme viscéral.

Le Vietnam a été pris dans l'engrenage de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS. Les deux superpuissances se partageaient alors le monde; les premiers soutenant les dictatures au pouvoir, la seconde appuyant les mouvements de libération nationale en rupture avec le vieux colonialisme occidental. En avril 1975, l'armée du Nord, appuyée par les soviétiques, occupa Saigon et, enfin victorieuse, mis fin à sa guerre sanglante contre les États-Unis; alliés du Sud. Le modèle économique qui émergea alors fut une copie brutale de l'Union soviétique avec la collectivisation de l'industrie et de la terre ainsi que le contrôle sévère de la vie civile via la dictature du Parti communiste vietnamien.

Après dix années d'échecs, le régime fut contraint de changer. Une des raisons était l'aggravation de la situation de l'URSS; ce qui allait bientôt forcer sa capitulation. Donc, en 1986, le Vietnam dû franchir le pas et adopta le modèle chinois pour entreprendre un "socialisme de marché". Pour compenser les pertes causées par la fin du Bloc de l'Est (le Comecon absorbait 85% de ses exportations), on lança un programme de privatisation et, en conséquence, la propriété privée fut enchâssée dans la nouvelle Constitution de 1992. Le marché interne fut ouvert à l'investissement étranger et en 1994, les États-Unis levèrent leur embargo. C'était une période de boom économique avec des taux de croissance annuels de 10% et, pendant que la spéculation internationale déferlait sur les pays asiatiques, on y réalisa de grosses affaires. Puis en 1997, avec l'écroulement des marchés boursiers de la région, les capitaux la quittèrent et la croissance économique recula à un plus modeste 4%.

La conclusion est que le Vietnam reste un des pays les plus pauvres de la planète, en dépit du fait que la bourgeoisie "rouge" ait livré le prolétariat en agneau pascal au capital international (une exploitation brutale pour des salaires de famine). Trente ans après une guerre effroyable marquée par la mort de millions de vietnamiens et de vietnamiennes, voilà le résultat. Les nouveaux riches, autant dans le secteur public que dans le privé, appartiennent presque tous à la nomenclature du parti et la corruption de la bureaucratie de l'État est omniprésente.

Le net de l'affaire est que cette guerre fut à la fois nationaliste et impérialiste. Les bourgeoisies locales s'affrontèrent pour la suprématie interne, tandis que les grandes puissances impérialistes se confrontèrent pour le partage du monde. Des circonstances historiques placèrent Moscou aux côtés de ceux qui devaient rompre avec le vieil ordre pour s'affirmer, c'est-à-dire avec les divers fronts de libération nationale (en prétextant devant l'opinion publique que cet appui faisait partie d'une stratégie générale progressiste) à l'encontre du gang de Washington qui soutenaient les dictatures militaires les plus réactionnaires. Mais plusieurs exemples démontrent que, autant sous les dictatures que sous la guérilla, à peu près rien ne change. Le but de quiconque devant gérer les rapports de production capitalistes est de garantir, au prix des pires répressions si nécessaire, la domination et l'exploitation de la force de travail par le capital.

La bourgeoisie prétend que tout ce qui appartenait au camp soviétique était du communisme et que la preuve est que les ex-staliniens abjurent maintenant leurs origines et les quelques régimes subsistants encore. Le "socialisme réel" (incluant toutes les scories politiques qu'il a produit) a maintenant rejoint l'énorme camp de la social-démocratie, en tant qu'expression d'une des formes d'existence du capital, dans le but de perpétuer l'esclavage du travail salarié.

Il reste aux révolutionnaires la tâche de reprendre le fil rouge de la perspective communiste, seule capable de sortir la classe ouvrière de sa déconcertante torpeur; une torpeur soutenue de façon décisive par la gauche bourgeoise et les mensonges de ce prétendu "socialisme" de caserne.

Cg