Louis Laberge (1924-2002) - Pas une seule larme!

Le décès l'été dernier de l'ancien président de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ), Louis Laberge, a monopolisé l'attention des médias pendant toute une semaine. Certaines manchettes ont caractérisé Laberge de 'visionnaire pragmatique', tandis que d'autres ont salué le grand défenseur de la classe ouvrière. Les nombreux témoignages ont mis l'accent sur les diverses 'contributions' de Laberge au mouvement ouvrier. On s'est souvenu du Laberge dirigeant fougueux de la grande grève du Front Commun de 1972, on a pleuré le travailleur 'coloré', toujours en contact avec sa 'base' et finalement, on a admiré le politicien sagace et l'homme d'affaires, le fondateur de l'immense 'institution du capitalisme ouvrier', le Fonds de solidarité FTQ. L'opinion unanime l'a consacré le plus grand syndicaliste de l'histoire du Québec. Il semble bien que Ti-Louis, comme l'appelait ses 'confrères', était bien des choses pour bien du monde. Si l'Histoire devait le juger à partir du dit et de l'écrit autour de son trépas, il n'y a pas de doute qu'elle lui accorderait une niche illustre et confortable. Ainsi Laberge serait dans la mort comme dans la vie, illustre et confortable...

Mais alors que la télévision nous faisait voir en direct l'incroyable agglomérat du Bottin mondain de la société canadienne, réuni dans la magnifique cathédrale montréalaise de Marie-Reine-du-Monde pour honorer sa mémoire, une autre vision de cet homme hantait un grand nombre de travailleurs et de travailleuses. En effet, pour des milliers de prolétaires, le souvenir de Louis Laberge ne sera jamais doux. Puisque les diverses publications gauchistes locales ont unanimement décidé de se tenir coi sur la vie de ce capitaliste 'ouvrier', je crois utile d'aller contre le courant et de l'exposer à la lumière crue de la vérité. Donc, alors que les Brian Mulroney, Lucien Bouchard et Bernard Landry, accompagnés des plus puissants et des plus arrogants capitalistes canadiens ainsi que les 57 variétés de ce que Lénine qualifiait de 'commis ouvriers de la classe capitaliste' (labour lieutenants of the capitalist class) offrait à Ti-Louis des funérailles d'État, voici certains faits et souvenirs qui me vinrent à l'esprit en contemplant les ecclésiastiques drapés d'or faire son panégyrique, le bénir puis l'expédier pour l'éternité.

Une des seules vérités à jamais sortir de la bouche de Louis Laberge a été ce qu'il a dit au moment de sa retraite: "Je n'ai jamais travaillé une journée de ma vie. La façon que je vois ça, j'ai été payé pour me tenir avec mes chums". Laberge a commencé sa carrière à Canadair durant la guerre en 1943. Il y avait alors un certain nombre d'anarchistes réfugiés de la Guerre civile espagnole qui travaillaient dans cette usine et qui s'en souvenaient comme un larbin de la compagnie. Il commença sa carrière syndicale en faisant la chasse aux 'rouges' contre des ouvriers qui dirigeaient le syndicat local, alors sous l'influence du Parti 'communiste' stalinien. Les vieux anarchistes CNT n'avaient absolument aucune sympathie pour les staliniens mais méprisaient Laberge pour sa chasse aux sorcières. Plus tard, après avoir contribué à vider le local syndical, il fut lui-même 'tassé' à cause de ses accointances trop chaleureuses avec les patrons. Pendant les années 50, au plus fort du Maccarthysme et son pendant québécois la Loi du Cadenas, Laberge continua sa chasse aux sorcières dans la fonction de conseiller municipal. En 1955, il loua ainsi le travail d'un certain Jean Boyczum, un flic spécialisé dans la traque de prolétaires radicaux en disant: "il y a quelques années, il a été d'un grand secours dans une opération de nettoyage dans nos syndicats".

En 1964, il fut élu président de la FTQ et resta à ce poste jusqu'à sa démission en 1991. À l'occasion, Laberge croyait opportun de prendre des postures radicales. Par exemple, dans les mois précédents la grande grève du Front Commun de 1972, il avait crié "si c'est nécessaire, on va casser le régime", parlant bien sûr du gouvernement libéral du moment et non du régime d'esclavage salarié. Le gouvernement tenta d'en faire une sorte de héros en l'emprisonnant après la grève, même si les syndicats avaient largement contribué à la casser. Trente ans après les faits, une certaine mythologie a été crée sur son rôle dans cette affaire, mais les travailleurs et les travailleuses de l'époque savaient très bien à quoi s'attendre du personnage. Par exemple, à peine quelques années plus tard, alors qu'il tentait de prendre la parole lors d'un rassemblement de masse à Montréal, la foule ouvrière l'a tellement conspué et sifflé qu'il dû quitter la tribune et la salle. C'était ça, le contact de Laberge avec sa 'base'... Le défunt Henri Gagnon, un ouvrier réformiste et dirigeant intermédiaire de la FTQ a très bien décrit le Laberge qu'il a si bien connu: "La confusion vient du fait qu'il y a deux Louis Laberge. L'un utilise un verbiage révolutionnaire en disant qu'il faut casser le système. L'autre, le Louis Laberge secret a ses entrées régulières dans les coulisses du Parlement!

À travers les années 60 et jusqu'au milieu des années 70, il mena des immenses campagnes de maraudage contre les autres syndicats, surtout dans l'industrie de la construction et en étroite alliance avec la pègre. Pendant ces années, ses gangsters et ses nervis, armés de barres à clous et de battes de baseball, effectuaient des descentes sur les chantiers sous le contrôle d'unions rivales et malmenaient les travailleurs qui n'avaient pas les bonnes cartes. J'ai été témoin d'une de ces razzias et je suis encore révolté par le souvenir de travailleurs ensanglantés et dépenaillés, forcés de fuir les lieux de leur gagne-pain. J'ai été témoin de cette même violence quand je travaillais à la Noranda, lorsque les ouvriers pensaient qu'on pouvait 'démocratiser' le syndicat et que plusieurs d'entre nous furent battus ou intimidés pour l'avoir cru. Ce n'est pas que les autres syndicats ne pratiquent pas la violence contre les travailleurs (ils la pratiquent aussi!), mais la performance de la bande à Louis était certainement la plus grossière de la liste des grossièretés.

À l'époque, son ami et plus proche associé était le mafieux André 'Dédé' Desjardins; le même Desjardins qui fut abattu il y a quelques années dans son rôle de 'Shylock' des Hell's Angels. Même si ces dernières années, les médias nous ont présenté Laberge comme un dirigeant ouvrier honnête, ses voyages de chasse et de pêche de même que ses vacances en Floride avec des crapules et des truands en tous genres étaient légendaires. Je suppose qu'il se sentait alors en bonne compagnie...

Mais, la plus grande contribution de Laberge à ses maîtres capitalistes fut sans aucun doute son travail 'révolutionnaire' d'intégration toujours plus étroite de l'appareil syndical à la structure étatique. Sa participation enthousiaste et ouverte à tous les forums et à tous les organes de collaboration de classe laissait ses bureaucrates rivaux haletant, suant et loin derrière dans la poussière. Sa plus grande réalisation dans la trahison de la classe ouvrière fut la création, avec l'appui enthousiaste de l'État, d'un nouvel organe de capitalisme 'ouvrier', le Fonds de solidarité FTQ en 1983. À travers cette institution, des milliers de travailleurs et de travailleuses ont été intégrés dans le processus de leur propre exploitation et endoctrinés par les enseignements d'Adam Smith.

Pas étonnant qu'il ait eu des funérailles d'État! La classe dominante lui devait certainement cette reconnaissance. Chacune des journées de sa vie fut consacrée à la profanation du principe de la solidarité ouvrière et à la planification et à sa participation à l'exploitation brutale du prolétariat. Nous communistes ne croyons pas à une autre vie après la mort. Ainsi, Ti - Louis, comme tous les exploiteurs et les traîtres du passé, n'aura jamais à rendre compte de ses crimes contre la classe ouvrière. C'est la raison de cet article. C'est par devoir auprès de tous les travailleurs et les travailleuses qu'il a vendu, c'est par devoir devant la mémoire de notre classe que j'enregistre ma dissidence. Nous sommes encore à écrire le grand livre de l'histoire de la classe ouvrière, mais je ne pense pas que la place que Laberge y tiendra sera celle qu'il a occupé dans les manchettes estivales. Peu m'importent les éloges que lui ont fait l'État, les politiques, les capitalistes et les prêtres. Je sais que ce qu'il a été et que ce qu'il a fait en arriverait à dégoûter même un ver solitaire.

Un travailleur