Les tranchées de la toundra

L'hystérie médiatique du mois de février à propos d'objets volants et de ballons météorologiques ou espions survolant l'espace aérien américain et canadien souligne l'importance militaire accrue des cieux du Grand Nord. Ces objets ont mis les hauts responsables de l'OTAN dans l'embarras parce qu'ils n'ont pas été détectés plus tôt, confirmant les paranoïas sur l'existence d'un angle mort dans le système NORAD « sous-financé ». Avant même ces événements, les stratèges militaires ont depuis longtemps insisté auprès des responsables politiques, avec un certain succès, sur la nécessité de renforcer les capacités militaires de l'alliance dans le Nord. Ces événements surviennent donc dans un contexte d'escalade croissante des tensions entre les puissances mondiales.

Depuis près d'un an, le massacre en Ukraine marque un changement fondamental dans le système impérialiste mondial. Enlisés dans la crise économique, les blocs capitalistes cherchent désormais à se consolider autour d'ennemis communs : leurs rivaux impérialistes et la classe ouvrière. L'État canadien a pris une position unique dans cette vague de militarisation, avec davantage de conseillers militaires de la FOI 2 (forces spéciales canadiennes) présents en Ukraine que dans n'importe quel autre pays avant le déclenchement de la guerre. Des rapports de presse indiquent que la FOI 2 opère toujours en Ukraine (ce qui n'a été ni confirmé ni démenti (!) par le ministère de la Défense). Le Canada est désormais considéré comme un pilier essentiel de l'OTAN, alors que la distance autour de l’océan Arctique semble se réduire.

En août de l'année dernière, Trudeau et le secrétaire général de l'OTAN, Stoltenberg, ont effectué une visite conjointe de l'Arctique canadien afin de consolider un front vital de la défense de l'alliance. Avec des discours de réconciliation et d'opportunité (vivre à côté de pistes d'atterrissage et d'installations radar), Trudeau s'est engagé à consacrer 5 milliards de dollars dans les 6 prochaines années et 40 milliards de dollars dans les 20 prochaines années à la militarisation de l'Arctique. Le Canada et le reste de l'OTAN considèrent qu'ils sont en retard sur les capacités militaires russes dans l'Arctique, Poutine remettant en service d'anciennes bases de l'URSS tandis que le système NORAD est laissé à l'abandon. Dans un contexte où la rhétorique nucléaire flotte dans les airs, les généraux reconnaissent une fois de plus que l'Arctique est le chemin le plus court pour un affrontement dévastateur avec la Russie. Pour rattraper son retard, le Canada affecte ces fonds à une vaste expansion des infrastructures dans les territoires arctiques et à la reconstruction de la surveillance par satellite de la région afin de détecter les missiles et les chasseurs à réaction russes.

Avec la fonte de la calotte glaciaire, les capitaux russes et chinois ont investi massivement dans la partie russe de l'Arctique. En plus des trillions de dollars de gisements de minerais et d'énergie inexploités, dans une période où la chaîne d'approvisionnement est perturbée, la route maritime du Nord qui longe la côte russe devrait permettre de réduire de 40 % la durée des transports maritimes. Le capital russe a misé sur cette opportunité unique alors que l'extraction de ses anciennes ressources stagne et que ses industries de haute technologie s'essoufflent.

De l'autre côté du pôle, le capital canadien voit des perspectives lucratives dans l'exploitation minière et d'autres formes d'extraction de ressources dans le Grand Nord. Le Canada est déjà un acteur impérialiste dominant dans le secteur minier mondial, 75 % des sociétés minières ayant leur siège dans le pays. Non seulement le capital canadien peut s'enorgueillir d'importants gisements nationaux, mais il finance et supervise également des opérations minières mondiales, de Cuba au Chili en passant par l’Indonésie. Le Canada est l'un des principaux producteurs de nickel, d'or, de cuivre, de fer, de titane, d'uranium, de lithium, de cobalt, de potasse, de niobium et de zinc. En 2003, les gisements de diamants découverts dans les territoires du Nord lui ont permis de dépasser l'Afrique du Sud en termes de production de diamants. En outre, le recul de la calotte glaciaire rend le passage du Nord-Ouest accessible au transport maritime mondial, créant ainsi un canal de Panama naturel.

La crise économique actuelle et la guerre en Ukraine ont contraint le bloc impérialiste autour de l'OTAN à reconstituer la concurrence en fonction de sa rivalité avec la Russie et la Chine. Alors que, pendant des décennies, les États-Unis et le Canada se sont considérés comme des concurrents économiques dans l'Arctique, le récent voyage de l'OTAN dans le Grand Nord montre que le Canada met de côté ces différends interalliances pour faire face à un plus grand ennemi. La solution à la crise ne semble plus pouvoir être trouvée par le biais d'une concurrence capitaliste ordinaire, à savoir qui construira la prochaine mine de nickel ou le prochain port en eau profonde, mais tend plutôt vers la destruction totale des principaux rivaux. Il est non seulement impératif pour le Canada et les États-Unis d'empêcher l'accès de la Russie aux nouvelles ressources potentielles de l'Arctique, mais aussi de bloquer la bourgeoisie russe de ce qu'elle considère comme étant son avenir économique. Cela correspond bien sûr à un positionnement militaro-stratégique.

La vaste expansion de l'infrastructure dans le cercle arctique pour soutenir une militarisation croissante contribuera à son tour à une extraction de ressources de plus en plus importante. Alors que les ressources économiques du Grand Nord en font un lieu militaro-stratégique bien plus important, le développement rapide des routes, des voies aériennes et des ports ne fera qu'accroître l'importance économique de la région. Ces deux grandes poussées vers le Nord entraîneront la militarisation de la vie quotidienne de la population autochtone des territoires.

L'importance du soutien des peuples autochtones du Nord n'échappe pas à Trudeau et à ses généraux. La majorité des Rangers canadiens (la principale force militaire dans l'Arctique) est composée de membres des Premières Nations et d'Inuits. Les Rangers bénéficient d'une amélioration significative de leur équipement militaire et leurs compétences en matière de survie sont considérées comme essentielles pour la formation de l'ensemble de l'armée aux opérations dans l'Arctique.

Le virage du Canada vers le nord se traduira par des dépenses militaires qui dicteront la géographie sociale de ses territoires arctiques. Tout comme les rails et les routes des anciennes colonies étaient destinés à l'exportation de marchandises vers la métropole, les infrastructures aériennes, terrestres et maritimes seront encore plus adaptées aux besoins de l'économie militaire et extractive. En conséquence, la vie économique de la population indigène sera davantage intégrée au projet impérialiste du Canada : la ministre de la Défense Anita Anand a présenté cela comme une grande « opportunité » pour eux, en disant qu'elle « s'assurera que les entreprises autochtones bénéficient de ces investissements tout au long de la chaîne d'approvisionnement ». Ainsi, l'image de Trudeau et Stoltenberg rencontrant un chef traditionnel autochtone devient claire : ce que la réconciliation signifie réellement, c'est la domination par la militarisation ; de l'eau propre à condition de contribuer au front nord de l'impérialisme canadien.

La montée des conflits impérialistes n'a pas seulement lieu dans un pays lointain. La classe ouvrière du monde entier est invitée à payer pour les effets économiques des perturbations de la chaîne d'approvisionnement, qu'il s'agisse du chauffage à Berlin ou de la sécurité alimentaire au Caire. La détérioration des salaires réels se heurte à un État plus proactif qui écrase les grèves des cheminots américains, des éducateurs de l'Ontario et des travailleurs paramédicaux de Terre-Neuve. Compte tenu de ce qui précède, il apparaît clairement que, dans la toundra, l'OTAN et la Russie préparent des tranchées l'une contre l'autre, tandis que les missiles balistiques intercontinentaux de la péninsule de Kola et du Nebraska se pointent l'un vers l'autre.

Face à la gravité de la situation à laquelle notre classe est confrontée, la Tendance Communiste Internationaliste a lancé l'initiative « Pas de guerre sauf la guerre de classe » pour servir d'espace aux forces internationalistes afin qu'elles travaillent ensemble contre le militarisme et les attaques économiques des capitalistes contre notre classe. Pour résumer le point de vue de ces comités, nous citerons longuement Lénine :

« La guerre a, sans conteste, engendré une crise extraordinairement violente et aggravé, à l'extrême la misère des masses. Le caractère réactionnaire de cette guerre, le mensonge éhonté de la bourgeoisie de tous les pays, qui dissimule ses visées do brigandage sous le manteau de l'idéologie “ nationale ”, suscitent nécessairement, dans la situation révolutionnaire qui existe objectivement, des tendances révolutionnaires au sein des masses. Notre devoir est d'aider à prendre conscience de ces tendances, de les approfondir et de leur donner corps. Seul le mot d'ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile exprime correctement cette tâche, et toute lutte de classe conséquente pendant la guerre, toute tactique sérieusement appliquée d'“ actions de masse ” y mène inévitablement. On ne peut savoir si c'est à l'occasion de la première ou d’une seconde guerre impérialiste des grandes puissances, si c'est pendant ou après cette guerre, qu'éclatera un puissant mouvement révolutionnaire. Mais, de toute façon, notre devoir impérieux est de travailler méthodiquement et sans relâche dans cette voie. »

À bas le Canada, à bas l’OTAN, À bas l’Ukraine et à bas la Russie!

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!

Klasbatalo

Notes :

Image : NATO

Monday, March 27, 2023

Mutiny / Mutinerie

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