Internationale Communiste Révolutionnaire : Des tigres de papier

La Tendance Marxiste Internationale (TMI) est en train de se renommer l’Internationale Communiste Révolutionnaire en France et Parti Communiste Révolutionnaire dans beaucoup de ses sections nationales. Selon la TMI, il est maintenant temps de lancer une nouvelle internationale, puisque dans cette dernière décennie il y eu un « changement majeur dans les consciences » – à la suite de l’échec des rivaux sociaux-démocrates (Corbyn, Sanders, Syriza, Podemos, etc.), « des millions de jeunes ont été gagné aux idées du communisme », supposément (1). La TMI souhaite combler ce vide politique et à cette fin a lancé sa campagne « Tu es communiste ? », encourageant les jeunes à rejoindre leurs rangs en masse. La section britannique (anciennement Socialist Appeal) compte aujourd’hui plus de 1000 membres (2).

Est-ce que ce développement représente un pas en avant dans la lutte pour l’auto-émancipation des travailleurs, ou est-ce que c’est encore une autre manœuvre opportuniste de la part d’une tendance politique en faillite ? Nous argumentons qu’il s’agit de cette dernière option.

Un patrimoine de gymnastiques entristes

Premièrement, un peu d’histoire. Nous évoquons cela non pas pour marquer des buts, mais pour comprendre comment la TMI est arrivée à ses positions actuelles et dans quelle mesure ce changement de nom représente une véritable rupture politique avec son passé – ou pas.

Les origines politiques de la TMI sont fortement liées avec le personnage de Ted Grant. Grant est né en Afrique du Sud en 1913 et s’est converti au trotskisme a un jeune âge sous l’aile de Ralph Lee. En 1934 Trotski inaugura sa stratégie de l’entrisme en demandant à ses partisans d’entrer dans les organisations sociales-démocrates afin d’augmenter leurs membres. Donc lorsque Grant et Lee déménagèrent au Royaume-Uni, ils se sont engagés dans le Militant Group, une organisation entriste dans le Parti travailliste. Cependant, après que Lee ait été accusé d’avoir détourné des fonds de grève, lui et Grant on fait scission du Militant Group et ont, avec Gerry Healy, formé la Workers’ International League (WIL) en 1937. En 1938 ce qui restait du Militant Group a fini par fusionner avec quelques autres groupes trotskistes pour former la Revolutionary Socialist League (RSL), la section britannique de la Quatrième Internationale nouvellement formée. La WIL refusa de les rejoindre et décida de rester au sein du Parti travailliste, mais elle a rapidement grandi à une taille plus importante que la RSL naissante grâce à son activité syndicale.

Pendant la Seconde guerre mondiale, la WIL tenta de réorienter comme tendance indépendante, renommant son journal Socialist Appeal et reprenant avec enthousiasme la « politique militaire prolétarienne » de la Quatrième Internationale, c’est-à-dire l’idée que la guerre des Alliés contre l’Allemagne nazie se transformerait en guerre révolutionnaire. Rejetant le défaitisme révolutionnaire, ils essayèrent d’utiliser la « peur des travailleurs d’une invasion nazie – surtout après la chute de la France en 1940 – afin de faire monter les revendications des travailleurs et de gagner des partisans à la bannière du trotskisme » (3). Quand l’Allemagne nazie se tourna finalement contre l’URSS en 1941, la WIL appela à la défendre l’URSS. Même aujourd’hui, la TMI continue de maintenir que l’occupation soviétique de l’Europe de l’Est voulait dire que « le capitalisme a été renversé » là-bas, puisque les « stalinistes y ont introduit une économie planifiée nationalisée, mais sur la même base bureaucratique qu’en URSS » (4).

En 1944, la Quatrième Internationale aida les trotskistes britanniques a se regrouper de nouveau, cette fois menant à la création du Revolutionary Communist Party (RCP), dans lequel la WIL de Grant joua un rôle de premier plan. Cette brève période d’unité ne diffusa pas les tensions internes bouillonnantes au sein du mouvement. Dans le RCP, Grant se distingua en argumentant désormais contre l’entrisme dans le Parti travailliste et en défendant le caractère « progressiste » de l’avancée de l’Armée rouge en Europe de l’Est. Lors de l’effondrement du RCP en 1949, Grant rejoint brièvement la nouvelle organisation entriste profonde de Healy, The Club, avant d’en être exclut. Une période d’isolation politique s’en est suivi, mais en 1958 le groupe entriste de Grant, se baptisant de nouveau RSL, fusionna avec un autre petit groupe trotskiste et devint reconnu comme nouvelle section britannique de la Quatrième Internationale. En 1964 la RSL fonda le journal Militant, d’où la Militant Tendency tira son nom.

À la fin des années 1960, ce groupe se sépara finalement des restes de la Quatrième Internationale, Grant l’accusant d’avoir dégénéré à cause des « pressions du capitalisme, du réformisme et du stalinisme à une époque d’expansion capitaliste en Occident, dans la stabilisation temporaire du stalinisme à l’Est et dans les distorsions de la révolution coloniale » (5). À la place, la Militant Tendency et ses contacts internationaux s’attelèrent à former le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO). La Militant Tendency est surtout connue au Royaume-Uni du fait qu’elle arriva à gagner le contrôle du conseil municipal de Liverpool dans les années 1980. Voici ce que nous avions à dire sur ce triste épisode à l’époque :

Le conseil dominé par la Militant Tendency à Liverpool commença un programme ambitieux de dépenses publiques sur des nécessités tels que le logement. Mais dans le capitalisme, tout se paye. Le marasme des Militants depuis que l’argent est à sec montre exactement à quel point ils sont socialistes, et surtout l’impossibilité d’utiliser des instances élues tels que les municipalités ou le parlement afin de gérer l’État ou des parties de l’État dans l’intérêt des travailleurs. […] Ceci est démontré par la proposition qui s’en est suivi de licencier le personnel et de le rembaucher après trois mois, économisant un trimestre de salaires et, après que cela ait été rejeté parce que trop endommageant pour la popularité du Parti travailliste, par son idée de virer les travailleurs pour Janvier, les privant de seulement un mois de salaire au lieu de trois ! Pour faire court, la Militant Tendency et ses compagnons assassins sont en train de « poignarder » le personnel municipal.

Workers' Voice 25, 1985

Dans autre épisode tristement célèbre, la Militant Tendency déclara sa résistance à la poll tax introduite par Thatcher en 1989. Après avoir appelé à des manifestations de masse à Londres, où la police a fini par affronter les manifestants, la Militant Tendency dénonça les manifestants :

La direction de la « Fédération anti-poll tax » aux mains de la Militant Tendency annonça après les batailles à Londres qu’ils donneraient les noms et les photos des émeutiers à la police. Pour le dire franchement, ils ont offert d’aider les mercenaires des patrons à faire leur boulot d’oppression des travailleurs et de soumission aux injustices du capitalisme. […] Le Parti travailliste aide à nous imposer cet impôt, les syndicats isolent toute personne qui n’aide pas les patrons à nous la mettre, et quand on ose se défendre ladite aile « gauche » du Parti travailliste nous dénonce à la police !

Workers' Voice 52, 1990

Malgré les meilleurs efforts de la Militant Tendency d’apparaître comme des politiciens responsables, la machine du Parti travailliste se mettait maintenant en marche contre eux, entraînant des expulsions et empêchant les membres de la Militant Tendency de se porter comme candidats du Parti travailliste. Cela mena à un débat au sein de l’organisation sur la voie à suivre, avec Grant se retrouvant dans la minorité. La majorité abandonna l’entrisme et forma ce qui est aujourd’hui le Parti socialiste d’Angleterre et du Pays de Galles. Grant fut exclus, mais lui et ses partisans continuèrent leur entrisme dans le Parti travailliste, maintenant sous le nom de Socialist Appeal. Ils formèrent le Comité pour une Internationale marxiste, qui en 2004 devint la TMI. Alan Woods remplaça progressivement le Grant vieillissant comme guide idéologique du groupe.

À part leur entrisme, dans cette période Socialist Appeal se distinguait au sein de l’univers trotskiste comme fervent soutien des « révolutions » cubains et bolivariennes, au point de contredire leurs positions antérieures. Si en 1970 Grant condamnait l’infatuation de la Quatrième Internationale pour Castro et Guevara, allant jusqu’à dire que « tenter de répéter, dans toute l’Amérique latine, la politique du castrisme à Cuba, c’est commettre un crime contre la classe ouvrière internationale » (5), Castro devenait maintenant progressivement un « infatigable guerrier révolutionnaire » qui « transforma la lutte de libération nationale en un lutte révolutionnaire contre le capitalisme », « un phare pour les masses opprimées bien au-delà des rivages de Cuba » (6).

Comme beaucoup de groupes trotskises, la TMI au fil des décennies a orienté son recrutement vers les jeunes étudiants, qui vont à leur réunions, aux manifestations, vendent leur journal avant de passer à autre chose. À cette fin, la Marxist Student Federation devint l’aile jeunesse de Socialist Appeal sur les campus. Au Royaume-Uni, cette configuration permit à la TMI de bénéficier de la popularité de Corbyn. Ses membres furent encouragés à devenir activement engagés dans la campagne de Corbyn, et lorsque celle-ci échoua, la TMI était là pour récupérer les Corbynistas cherchant quelque chose de plus radical. Cela aide à comprendre la récente augmentation de ses membres, en plus de l’adoption d’une attitude hyper-activiste vers un recrutement massif :

Lorsque vous rencontrez un communiste, demandez-leur immédiatement de rejoindre le parti. Donnez-leur un paquet de journaux à vendre et d’affiches à coller. Demandez-leur ce qu’ils peuvent faire pour construire le parti. Donnez-leur une tâche sur le champ.

communist.red

Il suffit de se tenir au coin d’une rue, proclamer le communisme, prendre une bannière, prendre un journal si possible, et l’or viendra à vous. Ils viendront vers vous.

marxist.com

Un manifeste politiquement malhonnête

Notre attitude envers le trotskisme n’est pas un secret (7). Comme nos ancêtres politiques le reconnaissaient déjà dans les années 1930, lorsque Trotski et ses partisans se sont lancés dans l’entrisme dans la social-démocratie comme tactique et dans la défense critique de l’URSS comme « État ouvrier dégénéré », le trotskisme perdu toute crédibilité politique. Le trotskisme s’est progressivement intégré à la gauche du capital aux côtés des sociaux-démocrates eux-mêmes (qui sauvèrent le capitalisme en 1919 en s’alliant aux paramilitaires nationalistes pour massacrer les travailleurs dans les rues de Berlin et qui, depuis, reviennent toujours à la rescousse du capitalisme lorsqu’on les appelle). La trajectoire politique même de Grant, des tournants et péripéties des premières années, à la longue marche à travers le Parti travailliste, est une conséquence de la faillite du trotskisme comme tendance politique.

Cependant, il y a eu des exceptions par le passé – autrefois des groupes et individus trotskises essayèrent d’avoir une réflexion critique sur les principes centraux de leur tendance, rompant alors plus ou moins avec le trotskisme. Certains des exemples les plus notables sont Raya Dunayevskaya aux États-Unis, Grandizo Munis en Espagne, Agis Stinas en Grèce, Ngo Van Xuyet au Vietnam, ou même la veuve de Trotski elle-même, Natalia Sedova (8). Woods appelle la décision de la TMI de lancer une nouvelle internationale « une renaissance » (1). Mais est-ce que l’abandon de l’entrisme constitue une sorte de réflexion critique sur son passé politique ? Un examen du « Manifeste de l’Internationale Communiste Révolutionnaire » récemment publié montre que ce n’est pas le cas (9).

Les perspectives générales de la TMI peuvent être résumées comme suit. Le système capitaliste est à présent « dans une crise existentielle » et « ne peut plus jouer de rôle progressiste ». La crise actuelle n’est pas « une crise cyclique, normale, du capitalisme » mais « une crise générale – à la fois culturelle, morale, politique et religieuse ». La bourgeoisie n’a pas de solution à la crise, mais cela ne veut pas dire qu’elle « est incapable de prolonger la crise et d’en réduire l’impact ». Ces mesures, cependant, ne font que créer « de nouvelles et insolubles contradictions », telles que le crash financier de 2008 ou la réponse économique au Covid-19, qui ont tous les deux augmenté l’inflation et la dette. Par conséquent, « le monde est entré dans une époque caractérisée par un cycle permanent de guerres, d’effondrements économiques et de misère croissante ». Cependant, le capitalisme peut se relever « même de la crise la plus profonde, au prix d’effroyables souffrances humaines » et c’est donc à la classe ouvrière qu’il revient de le renverser. À la surface, en laissant de côté le verbiage trotskiste, cela semble proche de nos arguments, mais à y regarder de plus prêt l’édifice entier s’effondre.

  • La crise capitaliste : La TMI considère que les causes premières de la crise capitaliste « sont, d’une part, la propriété privée des moyens de production – et, d’autre part, les camisoles de force des marchés nationaux, qui sont trop étroits pour contenir les forces productives créées par ce système ». Cependant, sans référence à la baisse tendancielle du taux de profit, qui pour Marx était « la loi la plus importante de l’économie politique moderne » (10), la TMI ne peut pas expliques les dynamiques du cycle crise-guerre-reconstruction. De plus, la TMI fait porter la responsabilité de la crise à « l’économie de marché (prétendument « libre ») » seule. Elle refuse d’admettre, comme Engels le voyait déjà dans les années 1870, que la « propriété d'État ne supprime la qualité de capital des forces productives » (11). D’où son infatuation pour les divers projets de capitalisme d’État qui ne font que déformer le sens du socialisme (qui est une société sans État, sans classes, sans monnaie, sans exploitation, sans frontières nationales ou armées permanentes).
  • Impérialisme : La TMI reconnaît que la mondialisation a laissé place « aux mesures protectionnistes et au nationalisme économique » et que les États-Unis, une superpuissance en déclin, se retrouvent confrontés à de nouveaux défis de ses rivaux impérialistes, la Russie et la Chine en tête. Mais ils considèrent encore que « l’impérialisme américain est la force la plus puissante et la plus réactionnaire de la planète ». Nous avons critiqué cette conception par le passé – choisir quelle puissance impérialiste est « la plus réactionnaire » ouvre en fait la voie vers le choix du « moindre mal ». Le document ne communique pas cela ouvertement, mais en même temps la TMI affirme faussement que la Russie et la Chine (et même l’Inde !) auraient été incorporés « au marché capitaliste mondial » qu’après « la chute l’Union Soviétique ». L’implication est qu’auparavant la Russie et la Chine étaient des « États ouvriers dégénérés » ou « déformés » qui devaient être défendus de l’impérialisme américain (et la TMI semble encore penser que Cuba et la Corée du Nord même aujourd’hui ne sont pas complètement intégrés au capitalisme). Cela revient à un soutient critique au stalinisme comme troisième voie entre le capitalisme et le communisme. Comme nous l’avons souligné dans un article récent, les louanges portés au nationaliste populiste Chávez, avec qui Woods revendiquait une amitié personnelle, sapent toute prétention « internationaliste » que la TMI essaye de se donner aujourd’hui :

En ce qui concerne le Venezuela, la TMI a loué Chávez comme un « véritable internationaliste » et une « menace au capitalisme américain ». Bien sûr, le Venezuela de Chávez était un allié militaire et économique important de la Russie et avait développé de liens forts avec l’Iran. C’est la même Russie aujourd’hui que la TMI dénonce comme puissance impérialiste, et ce même régime iranien que la TMI considère « totalitaire ». Est-ce que Chávez était un « véritable internationaliste » lorsqu’il s’est acoquiné avec ses « frères » Poutine et Ahmadinejad, ou est-ce que la TMI était juste trop excitée que Chávez cite Alan Woods à la télévision nationale pour remarques ses agissements ?

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  • La marche à la guerre : En ce qui concerne la marche à la guerre, la TMI pense que les conflits par procuration vont proliférer, mais « qu’une guerre mondiale soit exclue dans les conditions actuelles ». Ceci pour apparemment deux raisons : (a) la guerre nucléaire signifierait la destruction mutuelle des deux côtés, ce qui n’est pas particulièrement dans l’intérêt de la classe capitaliste ; et (b) il y a une opposition de masse à la guerre, particulièrement aux États-Unis. La première raison suppose que les conditions de la guerre froide sont encore en place. Mais nous vivons une autre époque : l’échiquier impérialiste est bien plus imprévisible et les joueurs on accès à de nouvelles technologies (tels que les missiles hypersoniques), ce qui remet de plus en plus le principe de destruction mutuelle assurée (DMA). Même si cet équilibre de la terreur exclut un holocauste nucléaire, il n’y aucune raison de supposer que cela s’applique à la guerre conventionnelle ; les puissances capitalistes décident souvent d’éviter d’utiliser certaines armes si ils ont peur que leurs adversaires utilisent les mêmes en représailles, tels que les agents neurotoxiques pendant la Seconde guerre mondiale. La deuxième raison est justifiée par la statistique : « à peine 5 % de la population américaine serait favorable à une intervention militaire directe en Ukraine ». Un tel sondage reflète, au mieux, des sentiments populaires à un moment donné, mais ne prend pas en compte la vitesse à laquelle ces sentiments peuvent changer sous des circonstances différentes – comme lors du début des deux précédentes guerres mondiales. De plus, ce qui déclenchera un conflit plus large n’est pas nécessairement l’Ukraine (d’autres candidats potentiels existent en Asie de l’Est, au Moyen-Orient et en Afrique).
  • Antifascisme : La TMI rejette à juste titre la logique de l’antifascisme mais… seulement dans le contexte de Trump aux États-Unis. Ils critiquent ceux qui encouragent à voter pour Biden parce qu’ils défendent « l’idée fallacieuse du « moindre mal », ils appellent la classe ouvrière et ses organisations à s’allier avec une aile réactionnaire de la bourgeoisie contre une autre ». Mais ils basent cet argument simplement sur le fait que Trump n’est pas un « fasciste », ce qui laisse donc ouvert la question de ce qui serait leur attitude vis-à-vis du « moindre mal » s’ils sont confrontés à quelque chose qu’ils considèrent « fasciste ». En tout cas, la TMI ne voit pas de « fascisme » en perspective dans l’immédiat, parce que « dans la plupart des pays, la classe ouvrière n’a pas subi de sérieuse défaite depuis des décennies ». C’est un raisonnement à l’envers. Qu’importe si oui ou non la réaction capitaliste a besoin de fascisme aujourd’hui (ou peut faire avec d’autres substituts idéologiques), la raison pour laquelle il n’y a pas eu « de sérieuse défaite » est parce que le mouvement ouvrier dans la plupart du monde a été battu au cours des cinq dernières décennies – économiquement miné par le démantèlement des vielles industries, politiquement confus par la droite et la gauche du capital, et incapable d’imposer ses intérêts à la classe capitaliste. Le fait que des nationalistes populistes comme Trump peuvent trouver un certain degré de soutien au sein de la classe ouvrière est une conséquence de cela.
  • Les politiques identitaires : La TMI dit que « la lutte contre toutes les formes d’oppression et de discrimination est une composante nécessaire de la lutte contre le capitalisme » mais rejette « fermement et catégoriquement les politiques « identitaires » qui, sous prétexte de défendre les droits de tel ou tel groupe, jouent un rôle réactionnaire, divisent la classe ouvrière, affaiblissent son unité et apportent une aide inestimable à la classe dirigeante ». Cependant, dans un article récent la TMI félicite George Galloway pour sa victoire électorale à Rochdale dans ce qu’ils appellent un « coup de pied dans la figure à l’establishment » (12). La TMI ne voit pas que ceci était en fait une victoire pour les politiques identitaires – les tracts de Galloway distribués aux électeurs musulmans étaient entièrement dédiés au thème de Gaza, tandis qu’aux électeurs non-musulmans il insista sur le nationalisme britannique et la transphobie et promit de « Make Rochdale Great Again ». C’est une chose de dénoncer les politiques identitaires en théorie, et une autre de les reconnaître et les rejeter en pratique.
  • La gauche du capital : La TMI considère que « la démocratie bourgeoise n’est qu’un masque rieur, une façade derrière laquelle opère la dictature des banques et des multinationales » et dénonce le « rôle particulièrement nuisible » des « dirigeants de l’aile « gauche » des réformistes » qui ont partout « capitulé sous la pression de la droite et de l’ordre établi : Tsipras et les dirigeants de Syriza en Grèce, mais aussi Podemos en Espagne, Bernie Sanders aux Etats-Unis et Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne ». C’est l’hôpital qui se fout de la charité. Non seulement parce que quand ils avaient le contrôle du conseil municipal de Liverpool, les précurseurs de la TMI se comportèrent de façon similaire, mais dans tous ces cas, la TMI encouragea ses membres à travailler au sein de ces partis sociaux-démocrates dans une tentative de pousser leurs dirigeants plus à gauche, diffusant ainsi l’illusion largement répandu que le règne du capital peut, d’une manière ou d’une autre, être mis à mal par le moyen de la démocratie bourgeoise.
  • Partis de masse et syndicats : Le document s’ouvre avec la formulation trotskiste classique : « la crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Cela indique d’emblée que la tactique de l’entrisme ne peut être remise en question. Pour la TMI, c’est les dirigeants des partis de masse et des syndicats qui « ont subi la pression de la bourgeoisie ». Pour nous, l’une des leçons les plus importantes du vingtième siècle est que ces institutions elles-mêmes ont franchi le Rubicon, devenant une partie essentielle du système capitaliste comme moyens de canaliser et désarmer la colère ouvrière. Ce n’est pas que les partis de droite qui attaquent la classe ouvrière, mais aussi ceux de gauche. Plutôt que de la rupture avec les partis de masse et les syndicats et la création d’organes de lutte indépendants (assemblées de masse, comités de grève, et finalement conseils ouvriers), la TMI prône la régénération des structures existantes. Et, quand il sera temps, elle est plus que prête à envoyer de nouveau toutes leurs « forces dans les organisations réformistes pour y gagner les travailleurs qui s’orientent vers une position révolutionnaire ». Cette approche va plus loin qu’une simple question de tactiques. Elle reflète un mépris fondamental pour la façon dont la classe ouvrière entière devra changer les conditions de sa propre existence. Elle réduit la classe ouvrière à une masse passive et écervelé qui doit être façonnée par la « direction » : une direction dont le destin de l’entrisme lui-même démontre qu’elle se retrouve inévitablement mêlé à de batailles obscures pour gagner des positions de pouvoir au sein du cadre actuel.
  • Le trotskisme et la révolution russe : L’approche politique de la TMI se base « sur les thèses des quatre premiers Congrès de l’Internationale Communiste ». C’est-à-dire qu’elle voit l’échec de la révolution russe principalement par ce qui s’est passé avec Staline « après la mort de Lénine ». C’est une simplification excessive. Beaucoup de membres de la TMI sont simplement ignorants de la contribution de Trotski lui-même au procès de dégénération de la révolution russe : réorganisation de la Garde rouge en armée professionnelle permanente (ce qui créa une puissante bureaucratie militaire hors du contrôles des soviets), son soutien à la militarisation du travail (minant l’auto-initiative ouvrière sur le lieu de travail), sa dénonciation des marins de Cronstadt comme complot de généraux « blancs » afin de justifier leur répression (de façon analogue, Staline dénoncera Trotski comme « agent fasciste »), son soutien à l’interdiction des factions (utilisée plus tard pour justifier l’exclusion de Trotski lui-même), son soutien à une industrialisation dirigée par l’État (repris par Staline dans ses plans quinquennaux), etc. La dégénération de la révolution russe n’est pas la faute d’un seul individu (mais plutôt la conséquence de l’échec des révolutions hors de la Russie) ; cependant, le bilan de Trotski est quelque chose que lui et ses épigones n’ont jamais voulu reconnaître.
  • Le trotskisme et le stalinisme : La TMI soutient que « le stalinisme et le bolchevisme sont mutuellement exclusifs ; ce sont des ennemis mortels séparés par une rivière de sang ». Pourtant, comme nous l’avons déjà montré, la TMI continue de justifier son soutien critique passé pour les régimes staliniens comme « moindre mal ». Soyons clair : à part le renforcement actif du travail salarié, ces soi-disant « États ouvriers dégénérés » ou « déformés » ont physiquement éliminé les révolutionnaires, assujettis les ouvriers et les paysans au travail forcé, la famine et les ont envoyés à la guerre, tout cela au nom du profit d’une clique de bureaucrates de parti (13). Et au sein même de ce document, la TMI dédie une partie entière au flirt avec le parti stalinien grecque (KKE), louant sa « position internationaliste correcte sur la guerre en Ukraine » mais leur demandant poliment de lâcher « la théorie anti-marxiste du socialisme dans un seul pays » et d’adopter « la politique léniniste du front unique », supposément dans l’espoir qu’il sera attiré par l’appel à une nouvelle Internationale. Ailleurs dans le document, la TMI déplore l’évolution du Parti communiste italien (PCI) qui de « plus grand » et de « plus puissant PC d’Europe » a fait l’objet d’une « dégénérescence national-réformiste » qui « a mené à la dissolution du PCI et à sa transformation en un parti réformiste bourgeois » en 1991. Le Parti communiste d’Italie (PCd’I) d’origine, formé sous la direction de Bordiga et de la gauche communiste italienne, était en effet un parti révolutionnaire. Cependant, la « dégénérescence national-réformiste » était déjà bien avancée dans les années 1920, avec les manœuvres bureaucratiques de Togliatti et Gramsci sous les ordres de Moscou pour exclure la gauche (14). Donc en 1943 quand le PCd’I de Togliatti se renomma PCI, il s’agissait déjà d’une organisation stalinienne. C’est-à-dire que l’attitude de la TMI envers le stalinisme est à nouveau un cas de dénonciation en théorie et d’exonération en pratique.
  • Le front unique et les revendications transitoires : La référence principale de la TMI demeure le Programme de transition ou l'agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale de Trotski et c’est vers ce document, ainsi que La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») de Lénine, qu’ils donnent à leurs lecteurs pour qu’ils comprennent le front unique et les revendications transitoires. Malgré leurs louanges pour Lénine et sa « la rupture avec la social-démocratie », comme nous l’avons vu l’application du front unique par la TMI revient précisément à s’allier avec la social-démocratie et le stalinisme. Enfin, en qui concerne les « revendications transitoires » de Trotski, c’est un mythe qu’elles conduisent inévitablement « au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l’Etat bourgeois » :

Ce que ne nous donne Trotski en réalité est un plan ambitieux pour réformer le capitalisme en demandant des choses comme la nationalisation des banques, le contrôle ouvrier de l’industrie, des travaux publiques et une échelle mobile des salaires avant la saisie du pouvoir par le prolétariat. De telles revendications « radicales » étaient déjà avancées par le contemporain de Trotski, Keynes, dans le but explicite de sauver le capitalisme et, en fait, toutes ces mesures furent adoptées par les États bourgeois pour préserver l’ordre capitaliste. La nationalisation des banques en Europe de l’Est, le contrôle ouvrier en Yougoslavie – tous deux bien sûr salués par les trotskistes modernes comme « détruisant le capitalisme » ; l’échelle mobile des salaires – comme le « scala mobile » en Italie ou l’indexation ailleurs ; et les travaux publics – dans presque chaque coin du monde capitaliste avancé sont moyens de préserver le capital et non le détruire.

leftcom.org

Vers une nouvelle Internationale

Les organisations se déclarant être le Parti ou une nouvelle Internationale ne manquent pas. Un document se revendiquant être le manifeste d’un tel organe doit donner aux travailleurs les outils nécessaires pour relever les défis qui les attendent. Le manifeste de la TMI, se parant de rhétorique et esthétique révolutionnaire, introduit clandestinement tout le fardeau de son passé trotskiste. À la lumière de cela, leur affirmation qu’ils ont « radicalement rompu avec l’opportunisme et la modération réformiste de « la gauche » » se révèle n’être rien de plus qu’une phrase creuse pour stimuler le recrutement. Tôt ou tard, les mêmes fissures émergeront.

Dans la Tendance Communiste Internationaliste (TCI), nous n’affirmons pas être le Parti ou la nouvelle Internationale, mais nous pensons qu’un tel organe est nécessaire, et espérons être l’une de ses parties constituantes. Cependant, cela doit être d’un côté le produit d’une démarcation politique claire, et de l’autre d’un enracinement dans la lutte de la classe ouvrière. Le trotskisme, avec ses fausses affirmations d’être le seul courant marxiste à défier le stalinisme, est lui-même un produit de la contre-révolution. À travers les décennies, il a mené bien des militants dévoués dans la voie de la désillusion, de l’opportunisme, ou pire, à activement miner la lutte d’auto-émancipation des travailleurs. Nous encourageons tous ceux récemment attirés par les idées communistes à la réflexion critique sur l’héritage du trotskisme, si ce que nous disons résonne, à lire notre Plate-forme(17) et à réfléchir à la manière dont nous envisageons la lutte pour une nouvelle Internationale(18).

Dyjbas
Communist Workers’ Organisation
Avril 2024

Notes:

(1) Ce que de nombreux jeunes entendent par « communisme » ne semble pas être source d’inquiétude pour la TMI : « Le véritable communisme est instinctif, c’est un besoin de combattre et de transformer les choses. Les membres de ces couches nouvelles se considèrent comme communistes – ils n’ont pas lu les livres, mais ils sont communistes quand même et n’ont pas besoin d’être convaincus. » marxiste.org

(2) Même pour les trotskistes, ce nombre n’est pas particulièrement impressionnant. À son apogée dans les années 1980, la Militant Tendency comptait environ 8000 membres (mais, tout comme maintenant, il s’agissait de membres sur le papier).

(3) marxist.com

(4) marxist.com

(5) marxists.org

(6) marxist.com

(7) Voir notre pamphlet, Trotsky, Trotskyism, Trotskyists. Nous sommes en train de preparer une version mise à jour. leftcom.org

(8) Voir la lettre de Sedova à la Quatrième Internationale : marxists.org

(9) marxiste.org

(10) Marx, K., 2011. Manuscrits de 1857-1858, dits « Grundrisse ». Éditions Sociales. P. 704. En anglais ici : marxists.org

(11) marxists.org

(12) marxist.com

(13) Pour une analyse approfondie du stalinisme, voir : leftcom.org

(14) Pour une brève histoire de nos ancêtres politiques dans la gauche communiste italienne et leur lutte contre le stalinisme, voir : leftcom.org

(15) leftcom.org

(16) leftcom.org

Saturday, May 25, 2024