Gabriel Cristini

1927-2006

Le "Piqueteur solitaire", l’ouvrier immigré italien Gabriel Cristini est mort cette année à l’âge de 78 ans. Cet ancien mineur de fond avait travaillé quelques années dans les puits de charbon en Belgique et ensuite de 1956 à 1965 dans les gisements aurifères de Lamaque et Manitou-Barvue en Abitibi. En 1965, la Manitou-Barvue congédiait Cristini en invoquant une prétendue prédisposition à contracter la silicose; comme si l’individu et non pas l’environnement et des conditions de travail déplorables étaient principalement responsable de la maladie. Il s’en suivit un très long combat "selon les règles", un combat qui sera ultimement perdu. Même si très tôt dans le dossier, un pneumologue a déterminé que Cristini n’avait pas les incapacités médicales évoquées pour justifier son congédiement, il ne retrouvera jamais son emploi et ne recevra pendant longtemps que des miettes de la Commission des accidents de travail (la CAT - ancêtre de la CSST): en fait, un peu plus de 24 dollars par mois! (1)

Après 5 années d’attente, le 9 juillet 1970, convaincu qu’il ne recevrait jamais justice de la compagnie ni de la CAT, il entreprendra un long combat solitaire. Il part pour Québec où il se loue une petite chambre de misère. Puis, pour les 32 années suivantes, muni d’une pancarte double expliquant sa cause, il fera du piquetage tous les jours de 10h30 à 16h30, beau temps mauvais temps devant l’Assemblée nationale. Pensez-y! 32 ans... Ce combat solitaire, individuel, n’est pas celui que nous prônons. Mais nous nous inclinons devant tant de courage et de détermination et nous sommes très sensibles à toute l’injustice subie et le drame humain vécu par ce travailleur. Non seulement Cristini s’est-il fait enlever son travail et même un revenu de subsistance par la bourgeoisie et son État, mais il se fera calomnier et salir à pleine pages dans les journaux par toute une racaille de hauts-fonctionnaires et de politiciens, dont l’ignoble ancien Ministre du Travail et Président de la CAT, "l’honorable" Maurice Bellemarre. Le syndicat ne fut pas en reste non plus car il n’a rien fait pour que Cristini obtienne justice, même lorsqu’il en eu l’opportunité au milieu des années 80. Ainsi son biographe Roger Bédard, pourtant ancien permanent syndical, affirmera dans La Frontière du 8 février 2006:

Ce n’est pas une histoire farfelue, mais bien un scandale, un drame, un crime contre un être humain. M. Cristini a été victime d’une collusion impliquant même mon ancien employeur, les Métallos. (2)

Figure tragique et solitaire sur la colline parlementaire, nous voulons par ces quelques lignes et malgré nos différences de perspectives évidentes, faire en sorte que la pancarte de Cristini porte encore ombrage sur cette institution sénile qu’est l’Assemblée nationale. Honte à la CSST, honte aux bureaucrates et aux politiciens, mais plus et surtout, honte à ce système de profit éculé et sans cœur qui exploite et abuse des hommes et des femmes sans reproche.

RS

(1) Beaucoup plus tard, lorsque je lui ai parlé lors d’une de ses journées de piquetage, il recevait la somme "princière" d’un peu moins de sept dollars par jour.

(2) En parlant des Métallos, il fait référence ici au Syndicat des Métallos, qui représente environ 60000 membres au Québec. En 1991, M. Bédard a publié à compte d’auteur un livre de 248 pages sur cette affaire: "20 ans de piquetage devant le Parlement - La CSST contre Cristini".