À propos de quelques développements récents du syndicalisme au Canada

Éditorial

Le 28 avril dernier, les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) ont annoncé qu’ils venaient de signer une entente de principe pour un renouvellement de convention collective d’une durée de trois ans avec Ford, cinq mois avant l’échéance de la convention en cours. Cette entente prévoit notamment un gel des salaires de trois ans, un gel de la clause d’indexation au coût de la vie de quatre ans, la perte de 40 heures de vacances par année, la réduction des pensions de retraite, des coupes à l’assurance médicament et à d’autres programmes de santé et surtout, elle met sur pied les fondements d’un régime de disparité de traitement par lequel les nouveaux employés commenceront à travailler à 70% du salaire de base et n’atteindrons le salaire de base qu’après trois années de travail. De plus, certaines clauses ouvrent toute grande la porte à de nouvelles mises à pied, ce qui n’augure rien de bon dans ce secteur industriel où la réduction de la main d’œuvre est une tendance lourde qui se manifeste régulièrement dans les pages économiques des grands journaux. À preuve, le 12 mai, alors qu’elle menait à son tour des négociations de renouvellement de la convention collective avec les TCA, General Motors annonçait qu’au deuxième trimestre 2010, elle allait fermer son usine de fabrication de transmissions à Windsor, en Ontario, mettant ainsi à pied 1400 ouvriers dans cette ville déjà lourdement frappée par un taux de chômage de plus de 8%. Dans les deux dernières années seulement, cette ville autrefois prospère qu’on appelait la «Motor City» ou le Détroit canadien, avait déjà perdu plus de 2500 emplois, dont plus de 2000 dans ses usines Ford et Chrysler. Enfin, la convention «maîtresse» entendue avec Ford et qui est traditionnellement aussi adoptée dans ses grandes lignes par les deux autres composantes du «Big Three» (General Motors et Chrysler), contient des clauses qui transfèrent progressivement l’administration du fonds de retraites vers le syndicat, qui en deviendra peu à peu le seul propriétaire et gestionnaire, et ainsi le responsable éventuel des nouvelles coupures qui lui seront éventuellement administrées. Le président des TCA, Buzz Hargrove, dont l’ego démesuré nous fait quelques fois penser à un certain Louis Laberge (et qui était il y a dix ans à peine le héros de la gauche capitaliste canadienne), s’est félicité d’avoir limité les dégâts, notamment sur la clause de disparité, en se comparant à ses comparses américains des UAW (voir article en page 5). Mais Hargrove bénéficiait d’un net avantage sur ses «confrères» de la bureaucratie syndicale américaine puisque l’assurance-maladie est assumé par l’État au Canada, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis où les trois géants de l’automobile doivent en assumer une bonne part du coût, ce qui représente un pourcentage important de leurs coûts de main d’œuvre. Malgré ces reculs importants et une résistance sans précédent des travailleurs et des travailleuses de Ford Canada (il faut noter le rejet en assemblée générale de l’entente par 56 % des ouvriers de la grande usine d’Oakville, près de Toronto), le syndicat et la compagnie ont pu, par le chantage, le mensonge, la manœuvre et la menace, faire adopter l’entente.

Mais pourquoi donc écrire «le syndicat et la compagnie»? Nous allons tenter de nous expliquer davantage sur ce «et» malheureux à l’aide de deux exemples très récents de collaboration patronale-syndicale. Prenons d’abord le cas de l’aciérie ArcelorMittal Dofasco à Hamilton. Durant les années 30, pendant les années héroïques du syndicalisme canadien, les propriétaires (la famille Sherman) ont tout fait pour écraser un des premiers syndicats de la métallurgie qui s’étaient brièvement établi à Dofasco. C’était une période marquée par de grandes luttes ayant pour but la reconnaissance syndicale. On n’a qu’à penser par exemple à la grande grève des mineurs de Kirkland Lake de 1941-1942, qui a regroupé des milliers de mineurs de fond contre une alliance de propriétaires cupides. Les mineurs de Kirkland Lake ont finalement été défaits et la ville de Kirkland Lake ne s’est jamais vraiment remise du conflit, mais une majorité de la classe dominante a été ébranlée par cette grève comme par bien d’autres du genre et en est venu à la conclusion qu’il valait peut-être mieux reconnaître un rôle au syndicats dans les relations de travail. Et de fait, à peine quelques années plus tard, les syndicats allaient tout doucement faire leur entrée sans heurts majeurs dans les mines de Kirkland Lake comme ils allaient le faire dans des milliers d’autres mines, usines et autres lieux de travail à travers le pays. Mais les propriétaires de la Dofasco étaient de la vieille école. Ils ont combattu bec et ongles et avec succès toutes les tentatives d’établir un syndicat dans leur usine d’Hamilton tout au long du XXème siècle. Dofasco était le bastion anti-syndical dans la ville syndicaliste par excellence : Hamilton. Du moins, jusqu’à ce que le 20 mars de cette année, The Spectator, le journal local annonce l’inimaginable : la compagnie invitait ouvertement le syndicat des Métallurgistes Unis d’Amérique (Métallos) à rencontrer ses 4000 employés directement dans l’usine pour les inciter à former un syndicat! De plus, le vice-président de la compagnie, Andy Harshaw a fait circuler une lettre à tous les employés de l’usine les «encourageant fortement à considérer l’offre syndicale». L’entente entre la compagnie et le syndicat visait ouvertement à favoriser la syndicalisation de l’usine, comme c’est le cas aux États-Unis entre les United Steelworkers of America et ArcelorMittal pour leurs 16 000 employés américains. Le 27 mars cependant, Wayne Fraser, le «directeur» (sic) des Métallos pour la région Atlantique/Ontario a émis un communiqué annonçant l’échec de l’opération conjointe patronale-syndicale. Les ouvriers de ArcellorMittal Dofasco ont dans leur majorité refusée d’adhérer à cette étrange campagne de syndicalisation.

Mais il y a plus étonnant encore dans le paysage du syndicalisme canadien d’aujourd’hui. Nous faisons référence ici à l’entente conclue entre les TCA et le géant canadien de la fabrication de pièces automobiles Magma, propriété de la famille de Belinda Stronach. Par cette entente, nommée «Framework for Fairness» (Cadre d’équité), les Stronach ont invité les TCA à «organiser» les 18 000 travailleurs de leurs 45 usines. Cette entente a maintenant été ratifiée par une écrasante majorité du conseil des TCA. L’entente prévoit l’élection dans chaque usine d’un candidat unique issu d’un processus de nomination pour l’instant totalement incompréhensible, de candidature et de sélection, au poste de «employee advocate» (défenseur des employés). Ces «employee advocates» formeraient alors un conseil syndical pour l’ensemble des usines concernées et éliraient directement leurs officiers exécutifs sans aucun processus de candidatures et d’élections directes de la base. L’ensemble du projet vise à développer des relations «non-antagonistes» avec les patrons. L’entente interdirait le droit de grève et de lock-out et toutes les disputes sans ententes négociées seraient réglées par arbitrage extérieur, c’est-à-dire par l’État. Vous conviendrez qu’on est loin des luttes épiques des décennies passées pour obliger les employeurs à reconnaître les syndicats. Quelque chose a changé dans le système d’exploitation, mais malheureusement la gauche capitaliste comme la masse des travailleurs et des travailleuses ne l’ont pas encore compris, du moins pas autant que la majorité des capitalistes et leur État. Nos exploiteurs ont sans doute lu avec intérêt le livre de Buzz Hargrove, Labour of Love, paru en 1998. Dans cet ouvrage, Hargrove révèle les petits secrets et décrit honnêtement la théorie et la pratique du syndicalisme dans cette époque du capitalisme d’État et des monopoles :

Les syndicats préviennent probablement plus de grèves qu’ils en précipitent. [...] Les bons syndicats travaillent à désamorcer (la) colère - et ils le font efficacement. Sans les syndicats, ce serait l’anarchie sur les lieux de travail.

Enfin, il concluait alors son laïus par un appel du coude à ses partenaires capitalistes et leurs scribes :

Si nos critiques comprenaient ce qui se passe vraiment derrière les coulisses syndicales, ils seraient reconnaissants que les dirigeants syndicaux soient aussi efficaces dans la prévention des grèves. À mon avis, le plus étonnant dans le processus de négociation collective au Canada est que nous ayons si peu de grèves

La vaste majorité de la classe dominante au Canada comme ailleurs a compris ce que Buzz Hargrove a écrit. D’organisations de défense des travailleurs et des travailleuses qu’ils étaient à l’origine, les syndicats sont appelés à devenir au stade impérialiste du système d’esclavage salarié

un instrument essentiel de conservation du capitalisme et par conséquent à assumer des fonctions précises d’organismes d’État.

Conférence syndicale du Partito comunista internazionalista d’Italie. 1947

En clair, le syndicalisme est devenu un rouage de notre exploitation.