La lutte des classes au Québec en 2014 - Bilan et perspectives

En ce début d’année 2014, un rapport publié par Oxfam révélait que les 85 personnes les plus riches du monde possèdent autant que 50% de la population mondiale, soit 3,5 milliards d’êtres humains. C’est ce que Marx prévoyait lorsqu’il parlait des «eaux glacées du calcul égoïste».

L'année vient a peine de commencer, mais en toute franchise, on a peine à la différencier de 2013. L’austérité continue, notre niveau de vie diminue, la classe ouvrière bat en retraite et elle suit encore avec trop de complaisance ses directions bureaucratiques. Si nous voulons que cette année soit différente, qu'une véritable contre-offensive prolétarienne se développe au Canada et dans le monde, il faut faire le bilan des luttes de l'année passée, et en dégager les perspectives d’une riposte potentielle.

Bilan

L'année 2013, a été un peu l'année de la gueule bois militante après l'ivresse de la grève étudiante de 2012. L'austérité du PQ a été aussi dure que celle des Libéraux, quoi que plus habile et surtout, plus à même d’être acceptée, grâce à la complicité des chefs syndicaux qui maintiennent des relations incestueuses avec ce parti. Indexation des frais de scolarité, maintien d'une partie de la taxe santé, coupure dans l'Aide sociale, etc. Au fédéral, ce n'est pas mieux, les conservateurs maintiennent leur offensive, réduisant en poussière les résultats de décennies de luttes. L'austérité s'est aussi accompagnée d'un recul des droits démocratiques et d'une intensification de la répression. Pourtant, des ripostes significatives ont eu lieu de la part de certains contingents de la classe ouvrière. Ce sont souvent des grèves longues et épuisantes, qui perdurent encore, comme celle des employé-e-s des concessionnaires automobiles au Saguenay ou à la Salaison Lévesque à Montréal. Ces luttes courageuses se sont cependant toutes heurtées aux mêmes limites. Incapable de rompre l’encadrement bureaucratique des syndicats, de casser la légalité capitaliste, de s'unifier et de prendre un caractère politique, leurs résultats ont varié entre la déroute ou le match nul. Revenons brièvement sur quelques unes des luttes les plus significatives.

Grève dans la construction, répression bourgeoise et syndicale

Les 175 000 travailleurs et travailleuses de la construction se sont lancés dans une grève générale en 2013. Ce contingent de la classe ouvrière est un des plus nombreux, le plus uni et qui possède un des meilleurs rapports de force au Québec. C'est une des raisons pour laquelle le bilan de cette grève est un des moins négatifs. Sur le terrain, la mobilisation et la combativité furent au rendez-vous. Les scabs furent neutralisés systématiquement et les patrons remis à leur place. On vit même apparaître une tentative autonome de certains ouvriers désirant politiser la grève et de profiter de la force de frappe de cette masse de prolétaires pour mieux combattre le Capital et l’État. Malheureusement, c'était sans compter que ''l'appareil'' syndical existe surtout pour se protéger et retirer une rente sous forme de cotisations. Il profite de l'exploitation, il ne peut et ne veut pas la combattre véritablement. Les tracts appelant à une manif autonome furent arrachés des mains des ouvriers combatifs par les permanents syndicaux, alors que la menace d’une loi spéciale fit battre en retraite deux des secteurs, le génie civil et la voirie ainsi que le résidentiel. Les syndicats ont mis fin à la grève sans même avoir consulté une seule assemblée générale. Laissé seul, le secteur industriel et ses 77 000 travailleurs et travailleuses furent écrasés par une loi spéciale, malgré quelques tentatives isolées d'y résister, que la bureaucratie eût vite fait d'étouffer. Les ententes qui sortirent de ce conflit ne sont certes pas des reculs. L'offensive patronale a été stoppée, les conditions de travail maintenues pour le meilleur et pour le pire (aucun gain n'a été fait par exemple, sur la santé sécurité, alors qu'un travailleur de la construction meurt tous les 5 jours ouvrables d'un accident de travail). Cependant, la défaite politique est réelle. L'État bourgeois étant capable de briser une grève sans lever le petit doigt, et la bureaucratie capable de se passer de sa légitimité ''démocratique'' pour saboter la lutte. Si les ouvriers et ouvrières qui ont tenté de s'organiser sur leurs propres bases n'apprennent pas de leurs erreurs, ne s'organisent pas en comités autonomes pour faire contrepoids aux bureaucrates, rien de bon n'augure pour les prochaines négociations du secteur industriel qui commencent au printemps.

Mapei… parce que la modération goûte la cendre

L'usine de produits pour céramique Mapei à Laval, a vu une grève de dix-huit mois se terminer en 2013. Le résultat est désolant. La vaste majorité des 115 ouvriers ont perdu leurs emplois, et pour les 20 qui restent, rien n'est garanti. Le protocole de retour au travail est tout simplement abjecte, interdisant toute représentation syndicale légale pour les 52 travailleurs congédiés pour activité syndicale. Les ouvriers de Mapei ont été conduits en terrain miné par leurs représentants syndicaux qui leur déconseillaient de bloquer la production, qui ont conseillé le respect des injonctions, particulièrement l’une d’entre elles qui interdisait aux 95 travailleurs licenciés de voter sur les offres finales du patron (divisant avec succès les travailleurs, 5 d'entre eux votant pour le maintien de la grève, 15 brisant les rangs et abandonnant leurs camarades). Le respect de la légalité bourgeoise a eu raison des travailleurs de Mapei, comme il aura toujours raison de tous les travailleurs et toutes les travailleuses qui s’y soumettront.

Kronos, une retraite organisée

Pour les travailleurs et les travailleuses de l’usine Kronos à Varennes, le résultat est moins catastrophique. Ils et elles conserveront leurs emplois, certes, mais les reculs sont importants. Sur les salaires d'abord, les ouvriers et les ouvrières devront se contenter d'un maigre 0,5% par année d’augmentation, largement en dessous de l'inflation réelle. Il suffit de comparer une facture d'épicerie entre deux années, et c'est assez évident que le coup de la vie augmente de plus de 0,5%. Cependant, l’enjeu central de cette lutte était le régime de retraite, qui passera de prestation déterminée, à cotisation déterminée (pour faire une longue histoire courte, la retraite des travailleurs et des travailleuses sera désormais vulnérable aux aléas des marchés financiers et aucun revenu n'est garanti). Malgré une combativité certaine, qui a sauvé les meubles ; le respect de la légalité, le contrôle de l’appareil syndical et l’isolement a fait en sorte qu’il ne pouvait tout simplement pas y avoir de victoire.

Renaud-Bray, haut-le-cœur bureaucratique

Pour les travailleuses et les travailleurs de la chaîne de librairies Renaud-Bray, la déception est grande. Grande à cause de la combativité, de l'organisation exemplaire de cette lutte. Que ce soit par la combativité comme le fonctionnement démocratique de la lutte, tout semblait bien parti. C'était sans compter sur l’appareil syndical. Celui-ci a mis au pas les délégué-e-s, leur apprenant qu'une négociation, c'est une affaire de confiance entre les deux partis (!), et qu’informer les membres pendant les négociations, ça ne se fait pas. Le SEPB-FTQ a donc négocié une entente à rabais, qu'il a ensuite enfoncée dans la gorge des délégué-e-s (il fallait «vendre» l’entente aux membres…) puis, a mis un maximum de pression sur les grévistes pour faire adopter une indexation des salaires à 0,7% par année (la précédente convention collective donnait 2%...) dans un simulacre d'assemblée générale. Blaise Renaud et les actionnaires de Renaud-Bray (dont fait partie le Fonds de Solidarité de la FTQ) ne pouvaient espérer de meilleurs alliés que les larbins payés à même les cotisations des travailleurs et des travailleuses. Il n'y aura pas de victoire tant que les prolétaires ne se donneront pas des comités de grève autonomes des syndicats, qui auront le pouvoir d'élire et de révoquer en tout temps les délégué-e-s qui conduisent les négociations.

L'assurance chômage: la tragédie et la farce

Le saccage de l'Assurance-chômage par le gouvernement conservateur est une des mesures d'austérité les plus sévères qui a été imposé au prolétariat canadien. Malheureusement, la riposte fut loin d'être à la hauteur. Si la classe ouvrière des provinces maritimes a réussi à se mobiliser et a offert une résistance efficace, c'est bien le seul endroit ou la lutte a pris les dimensions nécessaires. Alors que le Congrès du Travail du Canada arrivait à étouffer la lutte à l’Ouest de la rivière des Outaouais, au Québec, pilotée par les syndicats, la lutte s'est embourbée dans le nationalisme le plus mesquin et s’est limitée à une manifestation spectacle sans lendemain. Le président de la CSN a pourtant qualifié cette campagne de succès dans un discours à Québec à la mi-novembre 2013. À ce dont l’esprit se contente, on mesure l’étendue de sa perte…

Perspectives

Les perspectives de luttes sont là, les attaques se multiplient sur tous les fronts. La seule véritable question est comment articuler une pratique révolutionnaire dans nos luttes, comment transformer les luttes isolées dans un mouvement capable de non seulement bloquer l'agenda politique de la classe dominante, mais d'attaquer les fondements mêmes du capitalisme. Bref, comment amener la vaste majorité de nos camarades prolétaires à faire le saut qualitatif de l'instinct de la lutte défensive, à la conscience de classe communiste. Pour transformer les luttes défensives en offensives et impérativement, en mouvement révolutionnaire, il faut analyser la situation qui est devant nous, comprendre dans quelles circonstances nos luttes se feront au cours des prochaines semaines et pour le reste de l'année, si nous voulons organiser une riposte de classe victorieuse.

Pas d'espoir du côté des urnes

Les élections sont imminentes sur la scène provinciale. Elles sont peut-être déjà annoncées au moment ou vous lisez ces lignes. Il y en aura aussi bientôt au fédéral. Toutes les illusions à l’effet que l'austérité pourrait être battue par la voie électorale doivent être abandonnées. Même si certains se content encore des chimères, en croyant que l'élection du NPD ou de Québec solidaire changerait quoi que se soit à notre situation, ils et elles doivent admettre que ces partis n'ont aucune chance de gagner les prochaines élections. La seule riposte possible et efficace se fera dans la rue et dans nos milieux de travail. La voie des prolétaires n’est pas parlementaire. Le choix sera clair, soit reprendre le chemin des luttes, les transformer en ripostes unifiées contre le Capital, ou perdre notre temps dans le cirque électoral.

Postes Canada, une occasion que nous ne pouvons rater

Les compressions à Postes Canada sont une des attaques récentes les plus vicieuses contre la classe ouvrière canadienne. Elle est aussi une des luttes qui ouvre les perspectives offrant le plus de potentiel de riposte victorieuse. Cette bataille, par sa nature même, touche tous les travailleurs et toutes les travailleuses par la perte d'un service d’une grande importance, en plus des huit milles postiers et postières qui perdront leurs emplois. De par son caractère pancanadien, elle peut briser les divisons nationales qui minent les combats de la classe ouvrière de ce pays. Si les factrices et les facteurs réussissent à briser le carcan corporatiste en transformant leur lutte contre toutes les mesures d'austérités; si ils et elles brisent le carcan syndical en s'organisant en assemblées générales élargies, si elles et ils sont prêts et prêtes à défier la légalité bourgeoise, si ils et elles s’unifient à toutes les autres luttes, mobilisent à travers le pays de larges secteurs du prolétariat, si ils et elles tissent des liens avec des comités de travailleurs et de travailleuses, des assemblées de quartiers et des groupes politiques révolutionnaires, alors peut-être qu’une véritable victoire serait possible. Cela ne tombera du ciel, les prolétaires conscients doivent se regrouper pour agir dans cette lutte, doivent aider à tisser des liens avec d'autres secteurs du prolétariat, doivent organiser le soutien de la lutte et son extension dans leurs milieux de travail, dans leurs quartiers et dans leurs municipalités. Cette lutte est essentielle au prolétariat canadien, à son unité et offre une vraie chance de gagner. Nous ne pouvons laisser passer une telle occasion.

Mais encore…

D’autres grèves, d’autres combats sont à prévoir. Les négociations du secteur public recommencent cette année. Nous nous y intéresserons avec beaucoup d’attention car elles affecteront les conditions de vie et de travail de 500 000 travailleuses et travailleurs. Du côté des organisations de travailleurs et de travailleuses-étudiant-e-s, les 6800 salarié-e-s de McGill, de Concordia et de l’UQAM se mettront aussi possiblement en mouvement en 2014. Une éventuelle grève dans ce secteur pourrait avoir un certain effet d’entraînement du côté du mouvement étudiant lui-même. Mais au-delà de toutes ces luttes et de leur potentiel de transformation sociale, toute l’histoire du mouvement ouvrier le démontre, comme le plafonnement de luttes majeures récentes comme en Égypte ou au Brésil le confirme, tant que nous ne nous serons pas munis des formes d’organisations nécessaires, nos combats seront essentiellement voués à l’échec. En se sens, il nous faut dès maintenant mettre sur pied des comités de grève autonomes en plus de maintenir et développer nos assemblées de quartier. Mais c’est plus qu’une grève qu’il faut gagner. Le système capitaliste en crise nous mène tout droit à la misère et à la guerre. Son renversement est une nécessité, un acte d’hygiène public et une condition de survie. Les prolétaires qui en sont conscient-e-s doivent s’unir pour agir. Plus que jamais, la construction de l’organisation des révolutionnaires se pose. Plus que jamais notre mot d’ordre reste: Socialisme ou barbarie!

Maximilien et Richard St-Pierre
Tuesday, March 4, 2014