Derrière les Éléphants… La Lutte de Classe!

Notes du traducteur: Cette traduction provient du site web de Nuevo Curso, blog collectif espagnol que nous avons déjà traduit pour notre lectorat francophone récemment. La référence aux éléphants a été mise de l’avant lors d’un récent accident impliquant ces animaux. Le Journal de Montréal du 2 avril dernier mentionnait que : « Le camion doublait un véhicule lent sur l’autoroute près de Pozo Canada dans la région de Castille-La Manche (centre), lorsqu’il a soudainement basculé, a indiqué une porte-parole de la DGT, l’autorité qui supervise le réseau routier espagnol. (…) Un des cinq éléphants qui se trouvaient dans le camion est mort, deux autres ont été blessés.[1] »

Derrière les Éléphants… La Lutte de Classe!

« (…) l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable, qu'on ne peut mieux dépeindre qu'en leur appliquant la boutade d'un Français à l'occasion de l'établissement projeté d'une taxe sur les chiens « Pauvres chiens ! on veut vous traiter comme des hommes ! »[2]

« Les hommes oublient que leur droit a pour origine leurs conditions de vie économiques, comme ils ont oublié qu'ils descendent du monde animal. »[3]

Les lecteurs et lectrices de nouvelles ont récemment présenté dans les journaux télévisés cet accident d’une voix accablée. Ce fait divers a attiré notre attention parce qu’habituellement une telle nouvelle est plutôt courte et présentée avec un ton neutre et bureaucratique. Dans l’accident en question, aucun humain n’a perdu la vie. Seul un éléphant. Les quatre autres ont déambulé, couverts de contusions, le long de la réserve centrale de l’autoroute. Le jour suivant, dans les moindres détails, les médias nous avaient déjà informés des conditions de vie des animaux vivant dans ce cirque. Aujourd’hui, tous les journaux faisaient écho de la pétition présentée par les partisans des droits des animaux qui souhaitaient une « retraite » pour ces éléphants. L’expression « retraite » ne semblait même pas choquer. Après tout, les medias conservateurs eux-mêmes nous ont informés des conditions de vie de ces animaux avec un ton engagé et dénonçant la situation. Lorsqu’on lit les articles en question, à un certain moment, on ne sait plus s’ils parlent d’immigrants sans papier labourant les champs ou d’animaux non-humains. Bon… En fait, on le sait très bien parce qu’on ne parle jamais des travailleurs précaires en situation irrégulières; et les rares fois où on en parle, c’est avec l’hypocrisie la plus totale. Pour la presse bourgeois , il est préférable de parler d’exploitation des animaux que de parler d’exploitation des gens, sujet tabou.

On pourrait penser qu’il s’agit-là simplement de métaphores inconscientes de la part des journalistes mais, au final, il y a un lien pertinent entre les vagues de migrants et la fièvre soudaine des médias pour les « espèces envahissantes ». Nous somme ensuite bombardés d’articles dans lesquels certains animaux sont associés à certains pays – même lorsque ce n’est pas réellement le cas – et liés à des questions xénophobes… C’est ainsi que récemment la moule zébrée du « Caucase » est devenu un problème qui est « là pour rester »; la perruche d’Argentine à Barcelone menace maintenant « l’accouplement des espèces locales »; et que les ratons-laveurs américains à Madrid ont fini par décevoir parce qu’ils semblaient charmants au premier abord mais sont en réalité « agressif et dangereux ».

Le fait est que la culture est remplie de métaphores. C’est la raison pour laquelle nous devons nous demander si cette tendance « animaliste » n’est pas en soi la simple politisation d’une métaphore.

POURQUOI LES APPELER ANIMAUX DOMESTIQUES QUAND ON VEUT DIRE…

Le soutien aux droits des animaux est un phénomène social indéniable. Si l'Espagne avait un système électoral uni-district, ses électeurs actuels auraient deux ou trois députés siégeant pour ceux-ci. Le passage d’une modeste tranche électorale à une modeste visibilité de masse n’est pas seulement lié à une présence constante et gratuite dans les médias. Si les droits des animaux – en tant que mouvement politique – est une expression délirante et petit-bourgeois, son activiste typique est la personnalisation-même d’une aliénation totale à la nature : jeune urbain, sans-emploi, ou étudiant sans contact avec la vie rurale. Leur seule référence n’est pas la bête chassée mais leur animal domestique, cette créature qui est séparée de toute fonction productive, dépendante de la famille adoptive pour se nourrir ou quitter l’environnement claustrophobe de la maison. L’aliénation de ces activistes à la nature est comparable à leur aliénation au travail, dans un pays où le chômage demeure le plus élevé du l’OCDE. C’est la raison pour laquelle le soutien aux droits des animaux s’étend parmi les jeunes alors qu’ils sont les laissés pour compte de cette crise qui les rendent dépendants et improductifs, tout comme leurs animaux de compagnie.

Le changement social a été accompagné par l’évolution des slogans. Après des années à scander « pas d’abus animal », le PACMA (Parti Animaliste Contre la Maltraitance Animale) était massivement présent pendant et après le mouvement 15M[4] rassemblé sous le slogan « animals matter[5] ». L’attrait du slogan pour les droits des animaux se situait alors sur le terme « matter ». Un secteur entier de la jeunesse petite-bourgeoise – mais aussi de sans-emploi victime de la crise – a trouvé dans « les animaux » un mythe, un sujet imaginaire à défendre et avec lequel s’identifier.

Victimes de précarité, rejetés du procès de production et de sa socialisation, ils sont incapables d’imaginer défendre leurs propres intérêts collectifs. Ils imitent le paternalisme qu’ils subissent eux-mêmes et le répliquent de façon pathétique avec les seuls êtres qui sont plus démunis qu’eux. Telle une représentation hyper-plastique de l'aliénation, l'animalisme politique se transpose dans la frontière de plus en plus floue entre la rêverie politique petite-bourgeoise la pathologie clinique.

Vu sur l’échelle des siècles, le développement des capacités productives de l'Humanité tend à se traduire par des formes idéologiques de plus en plus empathiques envers les animaux. De la bête déifiée, ennemie et étrangère, nous passons à l'animal-machine qui soulage la faim et le fardeau du travail et finalement à «l'expérience» de l'école-ferme. D’un point de vue général, le progrès de la capacité de transformation de l'espèce étend son horizon moral, préparant l'humanité pour qu'elle puisse être comprise comme faisant partie d'un plus grand métabolisme naturel qu'elle seule peut accomplir de façon consciente.

Toutefois, dans le Capitalisme actuel – historiquement décadent et avec une décomposition sociale de plus en plus prononcée – cette communion avec la Nature ne peut plus progresser. La fracture avec la Nature ne peut être surmontée sans surmonter notre propre fracture, celle qui perpétue et divise notre espèce. Le Capitalisme, de plus en plus inhumain et même en réalité antihumain, propose donc plutôt d '«humaniser» les animaux de compagnie et les animaux non-humains. Quand on nous parle d’éléphants blessés et d’animaux maltraités, n'oubliez pas que le véritable « éléphant dans la pièce » – la cause de mille et une catastrophes que les médias ne semblent jamais voir – se nomme Capitalisme. Et il n'est pas une fable.

Nuevo Curso[6]

4 Avril 2018

[1] journaldemontreal.com

[2] Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Karl Marx 1843, marxists.org

[3] La question du Logement, Friedrich Engels 1872, marxists.org

[4] Le Mouvement des indignés d’Espagne en 2011.

[5] Qui signifie « les animaux comptent » au sens où leur vie aussi est importante.

[6] On parle ici de l’Espagne.

Tuesday, May 22, 2018