La grève sauvage généralisée de Mai-Juin 1968 en France

Mai 68 ou comment bien l’enterrer!

Cette année, le vacarme fait autour de la commémoration des 40 ans de Mai 68 est vraiment assourdissant. Il est impossible de l’éviter. Et plus il y a de bruit, moins le brave quidam comprend sa signification. Chacun y va de son avis ; c’est l’auberge espagnole.

Pour certains c’est le soulèvement de la jeunesse ou un mouvement générationnel, celui des baby-boomers: les enfants nés après la Deuxième Guerre mondiale. C’est déjà ce que défendait Raymond Aron à l’époque dans son livre La Révolution introuvable en développant l’idée d’une révolte étudiante déterminée par une névrose de surpopulation universitaire. Pour d’autres ce mouvement est dû à la “société bloquée” ; ils sont à la traîne du sociologue Michel Crozier (1). Et les défenseurs de cette idée à leur suite s’amusent à faire la liste des changements. Il entraînera la libération des mœurs: la libération sexuelle, la libération de la femme, etc. Ce type d’explication est si ancré dans la mémoire collective que l’on compare les années antérieures et les années postérieures pour faire la liste des évolutions. Les anciens maos comme Serge July nous resservent un remake de “révolution culturelle” puisque ce mouvement, dit-il, fait avancer la cause des minorités sexuelles, des femmes et porte un coup à l’autoritarisme des structures familiales patriarcales et politiques sclérosées. Il est très proche de la vision étriquée de Nicolas Sarkozy qui pense que le slogan de Mai “Vivre sans contrainte et jouir sans entraves” a “liquidé l’école de Jules Ferry, qui était une école de l’excellence, du mérite, du respect, une école du civisme”. “L’héritage de Mai 68 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique”. Mai 68 aurait-il fait voler en éclats la vieille morale? Dinosaures!

D’autres anciens maos devenus des “nouveaux philosophes” de salons avec de vieilles idées et surtout de bons démocrates bourgeois comme Bernard-Henri Lévy ou André Glucksman prennent le contre-pied de cette idée ; ils estiment que Mai 68 a servi la modernisation du capitalisme et l’américanisation de la société avec la libéralisation des mœurs et l’émancipation de l’individu. Mai 68 a permis de renvoyer au placard “la vielle bourgeoisie d’État”. Libéralisme quand tu nous tiens!

Arrêtons le massacre!

Tous ces saloneux et faux intellectuels sont ils honnêtes? Sont-ils rémunérés par la bourgeoisie? Certains sont aujourd’hui bien repus dans les ors des palais de la république ou jouent aux icônes bien introduits dans les instances européennes comme Cohn-Bendit. Cela importe peu.

En fait, et c’est plus important, ces bons bourgeois ne font que masquer et embrumer la conscience des travailleurs. Bien joué! Et surtout, on liquide, on liquide la lutte de classe. Mai 68 devient tellement un vrai fourre-tout ; on peut tout y mettre ainsi il ne représente plus rien ou plutôt il représente tout. Chacun y met ce qu’il veut! Dès lors, la bourgeoisie peut se permettre d’en faire la commémoration pour mieux enterrer son véritable contenu. A quand “un mémorial au soixante-huitard inconnu” avec Cohn-Bendit et Geismar rallumant la flamme sacrée à la Sorbonne au son du pavé!

Certains groupes révolutionnaires ont révisé leur point de vue, c’est ainsi que le Courant Communiste International après avoir défendu une vision juste sur Mai 68 en arrive aujourd’hui à théoriser de longs développements sur le mouvement étudiant dans deux articles de Révolution Internationale (numéros 388 et 389). Il nous dit:

Fondamentalement, le mouvement des étudiants des années 1960 était de nature petite-bourgeoise, un des aspects les plus clairs en étant, outre son caractère anarchisant, la volonté de “changer la vie tout de suite”.

La belle découverte, comme si les révoltes étudiantes n’étaient pas toujours de nature petite-bourgeoise!

Mais laissons tous ces gens enterrer le mouvement ouvrier, c’est ce qu’ils ont toujours fait et nous n’en attendons pas autre chose. La bourgeoisie n’a jamais fait l’histoire de la Commune de Paris, c’est Marx qui en est le meilleur historien. La bourgeoisie traîne dans la boue la révolution d’Octobre, c’est la Gauche communiste qui en parle le mieux et qui en tire les leçons fondamentales pour la classe ouvrière.

Encore un effort avant de tirer les véritables leçons révolutionnaires de Mai 68!

Auparavant citons toutefois quelques réflexions intelligentes et plus justes d’universitaires.

Autrement plus intéressant est le livre de Kristin Ross, une spécialiste de la culture française dans une des universités de New York auteur de Mai 68 et ses vies ultérieures (éd. Complexe, 2005), qui suggère de voir ces tumultueuses semaines comme le pic d'une décennie d'insubordination sociale de dix ans, allant de la fin de la guerre d'Algérie au début des années 1970, et non un simple coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle met les explosions de 1968 en relation avec la durée et préfère parler d' “années 1960”.

A travers un certain nombre d’individus dont la bourgeoisie dans ses explications parle peu, on peut citer également Nicolas Weill (2). Le Monde du 25.02.08 en rend compte ainsi en parlant d’un colloque universitaire sur le sujet:

A l'intérêt pour l'icône de l'étudiant gauchiste lanceur de pavé parisien à la révolte individuelle et romantique, se coulant plus ou moins dans le moule des personnages de L'Éducation sentimentale de Flaubert, se substitue désormais une approche plus collective du phénomène. Car ce ne sont pas les mouvements étudiants qui représentent une nouveauté dans les années 1960, souligne l'historien Jean-Philippe Legois, mais le débrayage de millions de personnes à une échelle jamais atteinte. Certes, cette grève, pour massive qu'elle fut, resta minoritaire, précise Xavier Vigna de l'université de Bourgogne. Mais un ouvrier français sur deux y a quand même pris part.

Ce qu’a été la grève sauvage généralisée de Mai-juin 1968

En ce qui nous concerne 68 en France n’est que l’expression la plus exacerbée de toute une période, celle de la fin des années 60. La grève générale possède trois caractéristiques fondamentales et très nettes:

  1. Ce n’est pas un événement purement français mais international.
  2. C’est plus important qu’un quelconque mouvement étudiant ; c’est un mouvement social et prolétarien en France comme en Italie pendant le “mai rampant” en 1969, en Argentine à Cordoba puis en Pologne Tchécoslovaquie et ailleurs dans le monde.
  3. Cette lutte possède une expression très notable: d’une part c’est la fin de la période de domination sans partage du stalinisme dans le mouvement ouvrier notamment, dans les pays du sud de l’Europe et une remise en cause profonde de sa domination dans les pays de l’Est de l’Europe ; et d’autre part un début de perte d’influence des syndicats. Et surtout, l’on voit ressurgir des groupes révolutionnaires et la réapparition des idées de la Gauche communiste qui avaient complètement disparues pendant 50 ans.

Mai 68 est une lutte internationale

Depuis le début des années 60 des grèves sauvages ont éclaté dans tous les pays du monde, c'est-à-dire des grèves en dehors du cadre syndical classique. Et en cela les ouvriers renouent avec les luttes qu’ils avaient menées en Russie en 1905, avant la révolution d’Octobre et en Allemagne en 1918 puis 1919. C’est en Angleterre que ce genre de grèves se développe le plus largement au cours de la décennie des années 60 mais aussi aux USA. Ce type de grève a également lieu en Suède à Kiruna dans les mines du grand nord, puis une vague de grèves sauvages se répand pendant l’hiver 1969-1970, en Allemagne dans l’imprimerie, chez les métallos puis dans les usines d’armement Herstal pendant 3 mois. A la Fiat en Italie et dans les Asturies en Espagne on constate aussi ce même type de mouvement.

La France connaît aussi de nombreuses grèves en 1967. Chez Dassault à Bordeaux, après un mois de grève perlée, les ouvriers obtiennent satisfaction. Au Mans, 8000 ouvriers se battent contre la police en automne 1967. A Rhodiaceta, les ouvriers repartent une deuxième fois en grève après 8 mois d’occupation de l’usine de Besançon puis affrontent la police en dépit des consignes syndicales. L’usine occupée (février-mars 1967) s’ouvre vers l’extérieur et devient un forum permanent pendant quelques jours. Enfin, la grève s’étend aux autres usines du groupe, notamment celles de Lyon.

Mais l’événement le plus significatif se passe à Caen en janvier 1968 avec a un phénomène d’extension de la grève aux usines Jaeger puis Somorel. Les ouvriers jugent les grévettes d’une heure insuffisantes, ils parcourent l’usine Jaeger pour la mettre en grève formant ensuite un piquet imposant devant l’usine SAVIEM. Le 26 juillet un meeting de solidarité a lieu avec les partis de “gauche” et les syndicats. Le meeting est débordé et transformé en affrontement avec les gardes mobiles.

Il y eut des grèves à Fougères, Quimper (2 usines en grève) et à Redon où les ouvriers de 5 grandes usines s’affrontent également avec les CRS, et enfin des luttes à Saint-Nazaire Sud-Aviation.

Nous n’étions pas d’accord à l’époque et nous ne le sommes toujours pas avec l’Internationale Situationniste mais eux au moins, contrairement à d’autres révolutionnaires, avaient saisi les caractéristiques nouvelles des luttes ouvrières et compris que ces luttes n’avaient rien à voir avec un contexte purement français. Nous ne résistons pas au plaisir de les citer:

Comme le parti dit communiste, ICO [Informations et Correspondance Ouvrière, groupe conseillisant qui a disparu depuis lors] voit essentiellement dans le mouvement des occupations une accumulation de grèves locales. La différence ne réside qu’en ceci qu’ICO sait et dit que ce sont des grèves sauvages. Ainsi, “Mai-68 n’a été de ce point de vue (l’évolution vers une autonomie des luttes) que l’expression brutale d’une situation latente se développant depuis des années, en rapport étroit avec la modernisation rapide du capitalisme français.” Il faut avoir l’énorme culot de ces gens pour, sans rire, tenter de minimiser à ce point le mouvement des occupations, tout en reconnaissant sur un ton soudain lyrique que “la grande masse des travailleurs est entrée en lutte poussée par la volonté de changer quelque chose dans le système d’exploitation”. Ils pourraient savoir que “la réalisation d’un monde nouveau dans lequel leur intervention sera totale, c’est-à-dire où ils géreront totalement leur activité dans leur travail, et partant, dans leur vie” passera par l’explication du mystère qui fait présenter à ICO ces réalités comme séparées.

Qui ces partisans désabusés de la grève sauvage essaient-ils d’abuser quand ils expliquent lourdement, analysant les luttes de classes en France en mars 1969 (“Organisations et mouvement ouvrier” [ICO nos 79 mars 1969, et 80 avril 1969]), que puisque les grèves sauvages avant mai visaient des revendications catégorielles, puisque dans celles d’après mai “...les travailleurs d’un secteur limité de l’entreprise ne veulent pas ou plus de ce qu’on leur impose touchant uniquement leurs conditions particulières de travail (salaires ou autres), on retrouve là le caractère des grèves sauvages de Hollande, d’Angleterre, des USA [...] Certains voudront voir dans ces quelques grèves le début d’une généralisation des luttes ou d’une transformation des luttes ou d’une transformation radicale du mouvement ouvrier. Si mai a été à la fois un révélateur et a ainsi précipité une évolution, il n’a pas modifié radicalement le contexte des luttes”? Incapables de voir qu’un syndicat ne soutient une grève sauvage que pour mieux la circonvenir, mais qu’il lui est de loin préférable de la perdre dans les méandres d’une grève légale.

Retour sur les relations d’ICO et de l’IS

Ainsi se confirme que Mai 68 n’a rien à voir avec une lutte éclatant dans un ciel serein mais est le révélateur de ce qui était en train de sourdre dans la société et dans les luttes de la classe ouvrière.

Et d’ailleurs, à la suite des luttes en France, il y aura “l’automne chaud” ou ce que l’on a appelé le “mai rampant” italien suivi par les premières luttes en Pologne en 1970. Cette vague de luttes touche ensuite tous les pays industrialisés et sous-développées jusque dans les années 1974-75.

La première grève générale sauvage de l'Histoire, une lutte de plus de 10 millions de travailleurs

Contrairement à ce qui est répandue par tous les médias et les laquais de la bourgeoisie, Mai 68 pourrait être quelque part une expression du mal vivre de la petite bourgeoisie étudiante, mais pour nous, il est surtout le produit d’une lutte ouvrière d’ampleur. En fait, la grève est le signe des premiers effets de la crise économique à la fin des années de reconstruction suite à la deuxième guerre mondiale. Ces effets commençaient à se faire sentir sur la petite bourgeoisie, notamment la petite bourgeoisie intellectuelle.

Ces couches de la population ne pouvaient pas faire mieux que ce qu’elles ont fait et qui a abouti à la fermeture de la Sorbonne et à de nombreuses arrestations d’étudiants. A la suite de ces arrestations la situation bascule le 10-11 mai avec la nuit des barricades et avec le mot d’ordre “libérez nos camarades!”. Dès lors, il ne s’agit plus d’une simple révolte universitaire. Les arrestations d’étudiants ont permis au mouvement de se focaliser et de se fédérer sur un mot d’ordre politique qui dépasse maintenant le cadre étudiant. De révolte purement étudiante elle prend une tournure plus politique et entraîne la grande manifestation du 13 mai. Les syndicats voulaient en faire une grande manifestation étouffoir pour encadrer le mouvement et le canaliser. Mais, on apprend le 14 mai que l’usine Sud-Aviation est occupée et que les travailleurs ont soudé les portes de l’usine.

C’est le grand tournant de Mai avec l’intervention de la lutte ouvrière sur la scène politique. Dés lors, on assiste à l’extension des grèves. La grève se généralise sans que les syndicats aient pu déposer un préavis de grève. A Sud-Aviation (Nantes), le 14 mai, les travailleurs occupent l’usine et enferment le directeur et ses sbires dans leurs bureaux. Le lendemain la grève éclate à Renault Cléon. Le 16 mai, c’était le tour de Renault Billancourt, à l’époque symbole de la classe ouvrière française. Ce sont surtout les jeunes travailleurs qui lancent le mouvement, contre la pression des dirigeants syndicaux. Puis, la classe ouvrière toute entière se met en grève. Parmi les 15 millions de travailleurs d’alors en France, près des deux tiers firent grève. Ce furent les usines Michelin, Peugeot, Citroën, les ports et les mines qui déclarèrent ensuite la grève totale vite suivies par l’ORTF (radio et TV de l’époque), l’Opéra, l’Odéon et même les laboratoires du Commissariat à l’Énergie Atomique de Saclay, etc....

Sans que le mot d’ordre de grève générale ne soit prononcé la lutte s’étend de façon non officielle et des comités de grève intersyndicaux sont formés un peu partout essayant de prendre en main la direction de la grève. Les syndicats ne purent s’y opposer ni découper en tranches, comme d’ordinaire, le mouvement gréviste qui s’étend en trois jours sur toute la France. Jamais les syndicats n’appelèrent à cette grève générale, même si après-coup ils se gargarisèrent de ce que “la grève générale avait ébranlé le pouvoir gaulliste”. Et, c’est cela qui est le phénomène le plus fondamental de Mai 68 et qui change la nature du mouvement. Le changement provient bien du fait que la classe ouvrière est rentrée en lutte et cet événement fait trembler quelques heures le pouvoir bourgeois de l’époque. Ce fut très bref bien sûr car les staliniens du PCF et les syndicats: CGT et CFDT volèrent rapidement à son secours. Si cet événement n’avait pas eu lieu, l’on ne parlerait plus de Mai ou à la rigueur on le considérerait comme un vulgaire mouvement étudiant du niveau de ceux que nous avons connu depuis lors. Toute la contestation de la société qui a eu lieu ensuite n’a pu fleurir et faire son spectacle que sur le dos de la grève des travailleurs. Tous nos bateleurs d’estrades aujourd’hui peuvent gloser comme des sangsues sur Mai 68 grâce ou en dépit de la classe ouvrière.

Rapidement, les staliniens du PCF et le syndicat CGT sont au chevet de l’État en soutenant l’idée d’un Grenelle (3) social (25 mai) avancé par Pompidou, le premier ministre de l’époque. Puis, à partir du 27 mai, les dirigeants syndicaux s’échinent à vendre l’accord signé avec le gouvernement.

C’est ici qu’intervient le deuxième grand événement pour la classe ouvrière et qui doit être une leçon dont elle doit se souvenir. La CGT croit pouvoir présenter aux travailleurs les mesures de Grenelle comme une grande avancée. Elle se présente à Billancourt son fief, “la forteresse ouvrière”. Or, à Renault Billancourt, Séguy, secrétaire général de la CGT, est hué par les travailleurs qui rejettent la pauvre augmentation de 7% et le retrait de certaines attaques contre la Sécurité Sociale ou l’âge de la retraite.

Il faut se rappeler que Renault Billancourt est la forteresse de la CGT et qu’elle y fait régner son ordre ; il s’agit donc du dernier endroit où elle aurait pensé pouvoir être huée par des travailleurs au regard de l’encadrement syndical énorme qu’elle y possède. Et malgré tout cela c’est l’accueil qui lui est réservé par les travailleurs.

Cet événement a une énorme signification pour la classe ouvrière.

Partout ce fut la même histoire: la reprise ne se fait pas. Craignant des débordements, le 29 mai, le PCF et la CGT appellent une nouvelle fois à manifester. 600.000 personnes descendent dans la rue, scandant “gouvernement populaire”. La CGT met le paquet pour éteindre le mouvement et le lendemain c’est la fin du mouvement même s’il y eut encore quelques rebondissements. Jusqu’au 4 juin la grève dure à Renault Billancourt, le 3 juin une nouvelle occupation des gares a lieu du fait des cheminots à Strasbourg et à Mulhouse.

Qu’est ce qui a changé?

Il faut noter 3 faits qui montrent que nous sommes face à de nouvelles caractéristiques historiques marquées par le début de la contestation à l’encontre des syndicats, la remise en cause de la domination stalinienne et le resurgissement des idées révolutionnaires de la Gauche communiste.

La question syndicale

Les ouvriers commencent à remettre en cause le leadership des syndicats et à lutter en dehors du cadre imparti par les organisations syndicales. La grève sauvage n’est plus un mythe et des tentatives d’organisations autonomes avec des comités de grève élus et avec des assemblées générales quotidiennes resurgissent.

Tout cela était bien sur très embryonnaire mais détonnait avec la période antérieure. Ce fut le cas aux Assurances générales de France où il y eut un comité de grève et où des non syndiqués participèrent aux pourparlers avec la direction. Une tentative similaire eut lieu au Commissariat à l’énergie atomique de Saclay. On peut citer également le comité de grève de Rhône Poulenc à Vitry, etc... (cité par ICO dans sa brochure “La grève généralisé en France”, supplément au n° 72 de juin-juillet 1968).

Le contrôle des staliniens sur la classe ouvrière depuis les années 30 commence à battre de l’aile

Le contrôle des staliniens battu en brèche en France l’était également dans d’autres pays. En même le stalinisme est remis en cause dans les pays de l’Est comme en Tchécoslovaquie. C’est deux événements ont une importance capitale pour l’effondrement de l’idéologie stalinienne. Cette remise en cause se poursuivra ensuite en Pologne.

Cet état de fait est normal. Autre temps, autres mœurs! Tant que les ouvriers suivent les partis réformistes parce qu’il y a “du grain à moudre” et surtout une progression régulière du niveau de vie dans la société capitaliste suite à la période de reconstruction d’après guerre, tout va bien pour les réformistes staliniens. Mais quand la politique réformiste n’est plus payante et que les ouvriers finissent par lutter de façon autonome, leur temps est passé. Or le PCF comme les autres fractions de la bourgeoisie croient qu’il est encore possible d’encadrer gentiment les travailleurs. Ils n’y arrivent plus de la même manière et surtout plus à la façon des staliniens. C’est tout le sens de la réponse et des efforts de la bourgeoisie dans la période d’après Mai. Elle a tenté de canaliser le mouvement sur le terrain électoral ainsi la “gauche” développe rapidement la mystification derrière le “Programme commun” de la gauche unie de tous ses partis PCF, parti socialiste et radical. En même temps la bourgeoisie revalorise les syndicats par des mesures lui permettant de s’organiser plus facilement au sein des entreprises.

"Nous faisons l’impossible pour ne pas être débordés par les comités d’action, révolutionnaires, maoïstes, trotskistes, anarchistes" (Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF de l’époque (Raymond Tournoux, Le mois de mai du Général, Pocket, 1970

L’attitude du PCF de dénigrement des étudiants puis des jeunes travailleurs révoltés appelés “provocateurs” durant tout le moi de mai va continuer à l’affaiblir et à le discréditer. Il apparaît clairement sous son vrai jour, en tant que défenseur des intérêts du capitalisme et de l’État bourgeois.

Dès lors les révolutionnaires qui avant Mai 68 se faisaient casser la figure quand ils distribuaient des tracts à la porte des usines, pourront le faire de plus en plus facilement et ouvertement. C’est également un événement majeur qui est une des conséquences de la grève générale.

Et quand, à la fin du mouvement de lutte, la bourgeoisie se rend compte qu’elle peut frapper sans danger, il y a le plomb et la mitraille pour les travailleurs: à Flins, à Sochaux et à Montbéliard. A Sochaux la police ne tire pas avec des grenades lacrymogènes mais au fusil mitrailleur, 24 ouvriers sont blessés et Pierre Beyot (24 ans) est tué. A Montbéliard, Henri Blanchet, un autre ouvrier est lui aussi tué. Gilles Tautin est tué dans des affrontements entre la police et des jeunes ouvriers soutenus par des groupes maoïstes. Il faut préciser que ces affrontements n’ont pas eu la même origine spontanée comme les précédents ce qui n’excuse pas la répression de la bourgeoisie.

Ce ne sont pas sur des étudiants que la bourgeoisie a tiré mais sur des ouvriers.

Le développement des idées de la Gauche communistes

C’est en Mai 68 que resurgit l’idée de la révolution internationale disparue depuis les années 20. En Mai est posée la nécessité d’une révolution violente pour transformer la société. Il s’agissait de la redécouverte de la tradition révolutionnaire du prolétariat. La mémoire ouvrière est ressortie, des centaines et des centaines d’ouvriers et de jeunes se sont plongés dans l’histoire des luttes révolutionnaires de la classe ouvrière et ont redécouvert l’existence de la Gauche communiste qui avait été complètement occultée au plus noir de la contre-révolution. De nombreux ouvrages révolutionnaires refont surface et des auteurs pratiquement inconnus comme Rosa Luxembourg, Bordiga, Pannekoek, Gorter, etc. sont diffusés rappelant les expériences de luttes révolutionnaires de la classe ouvrière en Allemagne en 1918-1919 et pendant la révolution d’Octobre en 1917-1918. De nouveaux groupes révolutionnaires font surface comme Révolution Internationale et d’autres, après une traversée du désert se développent comme Battaglia Comunista (PC internationaliste) ou le Parti communiste international (PCI).

Soixante huit a reposé la question de la révolution à long terme et la réaffirmation du prolétariat sur la scène de l’histoire après 50 ans de disparition. C’est tout, mais c’est beaucoup.


L’issue de la grève généralisée était prévisible. Cela aurait été vraiment miraculeux qu’après plus de quarante ans de “Fronts populaires”, de “Résistance”, de “reconstruction nationale” et de staliniens dominants dans le mouvement ouvrier, c'est-à-dire de contre-révolution, le prolétariat, oubliant son passé réformiste et nationaliste retrouve, du jour au lendemain, le glorieux passé de ses ancêtres, les communards, les spartakistes et les bolcheviques. Quarante ans d’embrigadements ne s’effacent pas d’un coup de baguette magique. A moins de considérer comme les anarchistes que tout est toujours possible et à tout moment, il est clair que l’on ne pouvait pas attendre de révolution en 68.

Même une explosion d’une signification révolutionnaire aussi formidable que la Commune de Paris ne signifiait pas l’ouverture d’une ère révolutionnaire dans l’histoire.

Marc Chirik, Révolution Internationale n. 2, 1969

Vu sous cet angle la révolte de Mai apparaît avec toutes ses limites qui sont le manque de maturité de la classe ouvrière et la possibilité qu’a alors la bourgeoisie de satisfaire ses revendications. Ainsi la grève générale est uniquement la première et une des plus importantes réactions de masse contre les conditions de vie qui lui sont faites et qui commencent à se détériorer après les “Trente glorieuses” de développement économique important depuis 1945 (concept créé par Jean Fourastié in Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979, 300 p). La révolution ne peut être que l’œuvre consciente de l’immense majorité des travailleurs et cette conscience n’apparaît pas brusquement par un effet du Saint-Esprit. La conscience ne peut être que le produit d’une longue série de luttes de plus en plus radicales en concordance avec le resurgissement des organisations de classe qui catalyseront ses expériences passées notamment les leçons de Mai 68. Ces organisations et un véritable parti révolutionnaire n’existaient pas alors à cette époque. Il faudra de nombreuses expériences de luttes pour faire germer la conscience de la classe ouvrière et la cristalliser dans un parti prolétarien pour que ces luttes se centralisent et portent leurs coups de façon la plus efficace possible contre l’ordre capitaliste jusqu’à la victoire.

Boris

Bref rappel historique

  • 26 janvier -Violents incidents à Caen entre les grévistes de la SAVIEM et les forces de l'ordre. Bagarre à Nanterre.
  • 7 février - Heurts violents à l'occasion d'une contre-manifestation organisée par les Comités Vietnam.
  • 22 mars - Incidents à Nanterre. Occupation de la tour administrative. Création par les anarchistes du Mouvement du 22 mars.
  • 28 mars - Suspension des cours à Nanterre jusqu'au 1er avril.
  • 25 avril - Le député communiste Pierre Juquin est expulsé du campus de Nanterre par les maoïstes.
  • 1er mai - Défilé CGT, PC, PSU (République - Bastille). Naissance de “La cause du peuple”.
  • 3 mai - Meeting dans la cour de la Sorbonne. Éditorial de Georges Marchais dans l'Humanité qui y fustige “l'anarchiste allemand Cohn-Bendit” et raille les “révolutionnaires [...] fils de grands bourgeois [...] qui rapidement mettront en veilleuse leur flamme révolutionnaire pour aller diriger l'entreprise de papa et y exploiter les travailleurs”. Évacuation par la police requise par le Recteur Roche. Plusieurs centaines d'étudiants sont arrêtés, dont Jacques Sauvageot, le dirigeant du principal syndicat étudiant. Cette intervention des forces de l'ordre à la Sorbonne est très mal vécue par les étudiants. Manifestation violentes au Quartier latin contre les forces de l'ordre: jets de pavés, puis barricades. Incidents, près de six cents interpellations. Ces manifestations reprennent ensuite à l'annonce de peines de prison pour les manifestants, pendant lesquelles commencent à fleurir les slogans libertaires.
  • 4 mai - Condamnation de personnes appréhendées la veille. Appel à la grève illimitée de L'UNEF et du SNEsup. Suspension des cours à la Sorbonne.
  • 5 mai - Condamnation de quatre manifestants du 3 mai à la prison ferme.
  • 6 mai - Comparution de Daniel Cohn-Bendit et d'étudiants nanterrois devant la commission disciplinaire. Manifestations, puis premières barricades et violents affrontements avec la police, plus de quatre cents arrestations.
  • 7 mai - Manifestation de Denfert-Rochereau à l'Etoile.
  • 8 mai - Discours d'Alain Peyrefitte à l'Assemblée nationale.
  • 9 mai - Les leaders étudiants annoncent leur intention d'occuper la Sorbonne dès le départ des forces de l'ordre. En réponse, Alain Peyreffite déclare que la Sorbonne restera fermée jusqu'au retour au calme.
  • 10 mai - Nuit d'émeutes au Quartier latin où soixante barricades se dressent. Intervention de la police à partir de deux heures du matin.
  • 11 mai - La CGT, la CFDT et la FEN appellent à la grève générale pour le 13 mai. Retour de Georges Pompidou d'Afghanistan qui annonce la réouverture de la Sorbonne pour le 13 mai.
  • 13 mai - La Cour d'appel met en liberté provisoire les condamnés du 5 mai. La Sorbonne est ré-ouverte et aussitôt occupée. Une immense manifestation traverse Paris de la gare de l'Est à Denfert-Rochereau. Le syndicat CFDT parle d'un million de manifestants. Les étudiants continuent jusqu'au Champs de Mars.
  • 14 mai - Départ du Général de Gaulle pour la Roumanie. Dépôt d'une motion de censure à l'Assemblée nationale par le PCF et la FGDS.
  • 15 mai - Occupation de l'Odéon et de l'usine Renault à Cléon. Dans tout le pays, les portes s'ouvrent à n'importe quel citoyen, la parole se libère et devient pour quelques semaines la raison d'être des Français. Enthousiasmé ou catastrophé, dubitatif ou méditatif, chacun selon sa sensibilité participe ou observe. Des dialogues intenses se nouent dans les rues, entre inconnus, et à travers les générations.
  • 16 mai - Le mouvement de grève s'étend dans les entreprises. Des grèves et occupations d'usine spontanées ont lieu jusqu'à mi-mai. La première a lieu à l'usine Sud-Aviation Bouguenais (Nantes) le 14 mai avec 2682 salariés. Le 22 mai, 10 millions de salariés sont en grève.
  • 17 mai - Rencontre Mitterrand - Waldeck-Rochet. Grève à l'ORTF.
  • 18 mai - Retour du Général de Gaulle. Grève générale, la paralysie économique gagne l'ensemble du pays.
  • 22 mai - La motion de censure déposée par la gauche est rejetée, elle ne recueille que 233 voix. Daniel Cohn-Bendit est interdit de séjour. Création du Comité national de défense de la République (CDR). Les syndicats se déclarent prêts à négocier avec le gouvernement.
  • 24 mai - Nouvelle nuit des barricades. Le Général de Gaulle annonce un référendum sur la participation (entreprises, universités) pour le mois de juin. La Bourse est incendiée. Un commissaire de police est tué à Lyon par un camion lancé par les manifestants.
  • 25 mai - Début des négociations rue de Grenelle.
  • 27 mai - Accord sur le protocole de Grenelle entre les syndicats, le patronat et le gouvernement (augmentation du SMIG et des salaires, réduction des horaires, abaissement de l'âge de la retraite).
  • 29 mai - Le conseil des ministres est ajourné. Le Général de Gaulle quitte l'Élysée à 11 h 15 et n'arrive à Colombey-les-deux-Eglises, via Baden-Baden où il a rencontré le Général Massu, qu'à 18h30.
  • 30 mai - à 16h30 le Général de Gaulle annonce la dissolution de l'Assemblée nationale. Une manifestation de soutien au chef de l'État réunit un million de personnes.

(1) La Société bloquée, Le seuil, 1971. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil!

(2) Les années 1968 sans folklore ni pavés.

(3) Grenelle est le siège du Ministère du travail. Il faut frapper les esprits pour arrêter la grève. En 1936, il y eut les accords de Matignon où se trouve le Premier Ministre. On ne veut pas donner à cet accord l’importance de celui de 1936 mais il faut faire quelque chose d’important ; donc les discussions et les négociations avec les syndicats se font à Grenelle.