Rouyn-Noranda

Alerte au Béryllium!

Rouyn-Noranda, un centre de production métallurgique du Nord-Ouest québécois est sous la menace d’une pollution industrielle sévère et diverse. De la population générale d’un peu plus de 27 000 personnes, se sont les travailleurs et les travailleuses de l’usine Horne et les gens du quartier largement ouvrier de Notre-Dame, directement au sud des hauts-fourneaux qui sont les plus exposés, principalement à de larges doses d’arsenic, de plomb et peut-être plus dangereusement de béryllium.

Récemment des représentants de la compagnie et de la Direction de la santé publique ont admis un certain nombre de faits troublants. L’hebdomadaire local La Frontière a rapporté une forte augmentation d’émissions d’arsenic dans son édition du 30 janvier 2002. Selon La Frontière, depuis le milieu des années 90, la compagnie ajoute de l’arsenic à son cuivre avant de l’envoyer à son établissement d’affinage à Montréal-Est. (1)

Cela a eu pour effet d’accroître le niveau d’arsenic à l’intérieur et autour de l’usine. De 1990 à l’an 2000, la quantité d’arsenic expulsée par les cheminées du "smelter" est passée de 45 tonnes à 60.2 tonnes par année. Durant la même période, l’objectif était de la diminuer à 25 tonnes/année. Belle réalisation! Au moment de mettre sous presse, il a été impossible pour Notes Internationalistes de quantifier le montant d’arsenic émanant directement des édifices de l’usine et qui n’est pas acheminé aux cheminées. Cependant, cette quantité pourrait être importante car la compagnie semble identifier comme zones à problèmes les voies d’aération du département de la coulée des anodes.

Les niveaux de plomb sont aussi à la hausse et ont toujours été un sujet de soucis dans la ville. Les enfants jouant dans leurs carrés de sable peuvent être exposés aux métaux lourds dans le sol. Ils sont particulièrement en danger parce que le plomb peut avoir un effet dévastateur sur le développement normal de leur système nerveux.

Les travailleurs à l’intérieur de l’usine sont exposés à 10 fois le niveau d’arsenic de l’extérieur! Les porte-parole de la compagnie et de la santé publique essaient d’être rassurant mais admettent leur ignorance par l’annonce de la création d’un comité provincial pour déterminer à quel niveau l’arsenic devient dangereux. Un spécialiste de l’hôpital du Mont Sinaï de New York qui avait étudié la présence d’arsenic dans la boîte au début des années 80 considérait que le seul niveau sûr était zéro.

Pendant ce temps, très peu de choses ont récemment été dites localement sur le problème du béryllium à l’usine. Le béryllium aussi peut-être très dangereux. Et l’attitude de la compagnie à son égard est inquiétante. Le 25 février 2002, celle-ci a refusé de se présenter à l’émission "Un an plus tard" de TVA pour parler du problème de béryllium à son usine de Murdochville qui semble connaître les mêmes problèmes que celle de Rouyn-Noranda. Pour dire vrai, c’est toute l’histoire de la compagnie (Noranda) face aux maladies industrielles qui est troublante. (2)

Le problème du béryllium à l’usine Horne a commencé à devenir évident en 1998 lorsqu’un médecin a pensé que le métal pouvait être responsable des problèmes respiratoires d’un ouvrier. Le 18 février 1999, un premier verdict fut rendu: une bérylliose chronique. Deux autres travailleurs commençaient à montrer des signes d’infection. Le 10 avril 1999, La Presse annonça qu’au moins 300 travailleurs (sur environ 600) étaient testés pour la maladie. Depuis lors, à peu près tous les travailleurs ont passé des examens effectués par le système de santé publique. Cependant, Noranda a maintenant aussi soumis un bon nombre de travailleurs à ses propres examens.

Le problème du béryllium est apparemment nouveau à Rouyn-Noranda mais est maintenant une cause d’inquiétude dans un grand nombre d’usines à travers le monde. La CSST vient de publier une liste de 2800 lieux où les prolos sont exposés au métal. Donc, seulement au Québec, ça pourrait affecter des milliers de vies. (3)

Le métal est dur et léger. Il est un excellent conducteur électrique et thermique et n’est pas magnétique. Toutes ces qualités le rendent utile dans toutes sortes d’industries. Il est notamment utilisé pour l’équipement aérospatial, dans les semi-conducteurs et les puces, dans les réacteurs nucléaires, les bâtons de golf, etc. Ainsi, l’usine Horne qui à notre connaissance recycle 100 000 tonnes de métaux par année traite certainement une bonne quantité de matériaux contenant du béryllium. Jusqu’à date, il est difficile d’avoir une idée précise du nombre de personnes affectées. Des membres du réseau de la santé se sentent intimidées parce que d’une certaine manière, Rouyn-Noranda est encore ce qu’on appelait autrefois une "company town" et que dans la présente situation économique, personne ne veut risquer son emploi... Notre information est cependant qu’au moins cinq travailleurs se sont vus reconnaître à reculons une bérylliose chronique par la CSST et qu’au moins cinq autres attendent une décision. De plus, au moins un autre 20 travailleurs, incluant des sous-contractants ont montré avoir développé une allergie au métal et peuvent développer la maladie en tout temps.

Une personne peut développer la maladie du béryllium même après avoir quitté l’industrie depuis plusieurs années. (4)

Ainsi, comme la population du quartier Notre-Dame n’a toujours pas été examinée (il n’y a pas de plan à cet effet) et que la CSST fait preuve de mauvaise foi dans toute cette affaire, nous ne pouvons qu’extrapoler sur l’étendue de l’infection à ce jour. Ce qui est clair est que:

  1. On ne peut faire confiance à la compagnie.
  2. La CSST est la créature des patrons.
  3. Il n’y a pas de raison de croire que les gaz et les poussières dangereuses s’arrêtent au grillage de l’entrée de l’usine et conséquemment, la population du quartier Notre-Dame qui vit de l’autre côté de la rue est traitée avec une légèreté criminelle.
  4. Malgré quelques articles de journaux et des demandes d’investissements de sécurité supplémentaires, le syndicat n’agit pas et ne tente aucune réelle mobilisation des ses membres et de la population.

Cette affaire est grave. Le béryllium vient d’être classé carcinogène humain par l’International Agency for Research on Cancer et une nouvelle recherche démontre que 40% de la population a un "marqueur" génétique qui a été associé à la maladie. Notes Internationalistes entend suivre le dossier dans notre prochaine édition. La santé publique est un critère clé par lequel on peut évaluer le degré d’humanité d’une société. Comme nous l’avons vu dans ce numéro, le système capitaliste échoue encore lamentablement ce test. À Rouyn-Noranda comme partout ailleurs, la cause de la maladie c’est le capitalisme lui-même.

Dernière heure : Des nouvelles de l’usine de Murdochville indiquent que 13 travailleurs sont affectés par la bérylliose. À Noranda Affinerie CCR, nous savons que 164 travailleurs exposés sont en voie d’être examinés. Pas de nouvelles encore sur le problème d’arsenic.

Victor

(1) Nous tentons de savoir si l’arsenic ajouté aux anodes expédiées à Noranda Affinerie CCR est devenu un problème dans cette usine aussi.

(2) Voir l’excellent mais trop peu diffusé documentaire "NORANDA" par Daniel Corvec et Robert Monderie.

(3) Lire le reportage de l’émission "Les Années Lumière" de Radio-Canada du 17 février 2002.

(4) Medfacts, publié par le National Jewish Medical and Research Center.