People’s War…Women’s War?

Un pâté confus et indigested

Au début de l’été 2006, Kersplebedeb, une initiative montréalaise de production et de diffusion de textes et de gadgets "radicaux" nous a fait parvenir une brochure sur le rôle des femmes dans les rangs du Parti communiste du Népal - Maoïste. Intitulée: People’s War...Women’s War?, la brochure comprend deux textes signés par la "camarade Parvati", membre du Bureau politique du parti népalais, ainsi qu’un commentaire critique sur ces textes et une annexe sur l’attitude du PCN-M face à la prostitution.

Soyons francs, il n’y a strictement rien à tirer de ce galimatias déroutant tenant lieu d’analyse de ce qui se passe présentement au Népal et plus particulièrement des conditions de l’oppression des femmes à l’intérieur de l’organisation maoïste comme dans l’ensemble du pays. La brochure tend à présenter le parti népalais et les efforts de sa dirigeante Parvati sous un jour plutôt sympathique. Comme s’il fallait accorder du crédit à l’argumentaire d’une dirigeante mao-stalinienne sur une question aussi importante que celle des femmes comme sur toutes les autres. La contre-révolution stalinienne, dont le maoïsme est un rejeton monstrueux a il y a longtemps fait la preuve du contenu complètement réactionnaire de son discours "radical", et ce sur toutes les questions. L’introduction affirme que cette "guerre populaire" serait "la première révolution anticapitaliste armée dans le monde depuis 25 ans". Surprenant me direz-vous car on connaissait déjà depuis longtemps la réalité mystificatrice de la guerre en question (1), surprenant me direz-vous aussi, puisque Kersplebedeb est généralement associé à la mouvance anarchiste. Rassurez-vous, il n’est pas question ici de faire un mauvais procès à l’anarchisme en général et il ne nous appartient pas non plus de décerner des médailles d’authenticité sur ce que constitue l’anarchisme et sur ce que ne le constitue pas; surtout en Amérique du Nord où le contenu de classe de ce courant est très souvent escamoté, lorsqu’il n’est tout simplement renié au profit de politiques identitaires et atomisées. Mais il est utile de rapporter ici que cette sympathie pour un certain "marxisme-léninisme" chez des libertaires nord-américains n’est pas que le fait de Kersplebedeb. On peut rapporter le cas de Arm the Spirit (Hamilton - Toronto), Resistance et d’un certain nombre d’autres initiatives. Kersplebedeb et les initiatives semblables se présentent toujours comme des libertaires tout en donnant une bonne place dans leur diffusion à des positions "marxistes-léninistes" qui les rassérènent et les confortent dans leurs principales positions. Ainsi, dans cette brochure comme dans leur catalogue, on donne une bonne place au "théoricien" mao-stalinien et identitaire J. Sakai. De mémoire, c’est St-Thomas qui dans la théologie chrétienne affirmait que les péchés d’omission pouvaient être aussi haineux que ceux de la commission et nous mener tout aussi certainement en enfer. Et bien, Sakai est le roi du mensonge par omission. Pour conforter sa position nationaliste et identitaire, il a écrit un livre très populaire chez les anarchistes nord-américains (Settlers: The Mythology of the White Proletariat) dans lequel il a choisi la méthode du mensonge par omission (sans compter l’abandon de l’économie politique marxiste la plus élémentaire) pour avancer sa thèse farfelue à l’effet qu’il n’y a pas de prolétariat blanc en Amérique du Nord. D’autres sinistres imbéciles mao-staliniens tel le Maoist Internationalist Movement (MIM) en ont fait leurs choux gras; ce qui leur a valu une certaine notoriété. Soulignons qu’en fonction du mépris pour ce prolétariat blanc "inexistant", le MIM s’est fait une réputation tout à fait justifiée de jaune (scab) lorsqu’il a encouragé des travailleurs noirs à traverser les lignes de piquetage dressés par des travailleurs majoritairement blancs en grève à Détroit, puisque ceux-ci n’étaient pas des prolétaires selon la brillante analyse les sublimes crétins du MIM et de Sakai. Par les temps qui courent, le même MIM se fait une belle réputation en s’opposant au droit à la contraception aux USA en lui proposant plutôt le mot d’ordre de stérilisation forcée de tous les hommes! Mais où donc tout cela nous mène-t-il (ailleurs que sur le divan des psychanalystes...) et quel est le rapport avec cette brochure "anarcho-maoïste"? Et bien cela nous mène à un des fondements de ce qu’il y a de tout croche dans le "mouvement", c’est-à-dire la surenchère, la fausse radicalité qui sert toujours la réaction, tout comme l’ignorance. Comme on accepte si facilement les bêtises si elles sont couvertes du vernis respectable de la fausse radicalité; des fausses communautés. Mao a dit qu’il fallait respecter les femmes car "elles portent la moitié du ciel" mais en fait, elles portaient la moitié de l’enfer maoïste. Mais peu importe les faits pour nos "radicaux", si cela peut mettre en doute la réalité ouvrière et la lutte des classes et ainsi faciliter la promotion du racket identitaire; si cela peut justifier l’accent mis sur telle ou telle forme d’oppression et d’exploitation au détriment des autres; si cela peut nous diviser plutôt que de contribuer à nous unir. Il faudrait peut-être que les antiautoritaires de Kersplebedeb, Arm the Spirit, et les autres se pausent la question pourquoi leur anti autoritarisme très particulier les mènent à Mao et à Staline (!) ainsi qu’aux zapatistes et à leurs divers groupies parmi les intellectuels et les universitaires libéraux, mais jamais à Marx, ni à la véritable lutte contre l’exploitation capitaliste qui est à la base des diverses formes d’oppression.

Pour notre part nous avons des pistes de réponses: a) la fascination du fusil et une appréciation erronée de ce qui n’est rien d’autre qu’un "réformisme armé" (reformists with guns...) et b) un intérêt comptable morbide pour le calcul du poids spécifique de chaque oppression (un exercice où la petite bourgeoisie arrive toujours à se mettre avantageusement en situation, à se créer et se promouvoir comme sujet). Cependant, nous ne pouvons exclure qu’un certain nombre de ses éléments désorientés désirent sincèrement abattre un jour le capitalisme même s’ils s’y prennent fort mal. Mais leur recherche écervelée d’une issue révolutionnaire à la crise du capitalisme à l’extérieur de la classe ouvrière ne les mènera encore et encore que sur les sentiers trop bien battus des diverses modes ou expédients réformistes comme le racket des zapatistes il y a si peu d’années encore ou celui des maoïstes népalais aujourd’hui.

Ce que Marx et Engels critiquent avec le plus de véhémence, dans le socialisme anglo-américain, écrivait Lénine en 1907 et cela vaut aujourd’hui aussi pour une certaine partie des libertaires, c’est son isolement du mouvement ouvrier[ ...], c’est de ne pas savoir s’adapter au mouvement ouvrier théoriquement désarmé, mais vivant, massif, puissant.

Comme le disait Engels, c’est ériger “son impatience en programme politique”. Voilà bien une impatience compréhensible mais combien stérile et en bout de compte destructrice car il n’existe pas d’autre voie que celle du rétablissement patient mais acharné du seul programme "anticapitaliste" véritable, le communisme, et la seule organisation dont nous avons besoin n’est ni mao-stalinienne, ni zapato-réformiste, mais bien internationaliste et prolétarienne. Nous ne cherchons qu’à analyser, pas à blesser mais on ne trouvera rien de cela dans People’s War... Women’s War? Le papier, c’est bien connu supporte tout ce qu’on lui appose. Il n’empêche que cette brochure est insupportable.

RS

(1) Lire l’éditorial de ce numéro de Notes Internationalistes.