Le Nouveau “Grand Jeu”

Il est absolument crucial pour le rétablissement de l’autonomie politique ouvrière que l’on comprenne que dans le présent conflit les deux camps en présence sont impérialistes. Le fait que les ennemis occidentaux des talibans aient une puissance de feu largement supérieure aux talibans ne font en rien de ces derniers des anti-impérialistes. Certaines personnes peuvent penser que c’est une évidence vu la nature réactionnaire du régime médiéval de Kaboul. Mais, nous ne devrions pas oublier que la Gauche capitaliste s’est historiquement fait un point d’honneur de toujours choisir de soutenir “le moindre mal” lors de conflits internationaux. Ainsi Castro, Khomeyni et Kadhafi ont tous reçus la bénédiction de l’étiquette “anti-impérialiste” à divers moments dans le passé par de prétendues publications révolutionnaires telles le Socialist Worker. (1)

Lorsque l’Union soviétique a envahi l’Afghanistan, certains groupes de la Gauche trotskiste, telle la Ligue communiste internationale (2) hurla en manchette “Gloire à l’Armée rouge!”. Elle fut bientôt suivie par d'autres groupes comme Pouvoir Ouvrier (qui se distingua ultérieurement en soutenant l’UCK et donc l’OTAN dans le conflit au Kosovo). Ce que tous ces dinosaures en marxisme (ce qu’il reste des maoïstes pas plus que les trotskistes) n’arrivent pas à comprendre est que nous ne vivons plus au XIXème siècle. Des mouvements nationaux indépendants ne peuvent exister lorsque la planète entière vit sous la domination impérialiste. Ces mouvements ne font en fait que soutenir un ordre différent d’impérialisme. Il n’y a pas de forces progressistes ou de “moindre mal” à l’intérieur du système capitaliste que la classe ouvrière aurait intérêt à supporter. Le seul progrès possible serait la révolution prolétarienne pour enfin se débarrasser de ce système qui ne génère que la guerre permanente, la misère et la famine sur de vastes aires de la planète afin qu’une minorité de riches puissent vivre dans une opulence dégoûtante.

Dans la présente lutte, que les allégations à l’encontre d’Oussama ben Laden s’avère vraies ou fausses, la vérité est que lui, tout comme la direction des talibans de l’Afghanistan doivent leur pouvoir au fait qu’ils furent jadis des agents des USA dans leur combat durant la guerre froide contre l'URSS.

Manœuvres diplomatiques

Aujourd’hui, toute une série tractations diplomatiques infectes ont présentement lieu dans le but de construire une coalition pour frapper les talibans et Oussama ben Laden. Blair et le Secrétaire d’État américain, Donald Rumsfeld ont tous deux visité l’Asie Centrale et sa périphérie en vue de rechercher le soutien requis à toute action prise contre l’État de facto afghan. Blair a plus ou moins dit à Poutine que tous les assassinats et le grabuge menés par l’armée russe en Tchétchénie seront oubliés s’il autorise une coopération avec la Coalition des USA. Un génocide pour un autre semblent être les termes de l’entente. Poutine n’a plus qu’à convaincre ses clients du Sud en Ouzbékistan, au Tadjikistan, au Kirghizistan et au Turkménistan de concéder des bases aériennes aux USA et il ne sera plus question des Tchétchènes. Pendant que Blair graissait la patte de Poutine, Rumsfeld était en Ouzbékistan et les autres dictatures asiatiques préparant l’alliance qui allait défendre “la démocratie”. Ces États sont sans doute des dictatures sanguinaires mais leurs territoires recèlent certaines des ressources en pétrole et en gaz naturel les plus riches de la planète. Voilà la principale différence entre le “Grand Jeu” d’aujourd’hui et la lutte impérialiste opposant la Russie et la Grande-Bretagne en Afghanistan et en Asie Centrale au XIXème siècle. À cette époque aussi les enjeux stratégiques étaient mêlés à des motifs de gains économiques immédiats. Ce qui manquait alors était le facteur pétrolier. Aujourd’hui, comme l’attestent tous les documents des agences d’espionnage américaines, c’est dans l’intérêt des intérêts stratégiques des USA de contrôler le flot du pétrole à travers le monde. L’Asie centrale suit Arabie Saoudite en ce qui concerne les réserves mondiales.

L’Occident joue de nouveau sa vieille politique afghane (comme en Afrique, au Kosovo et partout ailleurs). Elle arme un groupe de monstres (cette fois l’Alliance du Nord, qui bénéficie depuis longtemps du soutien des gouvernements russe et iranien) pour en combattre un autre. L’Alliance du Nord est composée des mêmes seigneurs de guerre (des islamistes réactionnaires et fondamentalistes) qui ont d’abord détruit Kaboul après le départ de l’Union soviétique et sont ensuite tombés dans des luttes de pouvoir intestines. Cela a à son tour inquiété le dictateur pakistanais Musharraf (lui-même trié sur le volet par les USA) qui veut s’assurer que les Pashtoun feront partie du gouvernement une fois le régime taliban renversé. Il ne faut pas oublier que les talibans sont une création des services secrets pakistanais et de la CIA. Élevés dans les écoles religieuses (madrassas) de la communauté réfugiée pakistanaise, ils furent installés pour unir l’Afghanistan. À cette époque, les États-Unis voulaient utiliser l’Afghanistan pour un oléoduc partant de l’Asie Centrale jusqu’au Pakistan. Étant données l’état des relations américaines avec l’Irak et l’Iran, c’était la seule alternative restante. Une Compagnie américaine, Unocal, signèrent un accord avec les talibans pour sa construction. Cependant, les talibans échouèrent dans leur tentative d’arracher l’ultime partie de l’Afghanistan à l’Alliance du Nord, et par 1996, les USA réalisèrent que les talibans et le gouvernement du Pakistan n’étaient pas les marionnettes qu’ils avaient espérées et l’accord s’effondra. Il y a maintenant une bousculade entre les dictatures d’Asie Centrale (connues aux USA comme les “5 Stans”) pour faire partie de toute nouvelle intrique tramée par les USA dans la région.

Ce qui est arrivé est que tous ces régimes ont reçu des promesses, pourvu qu’ils s’engagent à aider à se débarrasser des talibans. C’est une coalition construite sur du sable et elle ne créera pas ce courageux nouvel ordre mondial auquel Blair a fait référence à la conférence du Labour Party. Une fois retombée la poussière des tours jumelles de New York, nous devrons faire face à encore d’autres manœuvres, à encore d’autres guerres. La seule différence sera que l’équivalent de la confrontation Israel-Palestine se répercutera à l’échelle mondiale. L’impérialisme ne nous offre que des crises économiques et des guerres catastrophiques. Seule la création d’un mouvement international de classe peut y remédier. Voilà pourquoi nous avons formé le Bureau International pour le Parti révolutionnaire. Nous appelons tous ceux et toutes celles qui croient qu’un mouvement autonome de la classe ouvrière est non seulement possible, mais essentiel à notre sauvegarde de la barbarie à nous rejoindre.

(1) Aussi connue au Québec sous le titre Résistance. Membre de la tendance “Socialisme International”. Elle avait autrefois un groupe en France nommé Socialisme par en bas maintenant disparu de sa liste de contacts. Signe d’une crise comme avec son ex-organisation sœur américaine, l’International Socialist Organization ou grossière manœuvre d’entrisme dans un autre groupe français ? Nous l’ignorons.

(2) Connue au Canada et en France comme la Ligue Trotskiste.