Le Parti communiste irakien - Mettre les prolétaires à la merci du Parti Baas

Dans la revue The Progressive, Faleh A. Jabar propose que le régime du Parti Baas en Irak soit remplacer par un gouvernement démocratique et laïque. L’auteur de l’article ne tient pas compte de la situation économique mondiale et le rôle des États-Unis en relation avec l’Irak. De plus, l’auteur passe sous silence le bilan du Parti communiste irakien (PCI) dont il était un membre et un rédacteur de son journal. Pire, l’auteur met de l’avant des solutions pour le rétablissement d’une forme républicaine de gouvernement en Irak qui sont impossible et impraticables. En fin de compte, la perspective de l’article est celle d’un réformiste ex-stalinien désillusionné. C’est une perspective qui n’a rien à offrir au peuple opprimé d’Irak.

La solution de l’auteur est de dresser la liste des personnalités les plus importantes et les plus proches de Hussein et offrir au Parti Baas une issue s’ils abandonnent leur dirigeant tout en offrant à Saddam un sauf-conduit hors du pays. Les grandes puissances feraient alors preuve de bonne volonté en offrant un "mini-plan Marshall" de 100 milliards de dollars. Cela romprait l’unité de la clique dirigeante irakienne et permettrait un transfert de pouvoir relativement pacifique a une autorité plus civile. En terminant, Jabar nous laisse ce petit bijou: "Le rétablissement d’une société de droit est vital pour l’Irak. C’est une pré-condition pour toute démocratie viable émergente." (1) Cette ordonnance pour les maux de l’Irak ne peut pas fonctionner. Elle ignore la réalité économique de la puissance américaine car les temps où les USA pouvaient verser des sommes astronomiques d’argent sont terminés. Les États-Unis ont besoin de un à deux milliards de dollars en circulation chaque jour seulement pour maintenir sa balance de paiement du déficit. Les États-Unis sont maintenant le plus grand débiteur de la planète. Ils devront de plus en plus recourir à la force militaire brute parce qu’ils n’ont plus le pouvoir économique pour garder leurs anciens laquais tel Saddam dans le rang. En fait, des despotes ont toujours régné sur la région irakienne. Donc, la seule société de droit que le pays a connu est le droit des tyrans et des militaires. Pour mieux comprendre les perspectives de l’auteur nous devons explorer un peu l’histoire irakienne et le rôle joué par le PCI dans cette histoire.

L’action du stalinisme irakien

Le site web du PCI résume sa propre histoire de la façon suivante: "Le prestige exceptionnel du PCI et ses profondes racines dans la société irakienne sont largement dues à sa capacité de fusionner le national à la question sociale d’une manière presque unique. Son rôle dans le mouvement national et parmi la jeune classe ouvrière, la paysannerie et les intellectuels dans les premières étapes de sa vie ont laissé une marque impérissable sur l’histoire irakienne contemporaine." Par "fusionner le national à la question sociale", ils veulent dire leurs activités en soutien au gouvernement de Abd Karim Qasim et parmi les rebelles kurdes. La "marque impérissable" qu’ils laissèrent fut leur effort de consolidation du gouvernement Qasim et leur trahison des kurdes pour ensuite se revirer pour soutenir le nouveau régime du Baas dirigé par Ahmad Hasan al Bakr, à la demande de leurs patrons et parrains idéologiques en URSS. À la fin des années 70, après une décennie de coopération avec le Baas, ce dernier décida de changer de camp, prenant pour nouveau patron les États-Unis plutôt que l’URSS. Ainsi débuta une période de persécution et d’exil pour le stalinisme irakien puisqu’on n’en avait plus besoin pour contrôler les travailleurs irakiens et les nationalistes kurdes.

Présentement, le PCI réclame un gouvernement républicain et démocratique en Irak. Les USA ne partagent pas cette vision du destin du pays, pas plus que les Britanniques lorsqu’ils installèrent la très détestée monarchie Hachémite à la tête de l’Irak. Les grandes puissances partagèrent l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale et mirent en place des dictatures et des monarchies dans toute la région du Golfe. Il leur était nettement préférable de traiter avec des dictateurs plutôt que des parlements peu fiables. De même, aujourd’hui, elles ne peuvent se permettre autre chose qu’un gouvernement complètement aliéné au peuple qu’il gouverne. Le seul parti d’opposition officielle au régime du Baas qui ait eu une base d’appui parmi la classe ouvrière, la paysannerie et l’intelligentsia est le PCI. Le rôle qu’il joua lia les prolétaires à deux gouvernements et les mis à la merci des cliques armées de la classe dominante. Il contribua à mettre le jeune prolétariat irakien sur l’enclume, à la demande de ses partenaires dans la bourgeoisie, dans laquelle il était une fraction influente.

Une histoire de brutalité et d’oppression

Après le renversement des monarques à la solde des britanniques, Qasim sorti vainqueur de la lutte pour le pouvoir. Il vit que le PCI pouvait être utile pour consolider le soutien populaire au régime et juguler les prétentions de ses rivaux. Il signa des traités diplomatiques et commerciaux avec Moscou tout en tentant de maintenir des relations amicales à l’Ouest. Lorsque le PCI devenait une menace à son règne il les réprimait. Lorsque ses rivaux menaçaient, il accotait le PCI à leurs dépens. Le PCI fut le contre-poids du nationalisme arabe qui prit la forme d’une faction de nassériens qui suivaient la ligne du leader égyptien. Qasim créa une milice sous le contrôle des staliniens pour contre-balancer le pouvoir des nassériens et du Baas parmi les militaires.

En 1961, Qasim commença à redouter le pouvoir du PCI et l’attaqua ainsi que sa presse et ses syndicats. Puis les Kurdes se révoltèrent sous la direction de Mustafa Barzani et ses alliés qui trouvaient qu’on ne leur avait pas suffisamment laissé de place suite à leur appui au coup d’état de 1958 qui avait porté Qasim au pouvoir. Qasim affaibli, Abd as Salaam Arif prit le pouvoir dans un coup d’état pro-nassérien. Lorsqu’il décéda, son frère le général Rahman Arif le remplaça. Pas longtemps plus tard lui aussi cèdera sa place suite à un coup par le colonel Abdar Razzaq an Nayif et Ibrahim ad Daud. À leur tour, ils furent supplantés par le Baas. Pendant ce temps, le PCI luttait parmi les Kurdes pour leur indépendance. Ahmad Hasan al-Bakr assuma le pouvoir pour le Baas. Plusieurs des responsables du Baas provenaient de la ville de Tikrit, y compris Saddam Hussein. Ces gens formeront le clan ayant le plus de pouvoir en Irak.

Entre 1968 et 1973, quiconque osa affronter le pouvoir du Baas fut purgé. Par 1969, Hussein était la principale force à l’intérieur du Parti Baas. En 1970, Mustafa Barzani et son Parti démocratique du Kurdistan (PDK) conclua un accord avec la direction irakienne. Le Baas signa un traité avec l’URSS et le PCI, par respect du changement de client de leur parrain cessa sa lutte contre le Baas. L’URSS appuya initialement les Kurdes pour étendre son influence dans la région puis les abandonna. Les Kurdes réagirent en quêtant le soutien du Shah d’Iran et les USA pour leur guerre. Ils exerçaient déjà à cette époque un certain contrôle sur leur base d’appui au nord de l’Irak.

En 1975, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) fut formée par Jalal Talabani. Elle était plus gauchiste et urbaine. En cette même année où le PDK dut faire face à ce défi à sa domination, Mustafa Barzani meurt, laissant ses fils Idris et Massoud à la tête du PDK. En 1978-1979, les deux factions kurdes s’entre-tuaient tout en combattant le gouvernement irakien.

Lorsque le dirigeant égyptien Sadate signa les Accords du Camp David avec le leader israélien Begin, l’Égypte fut isolée dans le monde arabe comme un paria qui avait trahi leurs intérêts. Cela permit à la direction irakienne de se présenter comme la voix du nationalisme arabe. En 1979, al-Bakr fut formellement remplacé par Saddam Hussein avec toute la bénédiction des États-Unis. L’Irak était alors un allié loyal des USA et combattait le régime fondamentaliste iranien. Les États-Unis voyaient la dictature du Baas comme une ligne de défense contre les ambitions iraniennes (et soviétiques) dans la région. Hussein était un champion de la démocratie comme tous les autres dictateurs soutenus par les Américains. Donc à la fin des années 70, Faleh A. Jabar comme tous les autres staliniens de la région du Golfe Persique, vit que ses anciens alliés despotiques, les fondamentalistes en Iran et le Baas en Irak, désirait le tuer.

Lorsqu’en 1988, l’État irakien gaza les Kurdes qui soutenaient l’Iran, le Département d’État américain émit une déclaration officielle qui faisait porter le blâme à l’Iran. Le gouvernement américain cautionna l’usage d’armes chimiques contre des milliers de civils kurdes.

Le 25 janvier 1990, le gouvernement irakien chercha l’assurance de ses patrons américains qu’il lui serait permis d’envahir le Koweït. L’ambassadeur US April Glaspie l’informa que son gouvernement ne s’opposerait pas à une telle invasion. L’invasion avait pour but de régler un contentieux de longue date à propos des champs pétrolifères de Rumaila sur la frontière Irak-Kuweit. Après la défaite humiliante de Saddam lors de la Guerre du Golfe, la révolte subséquente en Irak fut encouragée par les USA qui prêtèrent appui aux rebelles en créant des "zones d’exclusion aériennes". Cela profita aussi à la Turquie qui s’en servit pour mener sa guerre contre le Parti des "travailleurs" du Kurdistan (PKK). Ces zones fournirent aussi une défense pour les fondamentalistes musulmans alliés à l’Iran et à Al-Qaeda basés dans le Nord de l’Irak. Les bombardements américains et britanniques de ces régions ne cessèrent à peu près jamais après la première Guerre du Golfe. Il y a maintenant 13 ans qu’on bombarde l’Irak.

Que veut l’État américain?

Lorsque les États-Unis renverseront le régime du Baas, ce sera avec l’aide du PDK et de l’UPK ainsi que des bureaucrates et des militaires mécontents du Parti Baas. Tous ceux qui attendent de prendre le pouvoir ne sont pas mieux que ceux déjà en place. Et le PDK et l’UPK ont déjà violé les droits humains à plusieurs reprises et sont essentiellement des gangsters et des contrebandiers qui s’enrichissent par le biais des sanctions américaines. C’est tellement le cas, qu’ils ne veulent plus d’un Kurdistan indépendant parce qu’ils sont trop occupés à gagner des liasses d’argent par la transgression des sanctions américaines. En 1996, le PDK a quémandé l’appui du gouvernement irakien pour se débarrasser de l’UPK. Avec cette aide, il se sont emparés de la place-forte UPK de as-Sulaymania. Maintenant, les États-Unis sollicitent l’aide des deux armées kurdes pour renverser le régime de Bagdad.

Les États-Unis doivent prendre l’Irak et le contrôle de son pétrole pour maintenir sa position dans le monde. La classe dominante s’illusionne sur l’idée qu’une fois ce pétrole arraché des mains de Hussein, tout ira mieux pour l’économie américaine. Les dirigeants koweïtiens avaient promis de rendre entièrement disponibles leurs réserves de pétrole suite à leur "libération" et après le rétablissement de la monarchie mais cela n’est jamais arrivé. Il faudra une bonne décennie pour véritablement redémarrer la production de pétrole iraquien. Les champs pétrolifères ne seront probablement pas remis entièrement au capital international puisque les boss locaux perdraient la majorité de leurs profits. Ce qui risque de se passer c’est qu’une fois le Baas abattu, les USA mettront en place des consortiums du genre qu’ils ont crée pour développer les ressources de la mer Caspienne. Cela permettra de partager les risques parmi un plus grand nombre de capitalistes tout en laissant le contrôle aux États-Unis et en faisant payer aux "alliés" une bonne partie des dépenses. Le contrôle américain sera donc plus militaire que financier.

Le pétrole des bassins russe et caspien continuera a coulé plus rapidement pour encore des décennies et le contrôle de ces zones échappe aux américains puisqu’une large partie de la région de la mer Caspienne appartient à la Russie et à l’Iran. L’Irak permet de s’en approcher. L’Irak possède la deuxième plus grande réserve de pétrole connue au monde mais a aussi potentiellement la plus grande réserve non découverte. Cela vient de l’interruption de l’exploration résultant de 20 ans de conflits.

Le but de cette guerre n’est pas seulement de pouvoir offrir de l’essence à meilleur marché pour les automobiles américaines. Le véritable but est de contrôler l’approvisionnement mondial. Tariq Aziz avait raison lorsqu’il affirmait: "Lorsque l’Amérique deviendra économiquement plus forte, lorsque l’Amérique s’accaparera de tout le pétrole de la région, elle s’imposera politiquement et économiquement à tous les pays ayant besoin de pétrole"

Pour le moment, la position américaine est tellement forte que les autres puissances mondiales sont résignées à laisser les États-Unis s’emparer de l’Irak. Surtout si leur offre une part de l’exploitation pétrolière. Ce qui est en cause pour les pays comme la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine est d’évaluer si la promesse de gains futurs vaut le risque de perdre leurs atouts d’aujourd’hui. Ils risquent fort d’accepter une mise moins importante dans le pays du moment que les USA veuillent bien la leur permettre. La position américaine est de faire savoir à tout le monde que ceux qui ne les appuient pas n’auront rien. Cela fera particulièrement mal à la Russie qui a lourdement investi en Irak. Pour l’instant, ils permettront aux États-Unis de prendre l’Irak de la même façon que la France et la Grande-Bretagne ont permis aux nazis de prendre la Tchécoslovaquie. Tout cela changera immédiatement au premier véritable signe de faiblesse des USA. Lorsque les nazis gagnaient le monde se faisait une raison tandis qu’ils prenaient l’Europe. Lorsque le vent a tourné, même leurs alliés les ont attaqué.

La réalité d’une guerre contre l’Irak

Si, ou plutôt lorsque les États-Unis déclareront la guerre contre l’Irak, il y aura d’abord un bombardement sévère. Le Département de la Défense (DD) a déjà fait connaître ses recommandations pour la prise de Bagdad. Son rapport, Doctrine for Joint Urban Operations, révèle qu’ils vont raser tout ce qui peut servir d’abri à des positions de tir. Il révèle aussi que cela sera accomplit grâce à des munitions à usage mixte, i.e. des bombes incendiaires et des bombes à base d’uranium appauvri qui répandront de la poudre radioactive partout. S’il y a une guerre, il prévoit niveler Bagdad et tous les centres urbains contrôlés par le gouvernement irakien. L’armée ne serait envoyer qu’une fois sa ligne de tir entièrement assurée. Les USA délègueront probablement aussi une partie de la bataille au PDK et à l’UPK de la même manière qu’ils l’ont fait pour l’Alliance du Nord en Afghanistan. Puis, ils enverront leurs rangers, une fois que les Kurdes auront assumé l’essentiel des pertes alliées, pour faire ce qu’ils font de mieux, tuer des civils affamés et désarmés comme ils l’ont fait en Somalie. Le rapport du DD cite deux scénarios de guerre à éviter. Le premier est ce qui est arrivé aux rangers à Mogadishu et l’autre est ce qui est arrivé aux nazis à Stalingrad.

La seule façon de mettre fin à une guerre impérialiste...

Les USA n’ont maintenant plus d’autres choix que de déclarer la guerre à moins qu’un coup d’état ne renverse Saddam. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire. Nous pouvons faire ce que rationnellement les travailleurs et les travailleuses devraient faire; nous devons exiger que les troupes américaines et britanniques soient rapatriées immédiatement.

...est la révolution

Une reprise visible de la lutte des classes aux États-Unis et au Royaume-Uni encouragerait les prolétaires d’ailleurs à se soulever contre les bellicistes et les bouchers du capital. Le meilleur terreau pour cette lutte est la guerre impérialiste. Elle offrirait aux travailleurs et aux travailleuses d’Irak une vraie alternative à l’horreur qu’ils devront subir et c’est précisément ce que le peuple opprimé d’Irak et toute la planète a besoin. Par leur inaction, les prolétaires font le choix d’être les victimes désarmées d’une histoire écrite par leurs oppresseurs. Il y a une alternative et elle est bien meilleure. Si les prolétaires se donnent des organisations de combat et s’ils luttent par delà les frontières, un meilleur destin est possible. Nous avons impérativement besoin de rompre avec les idées de la classe dominante. Le stalinisme réformé du PCI représente l’aile gauche d’une classe dominante qui n’a rien à nous offrir sauf la souffrance. L’idéologie bourgeoise nous offre un avenir économique et environnemental dévasté et sous la botte d’une minorité parasitique de l’humanité. Il paraît que ce futur c’est la démocratie mais lorsque ce concept pourri est mis en pratique il devient synonyme de dictature et d’oppression.

AS (janvier 2003)

(1) Jabar, Faleh, Opposing War is Good... But Not Good Enough, TheProgressive, janvier 2003: p. 20-22