Qu'exprime 'Nuit debout' ?

Poursuite de la réflexion sur la situation politique en complément du précédent texte sur les luttes.

Indépendamment de l'utilisation et du détournement de "Nuit debout", ce phénomène est le signe du cheminement souterrain d'une certaine réflexion et de la nécessité de lutter contre la gravité de la situation politique, économique, sociale, écologique par certaines fractions de travailleurs, de chômeurs, de la jeunesse en voie de prolétarisation, etc..

Importance du contenu des préoccupations exprimées.

Quelles que soient les manœuvres orchestrées autour de Ruffin, de l'économiste alter-mondialiste Lordon et d'autres qui ont impulsé au départ et continué à entretenir les rassemblements de rue, la persistance du phénomène et le contenu des préoccupations qui s'y expriment, montrent que "Nuit debout" est (pas toujours mais souvent) le terrain d'authentiques discussions sur des questions de classe tout aussi fructueuses que celles qui peuvent se mener à l'occasion de manifestations et de grèves, d'occupations, de blocages.

Il faut bien sûr ne pas surestimer ce "phénomène" mais du fait d'un certain nombre de caractéristiques, il devient un point d'appui pour les luttes présentes et futures et de référence par :

- la recherche de comment lutter et comment s'opposer aux nouvelles attaques contre les travailleurs.

- le fait d'être le premier acte, depuis longtemps, pour essayer d'arrêter l'offensive généralisée de la bourgeoisie qui perdure au moins depuis une vingtaine d'années contre les travailleurs et, en ce sens, il est la première tentative de reprendre l'initiative de la rue contre le rouleau compresseur de la bourgeoisie conquérante.

- l'existence d'un extraordinaire vent de contestation de tous les pouvoirs politiques, économiques, etc.. et des médias contre la fausse démocratie qui nous est imposée.

- un début de contestation des manœuvres politiques des différentes composantes occultes de l'encadrement même de "Nuit debout". Elle est assez apparente et partagée dans beaucoup de débats notamment dans certains des forums de l'"éducation populaire". On constate la déception, la méfiance, et quelques haines aussi, à l'égard des "faux amis" qui essaient de manœuvrer et d'envoyer sur de fausses voies.

- la qualité des discussions, sur des questions aussi diverses que les leçons de la Commune de Paris (en lien avec les questions posées aux mobilisations actuelles), le féminisme, violence non-violence, la loi travail, quelle société post-capitaliste, etc...

Après l'ambiance de plomb des rues du Paris post-attentats, ces rassemblements ont jusqu'à présent manifesté une réponse et une dénonciation en acte de "la fausse démocratie qui nous est imposée", mettant à bas en acte également la fausse "union nationale" contre le terrorisme dont on nous a bassiné les oreilles depuis les attentats de janvier puis de novembre 2015.

Premières leçons à tirer de ce mouvement et des mobilisations qui vont certainement se poursuivre et perdurer sous d'autres formes.

- le retour au premier plan des luttes sociales (ce qu'on n'avait pas vu depuis 2010 en France) et coup d'arrêt à l'ambiance d'"union nationale" contre le "terrorisme".

- le développement partout de "prises de parole", et élargissement des préoccupations largement au-delà de la seule loi « travail », sur les perspectives sociales. Bien sur ces "prises de parole" ne sont pas suffisantes mais elles permettent de chercher collectivement des moyens de compréhension et d'action qui sont absolument nécessaires pour toute perspective de luttes et d'extension des luttes.

- la mise en avant de la question de l'occupation de la rue, des places, etc.. à côté de la lutte pour des assemblées générales et populaires, des comités de lutte, de grève et des coordinations. La question des rassemblements de rue est aussi importante pour le combat que les rassemblements sur les "lieux de production". De même que les syndicats ne sont pas la même chose que les assemblées générales des travailleurs, même si ce sont eux qui y appellent formellement, les encadreurs de "Nuit debout" ne sont pas la même chose que les rassemblements de rue…

Significations plus générales des assemblées de rue

En ce sens pour que se développe une réflexion et des discussions politiques ouvertes sur notre situation, il faut utiliser le cadre même limité, imposé et bien délimité de 'Nuit debout', ou alors il faut appeler aussi à déserter les cadres limités, imposés et bien délimités des assemblées des syndicats dans les entreprises…

Au contraire de ceux qui pensent que les assemblées qui ont resurgi à plusieurs reprises ces dernières années (on pourrait dire "les mouvements de places" – Taksim, Tahir, Wall Street, Indignados…) sont surtout l'expression des "illusions démocratiques" et des "manœuvres contre la classe ouvrière", ou que ce sont des lieux "interclassistes", elles sont le produit du besoin des luttes et de débats dans la classe ouvrière. Elles sont d'autant plus importantes dans un contexte de chômage massif et de la mondialisation actuelle qui pulvérise pas mal des conditions antérieures des luttes des classes, en particulier les "lieux de production" de "la classe ouvrière". La composition des participants à "Nuit debout" n'est pas la "petite bourgeoisie salariée" (comme le théorisent maintenant certains groupes) mais majoritairement des éléments de "la classe ouvrière", même si ses protagonistes ne se conçoivent pas eux-mêmes comme tels. Et ce type de rassemblement aura eu aussi le mérite par rapport au terrain des "entreprises" d'exprimer une mise en question du catégoriel et du corporatisme, un encouragement à aller au-delà, à développer la solidarité.

Même si ces mobilisations finissent par se dissoudre dans les jours qui viennent, elles méritent d'en tirer déjà ces quelques enseignements pour les futures luttes.

Pool

3 Juin 2016

Monday, June 6, 2016