La voie difficile de la reprise de la lutte de la classe ouvrière

Édito

2011 a connu un dramatique bond en avant dans la crise globale du capitalisme. Non seulement nous avons été les témoins des manifestations du “printemps arabe” mais nous avons aussi assisté à l'occupation des centres villes un peu partout dans le monde. D'abord, ce furent les “indignados” en Espagne qui trouvèrent, ailleurs, des imitateurs.

Actuellement est en train de se développer le mouvement “Occupy the world”, qui s'est manifesté le 15 octobre dans 90 pays. En même temps, des petits signes nous montrent que les travailleurs des pays avancés du capitalisme commencent à comprendre qu'il leur faut reprendre leur lutte en mains plutôt que de la laisser dans celles de syndicats.

En même temps, la crise de la dette dans la zone euro et dans le monde montre clairement que la crise capitaliste globale est loin d'être finie. Si on se réfère à la crise de 1929, l'on sait que la crise a duré jusqu'à la deuxième guerre mondiale et s'est solutionnée par la guerre. La crise générale de 1929 a donc durait 10 ans (cf, l'article de Living marxism, numéro 2 de mars 1938: Salut à la crise! Écrit en 1938).

Et avec des banques qui essayent de masquer le fardeau astronomiquement élevé de la dette et qu'elles ne connaissent même pas du fait de la technique des CDS (1) (Credit Default Swap) qui consiste à les revendre aux banques qui les revendent à nouveau sans fin, il est évident que la dette ne peut que se développer. Selon nous, sans une dévaluation massive de capital, elle est sans issue. En cela, nous n'entendons pas seulement quelques “coupes” ou suppression des dettes courantes, nous voulons parler d'une destruction physique massive de valeur. C'est ce que le capitalisme a fait dans les deux premières guerres mondiales. La seule raison pour laquelle cette option n'a pas encore été prise est que le système international de la concurrence impérialiste n'a pas encore défini les lignes autour desquelles la guerre pourrait éclater. Au sein de chaque classe dominante, la lutte continue pour identifier la meilleure voie pour chaque État. En attendant, la priorité numéro un est de faire payer la classe ouvrière pour la crise que les capitalistes nous infligent. Sur ce plan, le combat contre la politique d'austérité devrait être la matière essentielle pour la reprise et l'unité du combat de la classe ouvrière. Si seulement la vie (et la voie tortueuse de la lutte de classe) était aussi simple.

Le fait est qu'il y a beaucoup d'obstacles sur la route d'une réaction de classe entravée par la menace du chômage et ses effets démoralisateurs sur les travailleurs. D'autres entraves cependant sont plus immédiates et plus pressantes.

Quelle lutte contre le capitalisme ? Le premier obstacle surgit du mouvement “Occupy” ainsi que des autres mouvements de ce genre. La question qui est posée ici est celle de “l'anti-capitalisme”. Certains de ceux qui campent sur les places des villes se basent sur l'idéologie “non-globale” de Naomi Klein (2) , d'ATTAC et Cie. Ce n'est pas du tout anti-capitaliste mais seulement anti-“big business” et anti-monopole. On retrouve cela dans des revendications imbéciles comme l'appel à “démocratiser les institutions financières”. On ne peut réellement être anticapitaliste qu'en ayant conscience de la nature profonde du mode de production capitaliste. Ce qui est essentiel de prendre en considération ici est le rapport d'exploitation travail-capital et c'est justement ce que toute lutte anticapitaliste doit d'abord briser. La tare du mouvement “Occupy” est que c'est un mouvement inter-classiste et qui, de ce fait, ne touche pas réellement les masses prolétariennes et n'est pas lié aux grèves qui, en portant des coups aux intérêts des exploiteurs, sont ce que redoute le plus le capitalisme.

La gauche du capital

Le second obstacle est la pléthore d'organisations qui se veulent être la voix de la classe ouvrière et qui possèdent, en leur sein, de nombreux ouvriers. Il s'agit des trotskistes et des staliniens qui se disent “pour le socialisme” mais qui, de longue date, ont rompu avec la vision marxiste du socialisme en tant que mouvement d'émancipation de la classe ouvrière. Les trotskistes de Grande-Bretagne, par exemple, sont toujours pendus aux basques du Parti Travailliste. On peut voir cela dans “le mouvement contre les attaques sur les salaires” [“anti-cuts movement”, ndt].

Au lieu de dire clairement que la crise et les attaques qui en découlent sont la preuve que le système capitaliste est à détruire, ils “estiment” que les travailleurs ne peuvent pas comprendre ce message. Voilà pourquoi ils appellent à lutter contre les Tories [le parti conservateur, au pouvoir, ndt]. Ils n'ont pas la stupidité d'appeler ouvertement à soutenir le Parti Travailliste (ce qui, pour eux, serait dangereux vu l'histoire récente de ce parti), mais leur position consistant à vouloir mettre les Tories à la porte implique forcément de mettre les Travaillistes au pouvoir.

Pire que le “réformisme” des trotskistes est la survivance du stalinisme. Alors que la plupart des anciens Partis communistes ont adopté la voie du soutien à la démocratie capitaliste, certains d'entre eux continuent à rêver d'un retour à une sorte de régime stalinien. C'est le Parti Communiste Grec qui vient d'en être une illustration parfaite. Le 20 octobre, à Athènes, il a orchestré de violentes bagarres avec les autres manifestants dans le but évident d'essayer de se poser comme la réelle opposition sérieuse au gouvernement du PASOK (parti socialiste comme le Parti Travailliste). Cet épisode, sur lequel nous revenons dans cette revue, démontre comment des forces, qui se disent être dans notre camp, ont en fait des objectifs pro-capitalistes.

Un objectif révolutionnaire

Sans attendre, les authentiques révolutionnaires ont une vraie bataille à mener pour que le prolétariat rejette non seulement les illusions des “anti-capitalistes” mais aussi les manipulations de la gauche traditionnelle. Nous avons besoin de créer un mouvement qui unifie tous ceux qui peuvent comprendre les problèmes dont nous parlons ici.

Ce mouvement (ou parti) doit être guidé par une vision claire de la société que nous voulons. Nous l'appellerons “le programme communiste”. Il doit se baser sur les luttes autonomes de la classe ouvrière qui se libère, de manière croissante, des chaînes qu'un siècle de réaction nous a imposées. Son but doit être l'abolition de l'exploitation du travail salarié, de celle de l'argent tout comme celle de l'État, des armées permanentes et des frontières nationales.

Nous devons réaffirmer la vision développée par Marx, selon laquelle nous nous battons pour une société de “libres producteurs associés”, société dans laquelle le principe est “de chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins”.

Aujourd'hui, il y a beaucoup de groupes et d'individus dans le monde qui, comme nous, défendent cela; mais, nous sommes soit trop dispersés soit trop divisés pour prendre l'initiative de former un tel mouvement unifié. Certains sont opposés, par principe, à la formation d'un tel mouvement, car ils pensent que le mouvement spontané se suffit à luimême.

Nous aimerions partager leur confiance. Nous pensons que les révolutionnaires responsables devraient réexaminer leurs divergences et se demander si, à la lumière de cette période de la lutte de classe qui s'ouvre aujourd'hui, les divisions qu'ils pensaient avoir jusque là persistent. Nous devrions nous baser sur nos nombreux accords et non pas sur le peu de désaccords qui existent entre nous. Nous devrions chercher à travailler ensemble dans les luttes, non pour simplement recruter tel ou tel individu pour notre propre organisation, mais pour chercher à élargir la conscience de ce que signifie réellement lutte de la classe ouvrière. Face aux obstacles que nous avons soulignés plus haut, il serait suicidaire de ne pas le faire.

D'après Revolutionary Perspectives, 59 automne 2011 - mis à jour par nos soins

(1) Un CDS est un titre d’assurance qui protège contre la faillite d’une entreprise ou d’un Etat. En échange d’une prime (plus ou moins élevée selon le risque de défaut), un établissement s’engage à protéger votre investissement et la perte éventuelle. Ce recours a été largement utilisé par les banques engagées sur les obligations souveraines. De même, ces CDS sont émis par des banquesassurances qui, elles, encaissent les primes tranquillement tant qu’il n’y a pas de défaut. Les CDS peuvent aussi être utilisés pour spéculer sur le défaut d’un pays. En effet, ils peuvent tout à fait être souscrits sans avoir auparavant acheté de la dette. Les CDS sont des produits financiers totalement opaques, échangés de gré à gré et hors bilan des banques: comme les subprimes, Ce qui fait qu'on ne sait pas quelles en est le montant et tant qu'il n'y a pas une faillite d'un Etat souverain, tous les spéculateurs gagnent même si l'on ramène la date d'un Etat de 50%. Bien joué!!

(2) Journaliste canadienne, auteur, cinéaste et militante altermondialiste. Figure principale de Occupy Wall Street à New York.