La lutte contre le CPE

Réflexions sur le mouvement étudiant en France

La résistance des jeunes ouvriers, étudiants et lycéens contre la tentative du gouvernement De Villepin de créer plus de flexibilité du travail a été l’un des événements les plus encourageants de ces dernières années.

La crise du capitalisme

Depuis le début des années ’70, le capitalisme est confronté à une crise d’accumulation provoquée par la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Ce qui ne signifie pas que des bénéfices ne peuvent pas être réalisé (comme Marx l’a indiqué, le capitalisme “doit s’étendre ou mourir”). Cela signifie que le taux de profit est si bas que le système entier est englué dans une forme de stagnation. Les taux de croissance de 5 ou de 6% dans la période du boom d’après guerre (qui a formellement pris fin quand le Président Nixon a déclaré que le dollar n’était plus l’ “étalon or” de l’économie mondiale) ont été réduits à une moyenne annuelle de 1 ou de 2%, c’est-à-dire à peine davantage que les taux produits par l’augmentation de la population. La conséquence en fut l’intensification des tensions entre les classes: dans les années 70 et 80 la classe ouvrière a riposté. Cependant, à mesure que la crise s’approfondissait, l’équilibre des forces a basculé à son désavantage. Se battre pour un salaire décent, ca va, mais se battre pour conserver son travail quand les capitalistes s’efforcent de restructurer est beaucoup plus difficile. Le chômage de masse, qui a initialement suscité une résistance, est devenu partout une arme au service de la classe capitaliste.

La Grande-Bretagne et les USA furent les nations capitalistes les plus avancées à cet égard. Les gourous du néo-libéralisme comme Milton Friedman ont préconisé l’abandon de l’idée keynésienne de redistribution de la plus-value des secteurs rentables vers les industries de base de moins en moins lucratives mais stratégiquement importantes, telles que le charbon et l’acier, qui se réalisait par la règlementation ou la propriété d’État. Le démantèlement de ces industries était devenu plus acceptable alors que la Guerre froide prenait fin et qu’elles n’étaient plus aussi stratégiquement significatives.

L’approfondissement de la crise a également forcé les capitaux dominants à rechercher de nouvelles manières d’augmenter les taux de profit en investissant à l’étranger, pas simplement pour obtenir des produits de base en tant que sources de capital constant à bon marché, mais également pour abaisser les coûts de main-d’œuvre. Ce processus a d’abord commencé lentement, mais l’impossibilité de trouver des opportunités d’investissements intéressantes dans les principaux pays capitalistes a conduit les capitalistes à “relocaliser” une part croissante de leur production en Asie et en Amérique latine. Avec le temps, cela a pris différentes formes comme les “maquiladores” en Amérique Centrale qui alimentent la production des USA, et de plus en plus, des zones entières de pays comme la Chine sont devenues des oasis pour le capital. Marx a écrit dans le Manifeste du Parti Communiste que les produits européens bon marché basés sur la production industrielle moderne “ont abattu toutes les murailles de Chine” au dix-neuvième siècle. Aujourd’hui, c’est la main-d’œuvre chinoise bon marché qui produit les marchandises qui abattent des barrières douanières européennes, japonaises et américaines. Un article récent du Washington Post en révélait les conséquences. Les entreprises américaines sont parvenues à limiter l’inflation salariale à 0.3% par an et ces salaires représentent 70% de leurs dépenses. Il n’est donc pas étonnant de constater l’augmentation des bénéfices réels de ces sociétés. Les coûts salariaux tendent à décroître suite aux investissements à l’étranger et l’utilisation officiellement encouragée ou tolérée de main-d’œuvre saisonnière illégale ou semi-légale dans les États métropolitains (voir l’article dans Revolutionary Perspectives n. 39), ce qui maintient une pression vers le bas sur les revenus réels.

Cette réduction de la valeur de la force de travail est allée nettement plus loin dans les économies anglo-saxonnes. On parle beaucoup des transferts de centres d’appels vers l’Inde où des diplômés anglophones peuvent être employés à bas salaires. Mais beaucoup de centres d’appels en Grande-Bretagne emploient du personnel diplômés ou autrement qualifiés. Le village global dont parlait Marshall Macluhan et d’autres il y a presque un demi-siècle est maintenant une réalité.

La situation en France

Cependant, les attaques contre la classe ouvrière ont été plus lentes à se développer en Europe continentale. Les accords qui y furent mis en place dans l’après-guerre offraient réellement une meilleure protection aux ouvriers que dans les pays anglo-saxons. La crainte de la menace communiste venant d’Europe de l’Est a même amené les démocrates chrétiens (qui représentaient généralement la droite européenne) à donner quelques droits aux ouvriers au nom d’une douteuse “solidarité sociale”. En Grande-Bretagne et aux USA n’importe quel ouvrier faisant la grève perd sa sécurité d’emploi mais cela n’a jamais été le cas en Europe continentale. Et de fait, le Financial Times, l’organe journalistique principal du capitalisme britannique, explique la stagnation plus importante de l’économie européenne depuis quinze ans par l’échec des Européens à s’attaquer aux “rigidités du marché du travail” que les économies anglo-saxonnes ont dérégulées dès le début des années ‘80. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les actions récentes du régime chiraquien en France: l’introduction du CPE (Contrat Première Embauche) n’est que la plus récente de trois tentatives d’attaquer la classe ouvrière au cours des dix dernières années.

La première était le plan de Juppé de décembre 1995, qui visait à réduire les dépenses de sécurité sociale pour tous les ouvriers, de même que les retraites des ouvriers des chemins de fer et d’autres secteurs de transport d’État. Cela a provoqué une vague massive de grèves et de manifestations et l’attaque sur les retraites dans les transports a été retirée. Cependant la “réforme” de la Sécurité sociale a été maintenue, même si Juppé (le Premier ministre de l’époque) démissionnait quelque temps plus tard. La seconde fut la réforme des retraites de Raffarin qui a provoqué une large résistance, en particulier dans le secteur de l’Éducation, en mai et juin 2003. Suite à des manifestations énormes et une grève de plusieurs semaines des enseignants, Raffarin dû faire des concessions, mais le résultat final fut que les ouvriers doivent maintenant travailler plus longtemps pour obtenir leur retraite. La faillite des syndicats dans la défense de leurs membres contre cette attaque a donné le feu vert à De Villepin pour préparer la prochaine.

En dépit du succès de ces attaques contre la classe ouvrière, la classe dirigeante française est toujours à la traîne de ses concurrents en Europe, et plus particulièrement derrière le Royaume-Uni et les États-Unis, pour ce qui est de faire payer la crise d’accumulation à la classe ouvrière. Le CPE cependant fait partie d’une approche plus agressive, puisque le gouvernement De Villepin avait déjà à sa disposition le CNE, le Contrat Nouvelle Embauche. Ce dernier a été voté en août 2005 (quand tout le pays était en congé) et est semblable au CPE. Il s’applique seulement aux petites entreprises privées de moins de 20 employés (ce qui représente quand même 66% des entreprises françaises), mais à la différence du CPE, il concerne les ouvriers de n’importe quel âge et permet lui aussi de virer un employé pour n’importe quelle raison dans les deux premières années de l’emploi. La différence est que les émeutes de novembre 2005, dans les banlieues de Paris et de plusieurs autres villes, avaient souligné le danger du problème du chômage des jeunes pour la stabilité de la société française. Cependant, les émeutes (que nous voyons comme une tentative de riposte erronée d’une partie de la jeunesse ouvrière - voir dans Bilan & Perspectives 6 la prise de position du Bureau) avaient été provoquées plus par la répression étatique que par les conditions économiques. Mais le gouvernement De Villepin, sans trop consulter ses propres ministres, et encore moins qui que ce soit d’autre, a décidé que la solution était de faciliter les conditions de licenciement: prétendant (sans en apporter la moindre preuve) que plus de “flexibilité” pour les employeurs leur permettrait d’offrir plus de travail aux chômeurs des banlieues. Le but de la politique de De Villepin était cependant transparent et a été vu comme une attaque de trop. Cela a provoqué le mouvement de mars et d’avril.

Le mouvement étudiant

Nous appelons mouvement étudiant, le mouvement de ce printemps en France parce que, même si la question affectait effectivement le prolétariat entier comme nous l’avons expliqué plus haut, ce furent les jeunes, principalement étudiants et lycéens (c.-à-d. les plus directement affectés) qui fournirent les principaux bataillons de la résistance. Ils avaient l’avantage de ne pas être sous l’influence des syndicats qui n’avaient pas bougé le petit doigt pour s’opposer au CPE (tandis que le principal parti d’opposition, le Parti Socialiste, se contentait d’une opposition symbolique à l’Assemblée nationale). Les grèves étudiantes furent une réponse immédiate au CPE. Même si au début, le mouvement s’est développé lentement, impliquant un nombre relativement peu élevé de participants, il prit une certaine ampleur avant les vacances de février (qui selon les régions, s’étalaient sur quatre semaines). Les étudiants qui animaient le mouvement ont trouvé que le blocage des universités était un bon moyen, dans la mesure où si personne ne rentre, cela signifie que l’université est à 100% en grève et que la minorité qui avait lancé le mouvement ne serait pas pénalisée (en échouant leurs examens, etc..) à la fin. La faiblesse des organisations étudiantes (l’UNEF y compris) fut un autre point positif car les principaux promoteurs du mouvement ont dû se tourner vers les Assemblées générales pour gagner de plus en plus d’étudiants à la lutte. Celles-ci en vinrent, petit à petit, à impliquer un grand nombre d’étudiants (bien qu’apparemment dans la plupart des cas, cela a toujours été une minorité dans chaque université). C’est là qu’émergèrent les problèmes habituels de n’importe quel mouvement de masse: comment favoriser la participation la plus large et qui a le droit de voter sur les résolutions dans chaque assemblée. Le résultat fut inégal, certaines assemblées étant plus conscientes des enjeux que les autres. Dans quelques assemblées, une rotation des tâches faisait en sorte qu’aucun comité n’en arrive à dominer les délibérations ou l’ordre du jour. La où l’UNEF (dominée par le PS) était mieux organisée, le même noyau de personnes tendait à diriger les affaires courantes des assemblées. En fait, le mouvement a tiré bénéfice du fait que les syndicats et les trotskistes ont été pris par surprise de sorte qu’il a pu se développer et apprendre de ses propres erreurs. Comme c’était un mouvement absolument pratique (ce qui est essentiellement la racine de ce qu’ont été et doivent être tous les mouvements révolutionnaires), les assemblées furent le grand succès du mouvement. Bien que le problème de qui pouvait participer n’ait pas toujours été résolu par les assemblées, dans les meilleurs cas, les étudiants se rendirent compte qu’ils ne combattaient pas simplement pour eux-mêmes et qu’ils ne pourraient pas gagner seuls. Ils ont consciemment et délibérément essayé de faire participer des ouvriers, même si cela signifiait pour eux de faire participer leurs parents et leurs grands-parents aux assemblées, ou encore, comme à certains endroits, inviter des personnes de la rue pour s’adresser aux réunions. Des efforts ont été également fait pour coordonner le travail des diverses AG, mais ce travail essentiel a été en grande partie effectué par les éléments politiques (anarchistes, trotskistes de la LCR) et n’a pas jailli directement des discussions des assemblées elles-mêmes. Il était trop tôt pour émettre un jugement sur ce développement lorsque le gouvernement a retiré le CPE et que le mouvement s’est terminé le 10 avril.

Les syndicats

Tout le long de ce mouvement, les syndicats n’ont rien fait. Comme nous l’avons dit dans notre tract du 18 mars, les syndicats n’ont fait aucun effort pour mobiliser leurs propres membres, n’ont pas publié de tracts, tenu des réunions d’information, ni posé la question d’une grève contre le CPE. C’est seulement à la fin du mouvement que l’on a pu voir un appel à la grève sur des sites internet syndicaux. En revanche, tout comme en 1968, les syndicats ont essayé de contrôler tout ce qu’ils pouvaient. Les délégués syndicaux prenaient la direction effective des manifestations, comme s’ils étaient les animateurs du mouvement et tentaient de se mettre à leur tête. Le 18 mars, des étudiants qui l’avaient constaté ont du courir pour les contourner et prendre la tête de la manifestation. Le résultat net de l’inactivité syndicale est qu’ils semblent s’être un peu rachetés pour la défaite de 2003 et profiteront sans doute un peu des retombées d’un mouvement qu’ils ont tout fait pour ignorer, quand ce n’est pas de l’avoir miné directement. Pour certains ouvriers plus âgés, cela rappelait 1968, lorsque la CGT, dominé par les staliniens du Parti Communiste, a tout fait pour s’assurer que les ouvriers restent dans les usines, et ne puissent se solidariser avec les étudiants qui combattaient les CRS. Le rôle essentiel des syndicats est de négocier les salaires et les conditions de travail dans un système qu’ils souhaitent préserver (après tout, si le système d’esclavage salarié est supprimé, il n’y a plus de rôle pour ces organes de conservation capitaliste). Ils sapent n’importe quel mouvement qui, même de façon minime, le remet en cause et par conséquent, ils cherchent à saboter tout ce qui émerge des vraies revendications ouvrières. Dans ce cas-ci, ils n’ont eu qu’à se cacher derrière la prémisse idéologique fondamentale que l’attaque contre les jeunes travailleurs était une attaque contre tous les salariés (ce qui était le mot d’ordre d’unification du mouvement), tout en ne bougeant même pas le petit doigt pour assurer son succès.

La question de la violence

Tandis que les syndicats pratiquaient le sabotage passif, les médias - comme toujours au service de l’État capitaliste - tentèrent de discréditer le mouvement en mettant beaucoup l’accent sur les incidents violents pendant les manifestations. Ces incidents ont pris la forme habituelle de la violence des CRS (une police qui n’a jamais été connue pour sa subtilité) contre des manifestants influencés par l’anarchisme, mais les manifestants ont également été attaqués et volés par des “casseurs” ou de jeunes chômeurs qui avaient aussi été impliqués dans les émeutes de novembre dernier. Les médias (et De Villepin) ont utilisé ces faits pour suggérer que le mouvement contre le CPE s’objectait à un moyen d’intégration de ces jeunes marginalisés, mais cet artifice n’a pas été pris au sérieux. Ces “casseurs” sont souvent venus à ces manifestations, comme à des précédentes ou à d’autres rassemblements sociaux avec la même intention de vol. Ils démontrent, comme Marx l’a affirmé il y a longtemps, que s’ils ne sont pas liés au mouvement général de la classe ouvrière, ils peuvent potentiellement devenir un lumpenprolétariat qui peut être au service de n’importe quelle force sociale réactionnaire. Il y a eu une certaine tentative de la part des étudiants de discuter avec ces éléments et cela doit être la première stratégie pour les empêcher de se transformer en accessoire utile de l’ordre capitaliste.

Mai '68, etcetera

Il était inévitable que ce mouvement soit comparé à celui de 1968, étant donné la composition à la fois étudiant et prolétarien des deux mouvements. Et effectivement, la question a été soulevée lors de la réunion publique de la CWO tenue à Londres le 1er avril; une réunion partiellement consacrée aux événements en France.

En fait il y a peu de similitudes. En mai ‘68, le nombre d’étudiants d’origine prolétarienne était très faible tandis qu’aujourd’hui, la nature de l’emploi dans le système capitaliste implique que plus de 50% de ceux qui suivent ce qui passe pour une éducation “de haut niveau”, sont d’origine ouvrière. Et comme nous l’avons souligné en début de ce texte, le CPE voulant répondre à la nécessité pour les capitalistes de s’attaquer au niveau des salaires, il clair qu’il y a aujourd’hui une unité de but essentielle entre les étudiants et les ouvriers. Ce n’était pas le cas en 1968. Alors, la révolte des étudiants et la grève générale des travailleurs semblaient occuper deux aires différentes. Tandis que les étudiants posaient des questions de société, les ouvriers - après la plus grande grève de l’histoire, presque 10 millions de travailleurs en grève en même temps - furent gratifiés d’une augmentation de salaire massive de 10%, concédée par De Gaulle afin d’acheter la paix sociale. Ce fut le début d’une série de luttes organisées partout dans le monde, qui ont duré jusqu’en 1976, où les travailleurs ont lutté et ont en grande partie gagné contre les premières tentatives du capitalisme de leur faire payer sa crise. À cette époque, des ouvriers plus âgés (dans certains cas, nos propres parents) nous ont averti que cette lutte salariale ne mènerait pas d’elle-même à une société socialiste. Mais plusieurs camarades étaient influencés par les théories spontanéistes selon lesquelles la lutte salariale pouvait d’une façon ou d’une autre se transformer en une lutte pour une société communiste. Malheureusement, ces travailleurs plus âgés avaient raison. La question de la conscience est un phénomène beaucoup plus complexe qu’un simple réflexe économique.

C’est en effet là, le grand contraste entre hier et aujourd’hui. Tandis que le mouvement, comme nous l’avons dit, a tiré sa force du fait qu’il était un mouvement pratique, sa faiblesse fut qu’il n’a pas soulevé la question “qu’est-ce que le capitalisme?” et encore moins examiner pourquoi il s’est attaqué à la classe ouvrière. Comme nous l’avons souligné lors de notre réunion publique, le CPE n’est pas absolument indispensable à la bourgeoisie française parce que celle-ci a d’autres mesures déjà prêtes dans ses cartons. La rivalité entre les chefs, Sarkozy et De Villepin, ne représentait pas une division dans la bourgeoisie, mais fut simplement une occasion de changer d’équipe, comme cela s’est produit si souvent sous Chirac. Une fois le CPE retiré, le mouvement, n’ayant pas d’objectif plus élevé, a prit fin.

Nous devons souligner que lorsque nous critiquons le mouvement d’aujourd’hui pour son manque de conscience politique, nous n’idéalisons pas les “grandes idées” soulevées en 1968. Les étudiants de l’époque étaient une proie facile pour tout ce qui semblait en dehors des habituelles dichotomies Est-Ouest de la Guerre froide. Par exemple, la prétendue popularité de personnalités dédaignant la classe ouvrière tel Herbert Marcuse. Écartant le prolétariat en tant qu’élément “unidimensionnel”, il concluait que les sujets révolutionnaires de la nouvelle période seraient les “minorités” opprimées: les femmes, les noirs etc., comme s’ils n’étaient pas déjà une partie intégrante de la classe exploitée qui produit la richesse de la société. D’autres se sont précipités dans le radicalisme chic de Che Guevara, qui avait trouvé une nouvelle manière de faire avaler l’élitisme stalinien, via la lutte des guérilleros contre “l’impérialisme” (seulement les USA). Certains ont tragiquement essayé de transposer le “guerrillérisme” en Europe et ont fini dans le cul-de-sac du terrorisme urbain, comme le groupe Baader-Meinhof en Allemagne ou les Brigades Rouges en Italie. Et un bon nombre d’étudiants issus de la petite bourgeoisie se firent les promoteurs enthousiastes de la nature révolutionnaire supposée du maoïsme, en ignorant simplement la politique quasi-génocidaire de Mao à l’intérieur de la Chine elle-même. Plusieurs étudiants révolutionnaires, comme nous l’avons dit à l’époque, étaient de futurs dirigeants de la société. Ils étaient à la recherche existentielle de leurs propres identités, tout comme la vaste majorité de leurs congénères. Même des individus qui ont été attaqués par les staliniens comme “Danny le rouge” Cohn-Bendit ou Joska Fischer, se sont depuis longtemps réconciliés avec la société bourgeoise et se sont fait une place dans son administration. Les deux sont devenus députés ou ministres verts en France et en Allemagne.

De plus, nous ne déplorons pas le manque d’”idées” de la même manière que le fait le rédacteur du Monde Diplomatique (voir la une du numéro de mars), qui parle des idées comme si elles jaillissaient de manière indépendante de l’esprit des grands hommes. Quand nous parlons du besoin de perspectives révolutionnaires, nous parlons de celles qui reflètent vraiment une connaissance de base du système de production et de son appareil. Quand nous applaudissons les étudiants qui essayent de créer le genre d’organisation ouverte, nécessaire à tout mouvement de masse, nous savons bien que ce n’est qu’un commencement. Dans chaque mouvement nous devons étudier non seulement sa forme mais également son contenu, et c’était là, la grande faiblesse du mouvement étudiant français. Nous avons salué beaucoup de mouvements dans le passé qui ne posaient qu’implicitement la question de la nature du capitalisme et du système d’État qui le soutient. Nous ne nous attendons pas à ce qu’un nouveau mouvement se pose des questions profondes dès le début, mais si la classe ouvrière espère créer une nouvelle société, elle devra passer par une série de luttes, qui définiront de plus en plus précisément à la fois la nature exploiteuse du capitalisme, et la solution que seulement la classe ouvrière peut mettre en œuvre - le communisme.

Pour le moment, une telle perspective est uniquement portée par les minorités communistes comme la nôtre, qui n’ont pas jusqu’ici d’implantation profonde et répandue dans la classe ouvrière du monde entier. Notre tâche est de travailler dans des mouvements comme celui dont nous venons d’être témoins, pour ramener à la lutte la perspective d’une société meilleure. Cela signifie non seulement contribuer à se réapproprier les leçons de l’histoire de la lutte de classes, mais aussi s’organiser dans la classe ouvrière. Pour porter la lutte à un niveau supérieur, le prolétariat aura besoin d’organes de mobilisation de masse, dont nous avons eu un aperçu dans le mouvement étudiant, mais nous savons également qu’il aura fait un véritable saut qualitatif quand il aura créé l’organisation politique de ceux et de celles qui comprennent cette perspective. C’est ce que nous appelons le Parti mondial du prolétariat. Il sera à la fois la réflexion du prolétariat venant à la conscience et l’organisation indispensable pour guider le combat contre tous les ennemis politiques du prolétariat, qui essayeront de conquérir la direction de tous les mouvements potentiellement révolutionnaires et s’assurer qu’ils ne constituent pas une menace au système. L’histoire de la classe ouvrière nous a enseigné que le Parti n’est pas un organe de gouvernement mais un organe de conscience, et sa tâche est d’étendre la révolution dans le monde entier et non pas de former un “gouvernement” dans les secteurs où le prolétariat est déjà lui-même aux poste de commande. Ce que cette lutte en France a démontré, c’est que la classe ouvrière a les capacités organisationnelles pour réaliser les tâches pratiques nécessaires à la conduite de ses propres affaires. La question qui reste ouverte, c’est le genre de société dans laquelle nous voulons vivre.

JSD/DD