Sur le mouvement anti-mondialiste

Quelques considerations sur les origines et developpements du mouvement anti-mondialiste en France et son extension sur le plan international

L’"Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens" (ATTAC) a vu le jour en 98 sur l’initiative de l’association constituée pour assurer la gestion du mensuel "Le Monde Diplomatique", mensuel disposant d’un certain nombre d’éditions en langues étrangères (publié par "The Guardian", "Il Manifesto", etc...). La naissance de cette association s’est faîte avec le soutien du banquier Jean Deflassieux et du père jésuite Henri Madelin, responsable de la revue "Etudes", publiée en France par cet Ordre. ATTAC a très rapidement reçu l’appui de la revue "Politis", de "Témoignage Chrétien" et d’un certain nombre de syndicats.

Le 16 Novembre 99 s’est constitué au parlement européen, un groupe ATTAC avec, entre autres, A.Krivine, dirigeant de la LCR, des députés PS, PC et Daniel Cohn-Bendit fervent défenseur du Traité de Maastricht.

A l’Assemblée Nationale, le groupe ATTAC est constitué de députés verts, PC, PS, Radicaux de gauche, Mouvement des Citoyens et UDF qui, quasiment tous, ont contribué à faire passer des lois, comme celles sur les 35 Heures et la loi de financement de la Sécurité Sociale qui aggravent de façon draconienne les conditions de vie des travailleurs.

Qu’est-ce que la Taxe Tobin?

L’objectif, le but même d’ATTAC, est de faire appliquer la "taxe Tobin", projet de James Tobin, prix Nobel d’économie qui en 1971 proposait la mise en place d’une taxe de 0,05% sur les transactions financières, c’est à dire que toute entreprise, banque ou opérateur financier convertissant une monnaie dans une autre s’acquitte du montant de cette taxe.

A l’époque, J.Tobin craignait les conséquences de l’éclatement du Système Monétaire International qui prévalait depuis les accords de Bretton Woods par les vainqueurs de la dernières guerre mondiale, accords qui encadraient la finance internationale grâce à un contrôle des déplacements des capitaux financiers d’un pays à l’autre. Ce système de stabilité des monnaies éclatait au début des années 70, du fait de la politique économique menée par les USA et à cause de l’absence de réaction des gouvernements face au contournement du contrôle des capitaux par la finance internationale et les firmes internationales.

J.Tobin craignait que l’entrée dans un monde de taux de change flottants permette un retour en force de la finance internationale et crée une instabilité telle que l’investissement et la croissance économique seraient freinés. Cette proposition de taxation des opérations de change avait pour but de rétablir un peu de stabilité.

L’utilité de la taxe Tobin est de lutter contre les attaques spéculatives de faible ampleur contre les monnaies, elle est totalement inopérante lorsque les spéculateurs sont persuadés que la situation est favorable à une dévaluation de 10%, 20% voir 50% (comme c’est arrivé au Brésil ou en Asie) en quelques semaines. On ne s’étonnera donc pas des récentes déclarations du célèbre spéculateur G.Soros, qui, à Davos, déclarait ne pas être opposé à la taxe Tobin. Le directeur général adjoint du FMI, M.Ouattara, n’a-t-il pas, lui aussi, déclaré le 3 février 99:

On peut envisager des formes de contrôle des marchés et des taxes - souvent dénommées Taxe Tobin- sur les flux de capitaux à court terme?

Quant à B.Cliton, ne déclarait-il pas, en réponse à une lettre d’ATTAC:

Pour le moment, nous n’avons pas de projet pour traiter la question de la taxe Tobin (...) mais nous soutenons la discussion sur une telle idée...?

Attac et le mouvement anti-mondialiste

Ainsi, créé le 3 Juin 98 à partir d’un article éditorial du "Monde Diplomatique" de Décembre 97 écrit par J.Ramonet intitulé "Désarmer les marchés", ATTAC va très rapidement prendre une ampleur considérable, d’abord en France, puis tout aussi vite à un niveau international. Il serait trop long de citer toutes les associations, syndicats, organisations qui vont venir grossir le noyau initial mais il n’est pas inutile d’en indiquer un certain nombre parmi lesquelles on en retrouve quelques unes, à l’heure actuelle, à l’affiche des médias.

Sont donc considérées comme organisations, associations "fondatrices", entre autres: le CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale), AC! (Association de lutte contre le chômage), Politis (revue politique), le DAL (Association de défense des sans-abris), "Raisons d‘agir" (P.Bourdieu), un certain nombre de syndicats (FSU, SUD, CFDT-Banques, CGT-Finances, la Confédération Paysanne. Se joindront ensuite à ce noyau initial, des organismes comme la Fondation COPERNIC ou Marc Bloch.

Par extension, le mouvement international ATTAC s’est créé à l’occasion d’une réunion internationale à Paris les 11 et 12 décembre 98 à l’invitation de l‘association française ATTAC. Etaient représentée, une dizaine de pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe ainsi que des réseaux ou coordinations. Aujourd’hui, ATTAC International est implantée dans plus d’une vingtaine de pays.

Deux des associations qui ont participé au développement du mouvement anti-mondialisation en France peuvent retenir ici notre attention. Il s’agit de la "Confédération paysanne" dont le leader très médiatique, José Bové, n’est plus à présenter et "Raison d’agir" animée par P.Bourdieu. Ce dernier, sociologue réputé et "maître à penser" de toute une partie du courant anti-mondialisation a fait paraître à l’occasion du Premier Mai 2000 un manifeste intitulé "Pour des Etats généraux du mouvement social européen" qui:

vise à créer les conditions intellectuelles et institutionnelles d’un rassemblement de toutes les forces critiques et progressistes. Il marque le début d’un vaste travail collectif, inter-disciplinaire et international, visant à définir les principes d’une véritable alternative politique à la politique néo-libérale qui tend à s’imposer dans tous les pays, parfois sous l’égide de la social-démocratie, et à inventer les moyens organisationnels et institutionnels nécessaires pour en imposer la mise en œuvre"

Le but de "Raison d’agir", d’après Bourdieu lui-même, est de "prendre la défense de tous les laissés-pour-compte de la politique néo-libérale et, du même coup, les problèmes laissés pour compte de cette politique".

Loin même du réformisme, fondé sur ce qu’on pourrait appeler un "keynésianisme rénové", l’alternative au néo-libéralisme, proposée par Bourdieu, se donne pour but de surmonter les contradictions du capital sur la base du capitalisme lui-même.

Ces "nouveaux" penseurs de la gauche européenne visent à construire une Europe capitaliste plus "humaine" et plus "sociale". Ceci s’accorde très bien avec la politique des dirigeants d’ATTAC, qui cherchent à pousser l’impérialisme français à ce que l’Union européenne résiste davantage au modèle "néo-libéral" imposé par les Etats-Unis. Le président d’ATTAC, Bernard Cassen, a édité "dix commandements de la préférence citoyenne" (Le Monde diplomatique, Mai 1998) puant le chauvinisme anti-américain:

Pourquoi un gouvernement européen ou asiatique ne demanderait-il pas que l’ONU déménage de New-York, et le FMI et la Banque Mondiale (à supposer qu’il faille les conserver), de Washington?

L’idée défendue dans cet article est que l’impérialisme américain est la puissance mondiale dominante qui cherche à asseoir brutalement sa domination sur le tiers-monde contre ses rivaux européens et japonais - ce qui est vrai- mais, affirmer qu’"on" pourrait faire pression sur les puissances impérialistes européennes pour garantir les "droits de l’homme" contre les USA relève du social-patriotisme le plus éculé. C’est pourtant le fond de commerce sur lequel prospère ce mouvement.

L’Union européenne représente aujourd’hui un compromis instable des intérêts économiques, militaires et politiques des capitalistes européens, qui reconnaissent la nécessité d’un certain niveau de collaboration afin de concurrencer l’économie américaine. L’impérialisme européen, au même titre que n’importe quel impérialisme, ne présente pas une "politique" qui peut être infléchie dans un sens plus bienveillant par des pressions de masse, c’est, pour reprendre la formule de Lénine, le "Stade suprême du capitalisme".

Le chauvinisme anti-américain trouve un autre relais dans cette composante d’ATTAC qu’est la Confédération paysanne dont José Bové est un des leaders, le plus médiatique assurément. Ce syndicat d’agriculteurs a pris comme cheval de bataille la dénonciation de la "mal-bouffe". C’est aussi - et surtout- le refus de la concurrence d’un certain nombre de produits américains (sans aucune garantie que ce que l’industrie agroalimentaire française offre des produits plus sains aux consommateurs). Ce "combat", soutenu en France de l’extrême-droite à l’extrême-gauche n’est rien d’autre que la défense d’intérêts particuliers (dans le cas des producteurs de roquefort) et plus généralement des intérêts français dans la guerre commerciale internationale des produits agricoles.

Les buts de ce syndicat sont clairs: utiliser la méfiance de la population envers la mauvaise qualité des denrées alimentaires pour construire un soutien aux intérêts des producteurs et industriels agricoles français. La Confédération paysanne déclare ne pas être contre la mondialisation en général, mais contre celle qui ne garantit pas un "commerce équitable". Entendons par là que la bonne mondialisation, c’est quand la multinationale Nestlé, propriétaire de la Société des caves de Roquefort, vend son fromage aux USA sans problème, la mauvaise étant quand ces mêmes USA doublent leurs droits de douane sur ce fromage.

L’ennemi de ce syndicat, c’est le concurrent américain contre lequel il souhaite bâtir une union nationale inter-classiste. La Confédération paysanne n’offre en réalité pas d’autre perspectives aux petits paysans que d’être les artisans d’un combat nationaliste et protectionniste.

La Confédération paysanne, petite organisation ayant très peu de militants, s’est surtout fait connaître ces derniers temps, par des opérations coup de poing contre les OGM. Destructions de laboratoires publics ou privés, ayant donnés lieu à procès, où José Bové a été remarqué. Là encore, l’opposition aux OGM est stimulée par l’origine des produits: ce sont des producteurs de graines américains qui les fournissent. L’arrivée des OGM va accélérer la concentration dans le secteur, au profit des groupes les plus grands, qui seuls peuvent payer les recherches. Actuellement ce sont Monsanto... tous américains. Bien sûr, pressés de rentabiliser leurs recherches, ces compagnies ne se préoccupent pas vraiment des risques qu’elles prennent. Dans ce domaine, le principe reste toujours "privatiser les profits, socialiser les pertes". De l’amiante à Tchernobyl, des mines de charbon à la vache folle, qui n’a payé de sa santé, de sa vie, les profits réalisés par les capitalistes?

Ce combat a été mené, dans la Confédération paysanne par un de ses Secrétaires nationaux, ayant démissionné depuis la médiatisation de Bové: René Riesel, un ancien situationniste. Il livre son point de vue à "Libération" des 3/4 février 2001:

le sabotage contre le CIRAD était une attaque frontale contre des recherches publiques, afin de casser le mythe selon lequel une recherche contrôlée citoyenne pourrait être régulée: il faut commencer par comprendre que cette technologie est par essence incontrôlable.

Puis:

l’industrialisation est, depuis la révolution industrielle en Angleterre, une rupture fondamentale avec l’essentiel du processus d’humanisation. Sans civilisation paysanne, c’est la civilisation tout court qui se défait, on le constate aujourd’hui. Et la signification historique de l’industrialisation, sa vérité profonde devenue manifeste au XXième siècle, c’est la destruction: avec Auschwitz et Hiroshima on a les deux fonds baptismaux sur lesquels a été portée l’époque contemporaine.

Riesel comprend que, dans la France toujours colbertiste, l’Etat prend en charge les recherches qui en Amériques sont menées par les sociétés privées, que cela ne change pas la nature de ce qui est produit. Mais en bon situationniste, il préfère manier les symboles à une analyse de classe. Et puis, il lui faut trouver l’action symbolique qui subvertira de façon magique le vieux monde. En 99, c’était la lutte contre les OGM...

Finalement, un aspect intéressant de ce mouvement "anti-mondialisation", de la Confédération paysanne, ou d’ATTAC, est d’avoir su attirer les courants les plus divers de la gauche française. Chacun y trouve ce qu’il cherche! Des anarchistes, qui apprécient la non-participation aux élections (qui rassure le ¨PS: pas de concurrence), la participation à des manifestations et initiatives concrètes ( ah! Seattle! Empêcher réellement la réunion de se tenir! ) aux intellectuels et modérés de tout poils, qui aiment que l’on organise des débats avec des spécialistes, pour montrer qu’on est sérieux, qu’on construit, que la critique est positive! Et puis n’oublions pas que depuis maintenant vingt ans, la "gauche de la gauche", comme on dit, pour ne pas dire le bon vieux gauchisme des années 70: les trotskistes de la LCR, des ex-maoïstes, des ex-PC défroqués essaient de trouver l’organisation, la personnalité, pouvant leur permettre de représenter quelque chose sur "l’échiquier politique", gagner quelques voix aux élections et entrer au Parlement de la République. Jusqu’à présent, ça n’a pas trop marché. Avec ATTAC, sans doute pensent-ils avoir enfin trouvé un moyen pour s’implanter.

Le récent forum social mondial de Porto Alègre qui se tenait en même temps que le forum économique mondial de Davos a mis en évidence deux points fondamentaux:

  • L’éventail "théorique" très large des divers participants, allant de la participation de la Conférence des évêques brésiliens et de celle de l’Université Catholique de Louvain, en Belgique - s’appuyant sur les déclarations de Jean-Paul II et sur la doctrine sociale de l’église - aux tenants d’une troisième voie utopique entre le socialisme et le capitalisme. Seul point commun à toutes ces tendances: le rejet de la lutte de classes et du projet du communisme.
  • L’opposition, toute relative, entre les deux forums.

Le gouvernement français, conscient de la complémentarité, de fait, de ces deux forums a pris la décision la plus logique possible: Il s’est fait représenter dans chacun d’eux par deux ministres! En effet, si à Davos, les représentants des gouvernements, des institutions financières internationales, etc... se sont retrouvés pour dicter au monde les exigences des marchés, à Porto Alègre, des ONG, des dirigeants syndicaux, ainsi que les nombreuses associations et organisations diverses dont nous avons parlé précédemment se réunissaient pour s’efforcer "d’humaniser la mondialisation".

Symbole de cette complémentarité, le dimanche 28 Janvier s’établissait un "pont-vidéo" entre Davos et Porto Alègre auquel participaient entre autres B.Cassen (ATTAC), Kofi Annan (ONU), P.Sané ( Amnisty International), J.M Messier (Vivendi), G.Soros (Open Society Institute), etc...