Afrique du sud: Des mineurs en grève massacrés par la police

«L’ANC n’a jamais, dans aucune période de son histoire (…) condamné la société capitaliste. » Le sens réel de ses paroles, proclamées par Nelson Mandela à son procès en 1964, c’est maintenant révélé par le sang ouvrier.

Le 16 août 2012, la police a ouvert le feu et a tué 34 mineurs en grève et en a blessé 78 autres à la mine de platine de Marikana, située à environ 60 kilomètres au nord de Johannesburg. Les mineurs, menés par les foreurs revendiquent une augmentation de leur salaire de 4,000 rands mensuellement ($456.00 Can) à 12,500 rands ($1.426.00 Can). Une telle augmentation des salaires est considérée comme tout à fait inacceptable par les propriétaires de mine de Lonmin (1), c’est ainsi que la police fut envoyée pour les mitrailler. Malgré tous les facteurs complexes que nous considérerons plus loin dans cet article, c’est pour l’essentiel ce qui est arrivé. Ces événements démontrent clairement que l’ANC et ses acolytes dans l’alliance tripartite qui domine l’Afrique du Sud, nommément le prétendu Parti communiste d’Afrique du Sud (SACP) et la Confédération des syndicats d’Afrique du Sud (COSATU) n’ont aucune hésitation à massacrer les ouvriers lorsqu’ils osent menacer les profits du capital sud-africain.

La revendication salariale que les propriétaires de la mine, les syndicats et le gouvernement d’Afrique du Sud considèrent si exagérée, accorderait aux mineurs considérablement moins que le salaire minimum européen et québécois. Pour comprendre comment les travailleurs survivent avec leur salaire actuel, qui est moins du tiers du salaire minimum, on a qu’à considérer les conditions scandaleuses dans lesquelles ils vivent et travaillent. La plupart des mineurs vivent dans exactement les mêmes foyers où ils étaient abrités sous l’apartheid, mais un nombre significatif d’entre eux vivent maintenant aussi dans des abris de fortune qu’ils ont construits sur les terrains vagues autour de la mine. Les travailleurs qui vivent dans ces cabanes ont l’avantage de vivre avec leur famille, mais ils n’ont ni électricité, ni égouts, et ils doivent généralement partager un seul point d’eau entre un certain nombre de cabanes. La mine, qui est la plus riche du monde, emploie 28.000 ouvriers dont 3.000 sont des foreurs. Les foreurs accomplissent le travail le plus dangereux et le plus pénible dans la mine, car ils manient une foreuse à percussion de 25 kilos, pendant des séquences de travail de 8 heures tous les jours. Ils risquent fréquemment d’être écrasés par des éboulements et subir de graves blessures et même la mort.

Le syndicat officiel, le National Mine Workers Union (NUM) est un pilier de la COSATU et comme tous les syndicats, il travaille main dans la main avec le gouvernement. Le NUM a signé une entente avec Lonmin qui impose aux ouvriers le salaire actuel jusqu’à la fin de 2013. Pour mettre de l’avant leur propre revendication salariale, les travailleurs ont dû chercher des appuis à l’extérieur du syndicat officiel et en cela ils furent soutenus par un nouveau syndicat non reconnu, l’Association of Mine Workers and Construction Union (AMCU). Le 11 août, Lonmin a obtenu un ordre de la cour déclarant que la grève est illégale et qui ordonne le retour au travail avant le 17, ou de s’attendre à être congédier. Les grévistes refusent alors de retourner au travail, se munissent d’armes traditionnelles et occupent une petite colline à l’extérieur de la mine, là où ils tenaient des assemblées de masse. Le massacre a lieu lorsque la police tente de les balayer de la colline.

Même si l’élite dirigeante sud-africaine, en particulier le SACP et le COSATU, a tenté de présenter toute cette affaire comme étant le résultat d’un conflit intersyndical; il s’agit en réalité d’une lutte de classe des travailleurs contre le capital dans toute son évidente brutalité. Les syndicats n’ont seulement fait que compliquer la situation en divisant les ouvriers et en détournant la colère contre les capitalistes miniers, vers d’autres travailleurs. Le NUM a clairement pris position du coté des employeurs et a tout fait pour renvoyer les grévistes au travail, alors que l’AMCU a soutenu leurs revendications. Le NUM n’est pas aimé des mineurs de Marikana et lorsque son vice-président a tenté de les persuader d’accepter les offres salariales de Lonmin en 2010, celles actuellement en vigueur, il a reçu une brique au visage et a perdu l’usage d’un œil. Cette fois-ci, lorsqu’un dirigeant du NUM a voulu s’adresser aux mineurs, il a été amené dans un véhicule blindé jusqu’à la colline où les mineurs se rencontraient, mais il a refusé de sortir du véhicule! Il a tenté de livrer son discours de l’intérieur du véhicule blindé! Le message du NUM, était que la revendication des 12.500 rands n’était pas «atteignable» et que les ouvriers devaient mettre fin à la grève illégale.

Le NUM a beaucoup à perdre à la mine Marikana puisqu’il a subi des pertes de membres au profit de l’AMCU, et que si ses membres restants représentent moins de 50% des effectifs, il perdra ses droits de négociation. Les dirigeants syndicaux perdraient tout un lot de privilèges, de cadeaux et de pots de vin en provenance des propriétaires miniers si ce droit était perdu. Le NUM a tout fait pour discréditer les grévistes de même que l’AMCU qui soutenait leurs revendications. Avant le récent massacre, 10 personnes avaient déjà été tués. On dit que le premier incident a débuté lorsque des francs-tireurs au service du NUM ont assassiné deux grévistes. Cela a mené à une action de représailles dans laquelle huit personnes furent tuées, dont deux policiers et un indicateur. Le NUM a divisé les travailleurs et a créé une situation dans laquelle on s’entretue. Cependant, cela n’a pas fait dévier les grévistes de la question centrale du salaire. Au contraire, ce premier carnage a augmenté la détermination des grévistes.

Au moment où nous écrivons ce texte, la compagnie a retiré l’échéance de retour au travail et la grève se poursuit. Le président sud-africain Zuma a tenté de restaurer la crédibilité du régime de l’ANC en déclarant une semaine de deuil, en ordonnant l’ouverture d’une enquête et en visitant la mine. Il a dit aux grévistes : «Je ne suis pas au courant qu’une entente entre le gouvernement et l’employeur dit que vous devez être tués comme vous le dîtes mais cela doit faire l’objet d’une enquête.» (2)

La grève fait suite à une grève semblable à la mine Impala Platinum à Rustenburg en janvier dernier, où les revendications des mineurs ont finalement été atteintes. Cette grève a été menée à l’extérieur du NUM et comme celle en cours, elle fut déclarée illégale. Après l’ultimatum habituel, les propriétaires miniers ont congédié 5 000 mineurs. Cependant cela incita d’autres mineurs à sortir en grève. Les propriétaires ripostèrent en congédiant 17 000 ouvriers supplémentaires, mais la grève continua de plus belle. Après six mois de grève et la perte de 21% de la production annuelle, les propriétaires capitulèrent et la plupart des ouvriers congédiés furent réengagés et leur salaire fut augmenté de 3 000 à 9 500 rands. Le massacre de Marikana a suscité une vague de sympathie en Afrique du Sud et on rapporte que la grève s’étend. D’autres mineurs, dans le groupe Anglo American et chez Royal Bafokeng Platinum ont ignoré le NUM et mis de l’avant des revendications salariales similaires à celles des mineurs de Marikana. Le massacre risque d’échouer dans son effort de ramener les mineurs au travail et Lonmin devra peut être bien en arriver à une entente salariale avec les grévistes.

L’ANC, le bras politique du capitalisme africain.

Comme nous l’avons expliqué dans des articles précédents (3), l’ANC fut amené au pouvoir pour sauver le capitalisme africain du cul-de-sac dans lequel le régime d’apartheid l’avait précipité. L’ANC est devenu le bras exécutif du capital sud-africain tandis que les nationalistes africains se sont servis du pouvoir d’État pour se transformer eux-mêmes en membres de la classe dominante. Ce massacre d’ouvriers en grève démontre de quel coté de la barricade l’ANC se situe plus clairement encore que tous ses crimes antérieurs.

La classe capitaliste sud-africaine dans son ensemble a bénéficié des 18 années du règne de l’ANC. Pendant cette période de pouvoir, l’économie sud-africaine a augmenté de 3,3% par an en moyenne alors que les 18 années précédentes n’avaient connu qu’une croissance de 1,6%. La croissance économique a presque doublé durant la gouvernance de l’ANC. Pendant la même période bien entendue, les conditions de la classe ouvrière se sont détériorées. Le taux de chômage est d’environ 40%, il y a un sous prolétariat urbain de 12 millions de personnes qui vit de l’aide sociale et 50% de la population survit sous le seuil de pauvreté (4). L’Afrique du Sud est devenue la société la plus inégalitaire du monde selon la Banque mondiale.

Un petit groupe de politiciens sud-africains se sont enrichis énormément. Il y a des exemples spectaculaires de ce phénomène. Cyril Ramaphosa, l’ex-dirigeant du NUM dans les années 80 est maintenant un magnat des mines, un des hommes les plus riches d’Afrique du Sud et il siège actuellement au conseil d’administration de Lonmin qui combat si férocement les revendications salariales des mineurs. Le président Zuma lui-même est impliqué dans des scandales de corruption et vient de se construire un palais de 25 millions de dollars canadiens avec le butin qu’il a amassé. De même, des membres de la famille de Zuma et de Nelson Mandela sont impliqués dans des entreprises minières. Tout comme dans d’autres régimes capitalistes, la majorité des députés et trois quarts des ministres possèdent des intérêts capitalistes à l’extérieur de leurs fonctions parlementaires.

Des voix s’élèvent contre l’ANC à mesure que sa nature bourgeoise devient de plus en plus apparente. Voici comment le groupe «Abahlali base Mjondolo» (l’association des «habitants des cabanes ») décrit l’ANC dans un communiqué émis après le massacre de Marikana : « L’ANC n’a démontré aucune considération pour le peuple de ce pays. Il nous relègue dans des camps de transition et tente de nous maintenir dans des bantoustans. Il nous laisse brûler dans nos cabanes chaque hiver. Il nous tabasse dans ses postes de police. Il nous fait tirer dessus dans les rues. Des millions d’entre nous sont sans travail. Un gouvernement qui assassine ses citoyens est immoral et doit être combattu par tous et par toutes. Un gouvernement qui tue ces citoyens et ces citoyennes a perdu tout droit moral de gouverner. Ce qui est arrivé hier n’est pas différent des massacres de l’ancien gouvernement d’apartheid. Ce massacre n’est pas différent du massacre de Sharpville en 1960 où 69 personnes ont perdu la vie. Il n’est pas différent du massacre de Boipotong en 1992 qui coûta la vie à 45 personnes. »

« Nous devons arrêter de considérer ces politiciens comme des camarades. »(5)

Tout à fait vrai! L’ANC s’est servie de la classe ouvrière comme ses fantassins dans sa conquête du pouvoir, mais lorsque cette classe revendique ses propres intérêts de la seule façon dont elle le peut, par le retrait du travail, l’ANC est toute disposée à lui tirer dessus comme des chiens enragés.

Le rôle des syndicats

Comme il a été mentionné plus haut, la confédération syndicale COSATU fait partie de l’alliance tripartite avec l’ANC et le SACP qui dirige l’Afrique du Sud. Lorsque les travailleurs et les travailleuses sortent des syndicats et mettent en avant leurs propres revendications, cela constitue une menace à la COSATU et à l’ensemble de cette alliance. Pour le moment, l’alliance prétend que les travailleurs ont été trompés par les syndicats non reconnus et les dirigeants de la grève. C’est pourquoi le SACP a appelé à l’arrestation de ces dirigeants ainsi que de ceux de l’AMCU. On n’a pas entendu un seul mot condamnant la police.

Les syndicats de la COSATU, surtout le NUM ont été largement récompensés pour leur rôle d’encadrement et de préfet de discipline de la classe ouvrière. Le dirigeant du NUM Frans Balani, qui contrairement aux mineurs qu’il prétend représenter reçoit un salaire mensuel de 105.000 rands ($12.075.00 Can) a ouvertement exprimé son mépris pour les foreurs, les traitant comme étant les plus ignorants et les plus illettrés des travailleurs. Lorsqu’un autre groupe de travailleurs d’une mine appartenant au neveu de Zuma, Khulubuse Zuma et le petit fils de Nelson Mandela, Zondwa Mandela ne furent pas payer pendant 18 mois, le NUM refusa de soutenir leur cause malgré le fait qu’ils en étaient membres en bonne et due forme. C’est un exemple de plus du rôle véritable de ces syndicats, nommément le sabotage de la lutte des classes et le soutien du capitalisme sud-africain.

L’AMCU est un syndicat relativement nouveau fondé en 1998 par des travailleurs insatisfaits du NUM et ainsi que par des permanents qui en avaient été exclus. Il n’est pas affilié à la COSATU. Ces facteurs lui donnent un certain degré d’indépendance et les récentes grèves ont favorisé sa croissance. Cependant, s’il remplace le NUM en tant que syndicat reconnu par les propriétaires miniers, il deviendra le négociateur de la vente de la force de travail. Ce rôle l'entrainera inévitablement à devenir l'outil des propriétaires miniers de la même manière que le NUM l’est à présent. La raison en est que toute organisation économique permanente de la classe ouvrière ne peut que négocier la vente de la force de travail. Travailler pour de meilleures conditions à l’intérieur du présent système de travail salarié nécessite la reconnaissance de la logique du système. Cela veut dire reconnaître la nécessité du profit et donc de l’exploitation des travailleurs et travailleuses qui produisent le profit. Le secteur du capitalisme dans lequel les syndicats opèrent, doit donc devenir plus profitable de manière à ce que plus de miettes puissent être partagées par les prolétaires. Ainsi les syndicats deviennent des défenseurs du capital national et défendent son besoin d’une plus grande productivité, d’une compétitivité accrue, etc. Leur rôle devient l’organisation du travail, l’administration des réformes, l’application des mises à pied, des coupures salariales et toutes les autres choses avec lesquelles les travailleurs et les travailleuses des régions métropolitaines sont si familiers.

L’alternative est le renversement révolutionnaire du système capitaliste lui-même et la fin du travail salarié, une voie qu’aucun syndicat ne voudra prendre. Les seules organisations qui peuvent prendre une telle voie sont des organisations politiques. Les luttes des travailleurs et des travailleuses à travers le monde ont désespérément besoin d’une orientation politique vers la construction d’une forme sociale plus élevée de la production. Cela veut dire que la lutte des classes a besoin d’une orientation révolutionnaire. Nous avons absolument besoin d’une organisation politique mondiale de la classe ouvrière. Comme nous l’avons écrit dans notre communiqué sur le massacre de Marikana :

«La tragédie est que la violence meurtrière du capital n’a pas de frontière. Les mêmes incidents arrivent en Chine, au Brésil, et dans plusieurs autres pays de la prétendue périphérie du capitalisme, tandis que dans l’Occident ‘démocratique’ rien de cette ampleur n’est arrivée pour la bonne et simple raison qu’il n’y a pas encore de renaissance réelle de la classe. Cependant, même les premiers signes importants d’une réponse de la classe ouvrière, même dans nos latitudes politiques, suscitera une répression immédiate. En Italie, par exemple, les armes juridiques sont déjà en place et des expériences concrètes ont déjà été menées sur le terrain (Gènes en 2001). Même si cela n’avait pas été compris à l’époque. »

«Le temps est terminé où on s’en tenait qu’à la dénonciation de ces scandales et à pleurer les morts de la classe ouvrière internationale. Le temps est aussi venu de consacrer un effort réel et d'organiser un parti de classe, un programme révolutionnaire pour que la renaissance future de la lutte des classes n’ait pas seulement comme cible la répression de la classe capitaliste internationale, mais aura aussi l’objectif politique du renversement de cette société de classe, de la rupture de la relation inégalitaire entre travail et capital et la destruction du mécanisme de production capitaliste. L’épisode tragique de Lonmin et les 34 camarades massacrés ne sont pas qu’une histoire locale et un évènement brutal dans cet Afrique du sud si éloignée, mais n’est qu’un acte dans la tragédie qui est destinée à être jouée partout où la classe ouvrière tente de relever sa tête. »

C.P.

Notes

  • Lonmin est une compagnie minière britannique inscrite à la bourse de Londres. C’est le troisième plus grand producteur de platine au monde
  • Voir Financial Times, 23 août 2012
  • Voir Revolutionary Perspective, no 60 : «l’ANC au service du capital »
  • 48% de la population survit avec 2 livres par jour. ($3.18 can). unionbook.org
  • unionbook.org
  • voir leftcom.org

Cet article est la traduction d’un article paru dans Revolutionary Perspectives, no 62, revue publiée par les camarades de la Communist Workers’ Organisation.

Monday, November 26, 2012