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Accueil ›La réponse à l’inutilité sociale des patrons est la crise sociale
La crise du logement prend plusieurs formes. Pour la classe ouvrière, elle est emblématique d’une érosion continue de leurs conditions en parallèle à des décennies de salaires stagnants existent aux côtés de loyers et prix des maisons en constante augmentation. Pour les experts économiques bourgeois, il s’agit d’une simple curiosité causée par une mauvaise gestion ou bien d’une donnée extérieure emmenée par la pandémie. En ce qui concerne la bourgeoisie elle-même, malgré sa prétention d’être socialement utile, il s’agit pour elles d’une opportunité de se faire des sous sur la misère de la classe ouvrière. Mais, malgré ces apparences, la crise du logement est un reflet de la crise totale du capitalisme. C’est une crise en mouvement depuis plusieurs décennies – exacerbée par la pandémie – et fonçant vers un nouveau palier de désastre social.
Nous devons comprendre les profondeurs de cette crise du logement à travers le contexte de la crise du profit ayant émergé au dernier cycle d’accumulation dans les années 1970. C’était dans la spéculation financière et la financiarisation du logement que le capital vit une opportunité de contourner le faible taux de profit dans la production. À travers ce contexte, il est plus facile de comprendre la crise financière de 2008-9, marquée par la crise des hypothèques subprime dans le marché immobilier américain, et c’est à travers cette logique que l’on peut entrevoir les crises comme celle de la zone Euro en 2011, celle de la Turquie en 2018, et celle de la Chine aujourd’hui avec l’échec d’Evergrande.
En contraste avec les États-Unis, le marché des propriétés canadien n’a pas vu d’effondrement post-2009. Au contraire, l’immobilier demeure un moyen capital de spéculation. Avant la pandémie, les bulles immobilières canadiennes assumaient un caractère relativement local, particulièrement à Toronto et à Vancouver. Durant l’année 2015, en particulier, les valeurs des propriétés à Vancouver augmentèrent de 30%, alors qu’à Toronto, elles augmentèrent de 42% durant la période entre 2014 et 2019. La construction de condos haut de gamme, produisant une généralisation de la précarité dans de larges strates de la classe ouvrière, marquèrent ces augmentations de prix.
Cette trajectoire s’étendit et exacerbât par la pandémie Covid-19. Les politiques gouvernementales établirent des injections massives de capital et une continuité des faibles taux d’intérêt. Alors que l’État s’efforçât de détourner un effondrement économique total –dans le marasme d’un faible taux de profit – halté par un décrochage de la force de travail disponible, le capital ruissela vers les catégories d’actifs spéculatifs.
Dans le contexte canadien, ces investissements furent concentrés en grande partie dans l’immobilier. Ce qui était limité principalement à Vancouver et à Toronto s’est désormais généralisé à travers toute l’économie canadienne. Du début de la pandémie à maintenant, les prix des maisons canadiennes ont augmenté de 30%, et dans les quartiers principalement prolétaires comme Verdun à Montréal, le loyer a augmenté de 14%. À travers la pandémie, l’immobilier s’est présenté comme une bouée du sauvetage pour le capital, durant cette période, il constituait 10% du PIB canadien. Avec l’inflation sur les marchandises, la Banque du Canada se retrouve dans une angoisse considérable concernant la montée du taux d’intérêt actuel. En ordonnant déjà une augmentation du taux d’intérêt d’ici 2023, le capital fait face au dilemme suivant : quelle jambe faut-il couper? La classe capitaliste, qui s’est longtemps targué de son caractère rationnel, de son génie entrepreneurial, et de sa liberté sauvant l’humanité de la barbarie, nous offre maintenant son dernier cadeau : le logement précaire. Cette ironie n’a pas été ignorée par la classe ouvrière.
Le rôle de l’immobilier comme spéculation financière entre en contradiction avec les conditions dans lesquelles s’est retrouvée la classe ouvrière durant la pandémie du Covid-19 – chômage généralisé, précarité, heures de travail réduites, dettes considérables. Alors que les propriétaires et les agences immobilières concentrent leurs acquis à une échelle sans précédent, illes constatent que les augmentations du loyer qu’illes espéraient comme retour sur « investissement » ne peuvent être payés par des locataire.trices chômeurs, sous-employés et sous-payés. Aux États-Unis, près d’un.e locataire.trices sur cinq est en retard sur son loyer. 3.5 millions de ces locataire.trices sont sur le bord de l’expulsion. De même au Canada, il y a plus de 250 000 habitations en retard sur leur loyer, avec des hauts taux de dette dans les villes d’Ontario et des larges Prairies. Aucun secteur de l’économie capitaliste n’est réellement indépendant la crise pandémique de la production. Le capital comme totalité vampirique cherche à attaquer le chèque de paie ouvrier à même le loyer.
Au milieu de la pandémie, le gouvernements Canadiens et Américains (incluant les autorités Étatiques, provinciales et municipales) implémentèrent une série de politiques de secours temporaires et directes pour les (en théorie) les propriétaires et les locataire.trices. Les deux méthodes principales de secours – l’interdiction/moratoriums sur les expulsions et les paiements directs – ont servi conjointement à endiguer la vague de sans-abrisme au travers du confinement tout en garantissant aux propriétaires et au capital immobilier son « droit » au revenu.
Que les paiements directs soient versés aux proprios (comme avec la Emergency Rental Assistance (ERA) de Biden), ou bien aux locataire.trices (programmes d’aide de tout acabit comme la PCU au Canada), l’effet escompté demeure le même : le règne de la propriété sur ses habitant.es doit continuer sans relâche. La position centrale de l’immobilier dans l’économie pandémique ne fait que renforcer la priorisation de l’accès continu aux profit (et toutes les mesures extractivistes que cela implique).
La nature temporaire des mesures d’urgence est directement liée aux périodes de confinement et subséquemment aux pertes de revenu des travailleur.euses. Lorsque la production battait son plein, cela permit au capital d’assurer les moyens de subsistance de base à sa future main d’œuvre.
Cela dit, il devint clair que la soi-disant reprise économique fut contre-carrée par un militantisme ouvrier, à la source de walk-outs, de grèves et d’une pénurie généralisée de la force de travail. 64% des capitalistes canadien.nes avaient sondé dans un rapport en septembre dernier que l’accumulation de leur capital fut entravée par un manque de force de travail disponible. Au Sud de la frontière, les capitalistes engagèrent en dessous de la moitié des 500 000 travailleur.euses attendu.es au mois de Septembre 2021, malgré un chômage continu et étendu. Par conséquent, les représentant.es du capital productif ont mobilisé leurs instruments de coercition et ont ciblés les moyens par lesquels la classe ouvrière peut survivre sans travail salarié. Le moratorium fédéral sur l’expulsion aux États-Unis, une série d’ordres institués par le CDC depuis Septembre 2020, fut mis au rebut le 26 août 2021 par une décision de la cour suprême après un contrecoup de la classe capitaliste. La chambre de commerce, un corps représentatif du capital national Américain, plaida que « l’économie avait suffisamment repris depuis le moratorium d’urgence de la CDC. La solution la plus efficace pour rendre le logement à nouveau abordable est de réduire le chômage. » Entre-temps, les entreprises canadiennes, elles, attendaient impatiemment 23 octobre 2021, date de la fin de la PCRE.
Dans cette offensive sur la classe ouvrière, le capital immobilier est à la charge. Du en partie à la dette massive accrue par la spéculation financière, les propriétaires sont confrontés à la contrainte aigue de s’assurer un profit accru. Cela ne peut signifier qu’une expulsion de masse et le remplacement des locataire.trices par celles et ceux en position de payer des loyers plus élevés.
Les intérêts du capital foncier et du capital productif se sont alignés au milieu d’une reprise économique. Leur but en commun est de forcer une classe ouvrière déjà assiégée à sauver l’économie et leurs profits à travers une productivité accrue malgré la continuité de la pandémie. Les capitalistes, qui se targuent de leur rôle social de « preneur.euses de risques », ne peut désormais plus risquer les effets continus d’une pénurie ouvrière. Plutôt, elle retourne à une forme ouverte de guerre des classes. Alors qu’une partie de la classe capitaliste recherche un retour sur investissement et poursuit des expulsions de masse alors que les restrictions fédérales et provinciales sont levées, une autre s’extasie de voir une classe ouvrière privée de prestations d’urgence et reléguée à l’armée de réserve du capital.
Cependant, comme l’a démontrée l’histoire de la classe ouvrière, le prolétariat à la pouvoir de refuser le travail salarié et les loyers, bouleversant ainsi la trajectoire brutale et désastreuse de la reprise capitaliste.
La lutte contre le capital immobilier s’est manifestée dans les luttes pour le logement des locataires de Parkdale à Toronto. Le processus de spéculation immobilière et d’augmentation des loyers – qui dure depuis des décennies – a mené à une condition de précarisation générale parmi les travailleur.euses à Toronto. En 2016, avant la pandémie (que les apologistes du capital affirmaient être une totale anomalie!), une impressionnante augmentation de 43% des ménages (de location) avaient moins d’un mois de salaire d’économisé. Dans ce contexte, les locataire.trices se retrouvèrent aux prises de la précarité. Déclenchée par l’augmentation massive du loyer d’un propriétaire en 2018, les locataire.trices de Parkdale s’organisèrent en dehors des voies officielles présentées par l’État et refusèrent collectivement de payer le loyer. Le propriétaire en question recula finalement après trois mois de lutte. Ainsi, il fut démontré que la classe ouvrière pouvait gagner selon ses propres termes et mettre en place la fondation de luttes futures – comme ce fut illustré par leur slogan, keep your rent (gardez votre loyer), qui proliféra durant la pandémie.
« Vous devez partir. Vous n’avez aucun choix. Vous risquez votre vie et la banque veut que vous quittiez ». Cette phrase est emblématique du processus de « réno-viction » —la plaie de bien des travailleur.euses et la contribution du capital au bien-être social. La rénoviction est le processus par lequel les propriétaires se livrent à des expulsions de masse sous couvert de volonté de rénover l’habitation. L’objectif de ce processus se résume en trois parties :
- L’augmentation rapide du loyer
- La revente d’une propriété à profit, et
- L’investissement de capital stagnant dans des bâtiments déjà existants.
Au désarroi des proprios et de la finance, cette réalité ne fut pas sans réponse de la part de la classe ouvrière. En avril 2021, les locataire.trices d’un bâtiment de 90 apartements dans le Plateau Mont-Royal à Montréal rejetèrent la requête de réno-viction d’un propriétaire souhaitant se refaire les poches et coordonnèrent entre eux et elles contre cette attaque. À Notre-Dame de Grâce en mai, à St-Léonard en juin, et à travers tout Montréal apparemment, les locataire.trices se retrouvèrent face à cet assaut massif du capital et se propulsèrent droit vers la lutte.
Au final, malgré une expansion quantitative des luttes pour le logement, il n’y a toujours pas de convergence massive. En revanche, une série de grandes manifestations à Berlin contre l’augmentation des loyers, malgré ses limites réformistes, nous donne un exemple d’une lutte généralisée du logement. Avec plus de 20000 participant.es, il s’y pose une reconnaissance de l’unité des luttes pour le logement au-delà de tel ou tel propriétaire, bâtiment ou quartier. Ceci est un pont permettant de comprendre que la lutte pour le logement est une lutte pour la classe entière. Traverser ce pont est vital si notre classe désire avoir une chance contre les attaques du capital.
Il est important, lorsque l’on observe les locataire.trices de Parkdale et leurs formes de lutte, que l’on reconnaisse la réflexion des luttes qui y ont précédé. Elles posèrent une rupture avec la pseudo-lutte dominée par les OBNL et le quartier s’organisa par ses propres moyens. Uns des exemples les plus remarquables des luttes ouvrières pour le logement est lorsque, dans des moments de crise profonde, les masses d’ouvriers locaux prirent la rue pour arrêter les expulsions. Qu’il s’agisse de la grande dépression des années 1930, du Québec des années 1970, ou de l’Oregon tout juste l’an dernier, cette forme suppose que les locataire.trices locales aient une reconnaissance immédiate de conditions fondamentales communes et d’une nécessité de lutter ensemble.
Réfléchir à ces situations historiques est crucial avec l’état que prend la crise aujourd’hui. La fin des moratoriums sur le loyer, et l’assaut capitaliste accru sur les locataire.trices ouvrier.ères – criblés de dettes et faisant face au chômage –, des conditions de travail hostiles, et des avis d’éxpulsion demandent un approfondissement et une extension de la lutte pour le logement comme partie intégrante d’une résistance ouvrière plus large.
Historiquement, lorsque la classe ouvrière avait une conscience en plein essor, comme au Québec des années 1970, la lutte au travail renforçait la lutte pour le logement. Conçu comme un problème de classe, l’organisation ouvrière unissait ces deux fronts contre l’oppression économique et politique des québecois.es. La grève générale de 1972 et de 1976 posa la question de la possibilité d’un pouvoir de classe dans son ensemble. Cette conception au sein de la classe ouvrière ne se limitait pas qu’au Québec ni même qu’au Canada – elle était comprise correctement comme une lutte contre le mode de production capitaliste dans sa globalité. Nous ne souhaitons pas ignorer les réelles limites de cette époque, ni même de prétendre que le développement de ces luttes ne fut pas inégal. Cependant, d’importantes leçons politiques doivent être tirées de cette expérience d’approfondissement de la conscience de classe. La mémoire de la lutte des classe demeure, et doit être revigorée si notre classe souhaite survivre à cette attaque massive du capital.
Dès 1872, Engels fut capable de reconnaître que la crise du logement, nonobstant sa forme particulière, est en dernière analyse une crise du capital lui-même. Pour le citer intégralement : « aussi longtemps que subsistera le mode de production capitaliste, ce sera folie de vouloir résoudre isolément la question du logement ou tout autre question sociale concernant le sort de l'ouvrier. La solution réside dans l'abolition de ce mode de production, dans l'appropriation par la classe ouvrière elle-même de tous les moyens de production et d'existence. »
Les conditions du capitalisme produisent la nécessité d’une tuée de luttes d’auto-défense de la classe ouvrière : luttes pour l’augmentation des salaires et amélioration des conditions de travail, luttes contre les augmentations du loyer, contre les expulsions, l’augmentation des prix, la brutalité policière raciste, etc. Cependant, malgré la nécessité de ces luttes défensives, si nous voulons en finir avec la misère que produit internationalement le capital sur notre classe, ces luttes doivent devenir un combat menant à l’abolition du salariat (et donc, du capital lui-même). C’est seulement lorsqu’on se débarrassera de cette classe socialement parasitaire qu’on abordera enfin la question du logement comme besoin social.
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