Kirkland Lake

Argent et ordures

Après une décennie de lutte, la population de Kirkland Lake, une communauté ouvrière du Nord-Est ontarien a finalement eu le dessus sur un projet de traitement d’ordures extrêmement dangereux. Le projet était de transporter des millions de tonnes de déchets de Toronto et de les décharger dans un lac situé à 600 kilomètres au nord de la métropole. Le lac s’était formé dans ce qui était autrefois la fosse principale de l’ancienne Adams Mine, une mine de fer à ciel ouvert. Hormis la menace environnementale évidente et la rentabilité douteuse (1) du fait de transporter un volume aussi énorme de rebuts sur une aussi longue distance, le projet était criblé de plusieurs autres défauts.

La vieille carrière fait l’équivalent de 55 étages de profondeur et est creusée 100 mètres dans le niveau hydrostatique (la nappe phréatique) dans de la roche très fracturée sur un site dominant la ceinture agricole fertile du Témiscamingue au sud-est. Le projet impliquait la contamination puis le traitement de 300 millions de litres d’eau par année. Juste un des "problèmes" négligés du projet était que la fosse très fracturée permettrait à l’eau de se répandre par ses fissures. L’idée d’installer un genre de couche de scellant ne garantissait rien mais, de toute façon, les promoteurs ne l’envisageaient même pas. Le résultat aurait été la contamination de la nappe phréatique et les puits par des produits chimiques dangereux en aval de la fosse. Des centaines de kilomètres-carrés du Nord-Est ontarien et du Nord-Ouest québécois étaient menacés. Motivée par un état de catastrophe imminente, la population de cette région ouvrière organisa la résistance au projet funeste. Elle n’avait guère le choix! Les élites locales avaient donné leur appui enthousiaste au dossier. Selon le maire Enouy, les trois conseils locaux et le Northern Daily News c’était une idée magnifique. Puisque la majorité des mines était fermée, Kirkland Lake renaîtrait sous la guise d’un "centre de traitement de déchets". Les compagnies puissantes qui auraient bénéficié directement du projet (2) pesaient aussi d’un poids important sur la balance.

Finalement le projet fut définitivement (?) abandonné par un vote du Conseil municipal de Toronto, le 4 décembre dernier. Dans l’avenir immédiat, les ordures torontoises seront acheminées au Michigan! (3)

Pourquoi donc le projet de 10 ans a-t-il été déraillé? Malgré sa pure stupidité et les dangers évidents, il semblait assuré que le gouvernement ontarien allait l’imposer. Il fit tout pour empêcher la tenue d’une évaluation d’impact environnemental en contradiction flagrante avec sa propre législation. Cependant, les manifestations locales se multipliaient. Il y a eu toutes sortes d’assemblées publiques, de manifestations et d’actes de désobéissance civile. Le sale boulot que l’État préparait dans le nord lointain avait été ébruité et cela créait beaucoup de remous... Les ex-mineurs et leurs compagnes avaient gagné l’appui des petits fermiers ( incluant les francophones du côté québécois) à leur sud et même des autochtones des nations Algonquine et Wahgoshig. Ce genre d’unité internationaliste n’est pas acquis au Canada mais a de toute évidence donné des résultats positifs. Bien sûr, quelques politicailleux tentèrent de profiter de la mobilisation sitôt qu’ils sentirent de quel côté soufflait le vent. Cela n’est pas surprenant dans l’état politique actuel de la classe ouvrière et c’est déjà un accomplissement en soi que c’est la mobilisation de la base qui a forcé l’État à reculer.

Mais malgré cette victoire cruciale, au moment où on ferme le dossier de la Adams Mine, un nouveau péril toxique menace la région. Une compagnie du nom de Bennett Environmental veut construire un incinérateur de BPC à Kirkland Lake. Le même groupe dirige déjà une opération similaire depuis 1992 sous un nom francophone: Récupère-Sol à Saint-Ambroise, dans la région productrice d’aluminium du Saguenay. Déjà affligée par le taux de cancer infantile le plus élevé de la province suite au niveau de pollution industriel (provenant principalement des énormes établissements de l’Alcan), cette région doit maintenant faire face à la présence très importante de toutes sortes de nouveaux produits dangereux qui apparaissent maintenant dans les forêts tout autour de la petite ville. (4)

Il est intéressant de noter que le gouvernement nationaliste du Québec, qui se présente comme un solide soutien de l’Accord de Kyoto en opposition aux neuf provinces anglophones qui l’opposent, se plie en quatre pour adapter ses politiques environnementales aux besoins des profiteurs immondes tels Récupère-Sol. (5)

Ainsi, il apparaît que les travailleurs et les travailleuses de Kirkland Lake ont une nouvelle bataille importante à mener et dans cette province aussi, l’État vient d’adopter une nouvelle politique sur les BPC adaptée sur mesure pour le projet Bennett (décembre 2001). Dans cette multiplication de "projets de traitement des déchets" et avec l’intervention ouverte de l’État en faveur de ces menaces toxiques, des sommes immenses sont en jeu et de gros profits peuvent être réalisés. De toute évidence cette région a été ciblée par l’État comme une de ses futures décharges de produits toxiques. Toutes sortes de politiciens, de politiciennes et de journalistes tenteront d’empoisonner le cœur et l’esprit des gens tandis que les capitalistes se préparent à souiller leur terre, leurs lacs, leur air et leurs corps. Maintenant plus que jamais, les travailleurs et les travailleuses doivent affirmer leur volonté et leur autonomie politique. L’organisation ouvrière est essentielle. La conscience de classe sera requise pour mener une vraie bataille contre ce nouveau péril et tous ceux à venir. La résistance à court terme est bien sûr indispensable. Mais si nous voulons un jour vivre une vie saine, c’est toute la société qu’il faudra nettoyer. Aussi longtemps que le capital domine le monde, Kirkland Lake, Saint-Ambroise, Rouyn-Noranda et, à vrai dire, toute la planète sont en danger.

(1) Environ un milliard de dollars sur la durée du plan.

(2) Pour en nommer quelques-unes: l’Ontario Northland Railway et son partenaire le Canadien National, la compagnie de camionnage Miller Group, Notre Development (sic) Inc. et Canadian Waste Services.

(3) Il est intéressant de voir comment d’une perspective nationaliste québécoise ou canadienne, la mondialisation et l’Accord de libre-échange sont toujours présentés comme des menaces à "notre souveraineté", notamment dans le domaine de l’environnement. Dans ce cas, comme dans celui de l’amiante, il est intéressant de constater que notre santé et notre environnement ne sont pas garantis par le protectionnisme ou le nationalisme. Les capitalistesd’ici et leurs acolytes politiques, comme dans tous les autres pays, polluent et laissent polluer où et quand ils et elles l’estiment profitable. Dans ce cas, c’est la population du Michigan qui écope.

(4) Un rapport fait état de niveaux élevés de plomb, de mercure, de cadmium, de dioxines, etc.

(5) Nous parlons ici de la nouvelle réglementation sur l’enfouissement des résidus dangereux. (11 juillet 2001).