1871-2021 : Vive la Commune!

Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

« Adieu » dans Une saison en enfer. Rimbaud, 1873

Il y a certaines dates de l'histoire de la classe ouvrière qui sont un acquis durable et indispensable pour le programme communiste, nous les distinguons comme conquêtes et leçons des luttes auxquelles notre classe s'est trouvée confrontée. 1871 en est une. Le 18 mars, il y a 150 ans, les ouvriers parisiens ont pris la ville et pendant 72 jours ont commencé à effectuer la transformation de la société.

La guerre franco-prussienne

L'Europe de la seconde moitié du 19e siècle était habitée par le spectre des révolutions de 1848. En France, Napoléon III a établi sa dictature sur le corps du prolétariat qui avait surgi pendant les journées de juin puis en s'engageant à restaurer l'Empire français. En Allemagne, toujours divisée en 39 États, les révolutions libérales de 1848 avaient échoué. Ce sera la caste des junkers prussiens menée par Bismarck qui unifierait l'Allemagne pour préserver la monarchie et sa position de classe. La guerre franco-prussienne qui éclate en 1870, à la suite de la victoire de la Prusse sur le Danemark et l'Autriche, était le dernier acte de la realpolitik de Bismarck qu'il poursuivait en devenant ministre-président en 1862. Napoléon III a été manipulé pour déclarer la guerre à la Prusse par Bismarck qui a caviardé et publié la dépêche d'Ems qui semblait montrer que l'ambassadeur de France avait été brutalement expulsé par le roi de Prusse.

Les nationalistes manifestaient à Paris scandant « À Berlin ! », le 28 juillet Napoléon III conduisait l'armée française vers le Rhin, tandis que les Prussiens et leurs alliés des petits États allemands commençaient à se masser à la frontière française. Les semaines suivantes l'armée française, mal organisée et mal dirigée, subissait défaites sur défaites jusqu'au 2 septembre où Napoléon III, lui-même, fut capturé à la Bataille de Sedan. Après l'abdication de Napoléon III le Second Empire français évidemment s'effondre. La panique éclate à Paris, et deux jours plus tard, un gouvernement provisoire de La Défense nationale est créé par les membres de l'Assemblée nationale de gauche comme de la droite républicaine. Ils déclarent la Troisième République et s'engagent à la poursuite de la guerre.

Les événements parisiens n'ont pas changé le cours de la guerre. Le 19 septembre Paris est assiégé. Le 31 octobre le gouvernement provisoire décide d'ouvrir des négociations avec les Prussiens, il rencontre de violentes protestation de la population. Certains révolutionnaires essaient de profiter de la situation. A Lyon, Bakounine tente de fomenter une insurrection - le 28 septembre, lui et ses camarades saisissent la mairie, proclament l'abolition de l'État et annoncent la formation d'une Convention Révolutionnaire pour le salut de la France. Trouvant peu de soutien, les révolutionnaires sont dispersés ces jours là. Bakounine part pour Marseille, où il essaye de commencer un autre insurrection de courte durée (avant qu'elle n'éclate, le 31 octobre, il dût fuir en Suisse). Pendant ce temps, Blanqui, qui avait déjà organisé des manifestations armées en janvier et en août, lance un journal républicain « La Patrie en danger », et le 31 octobre joue un rôle de premier plan dans l'organisation des éléments révolutionnaires parmi les ouvriers parisiens et la Garde Nationale pour le renversement du gouvernement provisoire ayant trahi les intérêts de la France. Blanqui et ses camarades s'emparent de Hôtel-de-Ville et annoncent la formation d'un Comité de Salut public, avant d'être arrêtés peu de temps après. Blanqui lui-même entre dans la clandestinité ; il continue de conspirer contre le Gouvernement provisoire jusqu'au 17 mars 1871, où il est finalement arrêté à Bretenoux.

A Paris, le gouvernement provisoire continue à résister aux tempêtes cette nouvelle année. Le 18 janvier 1871, attisant le nationalisme allemand et humiliant les Français, Bismarck atteint enfin son objectif - l'unification allemande. Pendant ce temps à Paris d'autres tentatives d'insurrection, comme la manifestation armée du 22 janvier des blanquistes (à laquelle Édouard Vaillant et Louise Michel, entre autres, participent), ont été repoussées et ont abouti à plus de répression politique. Mais les tentatives du Gouvernement provisoire pour lever des armées dans les provinces ne suffisent pas à sauver Paris. Le siège se poursuit (tout comme les négociations de paix avec les Prussiens). Aux élections du 8 février à l'Assemblée Nationale dans les départements non occupés par les Prussiens, les monarchistes obtiennent la majorité et, quelques jours plus tard, le conservateur Adolphe Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif provisoire de la République française.

Il signe le traité de Versailles le 26 février 1871 qui met fin à la guerre franco-prussienne. Pourtant, ceux qui espéraient que ce serait la fin de la crise devait être rapidement déçus. La marche victorieuse (maintenant) des troupes allemandes jusqu'à Paris et l'ordre pour désarmer la Garde Nationale se sont heurtés à un mécontentement généralisé. Suite à ces événements, la Garde Nationale, désillusionnée par le gouvernement provisoire, rassemble les canons et les armes dans les quartiers populaires de Paris et a élu son propre Comité central indépendant. Quand Thiers envoya l'armée régulière pour la désarmer par la force et ramener l'ordre dans la ville, de nombreux soldats refusèrent et retournèrent leurs armes contre leurs généraux. Le gouvernement provisoire fuit Paris et se retire à Versailles. La Commune de Paris commence.

Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques… Le prolétariat… a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.

Proclamation du Comité Central de la Garde Nationale, 18 mars 1871 cité par Marx in La guerre civile en France

La première internationale

Maintenant, il est nécessaire de décrire les différentes tendances politiques au sein du mouvement ouvrier à l'époque. Bien sûr, le protagoniste principal ici est la Première Internationale, fondée en 1864, une alliance amalgamant des syndicalistes, des républicains, et divers radicaux mêlant des anarchistes et des communistes, auxquels Marx fournissait une direction politique. En fait, c'était le rapport de Marx de la guerre franco-prussienne et de la Commune de Paris, livré d'abord en discours au Conseil général de l'Internationale et plus tard publié en brochure : La guerre civile en France (1871), qui a servi comme défense la plus féconde de la Commune aux yeux du monde et fait de Marx « l'homme le plus calomnié et le plus menacé de Londres. » (lettre de Marx à Kugelmann, 18 juin 1871).

En Allemagne, les membres de l'Internationale, Wilhelm Liebknecht et August Bebel, ont dénoncé la guerre au Reichstag au nom de la social-démocratie allemande, ils s'abstiennent lors du vote sur les crédits de guerre, et expriment leur sympathie pour la Commune. Pour cela, ils ont été plus tard jugés coupables de haute trahison. Des meetings de masse de travailleurs ont eu lieu dans les villes allemandes adoptant des résolutions anti-guerre. En France, où l'Internationale était seulement une force marginale inquiétée par la répression et des épreuves régulières, la section de Paris publia néanmoins un manifeste contre la guerre et lança un appel aux travailleurs allemands. Après septembre 1870 - l'effondrement du Second Empire et la création de la Troisième République - l'Internationale à Paris fut revitalisée, et de nouveaux comités furent créés dans divers quartiers de la ville. Cela dit, comme Auguste Serraillier l'a rapporté, il y avait beaucoup de désorganisation et tous n'ont pas embrassé les positions internationalistes (les blanquistes et les proudhoniens refusèrent de publier une traduction de la Deuxième Adresse de Marx la jugeant «trop prussienne»).

Dans l'ensemble cependant, la politique officielle de l'Internationale était pour la paix et contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne. L'Internationale tenta de rallier les travailleurs à cette position politique non seulement dans les deux nations en guerre, mais aussi en Angleterre et en Amérique.

A Paris, l'héritage républicain de 1789, 1830, 1832 et 1848 avait une influence dans la vie politique. C'étaient les idées de Proudhon et de Blanqui, révolutionnaires de la génération précédente, qui dominaient encore dans le mouvement ouvrier. Lorsque la Commune, à laquelle le Comité Central de la Garde Nationale transféra le pouvoir, a tenu sa première élection le 26 mars, les membres de l'Internationale n'ont obtenu seulement que dix-sept des quatre-vingt-dix sièges, alors que la majorité est allée aux blanquistes. Blanqui lui-même bien sûr avait été arrêté quelques jours avant que la Commune ne soit créée, mais il fut élu comme président d'honneur en son absence. Toutes les tentatives des Communards d'échanger la libération de Blanqui contre des otages ont été repoussées. Les blanquistes espéraient essentiellement une dictature militaire qui remplacerait l'inutile Gouvernement provisoire pour continuer la guerre contre la Prusse. Les Proudhoniens voulaient une fédération de communes où le travail et le capital pourraient coexister et éviter la participation aux luttes politiques et économiques. Comme l'a noté Engels cependant, face à la réalité, les deux courants ont parfois été forcés de faire «l'opposé de ce que la doctrine de leur école prescrivait. »

A l'assaut du ciel

Elle [la Révolution du 18 mars] consacre l’avènement politique du prolétariat, comme la Révolution de 1789 a consacré l’avènement politique de la bourgeoisie.

Auguste Vermorel, L’ami du peuple, numéro 2 du 24 avril 1871

… Pour une « révolution sociale absolue », « pour l'abolition de tous les rapports sociaux et juridiques existants, pour l'élimination de tous les privilèges et les formes d'exploitation, pour la substitution du règne du capital par le règne du travail ... en un mot, pour le l'affranchissement du travailleur par lui-même.

L'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, 8 mai 1871

Ainsi s'expriment des communards. Mais la Commune de Paris ne bénéficie que d'un temps limité pour concrétiser ses idées disparates. Durant ses 72 jours d'existence, elle adopte un certain nombre de décrets. Alors que vingt-quatre membres de la Commune seulement appartiennent à la classe ouvrière, il est clair que la majorité de ses décrets, quoique limités, visent à faciliter la vie du prolétariat parisien. Par ailleurs, il faut souligner que la plupart des mesures sont imposées sous la menace des manifestations:

  • 19 mars: Le Comité central de la Garde Nationale annonce les élections;
  • 29 mars: La Commune décrète un moratoire sur les trois derniers termes des loyers.
  • 30 mars: La conscription est abolie (cf : journal officile du 30 mars 1871);
  • 2 avril : La Commune décrète la séparation de l'Église et de l'État. Un salaire pour tous les membres du gouvernement et des service civils, fixé au niveau du salaire d'un ouvrier qualifié;
  • 12 avril : La Commune décrète un moratoire sur le paiement des factures commerciales;
  • 16 avril : La Commune décrète la confiscation des usines abandonnées et la transformation de leur propriété en des coopératives ouvrières. Il ne fut jamais appliqué;
  • 20 avril: La Commune décrète que des ouvriers boulangers ne doivent plus travailler la nuit;
  • 25 avril : La Commune décrète la réquisition de logements vacants;
  • 27 avril : La Commune décrète que les employeurs n'ont pas le droit de déduire des pénalités sur les salaires;
  • 1er mai : La Commune vote par 45 voix contre 23 de déléguer ses pouvoirs au Comité de Salut public ;
  • 7 mai : La Commune décrète que les objets détenus par les prêteurs sur gages doivent être libérés;
  • 12 mai : La Commune décrète que les coopératives de travailleurs auront la préférence.

Sur le terrain, d'innombrables comités, assemblées, syndicats, coopératives, clubs de discussion, manifestations et de sociétés d'aide mutuelle ont proliféré de quartiers en quartiers, animés par la classe ouvrière. A son meilleur moment, la Commune s'organise avec ces formes d'auto-organisation (un exemple: le 15 avril quelques assemblées générales de travailleurs sont déjà résolues à prendre certaines entreprises et à les gérer en coopératives, le 16 avril la Commune passe un décret de confiscation des usines. Comme nous l'avons signalé, il ne fut pas appliqué. De plus, il était prévu d’indemniser les patrons). Il y a eu des tentatives pour réformer le système éducatif et les arts. Un certain nombre d'actions symboliques ont été prises par le peuple audelà de la Commune : le 6 avril la guillotine extérieure à la prison de Paris est brisée en mille morceaux avant d'être brûlée, tandis que la colonne Vendôme, symbole de la guerre détestée, est abattue le 16 mai. L'internationalisme de la Commune, qui a déclaré le drapeau rouge comme celui de la République universelle, n'était pas que des paroles en l'air. Jarosław Dombrowski, officier militaire polonais participant au soulèvement de janvier 1863, est élu commandant en chef de la Commune. Léo Fränkel, hongrois, membre de l'Internationale et contact de Marx, est élu ministre du Travail. L'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés est dirigée par Nathalie Lemel, ouvrière relieuse de livres et membre française de l'Internationale, avec Élisabeth Dmitrieff, membre russe de l'Internationale qui est un autre contact de Marx. Elles soutiennent et défendent la cause de la révolution, dans le service des ambulances ou encore en participant à la construction des barricades. Prosper-Olivier Lissagaray décrit les scènes qu'il a observées pendant les élections de la Commune le 26 mars de manière suivante:

Ceux qui étaient désespérés un mois auparavant étaient maintenant pleins d'enthousiasme. Des inconnus se sont parlés et serrés la main. Car en effet nous n'étions pas étrangers, mais liés par le même foi et les mêmes aspirations… Le lendemain, 200 000 misérables vinrent à l'Hôtel-de-Ville, y installer leurs élus. Les bataillons tambours battant, le drapeau surmonté du bonnet phrygien, la frange rouge au fusil; grossis des ligne, artilleurs et marins fidèles à Paris, descendirent, par toutes les rues, sur la place de Grève, comme les mille ruisseaux d'un fleuve géant… Un seul cri répond, fait de toute le vie de cent mille poitrines : «Vive la Commune!». Les képis dansent au bout des baïonnettes, les drapeaux fouettent l'air. Aux fenêtres, sur les toits, des milliers de mains agitent des mouchoirs. Les coups précipités des canon, les musiques, les clairons, les tambours ne sont qu'une seule et formidable vibration. Les cœurs sautent, les yeux brillent de larmes. Jamais, depuis la grande Fédération, les entrailles de Paris ne furent aussi fortement secouées… Cet éclair eut illuminé des aveugles. 187 000 votants, 200000 hommes n'ayant qu'une voix, qu'un cri. Ce n'était pas un Comité occulte, une poignée de factieux et de bandits, comme on disait depuis dix jours. Il y avait là une force immense au service d'une idée définie – l'indépendance communale, la vie cérébrale de la France. Force inappréciable à cette heure d'anémie universelle…

Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, in Librairie contemporaine de Henri Kistemaerckers, Bruxelles 1876 : gallica.bnf.fr

Ce mouvement populaire, auquel la classe ouvrière de Paris a donné une direction pratique, dont l'Internationale est devenue le porteur, était une insulte à Thiers et sa clique. Le vieux monde se regroupe pendant que Paris se réjouit.

La «Semaine sanglante»

Quand la nouvelle de la Commune de Paris se répand dans les provinces, des tentatives pour établir des communes comparables surviennent partout en France: à Lyon, Marseille, Toulouse, Narbonne, Saint-Étienne, Le Creusot, Limoges, etc... Aucune d'elles n'a survécu longtemps. Paris allait bientôt faire face à une tragédie encore plus grande. Critiquer les erreurs de nos prédécesseurs est toujours plus facile avec le recul, mais certaines d'entre elles étaient déjà évidentes pour les contemporains observateurs et participants.

La Commune ne pouvait pas abolir la relation capital-travail ou éliminer toute oppression. Ce serait absurde d'attendre l'introduction du socialisme dans une seule ville. Mais les idées dominantes du mouvement (proudhoniennes et blanquistes) la tenaient énormément. Il fallait souvent la pression d'en bas pour que la Commune dépasse le droit de la propriété privée (d'où la réticence à prendre la Banque de France). De nombreuses nouvelles coopératives en pratique fonctionnent comme des entreprises capitalistes avec lesquelles elles étaient en concurrence (ainsi les salaires restèrent bas avec en sus de nombreuses heures de travail). Et bien que les femmes qui travaillaient étaient très impliquées sur le terrain, elles n'étaient pas autorisées à voter et n'avaient pas de représentantes dans les organes supérieurs de la Commune (bien que Fränkel et Vaillant défendirent leur cause).

Mais la chute de La Commune est souvent imputée à l'indécision, au temps perdu et au manque de direction. Le Comité central de la Garde Nationale ne se considérait pas comme ayant assez d'autorité pour agir, mais seulement pour organiser les élections à la Commune. La Commune, partagée entre une majorité et une minorité (au Comité de Salut public), débattait et promulguait des décrets. Pendant ce temps, Versailles a eu l'opportunité de rassembler ses forces. Et une fois fait, la Commune n'avait pas de marge de manœuvre diplomatique, sauf une poignée d'otages. Marx ferait le commentaire ultérieur suivant:

[La Commune de Paris était] « un simple soulèvement d'une ville dans des conditions exceptionnelles, la majorité de la Commune n'était pas socialiste, et ne pouvait pas l'être. Avec une faible dose de bon sens, elle aurait pu néanmoins obtenir avec Versailles un compromis utile à toute la masse du peuple, seule chose qu'il était possible d'atteindre à ce moment-là. En mettant simplement la main sur la Banque de France, elle aurait pu effrayer les Versaillais ....

Marx à Domela Nieuwenhuis, 22 février 1881

Ce sentiment a également été partagé par les participants de la Commune. La Commune n'avait qu'une seule chance si elle avait frappé tôt, alors que Versailles était encore paniqué. Après ce temps, elle ne pouvait qu'espérer un compromis négocié. Début avril, Thiers avait déjà le dessus militairement. Ses troupes ont été renforcées lorsque Bismarck renvoya rapidement les prisonniers de guerre et par les recrues des provinces. Sous Napoléon III, Paris a été transformé depuis une ville aux rues étroites, parfaite pour la mise en place de barricades, vers une ville aux larges avenues et aux boulevards plus adaptés au mouvement des troupes. Contrairement le 18 mars, la tentative de fraternisation avec des troupes s'est avérée futile. En dépit de la position courageuse de nombreux communards, ils ne pouvaient vaincre. L'armée de Thiers était impitoyable - en conquérant, elle exécutait les vaincus. Par désespoir, les communards ont exécuté 63 otages et mis des parties de Paris en feu. C'était "la terreur rouge". L'ampleur de la «terreur blanche» n'était pas encore déchaînée:

Le massacre se poursuivit ainsi, méthodiquement organisé, à l’École Militaire, à la caserne Dupleix, au Lycée Bonaparte, aux Gares du nord et de l'est, le Jardin des Plantes, dans beaucoup de mairies et de caserne, concurremment avec des abattoirs. De grandes tapissières à claire-voie venaient chercher les cadavres et allaient se vider dans le square ou le terrain vague voisin.
Les victimes mouraient simplement, sans fanfaronnade. Beaucoup croisaient les bras devant les fusils, commandaient le feu. Des femmes, des enfants suivaient leur mari et leur père, criant aux soldats, «Fusillez-nous avec eux!» Et on les fusillait… (...)
L'armée, n'ayant ni police ni renseignements précis, tuait à tort et à travers. Le premier passant qui appelait quelqu'un d'un nom révolutionnaire le faisait fusiller par les officiers avides de toucher la prime.

Lissagaray, Histoire de la Commune de Paris de 1871, idem, page 429-430

Le massacre culmine pendant la semaine sanglante du 21 au 28 mai. Plus de 20 000 Communards, et ceux supposés l'être, ont été massacrés dans les rues de Paris par les troupes de Thiers. Quelque 40 000 ont été faits prisonniers; des milliers d'autres ont été exécutés, déportés, emprisonnés ou condamnés aux travaux forcés. La bourgeoisie n'a montré aucune pitié. Le mouvement ouvrier français a été écrasé par la force brute. Cela prendra des décennies pour qu'il s'en remettre. C'est vers l'Allemagne unifiée que les espérances prolétariennes vont maintenant se tourner, où les conditions pour le développement d'un parti ouvrier de masse s’ouvrent. Cela pourtant, posera plus tard d'autres problèmes.

Le marxisme révolutionnaire et la Commune de Paris.

Marx était à l'origine pessimiste sur les perspectives d'un soulèvement à Paris. Quand il a éclaté, il jette bien sûr tout son poids pour le soutenir. Qu'est-ce qui fait de la Commune quelque chose d'exceptionnel ? Ce ne sont pas les réformes limitées qu'elle a adoptées, c'est son caractère «essentiellement de gouvernement de la classe ouvrière». Il montre que les travailleurs peuvent prendre leur destin entre leurs propres mains. Ainsi, elle a donné à la classe ouvrière internationale une bannière pour se rassembler.

Apprendre du mouvement réel est une des caractéristiques fondamentales de la méthode marxiste plutôt que d'établir des principes éternels ou de tracer des schémas utopiques. La perception que la transformation sociale vers la «libre association» doit éventuellement impliquer l'abolition de l’État était déjà présente dans les œuvres de Marx avant la Commune de Paris. Il suffit de citer L'Idéologie allemande (1845), où Marx reconnaissait que les prolétaires «devront abolir les conditions même de leur existence », ce qui signifie également qu'«ils doivent renverser l’État», ou dans Le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte (1852), dans lequel Marx observe que depuis la Révolution française de 1789 «Toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine [l’État] au lieu de la briser», alors que les parties en cause ont simplement «regardé la possession de cet énorme structure étatique comme le principal butin de la victoire." La Commune de Paris est le premier exemple pratique qui «brise» cette machine étatique - elle abolit l'armée permanente, elle balaie le parlement bourgeois. A sa place, elle crée quelque chose de qualitatif différent (même si elle naît avec les stigmates de l'ancienne société). La Commune de Paris aide Marx à conclure que:

La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l'appareil d'État et de le faire fonctionner pour son propre compte.

Marx, La guerre civile en France, 18712

Cette idée est si importante que les dix points bien connus proposés dans le Manifeste communiste (1848), appelant à diverses mesures immédiates pour la centralisation de l'État, sont maintenant considérés comme désuets du fait de l'expérience pratique gagnée, d'abord avec la révolution de février (1848), puis, renforcée, par la Commune de Paris (1871). Engels commente ainsi:

Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d'une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du prolétariat.

Engels, Introduction à la guerre civile en France, 1891

Ce texte a été écrit dans le contexte des débats du révisionnisme au sein de la social-démocratie allemande à l'époque. Après la mort de Marx en 1883, la voie s'est dégagée pour les réformistes pour dépouiller progressivement le marxisme de son noyau révolutionnaire. Dans les derniers mois de sa vie, Engels lui-même a été censuré par l'appareil du parti. Les leçons apprises à Paris ont été bientôt oubliées ou obscurcies. Ce sera une nouvelle génération de révolutionnaires qui, sur la vague de nouveaux bouleversements de la classe ouvrière, sauvera le marxisme des soi-disant marxistes.

Cette tendance trouve son expression dans les révolutions russes de 1905 et 1917 et allemande en 1919. En 1905, les ouvriers russes découvrent les conseils de délégués ouvriers (les soviets) révocables par les travailleurs qui les ont élus. C'était une énorme avancée par rapport à la démocratie représentative bourgeoise où les élus le sont pour une période pendant laquelle les électeurs n'ont aucun contrôle sur eux. Quand les soviets réapparaissent en 1917, les bolcheviks ont apporté leur soutien à l'idée qu'ils devaient prendre la gestion de la société comme une alternative au gouvernement bourgeois provisoire.

Le 7 novembre, le slogan «tout le pouvoir aux soviets » s'est réalisé lors de la révolution d'Octobre.

L'appareil répressif de l'ancien régime étant effectivement paralysé, les gardes rouges n'ont pas attendu pour frapper contre leurs Versaillais - les bureaux du gouvernement ont été occupés et le Palais d'Hiver pris d'assaut. De plus, ils ont occupé non seulement les gares, le central téléphonique et les principaux ponts de la ville, mais encore la Banque d'État. C'est le ministre président Kerensky qui a dû fuir à l'étranger. Ces actions n'étaient pas un accident – les révolutionnaires marxistes comme Lénine avaient passé les années précédentes à préserver soigneusement le fil rouge allant de 1848 à 1871 jusqu'à 1917:

La commune enseigne au prolétariat européen à poser concrètement les tâches de la révolution socialiste. La leçon apprise par le prolétariat ne sera pas oublié. La classe ouvrière s'en servira, comme il l'a déjà fait fait en Russie pendant le soulèvement de décembre (1905).

Lénine, Les enseignements de la Commune, 1908

Durant les quelques mois suivants, les bolcheviks encouragent activement la mise en place des conseils d’ouvriers et de soldats partout en Russie. Si la Commune de Paris fut la première fois où la classe ouvrière s'est soulevée pour renverser la classe dirigeante dans une ville, ensuite la révolution russe est la première pour longtemps où la classe ouvrière a renversé la classe dirigeante d'un grand pays impérialiste. Ce n'était pas son intention toutefois. Les bolcheviks étaient des internationalistes, et savaient que pour durer, la révolution devait s'étendre à d'autres pays. Une à une cependant les révolutions ont échoué et ont été écrasées en Allemagne, en Hongrie, en Finlande, en Chine, etc.

Les communards ont honorablement perdu, écrasés par la contre-révolution. Les bolcheviks non, car ils se sont retrouvés à administrer un monstrueux État capitaliste qui les a finalement dévorés.

Aujourd'hui, nous gardons vivantes les leçons de 1871 et de 1917. La classe ouvrière, plus grande que jamais, a encore le potentiel pour détruire le système capitaliste et pour ouvrir la voie à un avenir vraiment humain. Depuis le temps des Communards, le capitalisme a produit toutes sortes de misères sociales et est passé de crises en crises. La classe dirigeante n'a pas d'autre solution à la crise économique actuelle que de détruire davantage la planète ou de nous emmener sur la voie d'une guerre généralisée. Le seul espoir pour l'humanité réside dans la classe ouvrière qui doit redécouvrir ses propres formes d'auto-organisation comme l'ont démontré les ouvriers russes en 1905 et 1917 et ceux de Paris en 1871.

Dyjbas
décembre 2020

Pour continuer :

  • La guerre civile en France (1871), Karl Marx.
  • Histoire de la Commune de Paris de 1871, Prosper-Olivier Lissagaray, La Découverte, 2004
  • Mémoires d'un Communard, Jean Allemane, La Découverte, Paris, 2001
  • La Commune, Louise Michel, La Découverte, 2015
  • Nathalie Le Mel, par Eugène Kerbaul, Le Temps des Cerises, 2009 (réédition).
  • Élisabeth Dmitrieff, aristocrate et pétroleuse, par Sylvie Braibant, Ed Belfond, 1993.
  • E. Varlin, internationaliste et communard, par M. Cordillot, Spartacus, 2016
  • Édouard Vaillant. De la Commune à l’Internationale, par J.-L. Robert et Cl. Pennetier, L’Harmattan, 2016.
  • Rossel par Édith Thomas coll. « Leurs figures », Paris, Gallimard, 1967.
  • La Semaine sanglante : Journal d'un Communard mai 1871. Maxime Vuillaume, préface de Lucien Descaves, Genève, janvier 1964.
  • Souvenirs d’un garde national pendant le siège de Paris et pendant la Commune par un volontaire suisse. Deuxième partie: l’Insurrection, Guillaume (Georges), Neuchâtel, Jules Sandoz.
  • Histoire de la Révolution du 18 mars, Lanjalley (Paul) et Corriez (Paul), Paris, Lacroix-Verboeckhoven. (babel.hathitrust.org)
  • Procès-verbaux de la Commune de 1871, édition critique Tome 1, Tome 2, Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel). (Paris, Leroux). En ligne: archivesautonomies.org
  • Karl Marx et Friedrich Engels, La Commune de Paris, lettres et déclarations pour la plupart inédites, Dangeville (Roger), Paris, Union générale d’éditions. En ligne : classiques.uqac.ca
  • Site important sur la commune: macommunedeparis.com
  • marxists.org
  • marxists.org
Thursday, March 18, 2021