Une grève féministe?

Introduction de la CWO:

L’année passée, nous commémorions la Journée Internationale des Femmes en célébrant le rôle qu’elles jouèrent exactement 100 ans auparavant dans l’avant-garde de la Révolution Russe. À ce moment, nous écrivions que :

« Les femmes de la classe ouvrière ont non seulement joué un rôle majeur dans la révolution, mais l'ont fait en termes de classe – contrairement aux féministes de la classe moyenne russe dans les différentes organisations suffragettes. »

Personne ne peut nier l'oppression continue des femmes – qui constituent aujourd'hui la majorité de la classe ouvrière mondiale – et personne ne peut non plus nier la violence horrible perpétrée contre elles à travers le monde : du viol au meurtre, en passant par les mutilations génitales. Toutefois, ce problème n’appartient pas qu’aux femmes et c'est là où le féminisme pose un piège. Comme nous l’affirmons dans notre document de base « Pour le Communisme » :

« En ignorant la division de la société en classes, ce féminisme masque la contradiction des intérêts entre les femmes bourgeoises et les femmes prolétaires; et finit par se révéler n’être qu’un cul de sac réactionnaire. La lutte contre l’oppression des femmes n’est pas pour nous qu’une simple affaire réservée aux femmes mais, au contraire, est aussi un moyen et une précondition pour la réalisation de l’unité de classe. L’organisation révolutionnaire doit entreprendre tous les pas requis pour assurer la pleine participation du plus grand nombre de femmes possible dans le mouvement communiste. Il n’y a pas de socialisme sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans socialisme. »

C’est dans cet esprit que nous avons traduit ce texte du collectif espagnol Nuevo Curso comme contribution au débat.

Une grève féministe?

Réduire la classe ouvrière à une mosaïque identitaire, c'est perpétuer cette division.

Le 8 mars, une «grève féministe» est convoquée. Le féminisme ne consiste pas à défendre l'égalité entre les hommes et les femmes. Le féminisme est une idéologie très spécifique qui défend l'existence d'un sujet politique – les «femmes» – qui transcende les classes sociales.

C'est pourquoi lorsque le féminisme est né, celui-ci a été accueilli par une critique radicale des marxistes avec Rosa Luxemburg en tête. La célébration du 8 mars, comme journée universelle de lutte et de fraternité de toute la classe ouvrière, mettant les travailleuses au premier rang, provient d’une bataille entre l'aile gauche de l'Internationale et le féminisme. On souhaitait alors célébrer une journée de manifestations et de revendications de l’ensemble du prolétariat mondiale, en brandissant la bannière des intérêts communs entre les travailleuses et travailleurs : la réalisation du suffrage universel pour les hommes ainsi que pour les femmes (les féministes ne réclamaient le vote que pour les femmes des classes aisées), et un salaire égal pour le même travail.

Aujourd'hui, ils nous appellent à rejoindre une grève féministe, jouant de l'ambiguïté entre le féminisme comme pure revendication de l'égalité ; et le féminisme comme idéologie politique. Le nombre et la diversité des groupes et des plates-formes participantes ne nous permettent pas de savoir clairement ce que cette "grève féministe" est censée être. Nous devons donc nous poser quelques questions:

Est-ce une grève des femmes? Comprenant des femmes provenant de conseils d'administration de grandes entreprises, des ouvrières et des employées de bureau, des femmes juges, des policières anti-émeutes, des politiciennes chevronnées et des professeures d'université. Une grève des «femmes» serait une activité interclasse dont le seul objectif possible serait d'affirmer un sujet politique, les «femmes», au-delà des classes sociales. En fait, le féminisme n’est rien d’autre qu’une idéologie entretenant l’illusion « d’intérêts communs » entre exploiteurs et exploités sur la base de leur oppression commune de femmes. Le problème c’est que ces soi-disant « intérêts communs » sont rapidement démentis par les intérêts contradictoires entre les classes. L'intérêt de la bourgeoisie, en tant que classe, est aujourd’hui de conduire la société dans la misère et la guerre. Trouver un terrain d'entente avec telle ou telle partie de la bourgeoisie, face aux oppressions de tous genres, nous range derrière des banderoles qui, à moyen terme, nous mèneront aux querelles civiles et, à long terme, à la guerre impérialiste.

Est-ce une grève des travailleurs? En premier lieu, il faut déterminer si les travailleuses ont réellement des intérêts spécifiques différents de ceux de la classe ouvrière dans son ensemble. Et la vérité est que nous ne pouvons pas imaginer ce qu'ils pourraient être. Nous sommes tous égaux aux yeux des capitalistes qui nous réduisent à une simple classe: quelques morceaux de viande utiles pour générer de la plus-value, rien de plus. L'intérêt de la classe ouvrière dans son ensemble est de mettre fin au travail salarié; pour ce faire, il faut simplement attaquer les formes concrètes d'exploitation et toute inégalité ou oppression qui en découle. Qu'il s'agisse de précarité, de discriminations diverses que nous devons sans cesse endurer, ou de cultures de ségrégation qui nous divise, mettre fin à toute cette merde est dans l'intérêt de toute la classe. C’était vrai autrefois et c’est encore vrai aujourd’hui.

Est-ce que les travailleurs précaires ont des intérêts différents de ceux des travailleurs à horaires fixes? Ou des travailleurs d’autres races? Ou d’autres nations? Bien sûr, la présence de différences raciales, physiques, ou administratives est utilisée par le capital pour tenter de nous diviser en discriminant davantage l'un ou l'autre. Seul le christianisme fétichise la souffrance, et plus il y en a, mieux c'est. Réduire la classe ouvrière à une mosaïque identitaire, c'est perpétuer cette division. Est-ce qu’une grève des travailleurs précaires est vraiment le meilleur moyen de lutter contre la précarité? Est-ce qu’une grève des travailleurs d’une seule race est le meilleur moyen de lutter contre le racisme? Non. Le moyen le plus efficace pour mettre de l’avant les intérêts de la classe ouvrière est de nous unir en tant que classe. Rien ne peut être gagné en nous laissant diviser artificiellement par le système que nous devons combattre.

Est-ce une grève de tous les travailleurs menés par les travailleurs? La bourgeoisie préfère voir la classe ouvrière comme un groupe d'individus atomisés parce que «diviser pour régner» est le moyen qu’elle a trouvé pour préserver son système. L'évolution du féminisme aux États-Unis – sa « deuxième » et sa « troisième vague » – a permis de mettre en place une idéologie très sophistiquée qui anéantie la notion de classe, la redéfinissant comme une espèce de mosaïque identitaire aux intérêts contradictoires et tendant toujours vers une collaboration interclasse.

Diviser les hommes et les femmes en catégories – donner à chacun un rôle différent en inventant des classes à l’intérieur-même de la classe – ouvre une plaie qu’infecte la stratégie bourgeoise : « diviser pour régner ». Inévitablement, tel que nous l'avons observé aux États-Unis, cette conception de la classe en tant que simple mosaïque identitaire – conception issue du monde académique qui nous a toujours examinés comme un entomologiste examine une colonie d'insectes – entretient une spirale infernale de division. Par exemple aux États-Unis, mettre le blâme sur l'ouvrier moyen, redéfini ici comme « homme blanc sans éducation et à bas revenus », pour les horreurs et discriminations par lesquelles la bourgeoisie américaine maintient son pouvoir, a servi à pousser une partie significative de la classe, écoeuré de la gauche qui le méprise ouvertement, dans les bras du nationalisme de Trump.

Est-ce une "lutte partielle"? En fait, il n'y a pas de «luttes partielles». Pour le prolétariat, il n'y a pas de contradiction entre «l'objectif immédiat» et «l'objectif final». Toutes ses manifestations politiques, de la plus petite grève à la révolution elle-même, sont liées par un fil visible à qui veut le découvrir: l'affirmation des besoins humains contre la logique du capital, dernière forme possible d'exploitation. C'est pourquoi le communisme n'est pas une organisation alternative de la division du travail, c'est la fin de la division du travail; ce n'est pas la tentative de substituer une classe dirigeante à une autre, c'est la fin des classes sociales; ce n'est pas une simple réorganisation du travail, mais la fin de l'esclavage du travail salarié ... et c'est pourquoi la classe n'est pas la substitution d'anciennes identités nées des besoins d'une société fragmentée – comme la nation, le genre, la race ou la profession – mais sa dissolution en une seule identité humaine générique.

Ce que les gauchistes nomment « luttes partielles » n'est qu’une illusion. La lutte des classes cherche à détruire et dissoudre toutes les fausses frontières qui servent d'excuse afin de nous diviser selon diverses oppressions. La lutte des classes ne sépare pas les travailleurs par genre, par nationalité ou autre chose. Quand ces mouvements contre l'oppression s'affirment ; quand le drapeau du nationalisme ou tout autre type de faux front se dresse devant la classe ; alors la classe se dilue et perd l’occasion de jeter une fois pour toutes ce système décadent, avec toutes ses oppressions et barbaries, aux poubelles de l'Histoire.

Nuevo Curso

3 mars 2018

Thursday, March 8, 2018

Comments

Si on peut être d'accord avec le questionnement de Nuevo Curso sur la grève des femmes, l'exposé est un exemple de confusion sur le mouvement féministe.

Disons premièrement que tous les groupes de lutte populaires sont traversés d'intérêt de classe, celui des femmes aussi.

Il s'agit donc pour nous communistes, de cerner les revendications qui répondent aux besoins des personnes visées dans ces groupes de luttes.

Dans le cas des femmes, qui se battent depuis le début du capitalisme avec la déclaration des droits de l'homme en 1791 excluant les femmes; elles réclament des droits "bourgeois", droit à l'éducation, droit de vote, parité dans la représentation etc, on ne peut pas être contre cela. On ne peut que juste l'appuyer en démontrant ses limites. Être contre, c'est être contre aussi ce droit dans notre propre organisation communiste. Qui plus est, sous la dictature du prolétariat, les ménagères ne pourront pas être dirigeantes comme disait Lénine.

L'article explique que le féminisme transcende les classes sociales et c'est vrai, puisque les femmes n'ont pas le même accès aux sphères sociales, économiques et politiques que les hommes. Mais ce n'est pas une raison pour dénigrer le féminisme. Au contraire, à nous, de le décortiquer et de répondre et appuyer les droits des femmes et leurs besoins. Appuyer le droit des femmes à devenir femmes d'affaires et exploiter d'autres femmes, c'est mettre en contradiction la bourgeoisie qui leur refuse et même si ça paraît contradictoire, nous sommes dialectiques! Nous sommes capables aussi d'en dénoncer les conséquences. Appuyer la parité des femmes dans le parlementarisme bourgeois ne nous empêche pas de dénoncer le parlementarisme bourgeois!

Nuevo Curso explique que la deuxième et la troisième vague du féminisme au États-Unis a servi à construire une idéologie sophistiquée qui détruit l'idée de classe [ma traduction]. Pourtant, le féminisme noire avec Angela Davis et bell hooks mettait de l'avant aussi la notion de classe sociale. Il y a surement des critiques à faire sur le féminisme noire, mais ce n'est pas en le dénigrant qu'on va y arriver.

L'article est confus aussi en amalgamant nationalisme, racisme et identités à l'oppression des femmes. Il ne dit absoluement rien, non plus sur les revendications des femmes. Une nation est un territoire bourgeois, une femme est un être humain opprimée et fait partie de la classe ouvrière (plus 60% de la classe ouvrière dans le monde sont des femmes) et ont des besoins particuliers répondant à leur fonction de reproduction.

L'article méprise aussi les femmes universitaires d'où ne peut sortir que des inepties. Là aussi, il y a des courants universitaires à critiquer, rien ne sert de les dénigrer. C'est justement parce que les femmes ont eu accès aux études supérieures dans les 50 dernières années que les femmes ont pu s'organiser et comprendre leur oppression et gagner sur plusieurs fronts des droits. Summun du mépris, l'artice accuse le mouvement féministe d'avoir poussé la classe moyenne américaine à voter pour Trump. Faut le faire!

Nuevo Curso se demande si la grève des femmes rassemblent des policières anti-émeutes, des femmes sur les conseils d'administration de compagnie, des femmes juges. Pourquoi pas, il y a des policières victimes de sexisme et d'agressions sexuelles, on pourrait ajouter aussi les femmes dans l'armée. Accepter que cette situation se maintienne en ne la dénonçant pas ne nous aident certainement pas. Mais dénoncer cette oppression envers les femmes ne nous empêche pas d'ajouter que la police et l'armée sont des institutions répressives de l'État bourgeois!

Bien sur on est d'accord que le capitalisme ne reconnaîtra jamais la présence sociale, économique et politique des femmes, ce n'est pas profitable pour lui. Le maintient de la division sexuelle du travail entre production et reproduction est essentiel pour la bourgeoisie. Préparer la révolution communiste, c'est aussi dénoncer l'oppression de toutes les femmes et inclure leurs droits et besoins dans nos statuts organisationels.

Pour finir une liste :

Droit à l’égalité avec les hommes : droit à l’éducation, droit de vote, droit d’être élue, parité dans la représentation, parité du droit de parole, droit de faire des affaires, présence dans l’histoire, égalité salariale, droit au divorce, abolition de division sexuelle du travail, partage des tâches ménagères.

Droits selon leurs besoins : droit à contraception, liberté sexuelle, reconnaissance face à la justice, liberté vestimentaire, droit à l’avortement, contrôle de leur corps, congé de maternité payé, accès à tout travail et à toutes les sphères sociales, comité non-mixte, service de garde, cantine publique, justice transformatrice, reconnaissance de leur rôle dans la reproduction.