Le bain de sang en Syrie : Guerre de classe ou guerre ethnique?

L’hiver arabe

Trois ans, cela semble long. Début 2011 il semblait qu’un vent frais de révolte soufflait de l’Est en s’étendant au monde arabe.[i] Des protestations massives et des grèves ouvrières en Tunisie et en Egypte avaient terrifié la classe dominante au point qu’elle avait senti le besoin de déposer ses propres chefs d’Etat. Les braises de la révolte se répandaient dans le monde arabe, et semblaient se propager dans le monde entier sous la forme des mouvements Occupy et des indignados. Tout cela, sur fond de mouvements de masse en Iran et en Grèce il y a à peine deux ans, donna l’illusion qu’il y avait un retour massif à la lutte dans la classe ouvrière, qu’une fois encore les gens ordinaires saisissaient l’occasion de transformer radicalement leurs vies.

Et cependant, en cette fin 2014, la situation n’est plus aussi optimiste. Au Moyen-orient, les conflits en Syrie et en Irak se sont mués en une guerre ethnique/sectaire[1] qui aujourd’hui menace de s’étendre aux pays voisins, le Liban et la Jordanie étant les plus vulnérables. A l’est de l’Ukraine une guerre civile larvée continue malgré le cessez-le-feu. Nous sommes passés ces trois dernières années d’une situation qui semblait être d'un retour de la lutte de classe à une situation où la classe ouvrière, au lieu de saisir l’opportunité de lutter pour ses propres intérêts, a plongé tête la première dans des luttes ethniques/sectaires de plus en plus profondes.

L’hiver Arabe semble presque s’être installé dès l’apparition des premiers signes de printemps. Même s’il a pu être difficile de voir, pour certains qui étaient enthousiastes, dans quelle direction le mouvement s’engageait, les signes étaient déjà là dès Mars 2011. En Tunisie et en Egypte la classe ouvrière s’était mobilisée en défense de ses propres intérêts. Dans ces deux pays ce sont des grèves massives d’ouvriers qui ont fait trembler l’Etat. Cependant, dans les autres pays, ce ne fut pas le cas. Le conflit en Libye n’a jamais revêtu les mêmes caractéristiques, même à son tout début. En Libye, le printemps Arabe a pris la forme d’une guerre tribale fratricide. L’intervention des puissances occidentales au côté des rebelles n’a fait que pousser plus loin les affrontements dans cette direction, cependant que plus à l’est des évènements beaucoup plus dangereux couvaient.

Alors que le conflit en Libye était principalement une lutte entre tribus rivales, la lutte au Levant[2] et en Mésopotamie a eu un caractère sectaire beaucoup plus profond, avec la potentialité de s’étendre largement au-delà des frontières d’un seul Etat pour engloutir toute la région. Les luttes en Syrie et au Bahrein revêtirent ces caractéristiques. La Syrie, un pays où la majorité de la population est composée d’Arabes musulmans sunnites, est dirigée par les membres d’un rameau du chiisme minoritaire (Alaouite) qui s’appuient sur le soutien des autres minorités du pays. En revanche dans le petit Bahrein, c’est une monarchie Sunnite qui règne sur une population majoritairement Chiite. Inquiétés par la minorité Chiite dans ses propres pays, le Conseil de Coopération des États arabes du Golfe (CCG), l'organisation des monarchies pétrolières dirigée par l’Arabie Saoudite, envoya des blindés pour écraser le soulèvement Chiite mi-mars. A partir de là, il devint absolument clair que le conflit avait cessé d’être une série d’évènements « nationaux » et devenait une lutte sectaire dans toute la région, les principaux protagonistes étant l’Arabie Saoudite et le CCG avec la Turquie côté Sunnite, et l’Iran, la Syrie, et des factions en Irak et au Liban de l’autre côté.

A gauche, comme cela avait été fait en Libye, beaucoup voulurent voir une véritable révolution ouvrière en Syrie. D’autres, conscients de la nature sectaire et réactionnaire du plus gros du mouvement de protestation, défendirent l’Etat syrien au nom de la laïcité, de l’anti-impérialisme ou d’une idéologie, quelle qu’elle soit, pouvant être utilisée pour tenter de dissimuler l’horreur d’un Etat meurtrier sanguinaire. Des anarchistes en particulier, mais pas uniquement, ont été particulièrement vulnérables au discours sur les comités démocratiques et l’auto-organisation de la révolte. Beaucoup ont insisté sur ces caractéristiques même quand il devint de plus en plus évident que la guerre se changeait en un bain de sang de tous côtés dans lequel différents gangs ethnicos-sectaires contrôlaient les populations, et qu’ils les contrôlaient par la force. Evidemment, en tant que communistes nous sommes d’accord qu’il ne peut y avoir de vrai mouvement de la classe ouvrière sans l’auto-organisation des ouvriers. Cependant, nous insistons aussi sur le fait qu’il ne peut pas y avoir de conseils ouvriers sans lutte des ouvriers. La démocratie locale en elle-même n’est pas révolutionnaire. Dans beaucoup de pays les ouvriers peuvent voter pour leurs représentants locaux qui sont responsables et dirigent les services municipaux, et dans beaucoup de pays cela dérange très peu.

Ce qui donne aux conseils ouvriers leur contenu révolutionnaire n’est pas leur forme démocratique mais le fait qu’ils sont les représentants des ouvriers en lutte. La guerre en Syrie a connu une bouffée d’enthousiasme dans la lutte contre le régime. Les gens ont créé divers comités et conseils, mais ce n’était pas une lutte des ouvriers. Finalement avec la prise de contrôle par les gangs armés de ce qui est rapidement devenu une guerre, l’enthousiasme et l’engagement populaires ont disparu. Bien sûr certains comités ont subsisté, mais en étant constitués d’hommes armés donnant les ordres. Beaucoup, mais pas toute la gauche, ont semblé se rendre compte de leur erreur. Comme les internationalistes l’ont dit dès le début, il n’y a aucun camp progressiste dans cette guerre. Il semble qu’un peu de la leçon ait été apprise.

Et il y eut Kobané…

Les protagonistes : Daech et le PKK

Depuis la mi-septembre, la petite ville de Kobané à la frontière turco-syrienne est devenue le centre de l’attention quand Daech l’a assiégée en vue de sa prise. Une fois encore la gauche s’est félicitée chaleureusement de ce qui est seulement une autre phase de lutte sectaire avec son extension à toute la région. Alors, cette lutte à plus grande échelle, est presque présentée comme la lutte entre le bien et le mal par une grande partie de cette gauche. Du côté des bons et de la clarté nous avons le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, et du côté du diable et de l’obscurantisme nous avons Daech, nouvellement rebaptisé simplement Etat Islamique.

Les origines de Daech se situent en Irak à la fin des années 1990. Il a connu divers regroupements et changements de nom y compris celui d’Al Quaida en Irak, et finalement constitué sous le nom d’Etat Islamique d’Irak fin 2006. Ce qui a été à la base de la constitution de Daech pendant ces années, a été l’évolution de la situation en Irak vers une guerre civile ouverte en 2006. Quoique présentée en Occident comme la lutte contre l’occupation américaine, cette guerre civile irakienne avait au contraire les caractéristiques d’une lutte entre musulmans Sunnites et Chiites.

L’Irak a été un Etat traditionnellement gouverné par les membres de la minorité Sunnite sur la majorité Chiite. Après la dernière guerre d’Irak, la démocratie américaine nouvellement promue a donné à la majorité Chiite plus de représentation et de pouvoir dans le gouvernement irakien. La botte a changé de pied. La majorité Chiite utilise son pouvoir contre la minorité Sunnite. Des actions de purification ethnique semblables à celles commises par Daech sont aussi commises contre la population Sunnite dans le sud irakien. Daech s’est positionné comme force dirigeante Sunnite dans la guerre civile sectaire en Irak. Pendant ce temps, il a réduit le nombre de combattants étrangers et professionnalisé sa structure militaire en intégrant d’anciens militaires et agents de renseignement issus de l’ancien parti Baas. Parallelement, il a soumis les politiques tribales qui l'avaient servis si bien les années précédentes.

Avec le début de la guerre en Syrie, une faction au sein de Daech a commencé à infiltrer ses militants derrière la frontière. En se positionnant à nouveau comme le défenseur des musulmans Sunnites contre les atrocités perpétrés à l’époque par l’Etat syrien, et en utilisant des alliances et dissidences tribales dans les luttes et regroupements qui n’ont jamais cessé au sein de l’opposition syrienne, Daech a manœuvré pour en prendre la tête. Bien sûr ; le soutien en matière de politique financière et de recrutement est venu de l’Arabie saoudite, et de certains de ses alliés dans le CCG, sans parler du soutien reçu de la Turquie. Pour les Etats du Golfe en particulier, Daech était une arme qui pouvait être utilisée dans une lutte plus large, visant le gouvernement Chiite de Bagdad et le gouvernement Alaouite de Damas, deux des trois principaux alliés de leur ennemi ultime : l’Iran.

Daech semble avoir perdu maintenant le soutien de ses partisans dans le Golfe[3]. Toutefois, la Turquie semble encore le voir comme ayant quelque utilité dans la lutte pour renverser l’Etat syrien et comme arme pour porter un coup à son ennemi de trente ans: le PKK.

Le PKK mene une guerre dans le sud-est de la Turquie depuis ces trente dernières années. Comme Daech, il est essentiellement une milice ethnique. Il trouve ses origines non en Syrie, mais en Turquie. Cependant, pendant sa longue guerre, il a établi des sections dans les pays voisins au sein des populations kurdes. Comme Daech, le PKK a aussi reçu le soutien des différents Etats, en premier lieu la Syrie, mais aussi l’Iran (jusqu’à ce que la section iranienne du PKK commence à déranger l’Etat iranien), et la Russie. Il semble aussi que la section iranienne, le PJAK, ait reçu de l’aide des Etats-Unis. Elle a certainement essayé d’approfondir les contacts quelle avait avec l’Amérique, le porte-parole du PJAK Ihsan Warya allant jusqu’à déclarer que « le PJAK souhaiterait vraiment être un agent des Etats-Unis ».

La section syrienne du PKK, le Parti de l’Union démocratique (PYD) est resté à part de la majorité des fractions au début de la guerre en Syrie, en dehors du Conseil National Kurde (CNK) soutenu par son rival du PKK, Massoud Barzani du PYD, et du Conseil National Syrien qu’il considérait comme trop lié à la Turquie. En juillet 2012, l’Etat syrien a pris la décision de retirer la majorité de ses troupes de la partie kurde du pays pour être capable de les déployer contre l’offensive de l’opposition à Alep. Peu après le PYD a pris le contrôle de la plus grande partie de la région kurde ce qui fut accompli avec très peu de violence, et beaucoup ont suggéré qu’un accord avait été conclu entre le PKK/PYD et l’Etat syrien. Ce que le PYD a fait au Kurdistan syrien (Rojava) depuis a été vu par beaucoup comme une révolution sociale.

Révolution au Rojava

Le PKK a développé une offensive de propagande massive en Occident. On trouve des articles parlant de la lutte dans le Kurdistan syrien dans tous les medias occidentaux, des journaux de gauche jusqu’au magazine féminin Marie-Claire. Ce qui était vu dans les principaux medias occidentaux comme un groupe nationaliste stalinien s’est maintenant repositionné comme un mouvement démocratique, écologiste, féministe, mu par une philosophie dite du « confédéralisme démocratique » adaptée de celle de l’anarchiste Murray Bookchin[4]. Pour beaucoup de personnes dans la région, qui sont familiers avec le mode opératoire du PKK, cela semble difficile à croire. Le PKK est une organisation au passé sombre. Même son leader emprisonné Abdullah Ocalan parle de périodes des « gangs au sein de notre organisation et de banditisme ouvert, montant des opérations inutiles, au petit bonheur la chance, envoyant des foules de jeunes à la mort. » L’histoire du PKK est quelque chose qui a été bien documenté par les critiques internationalistes[5]. Ce n’est pas l’objet de cet article.

Pour nous le problème n’est pas que le PKK ait une histoire sanglante de crimes à la fois contre ses propres membres et contre la classe ouvrière. C’est sans aucun doute son histoire. Ce n’est pas une surprise. Tous les gangs nationalistes ont pratiquement le même genre d’histoire, et même si beaucoup dans la gauche qui soutiennent ces gangs pourraient souhaiter que ce ne soit pas le cas, cela accompagne ce terrain. Même s’il y eut quelques mouvements nationalistes qui à leur début n’ont pas été souillés du sang de la classe ouvrière, et de ses propres membres, la logique nationaliste les amènera dans la même direction, c’est pourquoi nous ne nous penchons pas ici sur le passé sanglant du PKK, mais sur ses positions d'aujourd’hui.

Il y a eu beaucoup de bruits dans les medias occidentaux sur des unités de milices complètement féminines avec des photos de jeunes femmes en tenue de combat avec leurs armes ornant les pages des magazines et des sites Web. Cyniquement, ça fait vendre. Nous avons là des jeunes femmes courageuses combattant ces « barbares islamistes ». Le département marketing du PKK connaît bien l’audience que cela rencontre. Mais à y regarder de près, ce n’est pas vraiment aussi radical. Daech a aussi des groupes formés exclusivement de femmes dans ses troupes. On ne peut imaginer qu’il y ait des groupes mixtes dans un groupe islamiste ultra, mais dans le PKK non plus, pas plus que dans l’Etat iranien qui a aussi des troupes de combat féminins. En fait, le PKK a une longue histoire de séparation des sexes et les relations sexuelles sont punies, tout comme dans n’importe quelle armée bourgeoise.

Cependant, c’est un important sujet de propagande et vendeur pour lui. Le but de cette campagne en Occident a deux volets. L’un est d’obtenir que le PKK soit rayé des listes des organisations terroristes dans différents pays. Avec l’émergence du diable Daech, la ligne du PKK est que ces jeunes femmes ne se battent que contre les terroristes. Ce qu’il vend à la gauche c’est que c’est une sorte de révolution sociale, dans laquelle les relations entre les sexes sont bouleversées. Les anarchistes ont fait la comparaison avec la révolution espagnole en 1936, ce que nous abordons dans un autre article.[6] Le second but est d’obtenir le soutien pratique des Etats-Unis et des Européens pour les combattants de Kobané, ce qui a jusqu’à présent marché avec le parachutage d’armes et de munitions aux troupes assiégées, et le soutien aérien.

Pour revenir à la question de la révolution : pour nous, comme communistes, une révolution est la création de la classe ouvrière en lutte pour ses propres intérêts. Dans le cours de cette lutte la classe ouvrière transforme non seulement la société, mais elle se transforme aussi elle-même. Au Kurdistan syrien ; il n’y a pas eu de mouvement de la classe ouvrière. Le contrôle des villes a été pris par un groupe armé prenant la place laissée vacante après le retrait de l’armée arabe syrienne. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas eu de soutien pour le PYD, comme le nationalisme aujourd’hui est fort dans les régions kurdes. Des comités locaux ont été formés qui ont pris le contrôle des tâches courantes habituellement dévolues au niveau municipal de l’Etat. Daech aussi, a dans beaucoup de cas laissés les gens prendre en charge les questions locales, et comme Daech, les hommes armés ont gardé le pouvoir au sommet. L’organisme dominant du Rojava, le Conseil suprême kurde, est un corps qui n’est pas constitué de délégués mais une alliance entre deux groupes politiques, le PYD et le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) soutenu par Barzani. Malgré toutes les prétentions démocratiques, le contrôle ultime est exercé par des gangs nationalistes armés.

Et le PKK est un gang nationaliste. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le PKK malgré une histoire quelque peu variable avec des groupes minoritaires en Turquie s’est maintenant constitué comme le défenseur des minorités du Kurdistan. Ceci, cependant, ne s’applique pas, et ne peut pas s’appliquer aux Arabes. En plus d’une occasion, Salih Muslim, co-leader du PYD, a parlé d’« expulser les arabes », et la possibilité d’une « guerre entre kurdes et arabes ». Clairement, Muslim ne parle pas d’expulser tous les Arabes, « un jour ces Arabes qui ont été amenés dans les zones kurdes devront être expulsés ». Les Arabes dont il parle sont ceux qui ont été transplantés lors de la campagne d’Arabisation de 1973. Etant donné la démographie des pays du Moyen-Orient (l’âge médian en Syrie est juste au dessus de 22 ans), la majorité de ces « ces Arabes qui ont été amenés dans les zones kurdes » sont nés au Kurdistan. Muslim lui-même admet que ces Arabes sont des « victimes » de tout cela. Cela ne l’empêche pas de proclamer que « tous les villages où ils vivent appartiennent maintenant aux kurdes ».

Bien sûr, ces arabes ne peuvent pas être séparés des Arabes qui les ont précédé. Beaucoup d’entre eux qui sont nés au Kurdistan, qui se sont mariés avec des Arabes locaux, ont eu des enfants et mêmes des petits enfants. Comment le PYD peut-il faire la différence entre eux, et plus important encore comment les autres arabes vont-ils réagir à ce discours de purification ethnique ? C’est la voie de tous les conflits ethniques qu’on a connu dans tout le Moyen-Orient, en particulier chez le voisin : au Liban, et dans des lieux comme dans l’ex-Yougoslavie ou l’Irlande du Nord en Europe, à plusieurs reprises. Quel que soit le discours de gauche de certains protagonistes dans ces luttes, elles suivent la spirale toujours plus profonde dans un conflit de plus en plus dramatiquement ethnique/sectaire. Au départ les pires atrocités peuvent être des « erreurs », des exécutions de civils menées sans direction ou permission de la direction des différentes milices nationalistes. Cependant, pour les familles et les amis des victimes, c’est d’une importance secondaire. Ils rendent coup pour coup puis le meurtre est suivi d’atrocités et de massacres.

Au milieu d’une guerre civile entre une milice kurde et ce qui est essentiellement une milice arabo-sunnite, c’est ce qui va se produire. Peu importe que le PKK se présente lui-même comme progressiste. La logique de la situation dicte ce qui va se produire. Un bon exemple est le massacre de Kingsmill dans le Comté Armagh, en Irlande du nord en 1976. L’IRA, comme le PKK, était vu comme une organisation « progressiste », « socialiste », mais dès le jour où les paramilitaires protestants exécutèrent cinq civils catholiques, les Républicains irlandais sortirent et arrêtèrent une bus d’ouvriers du bâtiment, enlevèrent onze protestants, leur tirant dessus et en tuant dix d’entre eux. L’IRA démentit son implication dans l’attaque. Cela n’empêcha pas pour autant les paramilitaires Protestants de tenir leur revanche et les tueries œil-pour-œil dent-pour-dent se poursuivirent.

Pour les communistes, une révolution ne peut pas venir de milices armées ethniques/sectaires et le combat entre les milices de différents groupes ethniques/sectaires ne peut mener la classe ouvrière qu’à la division jusqu'à être entraînée elle-même dans le massacre.

Guerre de classe ou guerre sectaire?

C’est cette menace de guerre ethnique/sectaire qui annonce le danger pour le futur. Finalement malgré les différences entre le PKK et Daech, les ressemblances entre les deux sont ce qui les relient. Un vernis socialiste n’empêche pas une milice ethnique de jouer son rôle dans cette escalade du cycle d'un conflit ethnique et de la purification ethnique. Il est clair que dans cette lutte c’est Daech qui est l’agresseur et que le PKK défend son pré carré. Il est clair que, comparé à Daech, le PKK semble positivement progressiste. Mais rien de tout cela ne les empêche de jouer leur rôle dans l’intensification du conflit ethnique.

Bien sûr nous avons de la sympathie pour les Kurdes qui se font massacrer par Daech. Cependant, contrairement à certains au sein de la gauche, les internationalistes reconnaissent que ceux qui meurent du côté de Daech viennent aussi principalement de la classe ouvrière et de la paysannerie. Comme parmi les Kurdes, il y en a beaucoup qui combattent avec Daech, qui ont perdu des proches dans le massacre sectaire mené par les milices Chiites en Irak, et par les Alaouites qui tiennent l’Etat en Syrie. Aussi bien du côté de Daech, comme du côté des Kurdes, il y a beaucoup de jeunes ouvriers et paysans qui sont embrigadés dans ces gangs.

Dans une lutte où les ouvriers et paysans s’entretuent au nom du nationalisme et de la religion, les communistes ne prennent pas parti. Ceux qui prennent parti dans cette guerre ne contribuent pas à long terme à une quelconque victoire progressiste, mais plutôt à de futures divisions ethniques, une militarisation accrue de la région, rien au bénéfice de la classe ouvrière. Il semble ironique que beaucoup au sein de la gauche, particulièrement ceux qui sont alignés sur le PKK en Turquie, qui ont souvent rallié n’importe quel pouvoir impérialiste local ou relais d’autres impérialismes, et qui s’opposaient aux Etats-Unis, cherchent maintenant l’appui des Etats-Unis. Bien sûr, ils doivent savoir que l’intervention américaine dans cette guerre n’est certainement pas au bénéfice du peuple du Moyen-Orient, mais ils semblent l’avoir oublié rapidement.

La classe ouvrière n’est pas assez forte ni au Moyen-Orient, ni dans le monde, pour arrêter cette guerre. Prétendre autre chose c’est se bercer d’illusions. Cependant, cela ne veut pas dire que les révolutionnaires doivent plonger tête première en prenant partie pour un camp, et agissant dans une voie qui mènera certainement à une prolongation et une intensification du conflit ethnique/sectaire. Il est important de rappeler que le siège de Kobané n’est qu’un moment d’une lutte plus large dans toute la région entre les représentants des différentes puissances impérialistes locales. La Turquie avec l’Arabie Saoudite, et le CCG, vont continuer à essayer de renverser l’Etat syrien, et la Turquie va continuer sa guerre terroriste non seulement contre le PKK, mais aussi contre la population civile du Kurdistan. Il est presque inévitable qu’en retour d’autres puissances opposées à la politique de la Turquie commencent à fournir des armes au PKK pour continuer la lutte contre la Turquie. Les manifestations récentes en Turquie en soutien aux combattants de Kobané qui ont fait trente morts, majoritairement tués par l’Etat turc, et quelques uns par des gangs nationalistes turcs, ont montré que l’Etat a utilisé des blindés contre les manifestants pour la première fois depuis le coup d’Etat de 1980. Les forces armées turques ont aussi, après une période de cessez-le-feu, repris leurs attaques sur le PKK en Turquie. Bien sûr, c’est la Turquie qui est l’agresseur dans ce cas, mais quand le PKK réplique de la même manière, et tue des conscrits turcs, ce ne sera pas la première chose qui viendra à l’esprit de leurs mères, parents, et amis… et la spirale de la haine ethnique, qui à sont tour mène à la violence, au meurtre et au massacre, continuera.

L’alternative que les internationalistes posent est celle de la lutte de classe contre toutes les « solutions » nationales. Cela peut sembler lointain, mais il y a seulement quatre ans la grève Tekel en Turquie semblait vraiment avoir brisé les barrières entre les ouvriers turcs et kurdes, et provoqué une vague de grèves beaucoup plus large. 2013 a vu des manifestations massives en Turquie provoquées par les brutalités policières contre les manifestants du parc Gezi à Istanbul. Après trois années, le printemps arabe semble bien loin, mais dans les temps actuels des changements peuvent très rapidement se produire. Bien que la classe ouvrière semble faible aujourd’hui, des luttes où la classe ouvrière défend ses propres intérêts reviendront dans le futur, elles sont la seule solution pour surmonter les divisions ethniques et sectaires en unissant les ouvriers, non pas comme Kurdes, Turcs, Arabes, Perses, ou Sunnites, Chiites, Chrétiens ou Yézidis.

D. Valerian

28/10/2014

(Traduit de l’anglais par OP).

Glossaire

Qui est qui au Kurdistan – Bref récapitulatif

PKK Parti des Travailleurs du Kurdistan. Organisation politique et militaire turque kurde, marxiste-Leniniste (c’est-à-dire stalinienne) à l’origine, fondée en 1978 par Abdullah Öcalan (emprisonné en Turquie depuis 1998). En guerre avec l’Etat turc depuis 1984.

PYD Parti de l’Union Démocratique du Kurdistan, branche syrienne du PKK, fondé en 2003.

YPG Les Unités de protection du peuple (kurde : Yekîneyên Parastina Gel, abrégé YPG) forment la branche armée du PYD.

CNK Conseil National Kurde en Syrie. Un regroupement hétérogène d’organisations politiques kurdes opposées au PYD et sous le parrainage du PDK

PDK Parti Démocratique du Kurdistan, fondé en 1946 par Mustapha Barzani et dirigé par son fils, Massoud. It is the ruling power in the KRG.

KRG Gouvernement Régional du Kurdistan formé arpès la chute de Saddam Hussein en Irak sous le PDK de Massoud, c’est un allié loyal des Etats-Unis

UPK Union Patriotique du Kurdistan. Fondée en Irak en 1975 après une scission du PDK. Il est dominant dans le sud du Kurdistan irakien. Son chef Jalal Talabani a été président de l’Irak depuis 2005 (revenu en 2014 après un an et demi d’absence pour des raisons de santé).

[1] (NDT) Dans le sens musulman. En français on dirait guerre de religion entre plusieurs sectes musulmanes.

[2] (NDT) Historiquement le Levant caractérise la région côtière de la Méditerranée orientale comprise entre la Turquie au nord et l'Egypte au sud. Ici elle limite surtout à la Syrie.

[3] Voir cet article pour une discussion plus détaillée du conflit impérialiste plus large leftcom.org. Il y a aussi une actualisation des racines matérielles à la base du conflit : leftcom.org.

[4] (NDT) Murray *Bookchin* (1921 - 2006 et à New York) auteur, orateur américain et anarchiste écolo. Il est considéré aux États-Unis comme l'un des grands penseurs de la nouvelle gauche. Bookchin est le fondateur de l'Écologie sociale, école de pensée qui veut apporter une nouvelle vision politique et philosophique au rapport entre l'homme et son environnement.

[5] Voir en.internationalism.org beaucoup de détails sur l’histoire du PKK y inclus une partie intéressante sur l’attitude envers les femmes.

[6] Voir In Rojava: People’s War is not Class War

[i] Notes

[i] Voir notre position leftcom.org.

Thursday, December 4, 2014