Thèses sur le rôle des communistes dans les luttes économiques de la classe ouvrière

1 - L'histoire de toutes les sociétés de classe précédentes a eu comme moteur la lutte des classes. Mais, contrairement aux autres classes montantes antérieures de l'histoire, qui ont obtenu leur domination économique et politique en défendant une certaine forme de droits de propriété, la classe ouvrière – le prolétariat – n'a aucune propriété à défendre. Nos luttes prennent donc un caractère différent par rapport aux autres classes contestataires du passé. La classe ouvrière, en vertu de son travail, produit toutes les richesses du système capitaliste. Mais la masse de cette richesse est quotidiennement expropriée par la classe capitaliste. Pour ce faire, les capitalistes paient uniquement les travailleurs pour leur capacité à travailler – pour leur force de travail – tout en s'appropriant le produit de ce travail. Il en résulte que les travailleurs produisent leurs salaires dans une part du travail ; et du travail non rémunéré, au bénéfice du capital, pour le reste de la journée. Le capitaliste essaie constamment de réduire le prix de cette force de travail à son seuil minimal tandis que les travailleurs se battent pour défendre la valeur de la seule marchandise qu'ils ont à offrir : leur force de travail. Cette exploitation du travail de la classe ouvrière, et l’effort incessant des capitalistes pour réduire la valeur de la force de travail ouvrière, représentent la force motrice de la lutte des classes sous le capitalisme. Parfois trouble, parfois claire, la lutte quotidienne entre le capitaliste et le prolétaire est la caractéristique centrale du système capitaliste. Mais comme les travailleurs ne possèdent aucun bien, ils ne peuvent finalement pas gagner la guerre de classe «inconsciemment», simplement en s'engageant dans une «lutte de guérilla» (Marx) pour satisfaire leurs besoins immédiats et fondamentaux. La classe ouvrière ne peut finalement être victorieuse dans cette guerre de classe qu'une fois qu'elle se reconnaît en tant que classe "pour soi" et que ses besoins réels ne peuvent être satisfaits que par l'adoption consciente d'un nouveau mode de production. Cela exige non seulement l'auto-activité de la classe mais également la reconnaissance qu'elle doit s'unir contre toutes les forces mises à la disposition du capitalisme mondial. En dernière analyse, cela nécessite également un programme et une organisation politique anticapitaliste.

2 - Depuis le début du mode de production capitaliste, les travailleurs se sont associés en vue d’utiliser leur force collective pour priver la bourgeoisie de leur travail comme moyen de lutte face aux attaques contre leurs conditions de vie. Cela a conduit à la formation de syndicats dans divers métiers, des syndicats qui ont immédiatement été jugés illégaux par les États où le mode de production capitaliste était en pleine ascendance. À ce stade, les travailleurs en grève risquaient non seulement la perte de leurs moyens de subsistance mais surtout la perte du peu de libertés dont ils jouissaient: la déportation et même la peine de mort comme condamnation pour avoir osé s'organiser entre eux. À cette époque, la guerre de classe était à son paroxysme et les syndicats étaient petits et souvent de courte durée. L'argent économisée pour une grève serait utilisée pour lutter et si la lutte échouait, très souvent le syndicat échouait aussi (par exemple, les mineurs de Durham n'avaient plus aucun syndicat entre 1844 et 1871, après l'échec de la grève de 1844).

3 - Dans cette période (la première moitié du dix-neuvième siècle), il n'y avait pas de séparation entre la lutte économique et politique de la classe ouvrière, ce que démontre clairement la montée du mouvement chartiste. Ceci fit impression sur Karl Marx lors de ses premières observations de la guerre de classe dans la société capitaliste. Tout au long de sa vie, Marx a eu pour objectif de lier «l'union des travailleurs» (ce qui, pour lui, signifiait beaucoup plus qu’un simple syndicat) avec le mouvement politique d'émancipation de la classe ouvrière. Il a compris que les syndicats étaient des organisations «défensives» des travailleurs et leur rôle serait toujours de négocier la vente de la main-d'œuvre ouvrière ; mais il espérait également que les syndicats iraient au-delà du simple aspect économique et finiraient par s'engager aussi dans le combat politique, non seulement pour les besoins immédiats mais aussi pour l'avenir à long terme de la classe.

4 - Cependant, au moment de la formation de la Première Internationale en 1864, avec l'acceptation croissante des syndicats par les capitalistes – ils ont finalement été légalisés en France la même année où l'Internationale a été fondée et en Grande-Bretagne 7 ans plus tard –, le mouvement syndical était alors dominé par les «nouvelles unions modèles» au sein des métiers spécialisés. Ces unions se comparaient plutôt à des sociétés amicales et étaient généralement opposés aux grèves. Marx espérait qu'en amenant leurs dirigeants à l'Internationale, ils seraient formés et que, par conséquent, les syndicats deviendraient plus politiques.

Si les syndicats sont indispensables dans la guerre de guérilla du travail et du capital, ils sont encore plus importants comme force organisée pour supprimer le système du travail salarié et la domination du capital (…) Les syndicats s'occupent trop exclusivement des luttes locales et immédiates contre le capital, et ne sont pas encore tout à fait conscients de la force qu'ils représentent contre le système lui-même de l'esclavage salarié. Ils se sont trop tenus à l'écart des mouvements sociaux et politiques plus généraux (…) À part leur œuvre immédiate de réaction contre les manœuvres tracassières du capital, ils doivent agir maintenant comme foyers d'organisation de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation complète. (Syndicats : leur passé, présent, et futur, Congrès Général de l’A.I.T, 1866)

5 - L'expérience de la Commune de Paris a cependant été un autre événement fondamental dans la longue marche de la classe ouvrière révolutionnaire. Il a convaincu Marx que le seul chemin vers l'émancipation ne résidait pas dans la conquête progressive du pouvoir dans l'Etat capitaliste ("gagner la bataille pour la démocratie") mais devait commencer par son renversement révolutionnaire. Le prolétariat « ne peut pas se contenter de prendre tel quel l'appareil d'État et de le faire fonctionner pour son propre compte. (La Guerre Civile en France, 1871) » Il doit briser l'appareil d'État et reconstituer la société à son image. La Commune, en dépit de sa courte durée de vie, a montré que la classe ouvrière comme telle avait la capacité de le faire. Bien que les membres de l'Internationale jouèrent un rôle dans la Commune et qu'ils firent un bon travail pour promouvoir l'organisation de classes, y compris par rapport aux syndicats, elle ne put survivre aux dissensions internes. Son effondrement a fait reculer la classe à plusieurs niveaux, notamment avec la mise en place, dans chaque pays, de partis nationaux qui finiront par rejoindre l'association beaucoup plus lâche – sur les principes – de la Deuxième Internationale. Dès le départ, la deuxième Internationale fut dominée par les réformistes et autres individus qui pensaient que la voie évolutive vers le socialisme était entièrement compatible avec leur position privilégiée dans le mouvement. Malgré les fréquentes critiques d’Engels, la tendance à la collaboration de classe, dans la Seconde Internationale, s'est renforcée. Les syndicats qui se sont développés dans le cadre de la social-démocratie de la Deuxième Internationale ont été largement dominés par les syndicats de métier malgré la croissance des énormes entreprises capitalistes de cette période et la syndicalisation du travail non qualifié qui était jusqu'alors non syndiqué. Les syndicats qui s'étaient développés comme organisations d'autodéfense des travailleurs devenaient plus vastes et plus éloignés de leurs membres, et tentaient davantage de négocier avec les capitalistes que d'utiliser l'arme de la grève pour les combattre.

6 - En réponse à l'extrême inefficacité des partis sociaux-démocrates et des syndicats, une réaction syndicaliste révolutionnaire ou anarcho-syndicaliste devenait parfaitement compréhensible. En émergeant dans les États capitalistes les moins développés (Espagne et Italie), le syndicalisme révolutionnaire s'est également répandu de manière importante en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Observant le collaborationnisme de classe du «crétinisme parlementaire» (Marx) des partis sociaux-démocrates et travaillistes, ils conclurent que la voie à suivre était celle de l’action directe. Leur instrument devait être la grève générale pour faire transférer la propriété des usines, des mines, etc. aux prolétaires qui y travaillaient afin qu'ils puissent devenir les unités de production autogérées d'une société sans État. Ceux-ci eurent une énorme influence dans la période précédant la Première Guerre mondiale (influençant même les syndicats traditionnels comme la Miner’s Federation of Great Britain et la Transport Workers Union) et engendrèrent de sérieuses préoccupations parmi les rangs de la classe dirigeante.

7 – Mais le syndicalisme révolutionnaire échoua au test politique de la Première Guerre mondiale. La chute du capitalisme dans la guerre impérialiste finit par révéler sa faillite totale. Partout, une lutte pour renverser ce mode de production aurait dû être la réponse de la classe ouvrière mais de tous les côtés – de la grande majorité des sociaux-démocrates aux syndicalistes (comme la CGT française) – les grands bataillons du travail trouvèrent des excuses pour soutenir leur propre «Etat capitaliste». Il s'agit d'un tournant décisif dans l'histoire de la guerre de classe. Deux camps allaient ainsi se former. D’une part, les Internationalistes qui, avec Lénine, allaient soutenir que la «guerre impérialiste» devait se transformer en une guerre «civile» ou en une guerre de classe allaient appuyer la Révolution d'Octobre et l'établissement d'une Troisième Internationale Communiste ; d’autre part, le vieux mouvement ouvrier social-démocrate qui allait faire la paix avec le capital. Même si l'IWW s'effondre pratiquement aux États-Unis après une scission en 1924, le syndicalisme révolutionnaire eût quand même des échos en Europe après la Première Guerre mondiale. Cependant, il subit une défaite massive lorsque la CNT espagnole pris part au gouvernement républicain bourgeois dans la guerre civile espagnole. Ce fut un coup dévastateur pour le syndicalisme révolutionnaire et démontra que sa supposée force était en fait sa plus grande faiblesse. Le «syndicalisme industriel révolutionnaire» s'était transformé et n’était maintenant intéressé qu’à de nouvelles façons de gérer les lieux de travail. Contourner l'État en essayant de construire un nouveau mode de production à l'intérieur de celui-ci ne fonctionne pas. Il n'y a rien de «révolutionnaire» à ce sujet. La notion d'autogestion des unités productives, par les travailleurs eux-mêmes, n'a pas réussi à faire face à la nécessité de briser d’abord et avant tout l'État bourgeois afin de créer les fondements d'un mode de production – ne relevant pas de l’exploitation – dans lequel le contrôle des travailleurs sur la production aurait alors un certain sens.

8 - La paix que fit la social-démocratie avec le capital durant la guerre se formalisa autour d'accords de non-grève avec les syndicats et, avec le contrôle accrus du Gouvernement sur tous les aspects de l'économie, fit participer les syndicats à l'appareil de planification bourgeois. À l’opposé se trouvaient la base syndicale dirigés par les délégués. Dans certaines organisations telles que le Comité Ouvrier de Clyde (qui fut imité dans tout le pays), la résistance à la Loi sur la défense du royaume (Defence of the Realm Act) et à la Loi sur les munitions (Munitions Act) augmenta au fur et à mesure que la guerre devenait plus meurtrière. Cette résistance a bel et bien démontré la colère de la classe contre l'État et les syndicats, mais le processus d'intégration des syndicats à l'appareil de planification gouvernemental avait commencé. Ce ne fut pas le cas partout. L’exemple le plus frappant fut en Allemagne en 1919 où, après que les sociaux-démocrates (SPD) se mirent d’accord avec l'armée pour assassiner certains communistes (dont Liebknecht et Luxemburg), la social-démocratie permis ainsi de façonner le nouveau cadre capitaliste de l'Allemagne. Le SPD au pouvoir, la République de Weimar, commença à organiser une forme de coopération entre les entreprises et leurs formations syndicales. La Constitution de Weimar (1919), supposément le summum de la démocratie capitaliste, appelait «Ouvriers et employés ... à collaborer avec les entrepreneurs sur une base égale dans la réglementation des conditions de travail et des salaires ainsi que dans l'ensemble du développement des forces productives». Ce document d'inspiration social-démocrate n'était pas un phénomène isolé. L'ex social-démocrate Mussolini reconnu ses sentiments d'entreprise. «Nous avons incorporé toutes les forces de production dans l'état. Le travail et le capital ont les mêmes droits et devoirs ». Le nouveau capitalisme d'État, qui se développait de façons staliniennes, fascistes, ou démocratiques, répondait aux besoins réels du capital à l'époque de l'impérialisme. En Grande-Bretagne, l'histoire était plus complexe ; mais après l'effondrement de la grève générale de 1926, le TUC – qui s’assurait que la grève allait échoué – purgea les syndicats de tous les «fauteurs de troubles» (syndicalistes et communistes) et entama des pourparlers avec les employeurs pour trouver une façon d’éviter les grèves (les discussions de Mond-Turner de 1928). Encore pire, le chef du TGWU (Transport and General Workers’ Union) Ernest Bevin fut ainsi nommé ministre du Travail dans le Cabinet de guerre de Churchill. Dans le boom de l'après-guerre, l'État a de plus en plus agi comme la tête de défense de chaque économie nationale, au point de les prendre en charge lorsqu'elles n'étaient plus rentables. Au cours de cette période, les syndicats ont joué un rôle majeur dans la pacification des travailleurs et dans la participation au processus de rationalisation de l'industrie, laquelle perdit plusieurs milliers d'emplois. Durant le boom de l'après-guerre, la pénurie de main-d'œuvre a stimulé les travailleurs à lutter pour de meilleurs salaires, de sorte que le rôle des syndicats dans les myriades de grève qui ont eu lieu alors, et contrairement au mythe populaire de l'époque, était d'essayer de contenir ces luttes.

9 - Le processus d'intégration des syndicats à l'État, en particulier dans les principaux pays capitalistes à l'époque de l'impérialisme, signifie que les syndicats ne peuvent plus être considérés comme des organisations de classe indépendantes, même s'ils englobent des millions de travailleurs. La conception des syndicats comme terrain de formation pour le socialisme ou comme courroie de transmission pour la politique révolutionnaire, qui était au cœur de la stratégie de la Troisième Internationale, n'a jamais vraiment fonctionné. Les syndicats n'ont jamais été révolutionnaires et leurs développements sont soumis au système d'exploitation capitaliste. Aujourd'hui, il n’est plus possible de faire marche arrière en essayant de relancer ces institutions qui servent en fait à préserver le système tel qu'il est. Cependant, cela ne veut pas dire que les communistes doivent refuser d’être membres des syndicats (aussi réactionnaires soient-ils). Ce que les communistes doivent garder en tête est qu’ils font partie de la classe ouvrière. Aussi, adhérer à un syndicat peut s’avérer nécessaire pour être en contact avec d'autres travailleurs lorsqu'une lutte éclate et ce même si notre objectif permanent est de proposer à ceux-ci une ligne anti-capitaliste et donc, par le fait même, antisyndicale. Il s'agit d'une question tactique et ne signifie pas qu’il faille «travailler au sein des syndicats» en essayant de gagner une fonction élective en leur sein ou en essayant de grimper la très-servile hiérarchie syndicale. C'est pourquoi nos membres refusent fréquemment certaines demandes de leurs collègues pour devenir délégués syndicaux ou pour prendre toutes fonctions représentatives au sein des syndicats.

10 - Le mythe stalinien-trotskyste selon lequel les syndicats peuvent être transformés en ayant les «bons leaders» a été réfuté par toute l'histoire de leur évolution. Dans la pratique, les leaders radicaux sont choisis par les ouvriers mais sont ensuite docilisés par le rôle qu'ils sont contraints d'effectuer dans ce système. Ils se doivent donc aussi de contrôler et discipliner leurs membres pour conserver leur position au sein de celui-ci. En fait, ils finissent par s’intégrer au cadre institutionnel capitaliste. Il ne s’agit pas simplement d’une question de lâcheté individuelle mais résulte du fait que toute organisation économique permanente de la classe, peu importe ses meilleures intentions, doit tôt ou tard négocier avec les capitalistes et leur système. C'est pourquoi le syndicalisme "de base" a produit des résultats aussi décevants car, à long terme, et pour justifier son existence permanente, il doit lui aussi se mettre à fonctionner comme les syndicats dont il s’est séparé à l'origine. Nulle part, cela n'est plus clair qu'en Italie où le syndicalisme de base s'est fragmenté en une myriade de «syndicats de base» (COBAS) depuis les années 1970. Bien qu’ils aient commencé avec des intentions prometteuses en agissant comme des organisations de lutte, dans tous les cas, ces COBAS ont fini par singer les pratiques des syndicats qu'ils souhaitaient en fait renverser. Ces syndicats de base se conforment donc de plus en plus à la loi, et finissent par utiliser les mêmes méthodes qui ne laissent en fait la voix qu’aux représentants syndicaux pour entamer des négociations et ce, sans l'implication de la masse de ses membres.

11 - Aujourd'hui, la lutte économique est immensément plus complexe qu’à l'aube du capitalisme mais malheureusement les communistes ne peuvent pas s'asseoir les bras croisées en attendant des jours plus prometteurs. Il est illogique qu'une organisation qui se définit communiste n’intervienne au sein du prolétariat que lors de certaines périodes historiques ou lors de meilleurs rapports de force. S’impliquer dans la lutte quotidienne de la classe ouvrière fait partie intégrante du travail révolutionnaire. Comme insistait Onorato Damen à cet effet : «Mettre de l’avant des politiques révolutionnaires sur le terrain de la classe, aussi petit soit-il dans les conditions d’insécurité et de faiblesse actuelles de la lutte ouvrière, en s'engageant dans un militantisme politique actif, lequel ne se restreint pas seulement à l’écriture et à la théorisation qui représentent une activité individuelle toujours discutable dans l'intention autant que dans les résultats. " Aujourd'hui, ce n'est plus le syndicat qui est l'école du socialisme, mais la lutte des classes elle-même.

12 - En termes généraux, pour les révolutionnaires, le «problème syndical» n'a pas disparu malgré le fait que les syndicats ont décliné depuis l’apparition de la crise capitaliste. Après 30 ans de retrait, des signes indiquent que la résistance de classe face aux attaques du Capital est en recrudescence. Dans ces circonstances, l'aile gauche du Capital affirme une fois de plus que «nous avons besoin des syndicats» ou que nous devons leur accorder notre confiance. Pour les travailleurs dont les salaires réels sont en déclin depuis des décennies, il peut s’agir d’une option plausible, mais c'est en fait un mythe. La force ou la faiblesse des syndicats ne reflète que les hauts et les bas de la classe dans le cycle économique capitaliste. Lorsque le travail se fait rare et que les travailleurs sont combatifs, les syndicats agissent comme s'ils défendaient la classe et recrutent des membres. En fait, ils récupèrent la lutte sur le terrain qui est entièrement compatible avec le capital. Quand il y a une crise plus profonde de la rentabilité capitaliste conduisant au chômage, les syndicats négocient la gestion des licenciements. En effet, dans de nombreuses industries des pays capitalistes avancés, ils ne représentent qu’une couche de gestion additionnelle. Ils écrivent même leurs propres listes noires de militants (dans lesquelles figurent certains de nos propres membres) aux côtés de celles des patrons. Au niveau mondial, nous devons également reconnaître que tous les syndicats ou tentatives pour les former ne sont pas tous intégrés à l'État capitaliste. Dans certaines régions d'Asie et d'Amérique latine, la situation ressemble plutôt à une répétition meurtrière des premiers jours du Capital, où les travailleurs tentent de se regrouper pour se défendre contre les formes d'exploitation les plus brutales. Dans ces cas, leurs dirigeants ou organisateurs sont non seulement exclus de la protection de la loi, mais sont également en proie aux forces paramilitaires de l'État sous la forme d'escadrons de la mort. À l'opposé, nous trouvons également des syndicats qui poussent leur sectorisation à la limite, leur principal motif d'existence étant alors de garder la plupart des travailleurs hors de leur relation privilégié. On peut également constater ceci dans toute l'Amérique latine (et dans une certaine mesure en Amérique du Nord) ainsi que dans des parties d'Asie où une mafia virtuelle existe, comme en Argentine où les syndicats sont liés au parti péroniste. Nous devons être conscients que l'utilisation du terme général «syndicat» peut signifier différentes choses à différents moments dans leur développement. Ce qui peut s’avérer initialement comme des organisations de lutte authentique évoluera inévitablement avec le temps. De deux choses l’une : soit ces organisations seront détruites par la réaction capitaliste, soit leur existence permanente – en tant que telle – nécessitera leur intégration aux affaires de l'État et les obligera à jouer le rôle permanent de négociateurs du travail salarié (processus qui favorise toujours les capitalistes sur le long terme). Dans ces circonstances, ces organisations deviendront des «syndicats» tant en paroles qu’en gestes et ne seront donc plus différents des autres syndicats sous la domination capitaliste moderne.

13 - Pour les communistes, l'implication dans la vie quotidienne de la classe signifie aussi s'immerger dans la réalité, non seulement afin de faire de la propagande pour le communisme, mais aussi pour acquérir une compréhension et une expérience. Au cours des dernières décennies, entres autres, les moments de lutte les plus significatifs ont directement été menés par les travailleurs et non par les syndicats. Le rouage syndical est alors intervenu dans le but de les contrôler et a ultimement réussi à calmer la situation. Il y eût plusieurs exemples d'organisations de combat et de comités d'agitation : durant mai 68, en France ; à l’automne 69, en Italie, des assemblées eurent lieu qui bien souvent contournaient les syndicats; en août 1980, en Pologne, des assemblées capables d'organiser des grèves de masse eurent lieu en-dehors des syndicats (Solidarność, fortement dominée par l’Église catholique financée par les États-Unis, a ensuite tué la lutte et ouvert un espace d'intervention pour l'État avant de se transformer en un organisme à tous égards bourgeois). Il y eût aussi la lutte acharnée des mineurs britanniques dans les années 80, la grève des dockers au Danemark et en Belgique, les assemblées et les comités de lutte pendant le soulèvement en Argentine (les comités de piqueteros), la protestation contre la loi CPE en France en 2006 et les récentes manifestations contre la réforme des retraites françaises… Toutes ces luttes ont été animées non pas par les syndicats mais par la base, dans des assemblées et des comités d'agitation. Et plus : les «grèves sauvages» des travailleurs des transports en Italie (2003-2004), la lutte des travailleurs de Fiat Melfi en 2004 (dans ce cas également, la FIOM, Federazione Impiegati Operai Metallurgici, a été entraînée dans la lutte par les travailleurs et a exercé sa tâche habituelle pour modérer celle-ci), les travailleurs de piquetage à Pomigliano ont tenu des assemblées quotidiennes en dehors de l'usine (2008), les luttes menées en Chine ces dernières années, etc. etc. Les cas peuvent s’avérer différents mais ils représentent tous un processus qui tend vers une plus grande auto-organisation de la lutte. L'une de nos tâches est de soutenir et défendre toute action et toute forme d'organisation qui offre cette capacité d'auto-organisation et la confiance qui se développe avec elles.

14 - On affirme parfois que, dans le monde post-fordiste, où les usines sont de plus en plus petites et fragmentées, où il n'y a plus de perspectives d'emploi pour la vie, où la sous-traitance et les contrats individuels tels que les contrats à zéro heure sont de plus en plus présents, il ne peut plus y avoir de réponse collective et que, par conséquent, la lutte sur les lieux de travail n'est plus le seul endroit pour la résistance de classe. D’autres vont plus loin en affirmant que la classe a disparu. En premier lieu, cette précarité n'est pas universelle. Moins de 5% des travailleurs dans les pays capitalistes avancés sont régies par de tels contrats, ceci dit sans nier l'impact négatif de ces conditions d'emploi sur l'ensemble de la main-d'œuvre. Ceux qui ont encore un salaire décent, et qui travaillent dans des lieux où il existe encore une promesse de pension, se disciplinent eux-mêmes à la simple pensée de plonger dans la précarité. Mais encore une fois, cela n'est pas entièrement nouveau dans l'histoire capitaliste. Marx a écrit le Capital lorsque la majorité des ouvriers travaillaient encore dans des unités relativement petites (pas si différentes que celles d'aujourd'hui) et beaucoup durent retourner vivre à la campagne ou se mettre au service domestique (c'est-à-dire l'esclavage virtuel) pour survivre aux temps difficiles. Pour ce qui est des travailleurs sous-traitants, en mai 1848, ils prirent d'assaut la mairie de Paris pour exiger la fin de la sous-traitance. En outre, l’idée-même que les travailleurs sous-traitants sont trop fragmentés sur le lieu de travail et dans leurs pratiques a été démolie par la grève des travailleurs espagnols de télécommunications en 2015 – grève où les syndicats officiels ont tenté par tous les moyens de stopper la lutte sans y parvenir. En second lieu, avec la prolétarisation croissante de plusieurs emplois qui étaient auparavant considérées comme des «professions», comme par exemple les médecins, la notion de classe ouvrière a également changé. L'analyse marxiste première selon laquelle le développement du capitalisme divise de plus en plus la société en deux grands camps d’exploitants et d’exploités est encore valable aujourd'hui. La réalité est que la classe ouvrière de par le monde fait face à diverses formes d'exploitation ; mais aujourd’hui le seul moyen de lutter contre cette exploitation ne passe plus par l'intermédiaire d'organisations économiques permanentes qui négocient avec le système, mais par des mouvements de base ad hoc qui surgissent et meurent avec chaque lutte. Ils ne sont en eux-mêmes qu'un début et leurs actions doivent s'étendre non seulement d'un secteur à l'autre, mais aussi dans les rues et les communautés afin de revenir au type d'unité des objectifs économiques, sociaux et politiques qui caractérisèrent le début du mouvement ouvrier.

15 - Pour cette raison, les communistes doivent avoir de sérieuses réserves envers ceux qui affirment (comme les operaïstes) que la lutte économique quotidienne aujourd'hui est plus importante que la lutte politique pour l'avenir. Par contre, ceux-ci offrent au moins une perspective pour l'avenir. Des organisations comme les IWW, l'AIT ou les Angry Workers of the World pourraient faire du bon travail en donnant confiance aux travailleurs qui ont été ignorés par les syndicats traditionnels ; mais certaines concessions comme celle des IWW pour être reconnues comme syndicat légal, ou la conciliation de l'AIT à ne faire face qu’aux «problèmes sur les lieux de travail» démontrent que la quête pour créer une organisation économique permanente aujourd'hui signifie minimiser la lutte politique à plus long terme pour le communisme. De même, la notion selon laquelle la lutte n’est valable que sur les lieux de travail, et nulle part ailleurs dans la société, exclut du mouvement les forces sociales et politiques qui se développent en résistance aux attaques du système.

16 - Au moins les organisations mentionnées ci-dessus reconnaissent encore le rôle central de la classe ouvrière dans le renversement du capitalisme. Ils ne se sont pas laisser séduire par la propagande capitaliste post-moderne affirmant que la classe ouvrière a disparu et qu’il faut donc chercher ailleurs un agent de changement historique. La classe ouvrière est peut-être en retrait depuis des décennies ; elle a peut-être été restructurée à un point tel qu'elle est devenue méconnaissable et ne semble plus appartenir à cette même classe qui était précédemment organisée en unités de production massives ; mais comme nous l'avons souligné ci-dessus, elle demeure toujours la seule et même classe qui produit la richesse sur laquelle repose le système. Elle n’a aucun mérite spécifique mais elle représente l'antagoniste matériel du capital. Pourtant, nombreux sont ceux qui essaient de le nier. Le dernier rejeton parmi ces défaitistes est représenté par le mouvement communisateur. Pour remplacer la lutte des classes, ceux-ci affirment qu'il y aura une socialisation automatique du capitalisme dans le communisme sans que la classe ouvrière n’ait réellement à se battre pour en arriver là. Comment tout cela devrait se produire demeure un sombre mystère caché sous un éloquent baratin au sujet des «nouveaux modes de production» qui apparaissent supposément dans le système capitaliste. Il s’agit tout simplement d’une nouvelle forme d'idéalisme né du désespoir. Selon les partisans de la communisation, ni l'organisation politique ni la conscience de classe ne semblent être nécessaires ; mais comme Pannekoek l’a si bien souligné, l’organisation politique et la conscience de classe sont en réalité les armes dont la classe ouvrière a besoin pour forger sa propre émancipation.

17 – Il est historiquement prouvé que, dès l'aube du capitalisme, la classe a créé ses propres organes afin de lutter pour ses revendications, même sans présence des révolutionnaires. Cependant, la même expérience historique démontre également que les formes idéologiques dominantes pouvant émerger d'un tel mouvement spontané peuvent être récupérées par le capitalisme. C’est pourquoi les communistes doivent être partie prenante de la lutte pour diffuser la propagande, des propositions, participer activement aux organes de la lutte auto-organisée: les assemblées ouvrières, les comités d'agitation et de grève et sur les lignes de piquetage. Ce faisant, ils doivent toujours essayer de fournir un cadre politique communiste en même temps qu’un soutien à chaque initiative qui pourrait tendre à développer l'auto-activité de ceux qui y sont impliqués. Il n’y aucune formule particulière dans les luttes revendicatives du prolétariat qui ne peut ouvrir la voie à une plus grande conscience de classe contrairement à ce qu’affirment, par exemple, les trotskystes. Ce n’est pas la tâche des communistes de mettre de l’avant des revendications, mais c’est cependant leurs tâches de soutenir toutes initiatives qui cherchent à étendre la lutte et de critiquer celles qui ne le font pas. Chaque opportunité pour intervenir doit être utilisée pour stimuler les travailleurs vers une plus grande conscience, pour mieux comprendre la nature du capitalisme et démontrer la nécessité de renverser le système. À court terme, un combat peut être gagné ou perdu, mais le progrès réel réside dans le développement du mouvement de classe anticapitaliste, en particulier parmi les éléments les plus conscients.

18 - Les communistes ne sont pas seulement des militants lors de réunions politiques, de grèves, de manifestations, etc. Dans la mesure du possible, ils s'efforceront de former, sur leurs lieux de travail, des groupes internationalistes, à la fois des groupes d’usine (ou en lien direct avec leur travail) et territoriaux. Ceux-ci – contrairement aux organisations de lutte revendicative que la classe met elle-même sur pied – sont des émanations de l'organisation communiste et un outil d'organisation politique au sein de la classe ouvrière élargie. Ces groupes sont donc composés de militants et de sympathisants de l'organisation dans un lieu géographique / endroit / zone de travail. À partir des spécificités du travail ou de la situation dans laquelle se trouve la communauté, ils cherchent consciemment des occasions pour faire de l’agitation et de la propagande communistes. Au cœur de celles-ci, les communistes doivent tenir une ligne anti-État, anticapitaliste, et antisyndicale en faveur de l’auto-organisation du prolétariat.

19 – On ne peut prétendre que tout ceci sera facile. La classe ouvrière mondiale a souffert de l'échec de la Révolution russe à deux reprises. En premier lieu, cet échec a conduit à la longue contre-révolution débouchant sur la monstruosité stalinienne de capitalisme d’État qui fût injustement identifiée au «communisme». Ensuite, lorsque cette monstruosité finît par s’effondrer, elle procura la victoire de la propagande de la classe capitaliste occidentale, propagande qui voudrait à présent nous faire croire que, malgré tous ses défauts, le capitalisme est la seule alternative. Beaucoup au sein du mouvement ouvrier confondaient l'URSS avec le «socialisme» et finirent ainsi par abandonner le terrain de classe, tandis que beaucoup d'autres prirent la voie de l’accommodement social-démocrate avec le Capitalisme pour simplement exiger que l’exploitation devienne «juste» (peu importe ce qu’une exploitation juste peut signifier). Mais, comme l’a démontré l'effondrement de la bulle spéculative de 2007-2008, les contradictions capitalistes ne disparaissent jamais ; pas plus que la classe ouvrière qui demeure historiquement la même classe chargée d’enterrer le capitalisme et qui a été engendrée par ce système. Et, tout comme la classe ouvrière ne peut pas disparaître, sa lutte ne peut pas disparaître par le fait-même. La conscience communiste est le reflet inévitable de la lutte de classe du prolétariat. Elle ne résulte pas directement de cette lutte mais repose sur les réflexions d'une minorité de la classe qui, elle, tirent des leçons de cette lutte. Elle a donc une dimension historique. À certains moments de l'histoire capitaliste, celle-ci a donné naissance à une organisation ou à un parti révolutionnaire qui exprime l'objectif à long terme de la classe ouvrière sous la forme d'un programme communiste. Le programme communiste ne contient rien de moins que toutes les acquisitions de la classe ouvrière révolutionnaire dans son histoire, telle que la délégation mandatée plutôt que la démocratie représentative, la nécessité de briser l’État, et les conseils ouvriers comme solution au problème de la participation de masse. Les révolutionnaires se sont battus, se battent, et continueront de se battre pour ce programme au sein de la classe ouvrière élargie et de ses luttes aussi longtemps que le capitalisme existera. Et lorsque cette lutte deviendra plus générale, plus de communistes internationalistes devront être prêts à agir politiquement. Aujourd'hui, quelle que soit la situation, notre tâche est de nous préparer en intervenant dans la lutte des classes à tous les niveaux, en tant que point de référence politique pour les travailleurs qui remettent en question le système.

Communist Workers’ Organisation

Les thèses ci-dessus ont été modifiées et adoptées par l'assemblée générale annuelle de la CWO à Sheffield en septembre 2015.

Vendredi 26 février 2016

Traduit par Klasbatalo (Canada) 28 September 2017

Friday, September 29, 2017