Après les élections en Turquie

Les récentes manœuvres militaires turques dans le nord de l’Irak et les violences qui ont marquées les manifestations du 1er mai à Istanbul sont venues nous rappeler combien la Turquie joue encore un rôle important dans cette zone stratégique et comment la lutte des classes s’y manifeste occasionnellement de façon significative. C’est pourquoi nous avons jugé bon de traduire et de publier cet article d’*Enternasyonalist Komünist Sol (La Gauche communiste internationaliste) sur la conjoncture suite au dernier scrutin. Il est à noter que les camarades turcs avaient correctement prédit l’action militaire dans le Kurdistan irakien.*

Les résultats des plus récentes élections en Turquie ont donné 46% des voix à la formation gouvernante islamiste libérale, le Parti de la justice et du développement (AKP - Adalet ve Kalkinma Partisi), à peine un peu plus de 20% des voix à la principale formation d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP - Cumhuriyet Halk Partisi) d’orientation nationaliste laïque, 14% des voix au mouvement fasciste, le Parti d’action nationaliste (MHP - Milliyetçi Hareket Partisi) et un peu moins de 3% des voix aux nationalistes kurdes et aux «indépendants» de gauche (à cause de la loi électorale, aucun parti ayant reçu moins de 10% des suffrages ne peut entrer au parlement, à moins de s’être présenté en tant que candidat indépendant).

L’AKP a clairement remporté une victoire majeure lors de ce scrutin. L’AKP, un parti soutenu par la majorité de la bourgeoisie industrielle, commerciale et agricole a jusqu’à maintenant été traité avec prudence par les élites bureaucratiques de l’armée et de l’État en raison de son passé politique. Même s’il est politiquement semblable aux partis démocrates-chrétiens en Europe, l’AKP est parvenu à mener un programme «social» en raison de son influence dans les municipalités. Ayant remporté plusieurs villes telles Istanbul et Ankara, le parti s’est servi des ressources de ces municipalités pour distribuer de la nourriture, des vêtements et du charbon.

Les élites bureaucratiques de l’armée et de l’État ne s’en sont cependant pas réjouies. Avant les élections, ces élites militaires avaient confronté l’AKP et lui avaient refusé l’opportunité d’élire un président au parlement qu’il dominait, en lui faisant parvenir un ultimatum à cet effet. De plus, de très importantes manifestations laïques et nationalistes furent organisées en faveur des élites laïques, des manifestations dans lesquelles elles avaient de toute évidence joué un rôle. Grâce à l’appui politique des élites bureaucratiques, le CHP et le MHP espéraient former un gouvernement de coalition et avaient annoncé qu’ils entendaient attaquer le nord de l’Irak. Mais, tandis que le MHP a augmenté sa part du vote, le CHP n’a pu en faire autant.

En ce qui concerne les nationalistes kurdes, ils sont parvenus à obtenir plus de vingt sièges au parlement grâce à leur alliance avec les gauchistes, tandis que le dirigeant du prétendument socialiste Parti de la solidarité et de la liberté (ÖDP - Özgürlük ve Dayanisma Partisi) est parvenu à se faire élire aussi en tant qu’indépendant. Sa «priorité» est d’essayer de diminuer le salaire des députés. Les candidats nationalistes kurdes du Parti pour une société démocratique (DTP - Demokratik Toplum Partisi) ont tout de même perdu un nombre considérable de votes malgré leur entrée au parlement. Aux élections précédentes, l’alliance nationaliste kurde avait reçu 6% des votes, alors que leurs candidatures indépendantes n’en ont plus maintenant que la moitié, étant même reléguées comme deuxième parti dans les régions kurdes derrière l’AKP, qui a obtenu des votes non seulement à cause de ses politiques sociales mais aussi suite à son manque d’appui manifeste à une guerre contre les kurdes dans le nord de l’Irak.

Il y a une possibilité d’un nouveau coup d’État. L’armée n’est pas très satisfaite de l’AKP, les élites bureaucratiques ne sont pas très heureuses des manifestations d’indépendance de la bourgeoisie et, politiquement, il y a une limite au-delà de laquelle l’armée ne tolèrera plus l’AKP, et personne ne sait avec certitude quelle est cette limite. Néanmoins, l’armée est plus faible qu’auparavant et ne jouit plus de l’appui de la bourgeoisie industrielle sur qui elle comptait par le passé. Un coup d’État n’est donc pas une probabilité dans la conjoncture actuelle. Cependant, il y a la possibilité d’une nouvelle guerre et même si l’AKP n’y semble pas favorable pour le moment, il est presque assuré qu’il y aura des opérations militaires contre le PKK ( Partiya Karkerên Kurdistan - Parti des travailleurs kurdes) dans le nord de l’Irak; le groupe armé nationaliste kurde y maintient des camps et il est difficile de prédire jusqu’où mèneront les opérations. Il y a aussi la possibilité d’une montée des conflits internes, encore plus de terreur étatique ainsi que des attaques terroristes de la part du PKK, etc. Dans tous les cas, l’avenir qu’offre la bourgeoisie, comme partout ailleurs dans le monde, n’est pas brillant.

En tant que communistes, nous devons analyser la situation politique et la direction où la bourgeoisie mène la société. Mais nous ne devons jamais oublier non plus que peu importe quelles sont les factions bourgeoises qui se combattent, la question primordiale pour nous est : l’intérêt de la classe ouvrière, la lutte des classes née de cet intérêt et l’alternative permettant un avenir meilleur à la suite de cette lutte des classes. Ainsi, les énormes grèves potentielles contre THY (la ligne aérienne turque) et dans l’industrie textile et plus encore, les négociations salariales des travailleurs et des travailleuses du secteur public, qui constituent le facteur déterminant des conditions salariales de toute la classe, puisque le secteur public est le plus militant et donc le secteur clé, sont les questions essentielles pour le moment.

Enternasyonalist Komünist Sol