Compressions budgétaires - L’exemple irlandais

Nous tenons d’abord à saluer les travailleurs, les travailleuses et les jeunes qui se sont déplacés aujourd’hui, 12 mars 2011, pour manifester contre les compressions budgétaires annoncées; ce que les coalitions organisatrices appellent le «budget Charest». Nous ne saluons cependant pas le contenu politique mis de l’avant par les organisateurs. Notre analyse de l’histoire du mouvement ouvrier et la lecture que nous faisons d’une situation mondiale secouée de partout par les effets dévastateurs de la crise d’accumulation du capital, nous mènent à rejeter l’idée même qu’il puisse y avoir un «budget équitable» sous ce système inique. De plus, nous savons très bien que si ce n’est pas Charest, ce sera un autre qui prendra les commandes de l’appareil étatique, pour prendre essentiellement les mêmes décisions; car ils servent tous le même maître - le capital. Nous croyons que le rapport suivant sur la situation irlandaise illustre à la fois la profondeur de la crise sociale mondiale que nous subissons, et les leurres du racket de l’alternance parlementaire où les promesses du jour deviennent les trahisons du lendemain. Dans tous les pays du monde, c’est la lutte des classes qui est à l’ordre du jour; intraitable et autonome. À bas le capitalisme!

Maintenant que la messe démocratique est dite et que le processus de formation d’un gouvernement de coalition est presque complété, les directions du Fine Gael et du Labour Party (travailliste) n’attendent plus que son entérinement sans discussion par leurs partis respectifs. Cela est le résultat d’une recomposition dramatique du Parlement. Fianna Fail, le parti naturel du capital en Irlande depuis les années 30, qui a gouverné trois années sur quatre pendant toute cette période, a subi un effondrement politique reflétant celui du «tigre celtique». Le parti est devenu le scélérat politique d’office. Les principaux bénéficiaires de cet événement sont le Fine Gael, le Labour, le Sinn Fein, la United Left Alliance (ULA) et une collection de députés indépendants qui leurs ont ravi leurs sièges.

En arrière-plan - un monde en crise

La toile de fond de tout cela est évidente. Nous subissons aujourd’hui les conséquences cruelles de la crise mondiale du capitalisme, laquelle frappe l’Irlande de façon éclatante. Lorsque l’économie mondiale frappa un écueil avec la crise des subprimes aux États-Unis en 2007, les manœuvres du capital spéculatif mondial, ultimes réponses d’un système en crise, furent gravement perturbées. Cet état de fait eut des répercussions au Royaume Uni avec l’écroulement de la banque Northern Rock, en Islande avec l’effondrement du système bancaire et se perpétue aujourd’hui avec la crise dans la zone euro. Il va de soi que l’Irlande ne pouvait y échapper étant donnée sa dépendance sur la finance internationale, et plus particulièrement sur le capital américain. Alors, lorsque la bulle spéculative irlandaise éclata, cela mit immédiatement fin à ses années de «boom économique». Lorsque les combines économiques qui avaient permis cette bulle furent exposées, le gouvernement intervint immédiatement pour tenter de sauver «Ireland Inc.». Les mesures gouvernementales incluaient:

  1. la garantie de tous les dépôts bancaires;
  2. l’établissement d’une agence d’État qui achèterait les dettes des développeurs et des spéculateurs;
  3. diverses mesures pour faire payer la classe ouvrière par des augmentations d’impôts, des réductions salariales ainsi que la hausse de l’âge de la retraite, et
  4. une série de budgets d’austérité.

Tout cela ne fut d’aucun secours, et donc éventuellement, en novembre 2010, l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI) sont intervenus pour sauver l’État irlandais. Un plan de sauvetage, sous la forme d’un prêt de 85 milliards d’euros fut conclu à un taux d’intérêt de 5,7%. L’entente exige clairement que l’État irlandais impose des compressions de 15 milliards au cours des quatre prochaines années, pour ramener le déficit sous la barre des 3% du revenu national (1).

Le combat factice des nationalistes contre la crise

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Des divisions réelles existent à l’intérieur de la classe dominante irlandaise face à cette entente et ses termes. Lors de la campagne électorale, tous les partis tentèrent de s’accaparer le titre de «meilleur combattant pour l’Irlande». Cela s’est reflété dans la rivalité entre les partis importants et les partis bourgeois marginaux, alors que les partis importants voulaient accepter l’entente ou en modifier des éléments, tandis que les petits partis voulaient la rejeter. Les divergences entre les partis importants sont dérisoires et pour l’essentiel, elles ne concernent rien de plus que des détails et des différences d’approche. Le Fine Gael accepte, tout comme le gouvernement sortant, le contenu général de l’entente conclue avec l’UE et le FMI et déclara qu’elle la mettrait en pratique avec un ratio de 27% d’impôts supplémentaires et de 73% de compressions; tandis que le Labour favorise une formule de 50% d’impôts supplémentaires et de 50% de compressions sur une plus longue période. La United Left Alliance et le Sinn Fein, profitant d’une vague de populisme palpable dans la société irlandaise, adoptèrent une position plus radicale de rejet de l’entente UE/FMI. Le cas du Sinn Fein est particulièrement éclairant. Il est au pouvoir à Stormont (2), où il s’en prend à la classe ouvrière. Par exemple, dans le nouveau projet de budget promu par son gouvernement, il prévoit:

  • mettre en oeuvre des compressions de 4,7 milliards d’euros pendant les prochaines quatre années;
  • privatiser des services publics, avec les inévitables reculs des conditions de travail, pour les rendre profitables au secteur privé qui les accaparera;
  • imposer un gel des salaires aux 200 000 travailleurs et travailleuses du secteur public.

De plus, le Sinn Fein a reconnu que suite à ces compressions, 30 000 personnes perdraient leurs emplois et que ceux et celles qui les conserveraient feraient face à une hausse de l’âge de la retraite. Lorsque questionné sur le sujet, le Sinn Fein a été clair. Puisque le Ministère des Finances à Downing Street a réduit leurs revenus, il n’y a pas d’alternative – ça vous dit quelque chose? Bien sûr que oui. C’est la première justification de tous les gouvernements. La prétention de Sinn Fein d’être «une voix plus forte pour les familles travailleuses, les sans-emploi et tous ceux qui se battent pour survivre» n’est donc qu’un leurre. Ce parti veut vivre dans des univers politiques parallèles au nord et au sud de la frontière: s’attaquer à la classe ouvrière au nord et tenter de se positionner comme la voix du mécontentement ouvrier au sud. En plus de cette stratégie politique cynique et hypocrite, leur perspective d’une «Irlande se débrouillant seule» n’est rien de plus qu’un conte de fée. L’État irlandais indépendant fut confronté au choix entre la faillite, ou la survie avec les usuriers de l’UE/FMI.

«Notre politique n’a rien de révolutionnaire» avoue la United Left Alliance

La ULA fut fondée pour contester ces élections par le Socialist Party (3), le Socialist Workers Party (4), sous la forme de leur organisation de façade, People before Profit, qui est leur véhicule d’intervention politique privilégié, et par le Workers and Unemployed Action Group de Tipperary, dirigé par Seamus Healy (un ancien lambertiste) (5). Un document de l’ULA, titré «Our Programme», présente la base politique de sa campagne. Comme l’a candidement déclaré sa candidate dans Cork North West, Anne Foley, lors d’une entrevue accordée à un journal local:

Je crois que l’ULA propose des politiques très réalistes. Lorsque les gens pensent aux socialistes, il pense au communisme, ce qui n’est pas le cas. Il n’y a rien de dramatique ou de révolutionnaire dans notre politique. Plusieurs pays ont une social-démocratie fonctionnelle, surtout en Scandinavie. Ils disposent de très bons systèmes de santé, de transport et de garderies. Voilà la direction que nous voulons prendre, une direction que le gouvernement n’a pas suivie.

Le programme de L’ULA contient une liste de revendications sur laquelle elle a fait campagne. Elles étaient:

  1. fin au «bailout» - le plan de sauvetage;
  2. taxer les riches, pas les pauvres;
  3. mettre fin à la crise de l’emploi, et
  4. cesser les compressions - défendre les services publics.

De telles revendications ne représentent que des mythes keynésiens et étatistes réchauffés prétendant que la cruelle réalité de ce monde en crise peut être surmontée par des dépenses déficitaires et des nationalisations. Ces idées lumineuses ne constituent qu’une tentative illusoire de construire un capitalisme idéal et parfait, sans toute cette souffrance et cette exploitation.

Comme nous l’avons décrit plus haut, la crise du capitalisme frappe la planète entière et tous les secteurs de l’économie avec des conséquences dramatiques. Elle provient de la profonde crise structurelle d’accumulation du capital qui a forcé les patrons et leurs États à s’attaquer sans relâche à nos conditions de vie et à tenter de gérer cette crise structurelle par le biais de diverses stratégies telles l’intervention de l’État, le néolibéralisme et la financiarisation mondiale. Après avoir vu ses conditions acquises au cours de décennies de durs combats, arrachées par la classe dominante dans son effort pour maintenir ses profits, l’avènement de la crise ouverte annonce des assauts encore plus dévastateurs contre la classe ouvrière.

Dans ce contexte, il ne manque pas de marchands de rêves en tout genre. Que ce soient des partisans de l’austérité à tout crin ou des colporteurs de «solutions» nationalistes ou de gauche n’a que peu d’importance, car les deux catégories devront s’attaquer à la classe ouvrière dans le but de revenir au statu quo ou pour construire un autre éventuel projet illusoire. Le résultat ultime sera le même: faire payer les travailleurs et les travailleuses pour la survie du système. Il devrait maintenant être évident que le capitalisme a depuis longtemps cessé d’être d’une quelconque utilité pour l’humanité. Conséquemment, la tâche urgente que nous devons entreprendre est la construction d’organisations révolutionnaires pour combattre tous les culs de sac que le capitalisme nous présente et pour lier l’urgente lutte immédiate contre les programmes d’austérité, à la lutte à plus long terme pour un monde communiste.

DR

(1) Pour une analyse plus complète sur la crise en Irlande, voir Crisis in Ireland: A Warning to the World’s Workers, dans Revolutionary Perspectives, numéro 56, hiver 2011. On peut le lire sur www.leftcom.org/en ou encore le commander à l’une de nos adresses.

(2) Stormont est un palais de Belfast où siège le Parlement d’Irlande du Nord.

(3) Parti trotskiste lié au Comité pour une Internationale Ouvrière. Au Québec, ce comité est représenté par le Mouvement pour le Parti Socialiste, qui fait de l’entrisme dans Québec Solidaire; en France par Gauche Révolutionnaire qui fait de même dans le NPA et en Belgique, son organisation prend le nom de Parti Socialiste de Lutte.

(4) Parti trotskiste lié à la Tendance socialiste internationale. Au Canada, cette tendance est représentée par les International Socialists, dont les éléments québécois font de l’entrisme dans Québec Solidaire et en France par Que Faire? qui fait de même dans le NPA.

(5) Le lambertisme est l’une des nombreuses branches du Trotskisme, nommé ainsi à cause de son dirigeant historique, Pierre Lambert décédé en 2008. Ce courant est représenté en France par le courant ultra majoritaire du Parti ouvrier indépendant, et naguère au Québec par le Groupe socialiste des travailleurs de Roch Denis. Cette tendance est connue pour son intolérance et ses abrupts changements de positions et d’alliances.