Chute du prix du pétrole et concurrence impérialiste internationale

Chute du prix du pétrole et concurrence impérialiste internationale

Au milieu d'une crise économique qui ne montre aucun signe de fin avec l'emprise tragique de la barbarie impérialiste qui jamais ne cesse.

Selon l'analyse classique du néo-libéralisme, rien d'exceptionnel. Et même, toutes les théories qui essayent d'expliquer ce qu'il y aurait derrière la chute du prix du pétrole, sont vouées à l'échec ou, au mieux, sont des observations inutiles qui n'appartiennent pas au monde réel mais se réfugient dans la farce grossière des théories conspirationnistes. Selon la théorie néolibérale, la baisse du prix du pétrole brut qui est passé de 120$ à moins de 70$ le baril en un rien de temps, est simplement le résultat des lois normales du marché et de ses capacités d'autorégulation. La crise, le déclin de la production et, donc, de la consommation d'énergie ont affecté la vieille Europe, le Japon et la Chine. Cette dernière bien qu'augmentant son développement capitaliste, a maintenant des signes de croissance moins importants que dans le passé récent. Il est donc naturel que la demande des besoins énergétiques ait décru comme les prix. Donc il n'y a aucun problème, aucune lutte entre puissances impérialistes, au mieux il s'agit de la concurrence habituelle sur le marché si chère au néo-libéralisme.

Une telle analyse est une perte de temps et ne mérite pas de commentaire sinon pour dire que la banalité est la mère de toutes les stupidités. Le problème n'est pas simplement que la consommation baissant les prix baissent, mais le fait que l'OPEC ait décidé de ne pas couper l'approvisionnement en pétrole pour soutenir les prix comme elle l'a souvent fait par le passé.

Une autre théorie suggère qu'il y a une attaque féroce des États-Unis et de l'Arabie Saoudite sur le marché du pétrole contre des ennemis aussi mortels que la Russie et l'Iran. Il est certain que la baisse des prix du pétrole brut affecte tous les producteurs et particulièrement ceux dont les exportations de pétrole sont la principale ressource économique comme la Russie, l'Iran et le Venezuela. Il est aussi évident que les États-Unis exercent une forte pression sur la Russie à la fois par des sanctions et par la diplomatie afin d'affaiblir son potentiel économique (dans le secteur du pétrole en particulier) par rapport à la confrontation politique en Europe et au-delà. De même l'Arabie Saoudite a tout intérêt à pénaliser un rival comme l'Iran sur les terrains économique, politique et religieux afin de maintenir son monopole sur la religion, sur le culte du Dieu pétrole et sur la lucrative rente qui en découle. Cette vision conviendrait s'il n'y avait le fait que l'alliance USA-Arabie Saoudite a laissé place à leur rivalité. La concordance d’intérêts immédiats et stratégiques est à replacer dans l'égoïsme impérialiste de l'exportation de pétrole, de domination du secteur de l'énergie et de leurs rôles respectifs au Moyen-Orient. Ainsi le couple USA-Arabie Saoudite contre la Russie et l’Iran est un peu confus. Cependant, le cadre de référence continue à être celui de la confrontation impérialiste. Les interprétations sont les mêmes mais les alignements répondent à des logiques et des intérêts plus complexes.

Tout a commencé à changer avec la découverte et l'exploitation du gaz de schiste en Amérique du Nord. Jusqu'aux premières années de cette décennie, les États-Unis importaient 60 % de leurs besoins énergétiques en pétrole. Depuis à peu près quatre ans, il est remplacé par du gaz de schiste et selon les plus grands centres de recherche de Washington, cette dépendance énergétique a chuté de 20 %. Les mêmes sources suggèrent que l'indépendance énergétique complète sera atteinte en 2050 et, après cela, les États-Unis pourraient même devenir exportateur et diriger la production et l'exportation du pétrole mondialement.

Si nous oublions un instant la validité de telles prédictions, sans mentionner l'opposition persistante des écologistes contre ces méthodes d'extraction (le fractionnement) qui laisseraient dans le sous-sol au moins 30 % de produits chimiques utilisés avec tous les risques de pollution des sols et des couches aquifères que cela implique, il n'en reste pas moins que beaucoup de techniciens sont perplexes devant les coûts élevés d'extraction et de raffinage tout comme sur l’indépendance énergétique supposée. Beaucoup de géologistes dans l'industrie, d'experts financiers du Post Carbon Institute et de l’Energy Policy Forum doutent sérieusement que la fracturation hydraulique soit une technique économiquement compétitive et soutenable pour l'environnement. Même l'autonomie énergétique aussi claironnée qui, selon les prévisionnistes les plus optimistes serait atteinte au plus tôt autour de 2050, apparaît être plus un mirage qu'un espoir. Il est plus facile de voir le gaz de schiste comme constituant déjà une autre bulle spéculative aux États-Unis. En fait, à cause des intérêts du capital financier spéculatif de Wall Street, les données sur les réserves américaines de gaz de schiste ont été surévaluées de 400 %.

Il est quasi certain que, derrière l'euphorie sur l'exploitation des gisements de gaz de schiste, il y a le fait que la production courante vient juste de deux gisements de pétrole de schiste (le Bakken Shale dans le Nord Dakota et le Montana, et le dépôt d'Eagle Ford au Texas) dont les pics de production se concentrent en des lieux très limités, et de cinq autres champs de gaz de schiste.

La préoccupation des géologistes porte aussi sur le fait que, dans 10 ans, les hydrocarbures fracturés seront épuisés ou bien qu'ils seront surtout extraits à un coût croissant et au prix d'investissements plus importants en technologie rendant non économique les nouvelles productions. En plus, le coût actuel de la production signifie qu'il n'y a plus aucun intérêt économique dans l’extraction du gaz de schiste si le prix de vente sur les marchés internationaux tombe sous les 75$ le baril.

Mais l'alarme sonne aussi pour l'économie de l'Arabie Saoudite. En fait, le royaume saoudien n'est pas seulement le principal pays producteur de pétrole en terme d'exportation, de gisements actifs et exploités, mais aussi, depuis des décennies, le plus grand fournisseur de pétrole aux États-Unis. Il va sans dire que toute indépendance énergétique de ces derniers, même s'il ne s'agit que d'une crainte, poserait de sérieux problèmes à l'Arabie Saoudite à la fois en termes économiques comme politiques vis-à-vis de leur alliance. Et encore plus, cela aurait un impact significatif sur sa capacité à continuer à jouer un rôle de leader sur le terrain des revenus pétroliers au sein de l'OPEP et d'agir comme leader politique au Moyen-Orient vu les effets négatifs de la réduction de son poids spécifique en termes d'activité impérialiste.

Avec cette donnée géopolitique, on voit que l'intérêt principal de la monarchie saoudienne se trouve en opposition avec la perspective américaine d'autosuffisance énergétique basée sur l'exploitation du gaz de schiste. Comment ? En poussant ce projet à ses limites critiques, c'est-à-dire à un coût d'extraction élevée qui n'autorise pas la vente du gaz de schiste au-dessous de 75$ le baril.

Ce n'est pas un hasard si à la réunion de l'OPEP de novembre, l'Arabie Saoudite a œuvré au niveau diplomatique, et avec une grande détermination, pour convaincre ses alliés-concurrents, le Qatar, le Koweït, les Émirats Arabes Unis et la récalcitrante Iran d'accepter de ne pas augmenter le prix du pétrole brut qui, du point de vue de la stratégie des saoudiens, ne doit pas repasser au-dessus de 75$ le baril.

Des sources non officielles rapportent que la Russie elle-même, à travers une prise de position des patrons de Lukoil et avec l'appui du gouvernement Poutine, a aussi donné son consentement (la Russie ne fait pas partie de l'OPEP) à la proposition saoudienne d'un prix plus bas du pétrole brut. Ce n'est pas sans quelques doutes et inquiétudes de leur part car un faible prix du pétrole frapperait aussi fortement l'économie russe qui, depuis quelques années, a basé 60 % de son PIB sur les exportations de gaz et de pétrole. Mais d'autres facteurs peuvent aussi intervenir pour compenser ce désavantage économique initial :

1) La Russie, comme l'Arabie Saoudite, a intérêt à mettre des bâtons dans les roues de la tentative des États-Unis pour devenir auto-suffisants d'un point de vue énergétique et, à terme, d'être parmi les plus grands exportateurs de pétrole et de gaz. Cela les mettrait en concurrence directe avec les intérêts de Moscou qui, aujourd'hui, est le plus grand exportateur mondial de pétrole et de gaz pris ensemble. En bref, un sacrifice financier dû aux faibles coûts du pétrole brut pour quelques années en vue de ruiner le projet de gaz de schiste pourrait valoir la peine.

2) Bien qu'elle ait beaucoup de problèmes internes et internationaux de nature économique et politique dus aux sanctions et à sa relation difficile avec l'occident, la Russie a renouvelé de lucratifs contrats économiques basés sur l'exportation d'hydrocarbures avec l'Europe et, surtout, elle en a récemment signés de nouveaux avec la Chine malgré l'opposition déterminée de Washington sur ces deux fronts.

3) Les exportations russes sont principalement basées sur le gaz alors que celles de pétrole ne représentent qu'un niveau relativement faible, ainsi les dommages économiques craints, seraient après tout assez limitée et supportables sur le court terme.

Avec 44 trillions de m³, la Russie détient les plus grandes réserves de gaz au monde. Les réserves de pétrole se montent à 10 milliards de tonnes. Ce n'est pas un hasard si Gazprom, compagnie étatique, est de loin la plus importante des compagnies du secteur énergétique russe, bien au-dessus de Lukoil et des autres compagnies opérant dans le secteur du pétrole.

Pour l'Arabie Saoudite, les choses sont plus simples et directes. Outre essayer de désamorcer la menace du gaz de schiste, les préoccupations de Riyad vis-à-vis de Washington se déplacent sur le terrain des alliances avec des pays amis et des conflits avec ses opposants. L'idée de laisser le prix du pétrole bas a pour second objectif de pénaliser le nouveau cours de l'Iran. Celle-ci ne peut pas être autorisée à échapper aux sanctions. Au lieu de cela, laisser subir les conséquences d'un faible prix du pétrole est le moyen le plus efficace d'éliminer un dangereux concurrent dans toutes les questions soulignées plus haut. Mais la politique américaine vis-à-vis de l'Iran est en train de changer. Attirer le pays des ayatollahs dans leur orbite ou, du moins, réduire la virulence de leur hostilité, serait pour l'administration Obama commencer à soustraire un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz de l'influence russe, de l'éloigner de la collaboration avec l'industrie pétrolière irakienne et de rendre plus facile le relâchement des liens énergétiques qui attachent Washington à l'Arabie Saoudite. Cela semble être la dérive politique des États-Unis. La question nucléaire compte pour peu et le régime de Téhéran s'est rendu compte de cette nouvelle situation et a repris la balle au bond en se déclarant prêt à tous les contrôles sur ses centrifugeuses nucléaires et, comme valeur ajoutée, s'est prêté à collaborer à la coalition contre l'"État Islamique" en envoyant ses avions de combat en Syrie contre les bases militaires du "Califat". En plus, l’Iran sans sanction, allié des États-Unis, aurait un nouveau rôle à jouer dans toute la région de la Caspienne et attirerait un savoir-faire et plus d'investissements augmenteraient sa production et sa capacité à sonder de nouveaux puits, mettant ainsi en question la suprématie arabe dans l’énergie et dans le domaine de la géopolitique. Les comptes sont vite faits. Si les États-Unis peuvent faire sans le pétrole saoudien et si l'Iran rentre d'une manière quelconque dans la sphère américaine, le futur de Riyad devient sombre. C'est la raison première de l’orientation saoudienne d'opérer au sein de l'OPEP afin de maintenir bas le prix du pétrole contre les plans américains et contre la possible "réhabilitation" de l'Iran.

Il va sans dire que la Russie jouera son propre jeu que ce soit à la table des négociations pour la baisse des prix du brut dans le but de nuire aux États-Unis ou bien à celle des aides à l'Iran pour tenter de la soustraire aux sirènes américaines qui, en ce moment plus que jamais, chantent la délicieuse litanie des duperies.

Tout cela est seulement possible dans le cadre des oscillations impérialistes des prix et de la quantité de production de pétrole et de gaz. Et, sur le fond, tout en accélérant les oscillations des attaques et de la crise économique continuent et ne montrent aucun signe de sortie du trou dans lequel elle a plongé l'économie mondiale dévastant les conditions de vie de centaines de millions de travailleurs.

Les jeux de l'impérialisme combinent la rupture de vieilles alliances et la création de nouvelles temporaires en fonction des opportunités. Les différents impérialismes poursuivent férocement leurs intérêts au moyen de guerres commerciales, puis militaires, avec toute la barbarie des destructions environnementales et humaines. L'Arabie Saoudite joue sa propre partie, l'Iran saisit l'opportunité, la Russie abat ses meilleures cartes. Les États-Unis appuient sur l’accélérateur de la course de l'autonomie énergétique en sachant que si les choses se déroulent mal, ou ne vont pas dans la bonne direction, ils peuvent se consoler en essayant de maintenir le dollar comme facteur du commerce international, y inclus du pétrole, pour contrer les attaques de l'euro et les manœuvres sino-russe pour saper la domination du dollar américain. Pendant ce temps, on combat en Ukraine, en Syrie et en Irak pour le pétrole, pour sa commercialisation et son prix. Tout le monde participe à la guerre du pétrole, de la Russie aux États-Unis, de l'Europe aux pays arabes qui font partie de la coalition anti-État Islamique qu'ils combattent aujourd'hui avec la même détermination et vitesse avec laquelle ils avaient oeuvré à sa création. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de civils sont morts, des millions de réfugies syriens et irakiens sont au bord d'une catastrophe humanitaire. Ils risquent de mourir de faim et, avec l'hiver qui arrive maintenant, de froid. D'autres désespérés, travailleurs, prolétaires, trompés par leur bourgeoisie respective se combattent les uns les autres dans le jeu meurtrier qui les voit tous perdre quel que soit le lieu où ils se trouvent.

L'impérialisme pourra continuer à jouer à ces jeux aussi longtemps qu'il le voudra jusqu'à ce que son ennemi de classe brandisse le drapeau de l'anticapitalisme et de la lutte sans quartier contre toute solution nationale, en se détachant de leur propre bourgeoisie et des manœuvres des pays impérialistes et de la barbarie qu’ils provoquent.

FD

Mercredi 10 décembre 2014

Monday, December 22, 2014