Lac Mégantic, la fournaise du capitalisme

Samedi, 6 juillet 2013, 1h30 du matin, à Lac Mégantic, une petite ville de 6,000 habitants au sud du Québec, un secteur de la municipalité s’enflamme. Un train fou (les médias parle du « train de la mort ») déraille dans la courbe menant à la ville. Au moins quatre wagons-citernes contenant 100 tonnes de pétrole brut chacun explosent dans le centre de ville. Ces wagons font partie d’un train sans conducteur de 72 wagons citernes. Des travailleurs et des travailleuses se reposent de leur semaine dans le bar Musi-Café et sur la terrasse aménagée côté rue, sur le trottoir. La voie ferrée passe derrière le commerce. L’explosion prend par surprise les gens à l’intérieur, qui n’ont aucune chance de s’en sortir, alors que sur la terrasse, les gens n’ont que le temps de courir, sentant la chaleur intense dans leur dos. Des histoires d’horreur comme celle-là, il y en a des dizaines. On ne peut qu’être solidaires et émus devant leur malheur (1).

Ce train, arrêté la veille dans le village voisin de Nantes, attend le nouveau conducteur. Un feu se déclare dans la locomotive de tête. Les pompiers interviennent et arrêtent le moteur. C’est plus tard dans la nuit que le train dévale la pente menant à Lac Mégantic. Les freins devaient être en fonction sur la locomotive de tête et sur les 10 premiers wagons du train. De toute évidence, ce n’était pas le cas.

Des dizaines de personnes disparues, des gens incinérés instantanément dont certains gisent en pleine rue. Des édifices, maisons et des commerces disparaissent dans la fournaise.

Qu’est-il arrivé? Et surtout pourquoi?

Il faut remonter un peu dans l’histoire pour s’expliquer cette hécatombe. Ce n’est pas un accident fortuit. Il y a des antécédents et des causes qui expliquent cette catastrophe.

Le gouvernement canadien est responsable des transports au pays. En 1995, le Canadien National (dont le réseau MMA faisait partie) est vendu aux entreprises privées, qui le partagent en plusieurs morceaux. Une partie du réseau québécois a été rachetée en 2003 par la compagnie Montréal, Maine and Atlantic (MMA) d’une autre compagnie qui était en faillite. Le réseau s’était détérioré et était mal entretenu. MMA est une petite compagnie états-unienne ayant bénéficié de subventions et d’un prêt de la Caisse de dépôt et de placement du Québec pour améliorer son infrastructure. Il semble que le propriétaire, Edward Burkhardt, président de Rail World (qui possède MMA), ait utilisé ces montants pour rénover seulement la partie états-unienne de son réseau avec les argents fournis par le gouvernement du Québec. Il a maintenant le culot d’accuser ses employés et les pompiers qui ont sauvé son train des flammes pour expliquer les causes de l’enfer provoqué par nul autre que lui-même. Son adresse à la population de Lac Mégantic montre bien tout le courage des capitalistes face à la grogne populaire : ils cherchent des boucs émissaires pour éviter toute responsabilité; ils rejettent leurs fautes sur la classe ouvrière!

MMA détient le contrat de transport de pétrole brut vers la raffinerie Irving au Nouveau-Brunswick. Il faut dire que le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta et les gaz de schiste du Dakota sont depuis quelques mois beaucoup moins cher que le Brent de la Mer du Nord; une bonne affaire pour les capitalistes. Sauf que le réseau n’est pas prêt pour l’intensification de la circulation ferroviaire. À titre d’exemple, 500 wagons-citernes transigeaient sur le réseau en 2009 alors que c’est 140,000 wagons-citernes prévus en 2013, soir 28000% de plus!

Les normes

Les normes dans les transports ont été déréglementées depuis les années 80. On a encore en souvenir la déréglementation du transport aérien au États-Unis où depuis ce temps les accidents se sont multipliés. Le transport par train, réglementé par le gouvernement fédéral, a suivi cette orientation : déréglementation et privatisation. Un seul exemple suffit à le démontrer : sur le train fou du Lac Mégantic, un seul travailleur est responsable de cinq locomotives et de 72 wagons citernes transportant des matières dangereuses. Il y a 40 ans, la norme était de cinq travailleurs pour une locomotive et 20 wagons (2). Le soir du vendredi 5 juillet 2013, le conducteur quitte comme à l’habitude le convoi après avoir respecté toutes les consignes d’usage.

Ici donc, 2 problématiques sont en cause : les mesures de sécurité sur les trains et les normes environnementales concernant le transport des matières dangereuses. Toutes les deux relevant de l’État canadien. La question reste posée : comment un train de 72 wagons citernes peut-il partir sans conducteur et sans surveillance et dont le moteur de la locomotive a subi un incendie la veille?

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Nous avons la réponse de Sun News (3) qui évoque l’hypothèse d’un acte des écolos anarchistes. Un peu farfelue comme idée, puisque ces mouvements sont la plupart du temps pacifistes, et non violents. Aucun indice sérieux n’étayait cette hypothèse. Personne ne parle d’acte terroriste du genre : on fait dérailler un train qui explose au cœur d’un village de 6,000 personnes pour démontrer que le pétrole, ce n’est pas bon!

Bien sur l’enquête nous révèlera certaines causes. Mais trop de faits accusent déjà l’État et les compagnies ferroviaires. Des trains qui passent à des vitesses supérieures aux normes à Farnham (encore MMA), des locomotives et des trains laissés sans surveillance et non protégés, des wagons-citernes en mauvais état ou de technologie dépassée (mais que les compagnies utilisent puisqu’à moindre coût avec l’autorisation de l’État). Il est donc évident que laisser le marché libre, dérèglementé et privatisé afin d’augmenter les marges de profits, en un mot le capitalisme, réglementé ou pas est la principale cause de la catastrophe du Lac Mégantic.

Solutions

Nous avons la réponse des lobbyistes des pipelines qui expliquent que ceux-ci sont plus sécuritaires que le transport par voie ferrée, ce que dément Équiterre. Selon l'Association of American Railroads, au cours des 10 dernières années aux États-Unis, les fuites de pétrole transporté par trains totalisait 2268 barils. Pour les oléoducs, le volume des fuites est 210 fois plus important: il s'élève à 474 441 barils (4). L’abandon du pétrole tout simplement? Il est clair que les Total, Shell, BP et Exxon-Mobil ne se laisseront jamais faire et ce sont des capitalistes comme eux qui contrôlent les gouvernements, comme le disait bien candidement le futur Président français François Hollande devant les caméras de télévision lors du débat des chefs en 2012.

Revoir les normes? Bien sur il faut le revendiquer. Mais ces normes ont été rayées des lois par les mêmes gouvernements et partis politiques qui sont toujours là aujourd’hui. Et tout le monde sait qu’ils sont là pour faire avancer l’économie capitaliste.

Reconstruire le réseau ferroviaire pour qu’il passe en dehors des villes et villages? Certainement! Mais qui va payer pour ça? Les gouvernements en nous imposant toujours plus? Ou l’entreprise privée, subventionnée par nos impôts?

En conclusion

On voit avec quelle incompétence l’État gouverne les biens et services publics, qui n’a d’égal que l’irresponsabilité de leurs amis dans l’entreprise privée. Incompétence et irresponsabilité dont la source se trouve dans la soif des profits. Peut-on encore compter sur eux pour vivre et travailler en sécurité? La réponse est évidente. Ils sont criminellement responsables. Mais que faire alors? Seul les travailleurs et les travailleuses peuvent mettre fin définitivement à ce genre d’hécatombe, en mettant fin au système capitaliste. Des travailleurs et des travailleuses organiséEs, mobiliséEs et autonomes peuvent garantir leur propre sécurité par le dépassement révolutionnaire de la société bourgeoise. Ne comptons que sur nous-mêmes. Former des assemblées de travailleurs et de travailleuses de ville comme il s’en est fait à Montréal et ailleurs pendant et après la grève étudiante. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il nous faut un vrai parti international du prolétariat, qui nous guide politiquement, qui nous représente comme classe et non pas une des autres classe de la société. Pour contrer les capitalistes qui nous tuent avec la bienveillance des partis politiques actuels, il nous faut le nôtre!

Daniel Leduc et Frédéric Delvoye, 11 juillet 2013

(1) La mosaïque des personnes disparues : radio-canada.ca

(2) fr.wikipedia.org

(3) sunnewsnetwork.ca

(4) lapresse.ca

Saturday, July 20, 2013