À la mémoire de Mauro

Battaglia Comunista, juin 2005 (traduit de l'italien)

Le 2 mai dernier, Mauro Stefanini nous a quitté. Le mal de ces temps maudits, le cancer, l’a tué. Jusqu’au bout, nous avions espéré qu’il s’en sortirait, grâce à sa vitalité, à sa volonté de vivre. Mais cela n’a pas été. La maladie l’a vaincu mais n’a pas réussi à l’humilier car elle faisait face à une barrière infranchissable de courage et de dignité.

Le dernier souvenir qui nous reste de lui, pour cette raison, n’est pas son sourire solaire, son regard limpide, cet air et cet esprit toujours aussi incroyablement jeune qu’il avait su conserver au cours du temps et qui l’avait fait aimer par tous les camarades et par tous ceux qui ont eu la chance de le connaître. Non, ce sera son visage marqué par la douleur physique, la souffrance.

Il est parti en silence, simplement, dans un cercueil recouvert du vieux drapeau de 1948 du parti, de la section de Sesto San Giovanni, qui l’avait probablement vu venir au monde. Mauro, en fait est né le 9 janvier 1948, quasi physiquement dans le parti étant donné que ses parents étaient contraints à la clandestinité parce que sa mère, Maria Antonietta Falorni (Mariuccia) était recherchée, injustement accusée par la police et par la meute stalinienne d’être la commanditaire du meurtre dans les environs de San Polo en 1946, du marquis Della Robbia, fasciste impitoyable, grand propriétaire terrien de la région et l’ex-adjoint fédéral de Florence. (1)

Mauro était le nom de guerre de son père, Luciano, un des fondateurs du Partito Comunista Internazionalista et un des animateurs de la Fraction à l’étranger où il s’était exilé après avoir purgé neuf années de prison infligées par le Tribunal Spécial fasciste.

On se tromperais pourtant, en croyant que Maurino - c’est comme cela que l’appelaient les vieux camarades, qui l’avaient vu faire ses premiers pas dans notre premier siège milanais, pour le distinguer de son père - ait abordé le communisme et notre parti par respect pour la tradition familiale. C’est le cas pour de nombreux fils héritiers du métier de leurs pères, contraints de poursuivre la voie familiale au delà de leurs intentions et de leurs aspirations authentiques. En vérité lui, il était avant tout communiste dans l’âme. C’était comme si le communiste en lui était déjà dans les gènes et donc il ne pouvait qu’être du côté des plus faibles, des exploités, et faire de leur cause sa propre raison de vivre. L’origine familiale a certainement facilité le parcours et la maturation politique, mais Mauro l’a accompli en pleine et totale autonomie.

À seulement 15 ans, il commence sa participation au journal Battaglia Comunista et quelques années plus tard (en 1967) à la revue Prometeo. Depuis lors, elle ne s’est jamais interrompue, comme son engagement sans compter comme militant du parti. À la fin des années soixante, nous le voyons fortement engagé dans les premiers mouvements des étudiants de l’Université d’État de Milan, s’efforçant de leur donner une orientation de classe. Ses nombreux écrits critiques du mouvement étudiant sont le fruit d’une réflexion sur cette expérience, sur sa nature interclassiste et petite-bourgeoise. Ils constituent encore aujourd’hui un instrument tout à fait actuel de l’intervention du parti en milieu scolaire.

En décembre 1970, au IV° congrès du parti, il est élu au Comité central et de là, au Comité exécutif national. C’est l’arrivée aux postes de responsabilités de direction d’une nouvelle génération de camarades, qui va en théorie comme en pratique recueillir le l’héritage de l’extraordinaire génération de combattants révolutionnaires qui avait su comprendre la dérive contre-révolutionnaire de la révolution russe et construire une opposition et, au travers d’indicibles difficultés, notre parti. Une arrivée aux responsabilités que Mauro a vécue en la plaçant au dessus de tout, sans épargner son énergie, comme un "révolutionnaire professionnel", mais toutefois sans en tirer de revenus. Mauro gagnait sa vie par son activité d’enseignant et de publiciste spécialisé dans le secteur des arts graphiques. Les finances du parti devant faire l’objet d’un combat se menant toujours à coup de centimes, il a été l’un de ses plus généreux soutiens financiers.

Ouvert comme peu à toutes les nouveautés de la vie, il fut l’un des premiers parmi nous à s’emparer des technologies basées sur la microélectronique et à se doter d’un ordinateur. Au début, étant donné la grande dépense d’énergie que l’apprentissage de cet outil lui demandait, nous nous moquions un peu de lui, disant que désormais Filippo - c’est le nom qu’il avait donné à son premier PC - était son amant. Ensuite, nous avons tous dû changer d’avis et suivre ses leçons pour apprendre les fondements nécessaires à l’usage de cette maudite machine, sans laquelle nous ne serions pas capables aujourd’hui d’accomplir une grande part de notre activité politique. Mauro aimait donner un nom aux objets qui l’entouraient et qui, de fait, semblaient s’animer à son contact. Qui peut oublier le fameux Ugo, la Transit Ford toujours en panne, compagnon et moyen de tant de ses voyages?

Si nous nous limitons à considérer uniquement cet aspect, son vif intérêt pour les nouvelles technologies, pour la science et pour toutes les activités humaines, nous ne comprendrons pas la richesse de la personnalité de Mauro dans son entier, ni l’importance de la contribution de connaissance théorique qu’il a donné au parti et au delà. L’apprentissage des nouvelles technologies basées sur la microélectronique par exemple, est bien ici la condition déterminant une activité pratique déterminée, mais c’est surtout l’instrument nécessaire à l’observation critique de phénomènes qui intéressent la société dans son ensemble et notre classe en particulier. Il aurait été difficile sans ce bagage et un solide ancrage matérialiste dialectique, de comprendre la portée des violents processus de restructuration des cycles productifs qui se sont déroulés ces dernières décennies et les processus connexes de restructuration et déstructuration de la classe ouvrière. Les théoriciens de l’autonomie ouvrière dans cette période, "découvraient" la liquidation du prolétariat en tant que sujet révolutionnaire unique et se lançaient dans la recherche frénétique d’un nouveau sujet révolutionnaire, par moments identifié dans telle ou telle figure sociale pour finir dans les indistinctes multitudes. Notre parti, collégialement mais avec la contribution fondamentale de Mauro, notait la tendance à une prolétarisation croissante de la société à l’échelle mondiale et la nécessité toujours plus pressante de penser le futur parti révolutionnaire comme un organisme qui, tout en tenant compte des spécificités particulières, soit en mesure d’élaborer un projet tactique et stratégique de valeur mondiale, pour éviter une énième défaite du prolétariat qui serait cette fois de dimension véritablement catastrophique pour l’humanité entière. Ce n’est donc pas parce que Mauro parlait et comprenait parfaitement l’anglais et le français qu’il a été le principal animateur de notre travail international, établissant et maintenant les contacts avec quiconque de part le monde, individu ou groupe, se rapprochait de nous, y compris si c’était seulement pour approfondir la connaissance de nos positions politiques. Et c’est à lui encore - comme l’ont rappelé les camarades de la CWO dans leur contribution à sa mémoire - que l’on doit la majeure partie du travail pratique et d’élaboration théorique et politique, à commencer par sa plate-forme, qui a fait naître la Bureau International pour le Parti Révolutionnaire.

Nous n’avons pas l’espace ici pour nous arrêter plus avant dans l’examen critique de la contribution théorique de Mauro mais nous espérons pouvoir rapidement recueillir et republier ses écrits les plus significatifs et y revenir plus complètement.

Nous ne pouvons pas (ce serait impossible, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas pire critique de soi que soi-même) apprécier la valeur historique - si elle existe - de l’expérience de notre parti dans les trente dernières années. Mais, tout en l’acceptant pour ce qu’elle est actuellement, c’est à dire une petite expérience, le rôle de Mauro dans son sein a été d’une extraordinaire importance. Merci Mauro, nous te serons toujours reconnaissants et continuerons avec ta passion et ta cohérence l’œuvre de construction de ce parti révolutionnaire, sans lequel l’aspiration qui nous a si fortement réuni en un monde libéré de la domination de la bourgeoisie et de l’exploitation resterait un vœu pieux.

G.P.

(1) Pour les faits de San Polo, voir (en italien): Lo scontro degli internazionalisti con lo stalinismo e le sue vittime - Quaderni di Battaglia Comunista n. 7